Les pères de l'Église et la papauté (bonus) : le discours de l'évêque Strossmayer.
30 août 2017

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Strossmayer était un évêque de la fin du XIXème siècle. Il participa au célèbre Concile Vatican I au cours duquel est discuté, entre autres,  le dogme de l’infaillibilité papale. Celui-ci a fait un discours particulièrement étonnant dans lequel il attaque la position ultramontaine de l’époque (proche de celle qui a triomphé) mais aussi la légitimité même de l’office papal.

Bien que certains ait contesté l’authenticité du discours, la seule véritable raison de le faire est son contenu et non le fait qu’il ne serait pas historiquement attesté. Même l’Encyclopédie catholique confirme qu’il a prononcé un discours à Vatican I contre l’infaillibilité papale et dit même que ce discours est une “défense du protestantisme”(©1913 Vol. XIV p.316). Mais pour ôter au lecteur tout doute à ce sujet, voici un lien vers la copie de son discours datant de 1872, soit deux ans après le Concile Vatican I, de l’Université d’Ottawa.

Je reproduis ici les sections de son discours sur l’histoire et les pères de l’Église dans laquelle il discute de l’interprétation que ces pères faisaient du roc de Matthieu 16:18.

Le témoignage de l’histoire

Vénérables frères, je suis prêt à me taire ; mais ne vaut-il pas mieux, dans une assemblée comme la nôtre, éprouver toutes choses, comme le recommande l’apôtre, et retenir ce qui est bon ? Nous avons un dictateur devant lequel nous et même sa sainteté Pie IX en personne devons nous prosterner, nous taire et nous incliner. Ce dictateur est l’histoire. Ce n’est pas quelque chose de semblable à une légende que l’on peut façonner comme un potier façonne son argile, mais c’est quelque chose de semblable à un diamant qui trace sur du verre des raies que l’on ne peut enlever. Jusqu’à présent, je me suis appuyé uniquement sur elle, et si je n’ai trouvé aucune trace de papauté dans les jours des apôtres, c’est à elle qu’en incombe la faute, non à moi. Voulez-vous me placer dans la position d’un accusé de mensonge ? Vous pouvez le faire si vous en êtes capables.

J’entends à ma droite quelqu’un exprimer ces paroles : « Tu es Pierre, et sur ce roc je bâtirai mon Eglise. » Je vais répondre à cette objection, mes vénérables frères, mais avant de le faire, je désire vous présenter les résultats de mes recherches historiques.

Ne trouvant pas trace de la papauté au temps des apôtres, je me suis dit : Je trouverai ce que je cherche dans les annales de l’église. Eh bien, je le déclare franchement : J’ai cherché un pape dans les quatre premiers siècles, et je n’en ai pas trouvé. Aucun d’entre vous ne mettra en doute, je l’espère, la grande autorité du saint évêque d’Hippo, le grand et bienheureux St. Augustin. Ce pieux docteur, l’honneur et la gloire de l’église catholique, fut secrétaire du Concile de Melvie. Dans les décrets adoptés par cette vénérable assemblée, se lisent ces importantes paroles : « Quiconque en appellera à ceux demeurant de l’autre côté de la mer, celui-là ne sera pas reçu dans La communion en Afrique. » Les évêques d’Afrique reconnaissaient si peu l’évêque de Rome qu’ils frappaient d’excommunication ceux qui faisaient appel à ce dernier. Ces mêmes évêques, au sixième Concile de Carthage, tenu sous Aurélien, évêque de cette ville, écrivirent à Célestin, évêque de Rome, pour lui recommander de ne pas recevoir d’appels des évêques, prêtres ou ecclésiastiques d’Afrique, de ne plus envoyer de légats ou commissaires, et de ne pas introduire l’orgueil humain dans l’église.

Que le patriarche de Rome se fût efforcé, dès les premiers temps, de s’accaparer toute l’autorité, c’est un fait évident ; mais le fait est également évident qu’il ne possédait pas la suprématie que lui attribuent les ultramontains. S’il l’avait possédé, les évêques d’Afrique, St. Augustin le premier auraient-ils osé interdire la présentation à son suprême tribunal des appels relatifs aux décisions qu’ils prenaient ? Je confesse sans difficulté que le patriarche de Rome occupait la première place. L’une des lois de Justinien déclare : « Nous décidons, après la définition des quatre conciles, que le saint pape de l’antique Rome sera le premier des évêques, et que le très-haut archevêque de Constantinople, la nouvelle Rome, sera le second. » « Incline-toi donc devant la suprématie du pape », me direz-vous. Ne soyez pas si prompts à tirer cette conclusion, mes vénérables frères, d’autant que la loi de Justinien traite «De l’ordre des sièges patriarcaux ». La priorité est une chose, le pouvoir de juridiction en est une autre. Par exemple, en supposant qu’il se tienne à Florence une assemblée de tous les évêques du royaume, la priorité serait donnée au primat de Florence, comme chez ceux de l’Orient elle serait accordée au patriarche de Constantinople et, en Angleterre, à l’archevèque de Canterbury. Mais ni le premier, ni le deuxième, ni le troisième ne pourraient déduire de la position qui leur serait assignée que leur est accordée une juridiction sur leurs collègues.

L’importance des évêques de Rome ne procédait pas du pouvoir divin, mais de l’importance de la ville où siégeaient ces derniers. Monseigneur Darboy (à Paris) n’est pas supérieur en dignité à l’archevêque d’Avignon, mais, malgré cela, Paris lui donne une considération qu’il n’aurait pas si son palais, au lieu de se dresser sur les bords de la Seine, s’élevait sur les bords du Rhône. Ce qui est vrai dans l’ordre religieux l’est aussi en matières civiles et politiques ; le préfet de Rome n’est pas plus grand que celui de Pise, mais, civilement et politiquement, il a une plus grande importance.

J’ai dit que dès les tout premiers siècles le patriarche de Rome aspirait au gouvernement universel de l’église. Il y parvint malheureusement de très près, mais ne réussit pas à faire valoir ses prétentions, car l’Empereur Théodose II édicta une loi par laquelle il établissait que le patriarche de Constantinople aurait la même autorité que celui de Rome (Leg. cod. de sacr., etc.). Les pères du Concile de Chalcédoine placèrent les évêques de la nouvelle et de l’ancienne Rome sur le même pied, en toutes choses, même en matière ecclésiastique (Can. 28). Le sixième Concile de Carthage interdit à tous les évêques de s’arroger le titre de prince des évêques, ou d’évêque souverain. A propos de ce titre d’évêque universel, que les papes s’attribuèrent plus tard, St. Grégoire, croyant que ses successeurs ne penseraient jamais à s’en parer, écrivit ces remarquables paroles : « Aucun de mes prédécesseurs n’a consenti à prendre ce titre profane, car, lorsqu’un patriarche se donne le nom d’Universel, le titre de patriarche en souffre un discrédit. Qu’il soit loin de la pensée des Chrétiens le désir de se donner un titre qui jette du discrédit sur leurs frères ! »

Le témoignage des pères de l’église

Les paroles de St. Grégoire s’adressaient à ses collègues de Constantinople qui prétendaient à la primauté dans l’église. Le pape Pélage II appela «impie et profane» Jean, évêque de Constantinople, qui aspirait à la souveraine sacrificature. «Ne vous souciez pas», dit-il, «du titre d’universel, dont Jean s’est approprié illégalement. Qu’aucun des patriarches ne s’attribue ce nom profane ; car à quelles infortunes ne pouvons-nous pas nous attendre si, parmi les prêtres, surgissent de tels éléments ? Il leur arriverait ce qui leur a été prédit C’est le roi des fils de l’orgueil. » (Pélage II, lett. 13.). Ces autorités ne prouvent-elles pas (et je pourrais en ajouter cent autres encore, d’égale valeur), avec une clarté pareille à celle du soleil à midi, que les évêques de Rome ne furent que beaucoup plus tard reconnus comme évêques universels et chefs de l’église ? D’un autre côté, qui ne sait pas que de l’année 325, au cours de laquelle se tint le premier Concile de Nicée, jusqu’à l’année 580, année du second Concile oecuménique de Constantinople, parmi plus de 1.109 évêques qui assistèrent aux six premiers Conciles généraux, il n’y eut pas plus de dix-neuf évêques occidentaux ? Qui ne sait pas que les Conciles étaient convoqués par les Empereurs, sans qu’information en fût donnée à l’évêque de Rome, et parfois à l’encontre du désir de ce dernier ? qu’Hosius, évêque de Cordoue, présida le premier Concile de Nicée et en rédigea les décrets ? Le même Hosius, présidant par la suite le Concile de Sardica, exclut les légats de Jules, évêque de Rome.

Je n’en dirai pas davantage sur ce point, mes vénérables frères ; j’en viendrai maintenant au grand argument que vous invoquiez tantôt pour établir la primauté de l’évêque de Rome: au roc (petra). Si cet argument était véridique, notre controverse cesserait ; mais nos ancêtres et ils en savaient certainement quelque chose ne donnaient pas au mot «roc» la signification que nous lui attribuons. St. Cyrille, dans son quatrième livre sur la Trinité, déclare : « Je crois que par le roc il vous faut comprendre la foi inébranlable des apôtres. » St. Hilaire, évêque de Poitiers, dans son second livre sur la Trinité, s’exprime ainsi : « Le roc (petra) est l’unique roc béni de la foi confessée par St. Pierre » ; et, dans son sixième livre traitant du même sujet, il écrit : « C’est sur ce roc de la confession de foi que l’Eglise est bâtie.» « Dieu», écrit St. Jérôme dans le sixième livre sur St. Matthieu, « a fondé Son Eglise sur ce roc, et c’est du nom de ce roc que l’apôtre Pierre a été appelé. » Après Jérôme, St. Chrysostome, dans sa cinquante-troisième homélie sur St. Matthieu, déclare : « Sur ce roc je bâtirai mon Eglise c’est-à-dire sur la foi de la confession.» Et maintenant, quelle fut la confession de l’Apôtre ? La voici : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » Ambroise, le saint archevêque de Milan (dans son commentaire sur le second chapitre aux Ephésiens), St. Basile de Séleucie et les pères du Concile de Chalcédoine enseignent exactement la même chose, De tous les docteurs de l’antiquité chrétienne, St. Augustin occupe une des premières places, en raison de sa connaissance et de sa sainteté. Ecoutez donc ce qu’il écrit dans son deuxième traité sur la première épître de St. Jean : « Que signifient ces paroles : Je bâtirai mon Eglise sur ce roc ? Elles veulent dire : sur cette foi, sur ce que Pierre a déclaré : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant.» Dans son traité sur St. Jean se lit cette phrase des plus significatives : «Sur ce roc que tu as confessé Je bâtirai mon Eglise, puisque Christ était ce roc. » Ce grand évêque croyait si peu que l’Eglise, se bâtissait sur St. Pierre qu’il dit au peuple, dans son treizième sermon : « Tu es Pierre, et sur ce roc (petra) que tu as confessé, sur ce roc que tu as reconnu, disant : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », je bâtirai mon Eglise; je la bâtirai sur Moi-même, qui suis le Fils du Dieu vivant; je la bâtirai sur Moi, mais je ne Me bâtirai pas Moi sur toi. » Ce que St. Augustin pensait de ce célèbre passage était l’opinion de toute la Chrétienté de son temps.

En conséquence, pour résumer, j’établis : (1) que Jésus a donné à Ses apôtres le même pouvoir qu’à St. Pierre. (2) Que les apôtres ne reconnurent jamais en St. Pierre le vicaire de Jésus-Christ et le docteur infaillible de l’Eglise. (3) Que St. Pierre n’eut jamais l’idée d’être pape et qu’il ne se conduisit jamais comme tel. (4) Que les Conciles des quatre premiers siècles, tandis qu’ils admettaient, par égard pour Rome, la haute position qu’occupait dans l’église l’évêque de cette ville, n’accordaient à celui-ci qu’une prééminence d’honneur, jamais de pouvoir ni de juridiction. (5) Que les saints pères, par le fameux passage : « Tu es Pierre, et sur ce roc je bâtirai mon Eglise», ne comprirent jamais que l’Eglise se bâtissait sur Pierre (super Petrum), mais sur le roc (super petram), c’est-à-dire sur la confession de la foi de l’apôtre. Je conclus, en m’appuyant sur l’histoire, sur la raison, sur la logique, sur le bon sens, et en m’exprimant dans une conscience chrétienne, que Jésus-Christ ne conféra aucune suprématie à St. Pierre et que les évêques de Rome ne devinrent les souverains de l’église qu’en confisquant un à un tous les droits de l’épiscopat. (Des voix s’élèvent Silence, impudent protestant ! Silence !).

Non, je ne suis pas un impudent protestant. L’histoire n’est ni catholique, ni anglicane, ni calviniste, ni luthérienne, ni arminienne, ni grecque schismatique, ni ultramontaine. Elle est ce qu’elle est : quelque chose de plus fort que toutes les confessions de foi résumées dans les canons édictés par les Conciles oecuméniques. Ecrivez contre elle, si vous osez ! Mais vous ne saurez la détruire, pas plus qu’en enlevant une brique du Colisée, vous ne le feriez tomber. Si j’ai dit quelque chose de faux, montrez-le moi par l’histoire et, sans hésiter, je m’en excuserai honnêtement mais patience, je n’ai pas dit tout ce que je voudrais ou que je pourrais dire ; et même si un bûcher funéraire m’attendait sur la place de St. Pierre, je ne me tairais pas; je suis obligé de continuer. Monseigneur Dupanloup, dans ses célèbres Observations sur ce Concile, a dit avec raison que si nous déclarons Pie IX infaillible, nous serons obligés de décider, en toute logique, que tous ses prédécesseurs l’étaient aussi.

Le témoignage des contradictions papales

Eh bien, vénérables frères, ici l’histoire élève sa voix pour nous assurer que certains papes ont erré. Vous pouvez protester contre cette affirmation, ou la nier, comme il vous plaira, mais moi je vais la prouver. Le pape Victor (192) a d’abord approuvé le montanisme, ensuite il l’a condamné. Marcellin (296-303) fut un idolâtre. Il entra dans le temple de Vesta et offrit de l’encens à la déesse. Vous direz qu’il a agi par faiblesse, mais je répondrai qu’un vicaire de Christ mourrait plutôt que d’apostasier. Libère (358) consentit à la condamnation d’Athanase et fit profession d’Arianisme, afin d’être rappelé de son exil et réinstallé sur son siège. Honorius (625) adhéra au monothelitisme : le père Gratry l’a prouvé indiscutablement. Grégoire I (785-790) appelle Antichrist quiconque prend le nom d’évêque universel ; or, Boniface III (607-609) s’est fait conférer ce titre par Phocas, l’empereur paricide. Pascal II (1088-1099) et Eugène III (1145-1153) autorisèrent le duel ; Jules II (1509) et Pie IV (1560) l’interdirent. Eugène IV (1432-1439) approuva le Concile de Bâle et la restitution du calice à l’église de Boheme ; Pie II (1458) annula cette concession. Adrien 11 (867-872) déclara que les mariages civils étaient valables ; Pie VII (1800-1823) les condamna. Sixte V (1585-1590) publia une édition de la Bible et en recommanda la lecture par une bulle. Pie VII désapprouva la lecture de cette Bible. Clément XIV (1769-1774) abolit l’ordre des Jésuites, permis par Paul III, et Pie VII le rétablit.

Mais pourquoi chercher des preuves aussi loin ? Notre saint père ici présent, dans sa bulle relative au règlement de ce Concile, prévoyant le cas où il mourrait avant la fin des sessions, n’a-t-il pas annulé tout ce qui, venant du passé, serait contraire au Concile, même si cela provenait des décisions de ses prédécesseurs ? Sans aucun doute, si Pie IX a parlé « ex cathedra », ce n’est pas lorsque, des profondeurs de son sépulcre, il impose sa volonté aux souverains de l’église. Je ne finirais jamais, mes vénérables frères, si je devais vous citer les contradictions des papes dans leurs enseignements. Si donc vous proclamez l’infaillibilité du pape actuel, il vous faudra prouver ce qui est impossible que les papes ne se sont jamais contredits, ou bien, sinon, vous devrez déclarer que le saint Esprit vous a révélé que l’infaillibilité de la papauté date seulement de 1870. Auriez-vous la témérité de faire cela ?

Les gens seront peut-être indifférents et négligeront des questions théologiques qu’ils ne comprennent pas et dont ils ne voient pas l’importance , mais bien qu’ils soient indifférents envers les principes, ils ne le sont pas à l’égard des faits. Ne vous séduisez donc pas vousmêmes. Si vous décrétez le dogme de l’infaillibilité papale, les Protestants, nos adversaires, s’opposeront et s’enhardiront davantage contre nous, d’autant plus qu’ils ont l’histoire de leur côté, tandis que nous, nous n’avons à leur opposer que nos propres dénégations. Que pouvonsnous leur répondre : quand ils présentent tous les évêques de Rome, depuis ceux qui vécurent aux jours de Luc jusqu’à sa sainteté Pie IX, nous devrions triompher sur toute la ligne ; mais hélas ! il n’en est pas ainsi. (Cris de : Silence, silence ; c’en est assez, c’en est assez ! )

Ne criez donc pas, Messeigneurs ! Craindre l’histoire c’est s’avouer vaincu. De plus, si vous faisiez couler sur elle toutes les eaux du Tibre, vous n’en effaceriez pas une seule page. Laissez-moi parler, et je serai aussi bref que possible sur ce sujet important au plus haut point : Le pape Vigile (538) acheta la papauté de Bélisaire, lieutenant de l’empereur Justinien. Il est vrai qu’il ne tint pas sa promesse et ne paya jamais le prix convenu. Estce là un procédé canonique à employer pour parvenir à la tiare ? Le deuxième Concile de Chalcédoine condamna formellement ce procédé. Dans l’un de ses canons, on lit que «l’évêque qui obtiendra son épiscopat à prix d’argent, le perdra et sera dégradé ». Le pape Eugène III (IV dans l’original) (1145) imita Vigile. St Bernard, l’étoile brillante de son époque, réprouva Eugène lui disant : « Peuxtu me montrer quelqu’un, dans cette grande ville de Rome, qui t’accepterait comme pape, s’il n’avait pas reçu, pour ce faire, de l’or ou de l’argent ? »

Mes vénérables frères, un pape qui ouvre une banque aux portes du temple seratil inspiré du saint Esprit ? Auratil le droit d’enseigner infailliblement l’église ? Vous connaissez trop bien l’histoire de Formose pour que j’aie quelque chose à y ajouter. Etienne XI fit exhumer son corps et ordonna qu’on l’habillât des vêtements pontificaux ; il fit couper les doigts dont Formose se servait pour donner la bénédiction, et ensuite il le fit jeter dans le Tibre, le déclarant parjure et illégitime. Il fut après cela emprisonné par le peuple, empoisonné et étranglé. Regardez comment l’on remit les choses en ordre : Romain, successeur d’Etienne, et après lui Jean X, réhabilitèrent la mémoire de Formose.

Mais vous me direz que ce sont là des fables, et non de l’histoire. Des fables ! Allez, Messeigneurs, à la librairie du Vatican et lisez Platina, l’historien de la Papauté, ainsi que les annales de Baronius (A.D. 897). Ce sont des faits que nous voudrions ignorer pour l’honneur du saintsiège, mais quand il s’agit de définir un dogme qui peut provoquer un grand schisme parmi nous, notre amour pour notre vénérable église mère, l’église catholique, apostolique et romaine, doitil nous imposer le silence ?

Je continue. L’érudit Cardinal Baronius, parlant de la cour papale, déclare (prêtez attention, mes vénérables frères, à ces paroles) : « Comment se présentait l’église romaine en ces jourslà ? Très abominablement ! Seules de toutespuissantes courtisanes exerçaient l’autorité à Rome ! C’étaient elles qui donnaient, échangeaient et recevaient les évêchés et, ce qui est horrible à relater, elles faisaient monter leurs amants, les faux papes, sur le trône de St Pierre. » (Baronius, A.D. 912.). Vous répondrez que ces papes étaient de faux papes, non de véritables ; qu’il en soit ainsi ; mais dans ce cas, si pendant cinquante ans le saint-siège fut occupé par des antipapes, comment retrouverezvous le fil de la succession pontificale ? L’église atelle pu, du moins pendant un siècle et demi, marcher sans chef et se trouver acéphale ?

Remarquez maintenant : Le plus grand nombre de ces antipapes apparaît dans l’arbre généalogique de la papauté ; et c’est de cette absurdité que Baronius a dû parler; Genebardo, le grand flatteur des papes, avait osé écrire dans ses Chroniques (A.D. 901) : « Ce siècle fut un siècle fâcheux, car, pendant près de 150 années, les papes ne possédèrent aucune des vertus de leurs prédécesseurs et devinrent apostats plutôt que d’être «apôtres».» Je comprends que l’illustre Baronius ait rougi quand il narra les actes de ces évêques romains. Parlant de Jean XI (931), le fils naturel du pape Serge et de Marozia, il écrivit dans ses annales : «La sainte église, c’estàdire l’église romaine, a été vilement foulée aux pieds par un monstre pareil. » Jean XII (956), élu pape à l’âge de dixhuit ans, grâce à l’influence de courtisanes, ne fut en rien meilleur que son prédécesseur.

Je suis peiné, mes vénérables frères, de remuer tant d’obscénités. Je passe sous silence Alexandre VI, le père et l’amant de Lucrèce; je me détourne de Jean XXIII (1410) qui, pour cause de simonie et d’immoralité, fut destitué par le saint Concile oecuménique de Constance. D’aucuns soutiendront que ce Concile ne fut qu’un Concile privé; qu’il en soit ainsi mais si vous lui refusez une autorité quelconque, il vous faut, logiquement, tenir pour illégale la nomination de Martin V (1417). Que deviendratil, alors, de la succession papale ? Pourrezvous en trouver le fil ?

Je ne parle pas des schismes qui ont déshonoré l’église. Dans ces malheureux jours, le saintsiège fut occupé par deux rivaux, parfois même par trois. Lequel d’entre eux fut le vrai pape ?

Pour me résumer une fois encore, je répète que si vous décrétez l’infaillibilité de l’évêque actuel de Rome, il vous faudra établir l’infaillibilité de tous ceux qui l’ont précédé, sans en exclure aucun. Mais pouvezvous le faire, quand l’histoire est là qui démontre avec une clarté pareille à celle du soleil que les papes ont erré dans leur enseignement ? Pourriezvous le faire et soutenir que des papes cupides, incestueux, meurtriers et simoniaques ont été vicaires de JésusChrist ? Oh ! vénérables frères, affirmer une telle énormité serait trahir Christ plus que ne le fit Judas. Ce serait Lui jeter de la boue au visage. (Cris de : «Descends promptement de la chaire; fermez la bouche à l’hérétique ! »)

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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