La bonté de Dieu – Thomas D'Aquin
2 février 2019

Nous avons vu la simplicité de Dieu et  la perfection de Dieu. Continuons notre exploration de l’essence de Dieu: qu’est ce que nous voulons dire par: Dieu est bon? Souvent, nous n’entendons par cela qu’une dimension strictement morale: « Dieu est bon » est quasiment équivalent à « Dieu est gentil ». Mais nous allons le voir, cette conception est une véritable mutilation de ce qu’est la bonté de Dieu au départ.

Qu’est ce que la bonté?

Cette question occupe toute la question 5, que je vais atrocement résumer pour des questions de place et de clarté. Thomas d’Aquin, en accord avec tous les philosophes anciens et médiévaux, donne la définition suivante de la bonté:

Ce qui fait qu’un étant est bon, c’est qu’il est attirant ; aussi le Philosophe définitif le bien : “ Ce à quoi toutes les choses tendent. «  – Ia, Q5, a1

Le gland tend à être un chêne: le chêne est le bien pour le gland. Les plantes tendent leurs racines vers la rivière: l’eau est un bien pour la plante. L’homme aspire à la connaissance: la connaissance est un bien pour l’homme. Et ainsi de suite.

La différence radicale avec la définition moderne de bonté, c’est qu’elle dépasse largement toute dimension strictement morale ou éthique. La bonté est en réalité une notion métaphysique, qui désigne le « but » des choses, ce qui les attire. On le comprend pour les biens extérieurs, mais Thomas développe aussi la notion de bien pour les choses en elle-même:

Or manifestement une chose est attirante dans la mesure où elle est parfaite ; car tous les étants aspirent à se parfaire. – idem

Parfait signifie: « pleinement réalisé, accompli ». Le gland est un chêne en potentiel, il se parfait en devenant un chêne en acte. Le chêne est la perfection du gland.

De même, « l’homme de bien » n’est pas seulement un homme qui a une éthique parfaite. C’est celui qui a pleinement réalisé sa nature humaine. Il est moral, savant, sage, en paix avec tous, responsable, actif etc… Pour nous chrétiens qui poursuivons activement ce but, cela élargit énormément la définition de ce qu’est une vie chrétienne: il ne s’agit pas seulement d’obéir à des commandements, il s’agit aussi de développer la nature humaine jusqu’à sa pleine réalisation.

Aucun étant n’est dit mauvais en tant qu’il est, mais en tant que de l’être lui manque ; ainsi un homme est dit mauvais quand il lui manque d’être vertueux ; un œil est dit mauvais quand il manque d’une vue pénétrante. – Ia, Q5, a2

Article 1: Peut-on dire de Dieu qu’il est bon?

Passons à la question 6: la bonté de Dieu. D’une, avant de savoir quoi-que-c’est, il nous faut savoir s’il est bon… Trop facile!

il est écrit dans les Lamentations (3, 25) : “ Dieu est bon pour ceux qui espèrent en lui, pour l’âme qui le cherche. ” L’attribut “ bon ” appartient à Dieu par excellence. – Ia, Q6, a1

Et Thomas soutient ceci par le raisonnement suivant:

Toute chose tend vers au moins un bien. Cette tendance forte vers le perfectionnement leur vient de leur cause, car tout effet ressemble à sa cause. Or la Cause Première est Dieu. Donc Dieu est bon, puisqu’il est la cause du bien des créatures. Vous voyez, ce n’est pas compliqué le thomisme!

Article 2: Dieu est-il le bien suprême?

Bon. Nous avons prouvé qu’il y a « du » bien en Dieu. Mais ce n’est pas suffisant: le Dieu de la Bible nous semble être le Bien-grand B, le Bien suprême.

En même temps, Jésus a dit: « Qui est bon, si ce n’est Dieu seul? » (Mt 19.17) Dieu n’a pas besoin d’être le bien suprême, il suffit de dire qu’il est bon, plutôt que de suggérer qu’il est au sommet d’une sorte de hiérarchie…

Sed contra…

Augustin affirme que la Trinité des personnes divines est “ le Bien suprême, que savent discerner les âmes entièrement pures ”. On doit affirmer que Dieu est suprêmement bon purement et simplement, et non pas seulement dans un genre particulier dans une classe de choses. – Ia, Q6,a2

Le raisonnement est assez simple:

Nous venons de dire que Dieu est la cause de toute bonté. Il est la cause de la bonté de l’eau pour la plante (qui tend vers l’eau pour vivre) et aussi la cause de la bonté de la Connaissance pour l’homme (qui tend vers la connaissance pour être un homme accompli). Pour pouvoir être ainsi la cause de toute ces bontés, aussi différentes et diverses les unes des autres, il ne suffit pas que Dieu soit un bien parmi d’autres. Il faut qu’il soit la définition même du Bien. Le Bien Suprême, vers quoi toutes choses tendent.

Article 3: Dieu est-il le Bien-grand B?

En langage thomiste on dira: « Dieu est-t-il bon par essence? »

On a touché à la fin de l’article 2 à quelque chose de très intéressant: Dieu est le bien suprême. Est ce que cela veut vraiment dire que Dieu EST le Bien?

Boèce écrit : “ Toute chose autre que Dieu est bonne par participation ” ; elle ne l’est donc point par essence. Dieu seul est bon par son essence. – Ia, Q6, a3

Et il commence son raisonnement en rappelant ce que je disais quand je parlais de la bonté en général: « En effet, tout étant est dit bon dans la mesure où il est parfait. » Et un objet est parfait (=pleinement réalisé) quand:

  • Il existe (si si!)
  • Il a tous ses attributs: Un papillon sans ailes n’est pas un papillon parfait par ex.
  • Il atteint pleinement son but: Un papillon qui existe, qui a tous ses attributs comme il faut où il faut, mais qui ne vole ni ne se reproduit n’est pas un papillon parfait. C’est en accomplissant sa nature que le papillon est perfectionné. Cet état d’accomplissement est appelé « repos » (c’est le moment de rouvrir votre lettre aux hébreux et de réviser la signification de « repos du 7e jour »…)

Ok, cessons de papillonner et revenons à Dieu.

  • Dieu est l’Existence-grand E
  • Il n’a pas d’accidents, il est toujours complet en lui-même et pleinement réalisé dans son être.
  • Il est son propre but, et le but ultime de toutes choses. Donc par définition est au Repos-grand R

Il est donc parfait par essence, et dans cette même mesure, bon par essence. Il est le Bien-grand B

Article 4: Toute chose est-elle bonne de la Bonté Divine?

Heu là! Du calme papillon! Si Dieu est le Bien, alors cela voudrait-il donc dire que tout ce qui est bien est divin? Plus un homme est accompli -et donc plus il est bon- et plus il est divin? La rivière vers laquelle tendent toutes les plantes est-elle donc un fragment de divinité parce qu’elle est le bien de ces plantes? Beurk!

Ce serait comme dire que si le Soleil était la lumière par essence, alors ma lampe électrique serait du soleil en boîte, que la luciole est du soleil donné par l’astre à l’insecte, que le feu est un fait un voleur de soleil. Absurde.

Heureusement que ce n’est pas le cas: Thomas affirme que le bien qui est dans les créatures n’est pas la Bonté de Dieu au sens propre.

Toutes les choses sont bonnes pour autant qu’elles sont. Mais les étants ne sont pas dits être par l’être de Dieu, mais par leur être propre. Donc elles ne sont pas bonnes de la bonté de Dieu, mais de leur propre bonté. -Ia, Q6, a4

Et pour soutenir ceci, un peu d’histoire de la philosophie. Platon soutenait que les qualités des choses leur provenait de leur participation à l’Idée parfaite (la Forme) correspondante. Ainsi, tout chien, du berger allemand au berger afghan, tire sa qualité de chien de l’idée du Chien Parfait, par une relation dite de « participation ».

Mais Aristote s’est opposé aux idées de Platon: plutôt que d’imaginer un monde imaginaire rempli d’Idées dont on ne peut pas prouver l’existence, c’est dans les chiens particuliers qu’il faut chercher l’idée de « chienneté » (=ce-qui-fait-d’un-chien-un-chien). Rex le berger allemand a sa propre chienneté, Hallal le berger afghan a sa propre chienneté, et leurs caractéristiques communes reflètent un universel appelé « chien ». Cet universel est à part de tous les chiens particuliers, Médor ne fait que ressembler à l’universel « chien » par certains aspects, plutôt que d’y participer.

Etant donné que Thomas exprime la religion chrétienne à travers les idées et le vocabulaire d’Aristote, cela donne:

C’est donc bien de ce premier, qui par son essence est, et est bon, que tout autre tient d’être et d’être bon, en tant qu’il y participe par une certaine assimilation encore que lointaine et déficiente, comme on l’a montré à l’article précédent.

Et ainsi, nous pouvons conclure que tout être est appelé bon en raison de la bonté divine, comme du premier principe exemplaire, efficient et finalisateur de toute bonté. Toutefois, chaque réalité est dite bonne encore par une ressemblance de la bonté divine qui lui est inhérente, et qui est formellement sa bonté à elle, celle en raison de laquelle elle est dite bonne. Ainsi donc, il y a une bonté unique de toutes choses et il y a une multitude de bontés. – Ia, Q-, a4

Pour la redire en vocabulaire plus accessible: Oui, les biens-petit b tirent leur définition du Bien-grand B. Cependant, ils ont aussi de multiples différences qui font que ce sont des biens à part, qu’ils ne sont pas « le Bien Suprême format XXS ».

Synthèse:

Qu’est ce que la bonté?

Le bien est ce vers quoi tend une chose. Le processus de progrès vers le bien d’une chose est appelé « perfectionnement ».

Dieu est-il bon?

Oui, puisqu’il est la source et la cause de tous les autres biens.

Dieu est-il le bien suprême?

Oui, puisqu’il n’est pas simplement un bien parmi d’autre, mais le Bien qui définit tous les autres biens.

Dieu est-il le Bien-grand B?

Oui, parce qu’il possède par essence tout ce qui définit un bien.

Toute chose est-elle bonne de la bonté divine?

Non, elles sont dites bonnes parce qu’elles ressemblent et tirent leur définition de ce qu’est Dieu, tout en ayant leurs différences.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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