Rappel historique du génocide vendéen
19 juin 2020

La Vendée ne se fait pas particulièrement remarquer avant et après les événements de 1789 : comme toutes les provinces, elle croule sous l’impôt et comme toutes les provinces, la chute de la monarchie autoritaire est un vent d’air frais qui apporte de nouveaux espoirs. Cela dit, ce vent d’air frais sera complètement douché par la constitution civile du clergé, votée en 1790. Pour rappel :

Le 12 juillet 1790, « l’Assemblée constituante décide l’abolition des vœux de religion et confirme la nationalisation des biens d’Église. L’État ayant ainsi à sa charge l’entretien du clergé, pouvait le réorganiser à sa guise, comme tout autre service public. »

Selon les mots de Mourret, un témoin d’époque : « C’était une erreur, une erreur voulue et non accidentelle qui allait obliger le clergé, pour rester fidèle à l’Église et à ses engagements sacerdotaux, à refuser son obéissance à l’Etat. »

  • L’assemblée constituante exige du clergé qu’il refuse de reconnaître toute autorité venant d’un évêque extérieur à la France, comme par exemple l’évêque de Rome.
  • L’article XIX dit même expressément : « les constituants décident que tout évêque élu n’aura plus à s’adresser au pape pour obtenir l’institution canonique. Il suffira désormais de l’en avertir par politesse, en témoignage d’union de foi et de communion avec lui. »
  • Un département = un diocèse. 52 évêchés sont ainsi rayés de la carte.
  • L’évêque, comme le curé, est désormais élu à la majorité des voix par tous les citoyens actifs (=propriétaires), qu’ils soient juifs, protestants ou incroyants.

Pour les catholiques très pratiquants de Vendée, c’est une atteinte intolérable à leur liberté. L’accueil des curés assermentés est très froid, voire agressif. Les premiers prêtres réfractaires sont vites pourchassés, notamment par les autorités locales. Un tiers seulement des prêtres prêtent serment, ce qui cause des troubles dans les communautés locales. Au mécontentement des populations répond l’intransigeance de l’administration, auquel répond davantage de mécontentement, auquel répond…

Nous avons le baril de poudre, l’atmosphère surchauffée, et la mèche. L’étincelle aura lieu le 20 février 1793 : le décret de levée en masse.

Phase I – la guerre civile

La France vient d’entrer en guerre contre l’Autriche, pensant avoir ainsi une jolie petite guerre rapide propre à activer l’unité du pays. Sauf qu’elle n’est ni jolie, ni petite ni rapide, ni propre, et que les victoires autrichiennes mettent bientôt Paris en danger. C’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale a voté la levée en masse, soit la conscription de 300 000 hommes pour garnir l’armée française. Pour les vendéens, cela veut dire quelque chose d’assez clair : déjà qu’ils sont en conflit plus ou moins larvé avec l’autorité, voilà à présent qu’on veut leur briser les reins en envoyant très loin leurs hommes valides ? Qui donc défendra leurs campagnes quand ces soldats seront loin ?

Dès le 10 mars 1793 (mise en application de la levée en masse), des émeutes éclatent : des registres fiscaux sont saisis et brûlés, les prêtres jureurs sont chassés, les drapeaux tricolores sont enlevés des mairies. Les cloches sonnent le tocsin : la guerre est déclarée en Vendée. La République a peu d’hommes à opposer à cela : il n’y a guère que 1800 soldats en Vendée (pour une population de 800 000), mal équipés et peu fiables. En face s’organise l’armée catholique et royale.

Cette force militaire se révèlera d’une grande valeur surtout par son courage, sa discipline et son attachement à la cause. Au niveau tactique, elle s’appuiera beaucoup sur ces qualités, et dispersera facilement les armées républicaines dans les premières heures de la guerre.

Reynald Secher en dit : « La force de la résistance s’explique donc par la conjuguaison de tous es facteurs : foi religieuse nouvelle, amour de la liberté, organisation rationnelle qui permet, entre autres, d’entretenir les cultures pendant les combats, parfaite connaissance du terrain et solidarité populaire. Nous nous expliquons dès lors beaucoup mieux ce qui a causé la stupeur des contemporains ou des chercheur, l’admiration de Napoléon pour la Vendée, ce « peuple de géants », et enfin l’échec des armées invincibles de la République, qui amenaient les rois et les peuples de l’Europe coalisée à la capitulation. La Convention, hélas, ne trouvera pour s’en sortir qu’une seule mais terrible solution : l’ordre d’extermination systématique. »

Face aux premières batailles et aux premières victoires vendéennes, les républicains essaient tant bien que mal de récupérer le contrôle de la situation, particulièrement au niveau local. Leurs troupes sont mal payées, mal préparées, les réquisitions marchent de moins en moins bien… Heureusement pour eux, les vendéens échouent à prendre Nantes le 19 juin 1793. Son généralissime Cathelineau y meurt, et l’élan vendéen est brisé. Les conseils départementaux font feu de tout bois.

L’armée républicaine ainsi rassemblée et ravitaillée compte 20 000 soldats. Pendant ce temps, les Vendéens font une expédition jusqu’à Granville (au pied de la péninsule du Cotentin) pour aller à la rencontre d’une aide anglaise qui, en fait n’a jamais quitté Londres. Cet échec est la dernière action vendéenne de la guerre civile. Le reste n’est qu’une longue et très sanglante retraite. Carrier la raconte dans son rapport  à la Convention, le 20 décembre 1793 :

J’ai pris les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour empêcher le passage de la Loire et de la Vilaine [par les Vendéens en déroute]. Le lendemain, je fus instruit par un capitaine de bateau armé que j’avais fait placer sur la rive gauche de la Loire, que les Brigands, en grand nombre, qui s’étaient portés sur Ancenis, tentaient le passage de cette rivières à l’aide des toues, des bateaux qu’ils portaient sur leurs chariots, et des barriques qu’ils prenaient à Ancenis et qu’ils clouaient à des planches ; mais il m’annonça en même temps que l’artillerie de nos bateaux armés, brisant les embarcations, les tuait et noyait tous. Effectivement, tous ces équipages ont si bien fait leur devoir qu’il n’y a que très peu de brigands qui ont pu passer la Loire… « Le fleuve se devait d’être leur tombeau », s’exclame Marceau.

Le lendemain, 21 décembre, c’est le désastre de Savenay, ultime bataille qui met fin à la guerre civile, dans le sens où les vendéens ne constituent plus une armée capable de se battre et de résister aux républicains. Westermann, le vainqueur de Savenay en dit :

Il n’y a plus de Vendée, citoyens républicains. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Je viens de l’enterrer dans les marais et les bois de Savenay. Suivant les ordres que vous m’avez donnés, j’ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré des femmes qui, au moins pour celles-là, n’enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher. J’ai tout exterminé. 

Reynald Secher conclut cette section en disant : Les habitants réfugiés au milieu des leurs tombent, peut-être de Charybde en Scylla, car l’administration triomphante les attend. A une guerre d’une barbarie insoutenable mais qui reste une guerre, succède la froide organisation du génocide.

Phase III – le génocide

Jusqu’ici c’est une guerre civile. Il y a des atrocités et des crimes de guerres dans les deux camps, mais nous sommes toujours dans la guerre civile, qui a duré du 10 juin 1793 au 21 décembre 1793. Ce qui s’ouvre maintenant est d’une toute autre nature, et c’est justement ce qui est le plus souvent occulté. Les évènements atroces de 1794 ne font pas partie de la guerre civile, ils relèvent réellement de la logique de génocide.

Reprenons le récit : La guerre civile s’achève sur une retraite sanglante de l’armée royale et catholique. Ils sont capturés et se posent alors la question: que peut-on faire de tous ces révoltés?

L’abbé Robin témoigne alors : « Tous les hommes et femmes pris au retour de la Loire sont conduits à Nantes et inhumainement massacrés. »

Comme la guillotine est trop lente et trop inefficace, on met en place une autre méthode : les noyades.

Ainsi un citoyen explique au représentant du peuple Minier : « Mon ami, je t’annonce avec plaisir que les brigands sont bien détruits. Le nombre qu’on en amène ici depuis huit jours est incalculable. Il en arrive à tout moment. Comme en les fusillant c’est trop long et qu’on use de la poudre et des balles, on a pris le parti  d’en mettre un certain nombre dans de grands bateaux de les conduire au milieu de la rivière, à une demie-lieu de la ville, et là on coule le bateau à fond. Cette opération se fait journellement. »

Au procès de Carrier (l’orchestrateur de ces noyades), Guillaume-François Lahennec décrit davantage : « D’abord les noyades se faisaient de nuit, mais le comité révolutionnaire ne tarda pas à se familiariser avec le crime ; il n’en devint que plus cruel et dès ce moment, les noyades se firent en plein jour… D’abord les individus étaient noyés avec leurs vêtements ; mais ensuite le comité, conduit par la cupidité autant que par le raffinement de la cruauté, dépouillait de leurs vêtements ceux qu’il voulait immoler aux différentes passions qui les animaient. Il faut aussi vous parler du « mariage républicain » qui consistait à attacher, tout nus, sous les aisselles, un jeune homme à une jeune femme, et à les précipiter ainsi dans les eaux. »

Secher estime à 4800 morts ces noyades pour le seul automne 1793. Loin de révulser, les conseils municipaux alentours applaudissent et manifestent leur souhait de participer à la répression. « Les habitants en déduisent qu’ils n’ont plus rien à perdre : ils leur faut tenter le tout pour le tout. »

L’abbé Robin raconte : « le 20 janvier 1794, les dénombrements de l’armée catholique et royale se rallière et s’insurgèrent une seconde fois. […][Ils tuèrent] un bon nombre de scélérats, qui avaient maltraités des vieillards, des femmes et des enfants restés au pays. »

Cette insurrection est d’autant plus inévitable que se rendre et se soumettre ne sert à rien : ceux qui le font sont tout de même massacrés. De plus, malgré tous les beaux discours de réconciliations de l’administration, les colonnes infernales ont commencé à ravager le pays depuis le 17 janvier. (Après la guerre civile donc). Une seconde répression est organisée.

Une volonté politique d’exterminer tout à fait avérée

Depuis déjà six mois (été 1793) on songeait à recourir aux armes chimiques, voire aux gazs pour exterminer les vendéens. Ou bien encore à empoisonner à grande échelle les puits ou les populations. Cependant, « les républicains décident au final d’avoir recours aux colonnes infernales, à la flotille dont l’action est presque inconnue, voire insoupçonnée et aux commissaires civils. »

Le but est ouvertement de « transformer ce pays en désert, après en avoir soutiré tout ce qu’il renferme. » Le 1er août 1793, la Convention adopte le décret suivant (toujours présent dans la législation française) :

sera envoyé par le ministère de la Guerre des matières combustibles de toute espèce pour incendier les bois, les taillis et les genêts (art VII) que les forêts seront abattues, les repaires de rebelles seront détruits ; les récoltes seront coupées par les compagnies d’ouvriers, pour être portées sur les derrières de l’armée ; et les bestiaux seront saisis ; (Art XIV) que les biens des rebelles de la Vendée sont déclarés appartenir à la République, il en sera distrait une portion pour indemniser les citoyens qui sont demeurés fidèles à la patries, des pertes qu’ils auront souffert… « La Vendée doit être un cimetière national »  s’exclame Turreau.

Dès le 16 août 1793, six mois donc avant que les noyades de Nantes commencent, le représentant Momoro fait le serment :

Nous exécuterons les décrets de la Vendée, nous brûlerons tous les repaires des brigands, nous ferons passer les femmes, les enfants et les vieillards sur les derrières de l’armée et nous tirerons tout le reste. On n’en viendra jamais à bout autrement, tous ces gueux sont fanatisés. Le ministre de la Guerre nous envoie force matière combustibles. 

Au moment où ce décret passe, la République n’a pas vraiment les moyens de le mettre en application : les Vendéens vont de victoire en victoire, avec des atrocités dans les deux camps. Les choses changent quand Turreau prend le commandement de l’armée de l’ouest : il demande de façon répétée à ce que Paris l’autorise à « brûler toutes les villes, villages et hameaux de la Vendée ». Avant même d’avoir reçu une réponse, il envoie ses instructions à ses lieutenants, avec en en-tête : « Liberté, Fraternité, Égalité ou la mort » :

Tous les brigands qui seront trouvés les armes à la main, ou convaincus de les avoir prises, seront passés au fil de la baïonnette. On agira de même avec les femmes, filles et enfants (…). Les personnes seulement suspectes ne seront pas plus épargnées. Tous les villages, bourgs, genêts et tout ce qui peut être brûlé sera livré aux flammes. 

Enfin, le 8 février 1794, Carnot du comité de Salut Public donne enfin le feu vert à Turreau :

Tu te plains, citoyen général, de ne pas avoir reçu du Comité une approbation formelle à tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et pures, mais, éloignés du théâtre d’opération, il attend les résultats pour se prononcer : extermine les brigands jusqu’au dernier, voilà ton devoir. 

Le comité de salut public envoie par ailleurs au même jour au représentant Dembarrère :

Tuez les brigands au lieu de brûler les fermes, faites punir les fuyards et les lâches et écrasez totalement cette horrible Vendée… Combine avec le général Turreau les moyens les plus assurés de tout exterminer dans cette race de brigands.

Reynald Secher en dit : « On peut voir à la lecture de cette proclamation à quel point la responsabilité du Comité de Salut Public est entière. »

Les colonnes infernales

Les colonnes infernales sont donc organisées et se donnent l’objectif de traverser le pays en six jours. Une histoire globale est difficile, il reste ces témoignages des chefs de colonne :

Caffin, 25 janvier 1794 : « Pour le bien de la République, les Echaubrognes ne sont plus ; il n’y reste plus une seule maison. Rien n’a échappé à la vengeance nationale. Au moment où je t’écris, je fais fusiller quatorze femmes qui m’ont été dénoncées.

Grignon, 25 janvier 1794 : « Je continue toujours de faire enlever les subsistances, de brûler et de tuer tous ceux qui ont porté les armes contre nous. Cela va bien, nous en tuons plus de cent par jours… J’oubliais de te dire que l’on m’a arrêté une dizaine de fanatiques … ils iront au quartier général.

Caffin, 26 janvier 1794 : « Un détachement de cent cinquante hommes restés à la Tessouale a fait évacuer et incendier toutes les métairies sur la route de Saint-Laurent… J’espère avant ce soir plus de deux cent bœufs et vaches. Tous les bestiaux sont épars dans les champs. Hier j’ai fait brûler tous les moulins que j’ai vu… Aujourd’hui, je peux faire brûler, sans courir de risques, les trois quarts de la ville de Maulévrier. »

Cordelier, 27 janvier 1794 : « J’avais ordonné de passer au fil de la baïonnette tous les scélérats qu’on aurait pu rencontrer et de brûler les métairies et les hameaux qui avoisinent Jallais ; mes ordres ont été ponctuellement éxécutés et dans ce moment, quarante métairies éclairent la campagne… »

Caffin, 1er février 1794 : « A midi je t’écris encore de Saint Laurent… Comme je veux absolument me rendre à la Verrie ce soir, je crains de ne pouvoir incendier tout comme je le désirerais. J’ai fait conduire à Cholet trente-deux femmes qui étaient dans le couvent. J’ai trouvé une vingtaine d’hommes de reste que j’ai fait fusiller avant de partir. Si j’en trouve d’autres sur ma route, ils essuieront le même sort. »

Caffin, le 3 février 1794 : « Je te préviens que j’irai demain matin, avec ma colonne, brûler ce bourg (La Gaubretière) ; tuer tout ce que j’y rencontrerai sans considération, comme le repaire de tous les brigands. Tout y passera par le fer et le feu. »

Enfin, on ne peut pas oublier Turreau, le général en chef de ces colonnes, qui a laissé lui aussi une abondante correspondance. En voici des extraits :

22 janvier : « Nos troupes immolent aux mânes de nos frères les restes épars de cette exécrable armée. »

24 janvier : « Mes colonnes ont déjà fait des merveilles ; pas un rebelles n’a échappé de leurs recherches… Si mes intentions sont bien secondées, il n’existera plus dans la Vendée, sous quinze jours, ni maisons, ni subsistances, ni armes, ni habitants. »

31 janvier : « Elles (les colonnes) ont  passé au fil de la baïonnette tous les rebelles épars qui n’attendaient qu’un nouveau signal de rébellion… On a incendié métairies, villages, bourgs… On ne peut concevoir l’immensité de grains et de fourrages qu’on a trouvés dans les métairies et cachés dans les bois. »

Des subordonnés, dégoûtés par ses actions témoigneront contre lui :

« Amey, écrit l’officier de police Gannet dans un rapport, fait allumer les fours et lorsqu’ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. Nous lui avons fait des représentations ; il nous a répondu que c’était ainsi que la République voulait cuire son pain. D’abord on a condamné à ce genre de mort les femmes brigandes, et nous n’avons trop rien dit ; mais aujourd’hui les cris de ces misérables ont tant diverti les soldats et Turreau qu’ils ont voulu continuer ces plaisirs. Les femelles des royalistes manquant, ils s’adressent aux épouses des vrais patriotes. Déjà, à notre connaissance, vingt-trois ont subi cet horrible supplice et elles n’étaient coupables que d’adorer la nation. Nous avons voulu interposer notre autorité, les soldats nous ont menacés du même sort. »

Le président de district, le 25 Janvier s’en étonne : « Tes soldats se disant républicains se livrent à la débauche, à la dilapidation, et à toutes les horreurs dont les cannibales ne sont pas même susceptibles. »

Dans le bataillon de la Liberté, le capitaine Dupuy envoie des lettres à sa sœur, le 17 et 26 janvier 1794 : « Partout où nous passons, nous portons la flamme et la mort. L’âge, le sexe, rien n’est respecté. Hier, un de nos détachements brûla un village. Un volontaire tua de sa main trois femmes. C’est atroce mais le salut de la République l’exige impérieusement. Quelle guerre ! Nous n’avons pas vu un seul individu sans le fusiller. »

Lequenio ajoute : « Les délits ne se sont pas bornés au pillage. Le viol et la barbarie la plus outrée se sont représentées dans tous les  coins. On a vu des militaires républicains violer des femmes rebelles sur des pierres amoncelées le long des grandes routes et les fusiller et les poignarder en sortant de leurs bras ; on a vu d’autres porter des enfants à la mamelle au bout de la baïonnette ou de la pique qui avait percé du même coup la mère et l’enfant. »

Le chirurgien Thomas : « J’ai vu brûler vif des femmes et des hommes. J’ai vu cent cinquante soldats maltraiter et violer des femmes, des filles de quatorze et quinze ans, les massacrer ensuite et jeter de baïonnette en baïonnette de tendres enfants restés à côté de leurs mères étendues sur le carreau. »

Reynald Secher dit : « En fait l’action des colonnes infernales dure quatre mois, du 21 janvier  environ au 15 mai 1794. Seule la première « promenade » a un objectif précis. »

Le degré de cruauté varie selon les colonnes et les personnalités des chefs de colonne, mais toutes obéissent bien à l’ordre d’exterminer la Vendée partout où elles passent.

Des quantités d’autres témoignages horribles pourraient être invoqués, sur ce que vécurent les vendéens pendant le passage de ces colonnes infernales. Pour ma part, je ne supporte déjà pas de les lire, je peux encore moins les écrire. Non seulement on viole, on torture et on brûle mais on s’en prend également aux cadavres. Ils sont ainsi régulièrement tannés pour en faire des pantalons à partir du cuir humain.

« Le nommé Pecquel, chirurgien major du 4e bataillon des Ardennes,  explique un témoin, Claude-Jean Humeau, dans une déclaration au tribunal d’Angers, le 6 novembre 1794, en a écorché 32. Il voulut contraindre Alexis Lemonier, chamoiseur aux Ponts-de-Cé, de les tanner. Les peaux furent transportés chez un nommé Langlais, tanneur, où un soldat les a travaillés. Ces peaux sont chez Prud’homme manchonnier » On peut trouver d’autres exemples comme celui-ci.

« A Clisson encore, le 5 avril 1794, des soldats du général Crouzat brûlent 150 femmes pour en extraire de la graisse : « Nous faisions des trous de terre, pour placer des chaudières afin de recevoir ce qui tombait ; nous avions mis des barres de fer dessus et placé les femmes dessus, puis au-dessus encore était le feu. Deux de mes camarades étaient avec moi pour cette affaire. J’envoyais 10 barils à Nantes. C’était comme de la graisse de momie, elle servait pour les hôpitaux. »

Cette forme de répression dure jusqu’en novembre 1794. A cette date, les troupes républicaines sont minées par l’indiscipline et les désertions : les soldats se sont tellement enrichis par le pillage qu’ils n’attendent plus qu’une occasion pour partir. Ils ont une peur bleue des vendéens « comme des enfants ont peur des chiens enragés ». Les dénonciations et les critiques pleuvent sur les généraux les plus féroces de la part de leurs collègues plus modérés. La machine s’est embourbée dans le sang qu’elle a généré.

Phase IV – la « Paix »

Le pouvoir central, mis au courant par les dénonciations de modérés comme le général Caffin, cherche alors à arrêter la machine : Reynald Sécher en dit alors : « le manque de continuité dans la politique, le cumul des maladresses et des répressions sont fort préjudiciables à l’administration centrale. Loin de rétablir un certain équilibre, elle se déconsidère définitivement aux yeux de la population. Parallèlement l’Eglise et la Fabrique continuent à exercer leurs fonctions traditionnelles. Un certain nombre d’excès se manifestent de part et d’autre. »

Il faut dire que la situation à Paris est en train de changer : la réaction thermidorienne vient d’obtenir la tête de Robespierre et de tous les enragés. Le ton est désormais à la paix, aussi bien du côté du pouvoir républicain que du côté des vendéens. Des négociations s’ouvrent et débouchent sur un traité de paix signé avec Charrette à Jaunaye, le 17 février 1795. Il comporte notamment la liberté du culte, la possession paisible du pays, et l’exemption de tout conscription et réquisition. Autrement dit : tous les barils de poudre qui avaient amenés à cette explosion sont mouillés, et il n’y a plus de contentieux possible. Un accord semblable est passé avec Stofflet, le généralissime vendéen à Saint-Florent le Vieil, le 2 mai. C’est la paix, du moins sur le papier.

D’un côté, l’administration suit cette paix et cette tolérance : les églises rouvrent, les pillages sont interdits, on distribue même parfois du blé. De l’autre, on multiplie les infractions au traité : par exemple, le général Caffin assiège le clocher de Chanzeaux le 9 avril, tue 10 habitants en emprisonne 19 autres. Il y a des réactions royalistes violentes, qui entraînent des répressions « à regret » tout aussi violentes de la part des républicains. Bref, la paix est complètement théorique jusqu’à la mort de Stofflet le généralissime vendéen, et de Charrette. Après cela, les vendéens n’ont plus ni leader, ni capacités de résistances. Nous sommes tout de même en mars 1796.  Alors, serait-ce enfin vraiment la paix ?

La paix est difficile à organiser : ceux qui massacraient ou soutenaient le massacre à peine quelques mois plus tôt se sont brutalement convertis à la paix républicaine totale, ce qui est accueilli avec scepticisme, évidemment. Scepticisme qui se transforme en irritation lorsque les vendéens voient: la vente des biens nationaux (cad des églises), les indemnités promises être réservées aux patriotes et surtout aux nantais, et puis enfin, l’immense maladresse d’organiser l’anniversaire de la décapitation de Louis XVI comme « la juste punition du dernier roi de France ».

Enfin, les promesses les plus substantielles ne sont tout simplement pas tenues : loin d’avoir des indemnités, les vendéens retrouvent les taxes et même la répression en cas de non-paiement, la conscription et on gêne le libre exercice du culte. Cette paix est une paix amère.

  • Sans surprise, la famine règne en Vendée : que pouvait-on attendre d’autre d’un pays qui a été brûlé et pillé systématiquement pendant trois ans ?
  • A cause de la famine, les brigands (les vrais) se multiplient : cela peut aussi bien être des laboureurs affamés que d’ex-soldats républicains.
  • Puisqu’on ne les chasse plus depuis 1792, les loups se sont multipliés, au point de représenter un danger à part entière et que l’administration verse des primes pour leur abattage.

La Convention prend parfois conscience de ces horribles faits, mais les débats débloquent davantage de belles idées que de solides moyens.

Bilan

Estimer le nombre de morts pendant cette période est hautement acrobatique : selon les calculs, on va de 1 à 12. Reynald Sécher estime qu’environ 120 000 personnes — soit environ 15% de la population — a disparu pendant cette période. Autant que l’on puisse voir, il y a eu autant de morts homme que femme (ce qui accrédite une fois de plus la thèse du génocide)

D’autres effets pervers dûs au génocide ont laissé leur trace :

  • Les maladies vénériennes, inconnues avant la guerre, sont devenus un problème de santé majeur ;
  • Les folies et maladies mentales sont beaucoup plus présentes en Vendée que dans n’importe quelle partie de la France ;
  • Les écoles, collèges et autre lieux d’instruction ont été non seulement détruits par la guerre, mais repris en main avec lenteur, d’où une part importante d’analphabétisation chez les vendéens dans la génération qui suit le génocide ;
  • Près de 20% du patrimoine mobilier a été détruit et ne sera au final que très partiellement reconstruit, parfois de façon très précaire.

Et ensuite ? Qu’a fait la République ? Dans les évènements qui ont suivi la chute de Robespierre, il y a certes eu le procès de Turreau et de Carrier, mais il s’agissait davantage d’un procès politique que d’un véritable procès pour génocide. Ils sont d’ailleurs toujours au nombre des héros de notre nation, grâce à leur inscription sur l’Arc de Triomphe. La responsabilité du Comité de salut public a été soit niée, soit portée sur la tête de Robespierre seul, ignorant au passage que c’est l’ensemble d’une administration qui a mis en place et veillé à l’accomplissement de ces massacres honteux. Bref, rien de profond ni de réel n’a été fait en faveur de ce que Babeuf appelait déjà à l’époque du procès de Turreau :  « un populicide ». Seul Napoléon Ier semblera prendre en compte la mesure des ravages du génocide vendéen, et mettra en place un vrai système d’indemnisations efficaces. Cependant, sa politique ne fut pas suivie pendant des décennies, et aucun gouvernement ni aucun régime politique à sa suite ne s’est même seulement intéressé  à la question.

Aujourd’hui, la question se pose pour nous, français en général, et chrétien en particulier : sur le sol de notre pays s’est passé un évènement qui a servi de matrice au génocide des Arméniens et des Juifs. Que faisons-nous pour le reconnaître ? Comment appliquer au mieux la justice pour ces morts imprescriptibles ?

Que Dieu nous soit en aide.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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