Thomas d’Aquin sur les relations divines
29 juin 2020

Nous continuons le traité de la Trinité commencé la semaine dernière. On commence par explorer ce que signifie pour Dieu d’avoir des « relations » en lui. La semaine prochaine nous étudierons ce que signifie le mot « personne » quand il est appliqué à Dieu. Aujourd’hui, voyons ce que signifie le mot « relation » en lui.

  1. Y a-t-il en Dieu des relations réelles ? Oui.
  2. Ces relations sont-elles l’essence divine même ? Oui.
  3. Peut-il y avoir en Dieu plusieurs relations réellement distinctes les unes des autres ? Oui.
  4. Quel est le nombre de relations en Dieu ? Deux.

Article 1 : Y a-t-il en Dieu des relations réelles ?

 On ne parle de père qu’en raison d’une paternité, et de fils, qu’en raison d’une filiation. Donc, si en Dieu il n’y a réellement ni paternité, ni filiation, il s’ensuit que Dieu n’est pas réellement Père, ni Fils ; il ne l’est que par considération de notre esprit. Or c’est là l’hérésie de Sabellius.

L’argumentation de Thomas est très technique, je vais tâcher de la restituer au mieux.

Les relations sont soit réelles, soit de raison pure. Une relation réelle est la relation qui est portée par des propriétés réelles dans les objets qui sont en relations. Par exemple, la relation de filiation qu’il y a entre moi et mon fils est réelle, parce que mon fils porte en lui-même la propriété « Fils de E Omnès » et que je porte réellement la propriété « Père de N Omnès ». Ou bien encore, l’exemple de Thomas : la relation de pesanteur entre deux objets : la Lune porte en elle-même la propriété « satellite de la terre » parce qu’il y a une relation réelle de pesanteur entre elle et la Terre.

Les relations de raisons pure : ce sont celles qui ne sont pas portées par les objets, mais qui n’existent que dans nos pensées. L’exemple de Thomas est la relation entre « homme » et « animal » : il n’y a pas de relations réelles entre l’Homme et l’Animal, sinon dans notre pensée, lorsque nous considérons le genre animal.

De quel genre est la relation de filiation entre le Père et le Fils ? Considérant que la procession est une relation réelle, car elle est portée dans les personnes divines mêmes, nous en déduisons que les relations divines sont réelles, et non de raison pure.

Article 2 : Ces relations sont-elles l’essence divine même ?

Un médiéval nommé Gilbert de la Porrée avait soutenu que ces relations étaient « a-ssistentes », c’est-à-dire qu’elles étaient « accollées du dehors » à Dieu. Il fallait distinguer fortement entre la nature divine (et ses attributs) et les personnes, qui sont « autre chose » que la nature divine, si bien que « les attributs divins ne tombent pas sur les personnes ». Il disait en gros qu’il est juste de dire que Dieu est Tout-Puissant, mais pas le Père est Tout-Puissant, parce que la relation d’engendrement ne se tient pas en Dieu (a-sisstente) mais de façon accidentelle à lui.

Contre cela, le concile de Reims (1148) a affirmé que Dieu et les personnes de la Trinité sont bien une seule et même chose, et Gilbert de la Porrée s’est rétracté. Thomas aborde cette question, pour déterminer si les relations de Dieu sont « extérieures » à lui (comme ma propre relation d’engendrement avec mon fils) ou bien « internes ».

Toute réalité qui n’est pas l’essence divine, est une créature. Or la relation se vérifie réellement en Dieu. Donc, si elle n’est pas l’essence divine, ce sera une créature ; et dès lors on ne devra pas lui rendre un culte de latrie. Or on chante au contraire dans la Préface : “ .. Afin d’adorer la propriété dans les Personnes, et l’égalité dans la majesté. ”

Expliquons la citation : Si l’engendrement ne fait pas partie de l’essence divine, alors l’engendrement du Fils est quelque chose de créé. Par extension, nous ne devrions pas rendre un culte au Fils, car nous ne devons pas adorer des créatures. Oups.

Thomas explique ensuite qu’il est vrai que les relations sont « assistentes » dans les créatures : le lien qu’il y a entre moi et mon fils est bel et bien extérieur à nous deux : l’engendrement de N Omnès par E Omnès ne se trouve ni dans l’un, ni dans l’autre, mais de façon accidentelle aux deux. Voici la seule chose que Gilbert de la Porrée avait considéré.

Or en Dieu il en va autrement. En effet, à cause de la simplicité divine, tout ce qui est en Dieu est Dieu –ce qui est aussi le titre du livre de James Dolezal.  Donc s’il y a à l’intérieur de Dieu une relation d’engendrement entre le Père et le Fils –ce que nous avons démontré à la question précédente- alors ces relations sont l’essence divine même.

Ainsi conclut Thomas :

On voit aussi qu’en Dieu il n’y a pas à distinguer l’être relatif et l’être essentiel : ce n’est qu’un seul et même être.

Que nous parlions du Dieu unique ou des trois personnes divines, il s’agit bel et bien du même et unique objet.

Article 3 : Peut-il y avoir en Dieu plusieurs distinctions réellement distinctes les unes des autres ?

Y a-t-il une distinction en Dieu entre l’engendrement du Fils et la procession du Saint Esprit, ou bien est-ce juste une façon de parler pour nous ?

Boèce dit qu’en Dieu, “ la substance contient l’unité, la relation multiplie la trinité ”. Donc, si les relations ne se distinguent pas les unes des autres, il n’y aura pas de trinité réelle en Dieu ; il n’y aura qu’une pure trinité de raison. Or, c’est là l’erreur de Sabellius.

A partir du moment où on reconnaît qu’il y a des relations réelles (Q28a1) à l’intérieur de Dieu (Q27a1) et qu’il y a deux personnes distinctes du Père, alors nous sommes logiquement forcés de reconnaître qu’il y a deux relations différentes, et réellement différentes.

Article 4 : Quel est le nombre de relations en Dieu ?

Jusqu’ici on peut dire qu’il y a quatre relations réelles en Dieu :

  • La relation qui va du Père au Fils : engendrement.
  • La relation qui va du Fils au Père : filiation.
  • La relation qui va du Père (et du Fils, question traitée plus tard) au Saint-Esprit : Spiration.
  • La relation qui va du Saint Esprit aux deux autres : procession.

Sauf que non.

Il semblerait plutôt qu’il y en a moins que quatre. Car, selon Aristote, “ c’est un seul et même chemin qui va d’Athènes à Thèbes et de Thèbes à Athènes ”. Pareillement, c’est une seule et même relation qui va du père au fils : celle qu’on nomme “ paternité ” ; et qui va du fils au père : on la nomme alors “ filiation ”. A ce compte, il n’y a pas quatre relations en Dieu.

Les quatre mots désignés plus haut désignent en fait les points d’origine des relations, mais non les relations elles-même. Comme nous l’avons dit dans la question précédente, il n’y a en réalité que deux processions, et donc deux relations.

  • La procession d’intellect que nous appelons l’engendrement, qui a pour termes le Père et le Fils.
  • La procession d’amour que nous appelons la procession, qui a pour terme le Saint Esprit et les deux autres.

Nous avons fini de parler des relations. La prochaine fois avec Thomas nous étudierons les personnes elles-même.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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