Comment un prêtre vendéen fit la messe devant des soldats républicains, et comment il obtint la paix
3 juillet 2020

Le témoignage que je vais vous citer est un extrait de l’ouvrage La Vendée-Vengé : le génocide franco-français (pp. 234-235) de Reynald Secher. C’est à cet historien et son travail de fourmi que revient donc tout l’honneur de cette publication. Voici donc l’histoire de l’abbé Agaisse, vicaire de Trans.


« Combien de fois, écrit-il dans ses mémoires, ne sachant que devenir, entouré d’ennemis, malade, n’ai-je erré nuit et jour, souvent sans nourriture1. »

Malgré ses précautions et son agilité, il est fait prisonnier dans la paroisse de Château-Thébaud dont il est devenu par la force des choses le desservant :

C’était un samedi : vous n’aurez pas de mal je vous le jure, lui dit le commandant de l’état major auquel il est présenté, si vous voulez célébrer demain la grand-messe en présence de l’armée, dans cette église restée debout à l’extrémité du bourg.

L’abbé, étrangement surpris, accepte tout en soupçonnant quelque supercherie. Le lendemain, à 8 heures, la petite église est remplie de soldats qui chantent eux-même la messe. Suit le sermon et le curé ne ménage pas ses mots.

Soldats, vous êtes chrétiens, puis qu’aujourd’hui vous assistez à la messe. Vous croyez en Dieu, vous devez donc observer ses commandements. Mais Dieu défend le meurtre et l’injustice. Et vous, vous venez ravager nos champs, incendier nos maisons. L’un de ces jours, j’ai vu les chemins couverts de cadavres de femmes et d’enfants, de vieillards que vous avez injustement massacrés ; ceux-là auraient-ils pu vous faire du mal ? 

Il les exhorte ensuite au nom de la religion et de l’humanité à se conduire avec plus de douceur et leur explique ce que doit être la vie d’un soldat chrétien.

Ces hommes farouches m’écoutaient avec une extraordinaire attention et paraissaient attendris. Après la messe, plusieurs vinrent me serrer la main: « Merci, disaient-ils, merci de votre bonne instruction. Merci de nous avoir dit la messe ; il y a longtemps que nous n’avons pas eu ce bonheur… On mit ensuite un piquet de vingt soldats à ma porte pour me garantir de toute insulte.

L’abbé Agaisse ne met pas longtemps à s’apercevoir des desseins que cachent ces prévenances.

Citoyen, dit le commandant, vous êtes très aimé dans cette paroisse ; tous les habitants et ceux des environs ont grande confiance en vous ; partout où nous sommes allés on nous a parlé de vous avantageusement ; il faut rendre les armes.

La réponse est vive:

Je ne me suis jamais mêlé d’affaires politiques ; j’ai prêché ma religion et c’est tout ; ministre d’un Dieu de Paix, je n’ai jamais excité à la guerre civile que je regarde comme le dernier des malheurs. Je sais qu’on a accusé les prêtres d’être la cause et les auteurs de la guerre ; mais c’est une calomnie. La seule cause, cherchez-là dans les vexations, les injustices et surtout la violence que l’on fait aux jeunes gens pour les contraindre à partir en grand nombre ; j’en suis le témoin oculaire. Voilà la véritable cause de la guerre et non point les prêtres catholiques. Cependant, je ferais mon possible pour que la paroisse soit tranquille et exempte de vexations.

Des émissaires sont envoyés à travers la commune pour essayer de réunir les habitants : plusieurs centaines d’hommes acceptent le rendez-vous. Le prêtre après une exhortation à donner leur avis les engage au dialogue :

Mes amis, on demande les armes, vous désirez la paix, je la désire autant que vous ; mais peut-on se fier aux républicains après ce qui vient de se passer, après tout ce que vous avez vu ? Ministre d’un Dieu de la paix, je vous engage fortement à la paix, mais que faire pour sauver la paroisse menacée d’être mise au pillage ? Voici le conseil que je vous donne, vous êtes libres de le suivre. Au surplus, parlez : que chacun donne son avis… vos terres ne sont point ensemencées ; vous n’avez aucune communication avec Charette ; vous courrez le risque de périr ou par la faim, ou par le fer ou par le feu. Eh bien ! N’attaquons plus, mais tenons-nous sur la défensive. Que tout le monde s’arme ; que ceux qui ont deux armes en donnent à ceux qui n’en ont pas ; pour nous mettre à l’abri de nouvelles vexations, surtout après avoir été tant de fois trompés par l’hypocrisie et les belles paroles.

L’avis est suivi. Une fois la redistribution faite, 26 mauvais fusils et piques sont portés aux bleus. La paix est scellée, la paroisse évite ainsi le pillage et l’abbé obtient même de Hoche un billet de sureté.


S’il m’est à présent permis de donner un commentaire… J’admire le courage et même l’esprit évangélique (!) de ce prêtre.

Voici un homme qui a vécu comme une bête traquée pendant au moins un an et demi. Voici un homme qui a vu toutes les étapes de l’horreur déjà décrite, et qui reconnaîtra lui-même savoir à quel point les soldats Bleus peuvent être vicieux. Une fois arrêté, il ne pouvait que s’attendre à être exécuté. Après tout, à la même période se déroulait le lynchage que j’ai déjà décrit dans le précédent article, où les prêtres n’ont même pas eu l’occasion d’aller jusqu’au tribunal, puisqu’ils furent déchirés par la foule sous le regard impuissant des gardes. Et voici qu’on lui donne l’occasion de dire la messe devant une foule de soldats bleus, dont certains avaient peut-être encore des tâches de sang sur leur uniforme.

Il aurait pu se contenter de réciter son latin et partir. Il aurait pu en profiter pour chanter les louanges de la République si généreuse. Il aurait pu faire n’importe quoi d’autre, mais il a décidé au contraire de confronter ce parterre de soldats. C’est comme si Daniel dans la fosse aux lions s’était aventuré à leur arracher à tous des poils de crinières.

Et il le fait : il ose les condamner en pleine messe, alors que ces bleus seraient trop contents de se faire un prêtre, il les condamnent.

A ce moment-là, miracle de l’Esprit… « Quand l’Éternel approuve les voies d’un homme, Il dispose favorablement à son égard même ses ennemis. » (Pr 16:7) C’est ce qu’il se passe.

Alors quoi, victoire ? Il aurait pu récolter sa gloriole, ou bien s’enfermer dans sa chambre trop content d’être en vie, ou bien profiter de l’occasion pour sauver sa vie en collaborant pleinement avec l’autorité républicaine. Rien de tout cela, il adresse au commandant une réplique cinglante digne de mémoire. Puis il conseille à sa paroisse de garder les armes, ce qui n’était probablement pas la volonté du commandant.

Au final, la paix. Parce qu’il a obéi non à la peur, ni à la crainte, mais à l’Esprit du Seigneur qui n’est ni timidité, ni pacifisme.

J’espère que cette histoire vous inspire autant que moi. Que l’Éternel nous donne des pasteurs et des prêtres de ce bois. Que nos frères d’Irak, de Syrie et d’Égypte en connaissent aussi !


  1. Sauf indication contraire, les citations de cet article proviennent de SECHER, Reynald, La Vendée-Vengé: le génocide franco-français, Paris : Perrin, 2006, pp. 234-235.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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