De l’image que nous avons de notre nativité éternelle en notre nativité mortelle, et de la convenance qu’il y a entre l’une et l’autre, et des raisons pourquoi.
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PHILIPPE : Puisque nous avons parlé de notre nativité mortelle, je te dirai aussi quelque chose de l’image et similitude que nous avons en celle-ci, de notre nativité éternelle, par laquelle nous renaîtrons en vie immortelle, comme nous sommes nés en vie mortelle en notre première nativité. Car pour le premier tu as entendu comment l’homme est formé dans les lieux ténébreux au ventre de sa mère, pour en sortir puis après et venir en cette lumière en laquelle nous sommes en ce monde. Par le semblable depuis qu’il est venu en cette lumière, il est encore en ce monde, par manière de dire, comme s’il était encore à naître. Car cette terre basse lui est comme le ventre de sa mère, auquel il est en une lumière qui n’est encore que comme ténèbres et nuit fort obscure, à comparaison de cette autre lumière divine et éternelle en laquelle il nous faut vivre d’une meilleure vie et de plus longue durée.
C’est pour cela que Job a dit qu’il était issu nu du ventre de sa mère, et qu’il retournerait nu en celui-ci, comme il en était issu. Car il y a plus de différence entre cette lumière corporelle et celle de l’autre vie, qu’il n’y en a entre les ténèbres dans lesquelles nous somme enclos au ventre de notre mère, et la lumière en laquelle nous venons quand nous naissons.
Et pourtant, comme l’enfant est préparé en ces ténèbres, pour venir ensuite en cette lumière, ainsi nous sommes préparés en cette lumière ténébreuse, pour parvenir à cette autre qui est plus grande et plus excellente sans point de comparaison. Après, quand le temps de la naissance approche, la vie et vigueur de la matrice, qui est comme la mère de l’enfant, flétrit et s’amortit, l’enfant semblablement est comme s’il était mort, au regard de cette manière de vie de laquelle il a usé au ventre de sa mère. Car comme il ne vit plus en telle façon, ainsi il est en un état bien différent au premier. C’est aussi le semblable de l’homme, quand il faut qu’il sorte de la vie de ce monde, comme s’il le fallait naître et enfanter pour une autre vie. Car il meurt au regard de cette vie, afin qu’il vive d’une autre tant plus excellente que celle ici est meilleure que l’autre de laquelle il a vécu auparavant au ventre de sa mère.
NATHANAEL : Puis donc qu’ainsi est, nous sommes préparés au ventre de notre mère, pour la vie du corps que nous menons en ce monde ; et puis nous sommes préparés au corps en la vie que nous y menons, pour la vie de l’âme et de l’esprit, laquelle nous attendons. Et par ainsi, il nous faut comparer tout le temps que nous sommes en ce monde, à celui auquel nous avons été au ventre de notre mère ; et puis, celui durant lequel nous sommes en ce monde, à comparaison du premier, à celui que nous attendons après cette vie. Car comme nous avons eu notre temps prescrit au ventre de notre mère, et puis en sommes sortis, ainsi l’avons-nous en cette vie depuis notre nativité jusqu’à notre mort. Mais il y a différence en ce que le temps qui nous est préfix en cette vie, nous est ordonné plus long, selon le cours de nature, qu’il en nous a été donné au ventre de notre mère.
PHILIPPE : Ainsi, sera plus long le temps qui nous est ordonné pour l’autre vie que nous attendons encore, au regard de celui qui nous est ici préfix, que celui de cette vie au regard du premier. Mais il y aura grande différence, en ce que la longueur du temps de cette meilleure vie sera éternelle et sans fin aucune. Car elle n’a point de temps déterminé comme les autres deux premières sortes de vie. Davantage, comme l’enfant sort quand il naît, ainsi sort l’homme quand il meurt. Et en sortant, l’un et l’autre entrent en une lumière nouvelle et non accoutumée, et en un lieu auquel ils trouvent toutes choses bien changées et bien différentes à celles qu’ils avaient accoutumées un chacun d’eux en sa manière de vivre. Pour laquelle cause et l’une et l’autre se trouvant troublés et épouvantés de cette nouveauté, ne voudraient point sortir de leur clapier et de leur garenne, et abandonner leur fumier, s’ils n’y étaient pressés et contraints par l’artifice, et par les lois et droits de nature, par laquelle Dieu a mieux pourvu à nos affaires, que nous ne le pouvons entendre ni comprendre, tant en notre nativité et vie, qu’en notre mort.
Mais parce que nous ne le pouvons entendre ni comprendre, notre esprit a en horreur le départ de cette vie, à cause de ce grand changement qui y est, pour autant qu’il ne connaît pas quel bien il lui apporte, non plus que le petit enfant ne sait pourquoi il naît au monde, ni ce qu’il y trouvera. Par quoi, s’il avait quelque sens, pour connaître et penser comme l’homme, il serait ainsi ému et troublé, quand il lui faudrait naître, comme l’homme quand il lui faut mourir. À cause de quoi, il ne voudrait point changer son lieu. Mais il faut que nature y pourvoie comme tu l’as entendu. Et pour cela, combien que nature le presse à sortir, toutefois suivant le sentiment qu’il peut avoir, il pleure dès qu’il est né, comme s’il était tombé en quelque grand inconvénient, et que quelque grand mal lui fût advenu ; comme nous le faisons aussi en la mort, pour la cause que j’ai tantôt dite, ne considérant pas que c’est notre seconde et meilleure nativité.
Et pourtant, ceux qui sont bien assurés de leur salut et de la vie éternelle, non seulement surmontent plus facilement les horreurs de la mort que les autres, mais aussi la désirent, connaissant les bien auxquels ils parviennent par celle-ci ; comme saint Paul nous en rend témoignage en sa personne. Pareillement, nous pouvons encore connaître la grande convenance et similitude qu’il y a entre notre nativité et notre mort, pour raison de l’imperfection qui est tant en l’enfant au ventre de sa mère, qu’en l’homme en cette vie. Car si l’enfant était du tout parfait en toutes ses parties au ventre de sa mère, de sorte qu’il ne lui défaillît plus rien, il n’aurait point besoin de naître. Mais parce que Dieu lui a donné des sens et une vertu de connaître et d’entendre, qu’il ne peut exercer ni mettre en pratique en ce lieu-là, il sort en cette grande et large lumière, où il peut user de ses sens, et de la connaissance qui lui est donnée.
Mais tout ceci nous est encore commun avec les bêtes. Par quoi, il nous faut passer plus outre. Car pour autant que les bêtes font ici tout ce qu’elles peuvent faire, selon les dons qu’elles ont reçu de nature, aussi elles vivent ici et meurent ici, sans passer en point d’autre vie. Car il ne leur est rien donné pour une autre qui soit meilleure, et qu’elles ne déploient en celle-ci. Par quoi, elles prennent aussi fin avec celle-ci.
Mais parce que Dieu a donné à l’homme un esprit divin et immortel, qui a ici de grands empêchements, n’y peut bien exercer tous ses offices, il lui est de besoin qu’il ait une autre nativité et une autre vie, en laquelle l’esprit puisse exercer tous ses offices et déployer toutes ses vertus, et jouir de tout ce que Dieu lui a préparé, et qui est le plus convenable et le plus propre à sa nature. Car si autrement était, et si l’âme était mortelle, quelle différence y aurait-il entre l’homme et les bêtes ? Et pour quelle cause l’avait créé Dieu tel qu’il l’a créé, et tant différent à celles-ci, s’il l’avait seulement mis en ce monde, pour s’y montrer et pour mener quelque peu de temps, et pour boire et manger et dormir, et y prendre des plaisirs charnels, et puis l’en retirer et le cacher sans qu’il ne soit plus rien de lui, non plus que des bêtes ?
NATHANAEL : Si ainsi était, non seulement il ne serait point différent à celles-ci, mais qui pis est, il serait beaucoup plus misérable et malheureux, en tant qu’il n’obtiendrait jamais ce qui lui est le meilleur de tout, et le plus convenable à sa nature, et que naturellement il souhaite le plus, et est le plus à souhaiter, ainsi plutôt tout le contraire.
(VIRET, Pierre, Exposition de la doctrine de la foi chrétienne, Genève : Jean Rivery, 1568, dialogue 23, pages 769-770)
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Voici, des fils sont un héritage de l’Éternel,
Le fruit des entrailles est une récompense.
(Ps. 127:3)
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