L’Esprit saint condamnant le monde – Augustin
11 juin 2020

Nous présentons une prédication d’Augustin portant sur un passage de l’évangile de Jean que nous reproduisons en tête du sermon1. Celui-ci a été prêché entre 412 et 416. Nous reprenons la traduction de l’abbé Jean-Baptiste Raulx. Les Sermons sur l’Écriture d’Augustin sont commodément accessibles dans l’édition de Maxence Caron pour la collection « Bouquins » (2014).


Et quand il sera venu, il convaincra le monde en ce qui concerne le péché, la justice, et le jugement :
en ce qui concerne le péché, parce qu’ils ne croient pas en moi ;
10 la justice, parce que je vais au Père, et que vous ne me verrez plus ;
11 le jugement, parce que le prince de ce monde est jugé.

Jn 16,8-11.

En promettant d’envoyer le Saint-Esprit, qu’il a effectivement envoyé, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ disait, entre beaucoup d’autres choses : « Il condamnera le monde à cause du péché, à cause de la justice, et à cause du jugement. » Et avant de passer à un autre sujet, il daignait s’arrêter pour expliquer sa pensée plus clairement. « À cause du péché, disait-il, car on n’a pas cru en moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père ; à cause enfin du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé. » Ici donc s’élève en nous le désir de comprendre les questions suivantes : Les hommes ne pèchent-ils qu’en ne croyant pas au Christ et pourquoi le Sauveur semble-t-il dire que le Saint-Esprit ne condamnera le monde que pour ce seul péché ? N’est-il pas manifeste qu’il y a dans le monde beaucoup d’autres péchés que celui-là, et pourquoi ce péché est-il le seul que doive reprocher le Saint-Esprit ? Serait-ce parce que l’infidélité maintient l’empire de tous les péchés, tandis que la foi les efface tous, et Dieu pour ce motif imputerait-il principalement, uniquement même, le péché qui empêche la rémission de tous les autres ? En effet, c’est l’orgueil qui détourne l’homme de croire à un Dieu humilié ; et il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, tandis qu’il donne sa grâce aux humbles2». Cette grâce est sans doute un don de Dieu. Or le Don suprême est l’Esprit saint ; aussi est-il une grâce. Il est grâce, c’est-à-dire gratuitement donné ; parce que tous les hommes avaient péché et avaient besoin de la gloire de Dieu3, le péché étant entré dans le monde par un seul homme et par le péché la mort, dans la personne de celui en qui tous ont péché4. La grâce est ainsi donnée gratuitement ; elle n’est pas une récompense accordée après l’examen des mérites, elle est une faveur octroyée après le pardon des fautes.

Ainsi donc c’est à cause du péché que sont condamnés les infidèles, c’est-à-dire les esclaves du monde, désignés par ce terme de monde ; et quand il est dit que l’Esprit saint « condamnera le monde à cause du péché », il n’est question que du péché commis par eux en ne croyant pas au Christ. Supprimez en effet ce péché d’infidélité, il n’en restera plus aucun, puisque le juste en vivant de la foi obtient la rémission de toutes ses iniquités.
Mais il y a une différence importante entre croire le Christ et croire au Christ. Les démons effectivement croient le Christ et ne croient pas au Christ. Croire au Christ, c’est en même temps espérer en lui et l’aimer ; car avoir la foi sans l’espérance et sans la charité, c’est croire le Christ et non pas croire en lui. Or en croyant au Christ, on le reçoit, on s’unit à lui d’une certaine façon et l’on devient membre de son corps, ce qui ne peut se faire si à la foi ne s’ajoute l’espérance et la charité.

Que signifient aussi ces autres paroles : « À cause de la justice, car je vais à mon Père ? » Et d’abord, puisque le monde est condamné à cause du péché, pourquoi l’est-il encore à cause de la justice ? Qu’y a-t-il dans la justice qui mérite condamnation ? Faut-il entendre que si le monde est condamné, c’est à cause de son péché propre et à cause de la justice du Christ ? Je ne vois pas d’autre sens à donner à ces paroles, d’autant plus que je lis : « À cause du péché, car on n’a pas cru en moi ; à cause de la justice, car je vais à mon Père. » Ce sont les mondains qui n’ont pas cru et c’est lui qui va à son Père ; ainsi le péché est pour eux et la justice pour lui.
Mais pourquoi ne montrer la justice que dans son retour vers son Père ? N’était-ce pas justice aussi quand il venait de lui vers nous ? Ou bien son avènement parmi nous ne serait-il pas plutôt miséricorde, et justice son retour vers son Père ?

Je crois donc, mes frères, qu’en face de l’étonnante profondeur des Écritures, quand il y a dans ses paroles quelque mystère utile à dévoiler, il est bon pour mériter de le découvrir avec fruit, que nous cherchions ensemble avec foi. Demandons-nous alors pourquoi le Sauveur met la justice à retourner vers son Père ; et non pas à être venu d’auprès de lui. Serait-ce parce que la miséricorde l’ayant fait descendre parmi nous, c’est la justice qui le reconduit vers Dieu ? Nous apprendrions alors que nous ne pouvons être parfaitement justes, si nous sommes négligents à faire miséricorde, à nous occuper des intérêts d’autrui et non pas seulement des nôtres. Aussi bien, après avoir rappelé ce devoir, l’Apôtre5 cite aussitôt l’exemple du Seigneur. Voici ses paroles : « Rien par esprit de contention, ni par vaine gloire, mais par humilité d’esprit, chacun croyant les autres au-dessus de soi, et ayant égard, non à ses propres intérêts, mais à ceux d’autrui. » Il ajoute immédiatement : « Ayez en vous les sentiments qu’avait en lui le Christ Jésus. Il avait la nature de Dieu et ne croyait pas que ce fût pour lui une usurpation que de s’égaler à Dieu. Cependant il s’est anéanti lui-même en prenant la nature de serviteur, ayant été fait semblable aux hommes et reconnu pour homme par les dehors ; il s’est humilié, étant devenu obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix. » Telle est la miséricorde qui l’a amené du ciel. Où est maintenant la justice qui le reconduit vers son Père ? Continuons à lire : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père6» Telle est la justice qui le reconduit vers son Père.

Mais s’il retourne seul vers son Père, quel avantage y avons-nous ? Comment le Saint-Esprit peut-il condamner le monde à propos de cette justice ? D’un autre côté, s’il ne retournait pas seul vers son Père, il ne dirait pas ailleurs : « Nul ne monte au ciel que celui qui est descendu du ciel, le fils de l’homme qui est dans le ciel7. » Pourtant l’Apôtre Paul dit encore : « Car notre vie est dans les cieux8. » Comment ? Le voici : « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, dit le même Apôtre, recherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez les choses d’en haut et non les choses de la terre ; car vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu9. » Comment donc dire que le Christ y est seul monté ? Serait-ce parce que le Christ avec tous ses membres ne fait qu’un, comme la tête ne fait qu’un avec le corps ? Et quel est le corps du Christ, sinon l’Église ? « Vous êtes, dit le même Docteur des Gentils, le corps du Christ et les membres d’un membre10. » D’après cette interprétation, comme nous sommes tombés et que le Christ est descendu à cause de nous, ces mots : « Nul ne monte que celui qui est descendu », ne signifient-ils pas que personne ne peut parvenir au ciel qu’autant qu’il fait un avec lui et qu’il est comme un membre harmonieux de son corps ?
C’est dans ce sens qu’il disait à ses disciples : « Sans moi vous ne pouvez rien faire11. » Car son union avec nous n’est pas la même que son union avec son Père. Il est un avec son Père, parce que le Fils a la même nature que son Père ; il est un avec son Père, parce que « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru usurper en s’égalant à Dieu ». Mais il s’est fait un avec nous, parce qu’« il s’est anéanti lui-même, prenant la nature de serviteur » ; il s’est fait un avec nous, en devenant ce rejeton d’Abraham en qui toutes les nations doivent être bénies. On sait qu’après avoir rappelé cette prophétie l’Apôtre observe : « Il n’est pas dit : Et aux rejetons, comme s’il y en avait plusieurs ; mais : Et à ton rejeton, comme s’il n’y en avait qu’un seul, et c’est le Christ. » Or, comme nous appartenons au Christ, comme nous lui sommes incorporés tous ensemble et unis étroitement comme à notre Chef, le Christ est réellement seul. Aussi l’Apôtre nous dit-il à nous-mêmes : « Vous êtes donc le rejeton d’Abraham, les héritiers selon la promesse12». Mais si Abraham n’a qu’un rejeton, si ce rejeton unique n’est que le Christ, et si nous sommes aussi nous-mêmes cet unique rejeton, ne s’ensuit-il pas que tous, et le Chef et le corps, nous ne formons qu’un Christ ?

C’est pourquoi nous ne devons pas nous considérer comme étrangers à cette justice dont parle le Seigneur en disant : « À cause de la justice, car je vais à mon Père. » Maintenant en effet nous sommes ressuscités avec le Christ notre chef et nous demeurons en lui par la foi et par l’espérance, en attendant que cette espérance se réalise à la future résurrection des morts. Or lorsque se réalisera notre espérance, notre justification se complétera aussi ; et avant de les compléter, le Seigneur montre dans son corps, dans notre Chef même, en ressuscitant et en remontant vers son Père, ce que nous devons espérer. Aussi est-il écrit : « Il a été livré à cause de nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification13. »
En résumé, le monde est condamné « à cause du péché », commis par ceux qui ne croient pas au Christ ; « à cause de la justice » , pratiquée par ceux qui ressuscitent au nombre de ses membres ; et c’est pourquoi il est dit : « Afin que nous soyons en lui la justice de Dieu14» ; car si nous n’étions pas en lui, nous ne serions pas justice. Mais si nous sommes en lui, comme il remonte tout entier, il retourne avec nous vers son Père et c’est alors que la justice en nous sera parfaite.
De là vient que le monde est condamné encore « à cause du jugement, car le prince de ce monde est déjà jugé », ce prince est le démon, le chef des pécheurs, qui n’ont le cœur attaché qu’à ce monde où ils habitent, qu’à ce monde qu’ils aiment et dont par conséquent ils portent le nom, comme à notre tour nous avons la vie attachée au ciel si nous sommes ressuscités avec le Christ. Aussi comme le Sauveur ne forme avec nous, qui sommes son corps, qu’un seul Christ ; ainsi le démon ne forme qu’un démon non plus15 avec tous les impies dont il est le chef et qui sont comme son corps. Comme enfin nous ne sommes pas étrangers à la justice dont parle le Seigneur quand il dit : « Car je vais à mon Père » ; ainsi les impies ne sont pas étrangers au jugement dont il est question dans ces mots : « Car le prince de ce monde est déjà jugé. »

Illustration : Mikhaïl Vroubel, Le Démon assis (Демон сидящий), huile sur toile, 1890 (Galerie Tretiakov, Moscou).


  1. Intitulé latin : De verbis ejusdem Evangelii Joannis (XVI, 8-11) : « Ipse arguet mundum de peccato, et de justitia, et de judicio. »[]
  2. Ja 4,6.[]
  3. Rm 3,23.[]
  4. Rm 5,12[]
  5. Paul.[]
  6. Ph 2:3-11.[]
  7. Jn 3,13.[]
  8. Ph 3,20.[]
  9. Col 3,1-3.[]
  10. 1 Co 12,27.[]
  11. Jn 15,5.[]
  12. Ga 3,16-29.[]
  13. Rm 4,25.[]
  14. 2 Co 5,21.[]
  15. i.e. aussi.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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