Jésus ou Barabbas ? — Walter Lüthi
13 novembre 2022

Walter Lüthi fut pasteur dans plusieurs Églises réformées de Suisse alémanique de 1925 à 1968. Sa prédication a exercé une forte attraction sur le peuple et les étudiants en théologie de l’époque. Un site internet à sa mémoire rassemble de nombreux sermons, dont certains ont été traduits en français de son vivant. En voici un (un autre a déjà été publié ici), donné à l’occasion d’une réception de catéchumènes (confirmation) et extrait d’un cycle de prédications sur l’évangile de Jean, du chapitre 18, verset 39 au chapitre 19, verset 15 (1942, traduction française : Gilberte de Rougemont, 1947).


39« Mais c’est parmi vous une coutume que je vous relâche quelqu’un à la fête de Pâque ; voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ? » 40Alors de nouveau, ils crièrent : « Non, pas lui, mais Barabbas. » Or, Barabbas était un brigand. 19 1Alors Pilate fit prendre et flageller Jésus. 2Les soldats tressèrent une couronne d’épines qu’ils mirent sur sa tête, et le revêtirent d’un manteau de pourpre ; 3puis, ils s’approchaient de lui et disaient : « Salut, roi des Juifs ! » Et ils lui donnaient des gifles. 4Pilate sortit de nouveau et dit aux Juifs : « Voici, je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve aucun motif (de condamnation) en lui. » 5Jésus sortit donc, portant la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Et Pilate leur dit : « Voici l’homme ! » 6Lorsque les principaux sacrificateurs et les gardes le virent, ils crièrent : « Crucifie ! Crucifie ! » Pilate leur dit : « Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le ; car moi, je ne trouve pas de motif (de condamnation) en lui. » 7Les Juifs lui répondirent : « Nous avons une loi, et selon la loi, il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » 8Quand Pilate entendit cette parole, sa crainte augmenta. 9Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : « D’où es-tu ? » Mais Jésus ne lui donna pas de réponse. Pilate lui dit alors : 10« À moi, tu ne parles pas ? Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher, et que j’ai le pouvoir de te crucifier ? » 11Jésus répondit : « Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir, s’il ne t’avait été donné d’en-haut. C’est pourquoi celui qui me livre à toi est coupable d’un plus grand péché. » 12Dès ce moment, Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs crièrent : « Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » 13Pilate, après avoir entendu ces paroles, amena Jésus dehors et s’assit au tribunal, au lieu dit : le Pavé et en hébreu : Gabbatha. 14C’était la préparation de la Pâque, et environ la sixième heure. Il dit aux Juifs : « Voici votre roi ! » 15Mais ils s’écrièrent : « À mort ! À mort ! crucifie-le ! » Pilate leur dit : « Crucifierai-je votre roi ? » Les principaux sacrificateurs répondirent : « Nous n’avons de roi que César. »


Pilate dit au peuple : « C’est une coutume parmi vous que je relâche quelqu’un à la fête de Pâque, voulez-vous donc que je relâche le roi des Juifs ? « La question de Pilate vous est tout particulièrement adressée aujourd’hui, catéchumènes : voulez-vous Barabbas ou voulez-vous Jésus ?… Il faut choisir. Le cours de votre vie ne saurait être comparé à un wagon qui, une fois engagé sur la voie ferrée, n’a plus qu’à rouler. Ici-bas, nous sommes sans cesse placés devant une alternative, un choix à faire, une décision à prendre. En cette belle et grave journée de votre confirmation, Dieu nous donne ce texte. Une fois encore il vous place — d’une manière tout à fait concrète — devant la grande bifurcation des chemins de la vie.

D’un côté se trouve Jésus, de l’autre Barabbas. Lequel des deux voulez-vous ? Mais peut-on choisir, direz-vous ? ne va-t-il pas de soi que nous choisissons Jésus? Barabbas n’est qu’un brigand accusé de meurtre et condamné à mort ! Comment se fait-il donc qu’Israël ait rejeté Jésus et choisi Barabbas ? On dit souvent, dans des cas analogues, que les dirigeants sont responsables et seuls coupables et que le peuple est bon. Cependant Jean nous montre tout le peuple, excité par ses chefs, mais unanime à soutenir le meurtrier. Fait surprenant et troublant. Dans cette foule, se trouvent tous ceux qui on reçu de Jésus bienfait sur bienfait, les uns ont été guéris par lui de leurs maladies; d’autres ont amené leurs enfants à Jésus pour qu’il les bénît ; un grand nombre d’entre eux, huit jours auparavant, ont acclamé Jésus avec des Hosanna ! après la résurrection de Lazare. Et maintenant, ils crient à pleine voix : Crucifie-le ! Crucifie-le !

Un mot au sujet de Barabbas nous fera mieux comprendre ce fait singulier. Matthieu précise qu’il n’était pas un brigand ordinaire, mais un ἐπίσημος episemos, ce qui signifie un brigand fameux1. Barabbas avait fait de la résistance contre les forces occupantes du pays. Le complot avait échoué. Il avait été arrêté et condamné à mort pour meurtre. Il était un détenu politique. Barabbas, c’est l’homme qui promet au peuple la libération et qui mettra tout en œuvre pour l’obtenir. Il aura recours à la violence s’il le faut. Lorsqu’ils réussissent, ces hommes-là ne sont pas appelés meurtriers — comme le fait cependant la Bible — mais héros et libérateurs de la patrie. Une couronne de laurier les attend. Barabbas est chair de notre chair. Notre sympathie naturelle lui est acquise. Littéralement, son nom signifie « fils du père », le bien-aimé. Il est le favori de tous les peuples.

Barabbas est chair de notre chair. Notre sympathie naturelle lui est acquise. Littéralement, son nom signifie « fils du père ». À côté de lui se trouve un autre « Fils du Père ».

À côté de lui se trouve un autre « Fils du Père ». Celui-ci n’est pas le favori du monde, mais celui du ciel, le bien-aimé de Dieu. Lui aussi il vient secourir la terre, mais il lui apporte le secours d’En-haut. Lequel choisirez-vous, le libérateur qui vient des hommes ou celui qui vient de Dieu ? Jésus renonce à se défendre, voyez-le au Vendredi Saint ! Un seul geste de ses mains liées vers le peuple surexcité eût suffi pour rétablir le calme. En quelques phrases, il eût obtenu sa libération. Jésus est Seigneur, non par la faveur du peuple mais par la grâce de Dieu. Il n’implore sa liberté ni du peuple ni de Pilate. Il suit la voie que le Père lui a tracée. C’est de Dieu seul qu’il reçoit la vie et la mort. Sur les tableaux représentant cette scène, Jésus se dresse devant la foule et se profile contre le ciel à une hauteur presque surnaturelle. Il se tait, il suit la voie du sacrifice, contre laquelle tout être humain s’insurge. Choisissez-vous la révolte ou le sacrifice ? la résistance ou l’obéissance ? la force brutale ou la patience de la croix ? Qui voulez-vous : Barabbas ou Jésus ?

Après les avoir contemplés l’un à côté de l’autre, nous comprenons pourquoi le peuple choisit Barabbas. Les peuples n’ont-ils pas tout plus ou moins crucifié Jésus et choisi Barabbas ? Pendant neuf ans d’école, les jeunes reçoivent une éducation conforme à l’esprit de Barabbas et respirent chez eux cette même atmosphère. Comme la femme de Pilate, certains parents aimeraient avertir les jeunes : Surtout « n’ayez rien à faire avec ce juste ! » Un peu de piété, un peu de morale, passe encore, mais, de grâce ! ne vous décidez pas pour Jésus. Cela pourrait nuire à votre avancement, dans ce monde de Barabbas ! La question ne s’adresse donc pas seulement aux catéchumènes, mais aux parents, à l’Eglise, au peuple tout entier : Qui voulez-vous, Barabbas ou Jésus ?

Choix malaisé entre tous ! N’y aurait-il pas moyen d’esquiver la décision et de rester neutres ? Avoir Barabbas pour fondement et Jésus pour décor… En fait, nous avons longtemps été pour Barabbas et pour Jésus. Mais ce temps est actuellement révolu et dorénavant nous aurons à nous décider pour l’un ou pour l’autre. Les jeunes ont le privilège de vivre dans une époque où l’on doit prendre position. Privilège austère et cependant merveilleux ! Avons-nous le droit de faire reposer sur les jeunes tout le poids d’une telle décision ? Certes, s’ils avaient à se tenir seuls et abandonnés de tous en face de Jésus, ce serait trop leur demander. Mais ils ne sont pas seuls. Jésus est celui qui dit à Pilate : Je suis roi2 et qui jamais n’abandonnera la royauté. Il est le roi de Pilate, celui de Barabbas, le Roi de tous les rois. Avant que nous ne le cherchions, il nous cherche, avant que nous ne puissions nous décider pour lui, il s’est décidé pour nous. Catéchumènes, vous êtes baptisés en son nom qui est le plus puissant de tous les noms. Aujourd’hui, le Christ Roi n’est plus lié devant Pilate, il est assis à la droite du Père Tout-Puissant. Dans le monde entier, il rassemble son Église. En tous lieux, il est à l’œuvre et c’est lui qui vous a introduits dans son Royaume. Voilà pourquoi vous ne vous avancez pas au devant de lui avec la main levée du serment, mais les mains jointes. C’est de lui que tout dépend. Il prend sur lui le poids de votre décision.

En fait, nous avons longtemps été pour Barabbas et pour Jésus. Mais ce temps est actuellement révolu et dorénavant nous aurons à nous décider pour l’un ou pour l’autre.

Une dernière fois : Qui voulez-vous ? Barabbas ou Jésus ? Voici la réponse inouïe : Ce n’est pas vous qui choisissez, c’est Jésus ! C’est pour vous qu’il a comparu devant Pilate. C’est pour vous qu’il marche à la croix et c’est pour vous qu’il est ressuscité des morts ! Dites-lui donc, pleins d’espérance : Mon unique assurance, dans la vie et dans la mort, c’est d’appartenir corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ, mon Sauveur3!

Walter Lüthi (1901-1982).

Illustration de couverture : Honoré Daumier, Ecce Homo, huile sur toile, 1849-1852 (musée Folkwang, Essen).

  1. Matthieu 27,16.[]
  2. Jean 18,37.[]
  3. D’après la réponse à la première question du Catéchisme de Heidelberg.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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