Plaidoyer pour un enfant de plus — Kevin DeYoung
1 août 2023

L’article qui suit a été publié en novembre 2022 sur First Things, sous le titre The Case For Kids, par Kevin DeYoung, pasteur réformé et père de neuf enfants. Nous remercions la revue pour l’aimable autorisation de traduire. J’ai ajouté des sections et des titres pour favoriser la lisibilité de l’article.


La chose la plus importante qui se passe dans le monde pourrait bien être une chose qui ne se passe pas : les hommes et les femmes n’ont pas d’enfants. La logique biblique a été inversée et le ventre stérile a dit assez ! (Pr 30,16). Ce qui était l’affliction paradigmatique dans l’Ancien Testament est maintenant le grand désir des nations. Si Rachel voulait des enfants plus que la vie elle-même (Gn 30,1), notre génération semble avoir conclu que rien n’entrave plus la vie que les enfants.

Il est vrai que les êtres humains se reproduisent, mais dans la plupart des pays, pas assez vite pour se remplacer. La mesure du taux de fécondité total (TFT) n’est pas une science exacte, de sorte que les chiffres varient d’une source à l’autre, mais les tendances sont indéniables. En dehors de l’Afrique, qui abrite quarante-et-un des cinquante pays les plus fertiles, la planète est confrontée à un avenir démographique sombre. De nombreuses grandes nations européennes, telles que la Bulgarie, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, le Portugal et l’Espagne, ont un TFT de 1,50 naissance par femme ou moins, ce qui est catastrophiquement inférieur au taux de remplacement de 2,11. L’avenir de l’Italie est particulièrement sombre, car ce pays a l’un des TFT les plus bas du monde, à savoir 1,22. Pratiquement tous les pays d’Europe, y compris les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, la Finlande et le Danemark, ont un TFT inférieur à 1,8. Seule la France, avec un TFT de 2,03, se rapproche du taux de remplacement. Le déclin est en marche. La population russe diminue déjà. La population allemande devrait passer de 83 millions à environ 70 millions d’habitants au cours des trente prochaines années. Si les tendances ne s’inversent pas, la population européenne passera de 750 millions d’habitants aujourd’hui à moins de 500 millions d’ici la fin du siècle.

Les chiffres pour l’Asie de l’Est sont encore pires. Hong Kong, Macao, Singapour et Taïwan ont chacun un TFT d’environ 1,0 ; celui de la Corée du Sud est de 0,81. Ces pays font paraître le Japon vieillissant et en perte de vitesse, avec son TFT de 1,37, comme presque dynamique. Et quelle que soit la puissance militaire et économique de la Chine, avoir des enfants ne fait pas partie de sa puissance. Malgré le remplacement de la fameuse politique de l’enfant unique par une politique de l’enfant double en 2016, puis par une politique de l’enfant triple en 2021, le taux de natalité de la Chine a continué de chuter. En 2019 encore, l’Académie chinoise des sciences sociales prévoyait que la population chinoise atteindrait son maximum en 2029. Mais le déclin a déjà commencé. Cette année, pour la première fois depuis la Grande Famine (1959-61), la population chinoise a diminué d’un peu plus de 1 % depuis 2021, selon l’Académie des sciences sociales de Shanghai.

Pendant de nombreuses années, les États-Unis sont apparus comme une exception à la règle de la baisse de la natalité dans le monde industrialisé. En 2007, les États-Unis affichaient un TFT de 2,1, alors que celui de l’Union européenne était inférieur à 1,6. Mais depuis lors, le taux de natalité américain a chuté de 20 %, pour atteindre 1,73 selon certaines estimations. Ce qui ressemblait à l’exceptionnalisme américain il y a moins d’une génération ressemble aujourd’hui à un simple retard.

À aucun moment de l’histoire, les gens n’ont eu moins d’enfants. Dans la plupart des pays, le nombre de naissances par femme est bien inférieur au taux de remplacement, et même dans les pays où le TFT est élevé, comme ceux de l’Afrique subsaharienne, le taux est en baisse. L’espèce humaine semble s’être lassée d’elle-même.

Les raisons de la baisse de la fécondité sont sans doute nombreuses et variées. Il est certain que certains couples souhaitent avoir plus d’enfants mais n’y parviennent pas. D’autres sont confrontés à des pressions économiques ou à des problèmes de santé. Mais la fécondité ne s’effondre pas dans le monde entier sans que des problèmes plus profonds soient en jeu, en particulier lorsque les habitants de la planète sont objectivement plus riches, en meilleure santé et disposent de plus de commodités qu’à n’importe quel moment de l’histoire de l’humanité. Bien que les individus fassent leurs choix pour de nombreuses raisons, en tant qu’espèce, nous souffrons d’une profonde maladie spirituelle — un malaise métaphysique dans lequel les enfants semblent être un fardeau pour notre temps et un frein à notre quête du bonheur. Notre maladie est un manque de foi, et nulle part l’incrédulité n’est plus frappante que dans les pays qui constituaient autrefois la chrétienté. Je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel, a promis Dieu à un Abraham ravi (Gn 26,4). Aujourd’hui, dans les pays de la descendance d’Abraham, cette bénédiction est perçue par la plupart comme une malédiction.

En 1968, Paul Ehrlich prédisait une famine mondiale et une « course à l’oubli » dans son livre The Population Bomb. Cinquante ans plus tard, la bombe n’a pas explosé. Aujourd’hui, nous devons craindre un effondrement de la population plutôt qu’un boom. La « liste des très mauvaises choses » — comme Jonathan Last appelle les conséquences de la baisse de la fécondité dans son livre de 2013 What to Expect When No One’s Expecting — est longue et déprimante : une population vieillissante, une main-d’œuvre en baisse, une assiette fiscale en déclin, une diminution du dynamisme technologique et industriel, la difficulté de trouver un conjoint, des bâtiments vides et des infrastructures en ruine, des droits qui ne sont plus financés et une inquiétude générale alors que de plus en plus de gens vieillissent et tombent malades avec moins de personnes pour s’occuper d’eux. Un futur président pourrait être contraint d’inventer le slogan de campagne « Il est minuit en Amérique2».

Jonathan Last met l’accent sur les préoccupations économiques et nationales, le genre de développements qui attirent l’attention des présidents et des parlementaires. Mais les problèmes liés à la baisse de la fécondité et à l’effondrement de la famille qui l’accompagne sont bien plus profonds. Whittaker Chambers a été amené à rejeter l’athéisme en étudiant le miracle de l’oreille de sa petite fille. Alors qu’il regardait sa fille manger dans sa chaise haute, une pensée « involontaire et non désirée » lui est venue à l’esprit : « Ces oreilles parfaites et complexes » n’ont pu être créées « que par un immense dessein ». La foi peut nous donner un cœur pour les enfants, mais les enfants peuvent aussi nous donner les yeux de la foi.

Lorsque la formation de la famille échoue, l’inculcation de la foi échoue également. C’est l’argument de Mary Eberstadt dans How the West Really Lost God (Comment l’Occident a vraiment perdu Dieu) : Le déclin de la famille n’est pas seulement une conséquence du déclin de la religion, il en est aussi la cause. Les personnes religieuses sont plus enclines à la vie de famille, mais il est également vrai que quelque chose dans la vie de famille incite les gens à la religion. Il n’est pas nécessaire d’établir un ordre de priorité entre la poule et l’œuf. C’est le lien indissoluble qui importe : les fortunes de la foi et de la famille croissent et décroissent ensemble.

Les raisons du déclin

Il existe de nombreuses raisons plausibles pour expliquer ce lien. L’histoire chrétienne s’inscrit dans la matrice de la famille — de l’attente de celui qui écrasera le serpent d’Ève à la semence promise des patriarches, en passant par le fils aîné du grand David et la naissance de l’enfant Jésus à Marie et Joseph à ses côtés. La présence d’enfants pousse souvent les parents à se rendre à l’Église, que ce soit pour obtenir de l’aide pour les élever ou parce que l’expérience de la (pro-)création d’enfants nous aide à appréhender notre Créateur. Les sacrifices exigés par l’éducation des enfants sont les mêmes que ceux exigés dans une vie de disciple chrétien.

Le lien entre la foi et la famille va également dans la direction opposée. Comme l’observe Eberstadt : « À une époque où de nombreuses personnes mènent des vies qui contredisent le code moral chrétien traditionnel, la simple existence de ce code devient un paratonnerre pour la critique et la vitupération, ce qui éloigne encore plus certaines personnes de l’Église ». En d’autres termes, si vos parents sont divorcés, si vous avez grandi avec deux mamans, si vous couchez actuellement avec votre petite amie ou si vous n’êtes pas particulièrement enthousiaste à l’idée de la monogamie et de l’éducation des enfants, la foi chrétienne — qui a toujours été un scandale pour les pécheurs — porte une offense supplémentaire, que les générations précédentes n’ont pas eu à surmonter. « Les gens n’aiment pas qu’on leur dise qu’ils ont tort, note Eberstadt, ou que ceux qu’ils aiment ont mal agi. Mais le christianisme ne peut s’empêcher d’envoyer ce message. » Il ne fait aucun doute que la sécularisation a sapé la formation des familles. Mais il est tout aussi certain que l’effondrement de la famille mariée, intacte, qui élève ses enfants, a rendu la foi chrétienne plus difficile à avaler. La plus grande structure de plausibilité de la foi n’est pas intellectuelle mais familiale.

On se souvient de Family and Civilization (1947) de Carle C. Zimmerman comme d’un livre sur les types de famille, mais il s’agit fondamentalement d’un livre sur la fécondité. S’inspirant d’Augustin et Thomas d’Aquin, Zimmerman affirme que le mariage a toujours eu trois fonctions : proles, fides et sacramentum. En d’autres termes, le bien du mariage (et plus largement de la vie familiale) dépend de la procréation, de la fidélité sexuelle et de la permanence du lien matrimonial (que l’on adhère ou non à une vision catholique des sacrements). Pierre Lombard a ordonné les biens matrimoniaux un peu différemment, plaçant la fidélité avant la procréation. Mais Zimmerman observe que l’ordre d’Augustin et Thomas d’Aquin met l’accent sur la procréation — ou, avant le mariage, sur l’intention de procréer — comme première étape déterminante dans le développement de la fidélité et de la permanence du mariage. Sans enfants (ou plutôt sans ouverture aux enfants), les deux autres engagements perdent leur cohérence morale et logique.

Dès 1947, Zimmerman a constaté que la famille nucléaire — la famille fondée sur des hypothèses individualistes concernant le bonheur et le rôle du mariage — conduirait à des divorces rapides et sans fondement ; que des structures familiales plus souples seraient proposées comme solutions aux problèmes familiaux, ce qui ne ferait qu’aggraver ces problèmes ; que les stigmates inhibant l’adultère se détérioreraient ; que la fécondité diminuerait ; et que la perversion sexuelle serait normalisée. Il a également prédit que la baisse de la fécondité chez les intellectuels les inciterait à remettre en question la validité du mariage lui-même, qu’il faudrait deux générations (processus ralenti par l’immigration) pour que la décadence de la famille devienne évidente et que l’Église chrétienne serait la seule institution culturelle capable d’encourager une vision de la famille fondée sur quelque chose de plus que l’épanouissement personnel.

Un point de vue populaire soutient que la pilule contraceptive a conduit inexorablement à une baisse de la fécondité. Dans son livre Birth Control and American Modernity (2018), Trent MacNamara examine les comptes rendus des journaux et la rhétorique des moralistes populaires de la première moitié du XXe siècle pour montrer que le natalisme a décliné en fonction de l’évolution des normes, plus qu’en raison de nouvelles technologies. Les Américains n’ont pas décidé d’avoir moins d’enfants parce qu’ils n’avaient plus de terres ou parce que l’industrialisation avait rendu les enfants moins utiles en tant qu’ouvriers agricoles. Ces explications n’ont guère de sens (comme si les enfants sortaient du ventre de leur mère prêts à traire les vaches et n’avaient pas besoin d’être nourris, habillés et soignés). Les Américains ont commencé à avoir moins d’enfants pour des raisons à la fois plus simples et plus complètes. Une combinaison de pragmatisme moral et d’optimisme social libéral a fait l’affaire pour la plupart d’entre eux. Les Américains du vingtième siècle ont acquis la conviction que les nouvelles technologies offriraient à leurs enfants (moins nombreux) une vie meilleure que la leur. Ils considéraient le contrôle des naissances comme un altruisme économique prudent. Ils ont donné la priorité aux résultats observables plutôt qu’aux principes. Surtout, insiste MacNamara, ils pensaient que moins d’enfants signifiait plus de sécurité et plus de bonheur. Près d’un siècle plus tard, ce calcul moral n’a probablement guère changé.

La bonne vie

La menace perçue d’une catastrophe climatique est le nouveau problème de notre époque. J’ai lu récemment les remarques d’un journaliste libéral d’élite, selon lesquelles la première question qu’on lui pose après les discours et les dîners est de savoir s’ils devraient avoir des enfants, sachant que les enfants contribueront à la « crise climatique ». Indépendamment des débats que nous pourrions avoir sur la science du changement climatique ou sur la solution à y apporter, les hypothèses intellectuelles qui sous-tendent cette question sont profondément anti-humanistes. La Bible nous encourage à voir la beauté de la création de Dieu, et elle n’est pas indifférente aux grenouilles, aux chiens et aux lucioles. Que tout ce qui a du souffle loue le Seigneur (Ps 150,6). Mais l’arc narratif de la Bible n’est pas géocentrique (comme si l’histoire de la rédemption concernait principalement la terre) ou biocentrique (comme si elle concernait principalement les plantes et les animaux). L’histoire de la Bible est anthropocentrique. Dieu a envoyé son Fils pour sauver ceux qui sont à son image. De plus, en tant que personnes créées à son image, nous ne sommes pas une espèce étrangère sur la planète, des tumeurs malignes qui ne font que dévorer et détruire. Nous sommes des créateurs en second. Nous sommes censés entretenir le jardin. Nous pouvons résoudre les problèmes et rendre le monde plus habitable. Si la crise climatique est aussi grave qu’on nous le dit, les solutions durables viendront des efforts de nos enfants, et non de leur élimination.

Il est frappant de constater à quel point notre version de la bonne vie est différente de la vision eschatologique d’Ésaïe. En Ésaïe 65, le prophète dévoile l’avènement des nouveaux cieux et de la nouvelle terre. La vision comprend des éléments que tous les peuples chériront : la paix, la prospérité, la protection. Mais la vision est aussi étonnamment domestique. Nous entendons parler d’enfants qui ne mourront plus en bas âge et d’enfants qui naîtront pour la bénédiction et non pour la calamité. Nous lisons que des maisons sont construites et habitées, que des vignes sont plantées et que leurs fruits sont consommés. L’image est familiale et générationnelle, avec un vieil homme, un jeune homme, un nourrisson et des descendants avec leurs parents. La version actuelle du bien-vivre est plus individualiste et plus consumériste. La bonne vie a migré du foyer vers le marché, les lieux de divertissement et les recoins intérieurs de l’individu. La bénédiction se trouve dans l’évasion du foyer — dans le voyage, dans la consommation, dans la liberté par rapport aux liens domestiques.

Mon objectif n’est pas de présenter un argumentaire théologique pour ou contre le contrôle des naissances. La situation difficile dans laquelle se trouve notre pays n’exige pas des chrétiens qu’ils renoncent à toute forme de planification familiale. Même avec neuf enfants, je ne suis pas un maximaliste de la fertilité. Ma femme a eu la chance d’avoir des grossesses relativement faciles (facile à dire pour moi !), et nous avons plus d’espace et de revenus que beaucoup d’autres familles. Nos sacrifices ne sont pas ceux qu’aurait consentis un couple avec une ribambelle d’enfants vivant dans un appartement sordide à New York en 1930. Je n’encourage pas les couples chrétiens à avoir autant d’enfants que possible.

Mais je les encourage à avoir plus d’enfants. Je ne peux pas dire combien d’enfants il y aura. De nombreux couples doivent prendre en compte les risques liés à l’âge, à la maladie, aux fausses couches ou aux grossesses difficiles. Mais « plus de deux enfants » et « plus d’enfants que vous pensez pouvoir supporter » pourraient être un bon point de départ. L’écart de fécondité entre les Américains croyants et non croyants s’est creusé pendant deux décennies et est aujourd’hui plus important que jamais. Cet écart n’est pas suffisant pour compenser les défections des non croyants par les seuls efforts de l’Église, mais il pourrait l’être si les Américains croyants passaient d’un taux de remplacement à peine atteint à environ 2,4 enfants chacun. En d’autres termes, la différence entre deux et trois enfants — à condition que la religion soit suffisamment présente à la maison et dans l’Église pour que ces enfants restent fidèles — pourrait faire la différence entre une Amérique où la religion est en déclin et une Amérique où elle est en hausse.

Malheureusement, la vie américaine contemporaine ne facilite pas l’éducation d’un grand nombre d’enfants. Cela me rappelle la phrase de l’humoriste Jim Gaffigan (catholique et père de cinq enfants) : « Les familles nombreuses sont comme les magasins de matelas gonflables. Avant, elles étaient partout ; maintenant, elles sont tout simplement bizarres. » Les parkings et les garages ne sont pas faits pour accueillir des camionnettes de quinze places. Ma famille ne mange presque jamais à l’extérieur (ce dont beaucoup de restaurateurs sont reconnaissants). Prendre l’avion pour nous tous, n’importe où, sans beaucoup d’organisation et d’économies, est très coûteux et tout simplement insensé. Bien que la grande majorité des personnes de notre vie, dominée par l’Église, aient été extrêmement favorables à notre grande famille, il arrive que des étrangers nous fassent sentir lorsqu’ils communiquent avec nous : « Êtes-vous stupides ou simplement ignorants ? » Lorsque nos enfants fréquentaient l’école publique, nous entendions constamment dire que les histoires et les exemples en classe devaient « représenter la diversité de notre communauté », ce qui signifiait toujours plus d’histoires sur les familles LGBTQ, jamais sur les familles nombreuses allant à l’Église.

Une culture dont la fécondité diminue s’habituera à des familles de plus en plus petites. La réaction en chaîne est difficile à interrompre. Avec moins d’enfants, les parents deviennent plus centrés sur l’enfant. Et comme les parents sont de plus en plus centrés sur l’enfant, ils ne voient pas comment ils pourraient avoir plus d’un ou deux enfants. Même les bons parents — peut-être surtout les bons parents — sont sensibles aux hypothèses de la pédarchie, où les enfants règnent en maîtres et où l’on attend des mères et des pères qu’ils soient tout à leurs enfants. Comment des parents peuvent-ils avoir plus de deux enfants si chaque enfant a besoin d’un compagnon constant, d’un directeur de colonie de vacances, d’un chef gastronomique, d’un organisateur de vacances, d’un entraîneur et d’un filet de sécurité omniprésent ? Sans parler des sièges auto gargantuesques qu’il faut installer et désinstaller, de la multitude de formulaires qu’il faut remplir à chaque étape de la vie, et du coût de l’éducation d’un enfant à une époque où l’on attend des jeunes qu’ils consomment beaucoup et qu’ils contribuent peu. Il faut une obstination hors du commun pour que les parents osent donner plus à leurs enfants en leur donnant moins.

Quelques suggestions

Aussi importante que soit la fécondité pour la santé (et l’existence) d’une nation, les gouvernements favorables à la natalité n’ont eu que peu de résultats à faire valoir pour leurs interventions. Lorsque le Japon a tiré la sonnette d’alarme démographique en 1990 et mis en place un comité interministériel chargé de « créer un environnement favorable à la procréation et à l’éducation des enfants », son TFT était de 1,54. Après trente ans de plans Angel, de lois sur le congé parental, d’un plan « Un enfant de plus » et d’une loi « Génération suivante », le TFT du Japon s’élève à 1,36. Cela ne veut pas dire que les gouvernements ne devraient pas adopter des politiques fiscales et des priorités législatives favorables à la famille. Je suis tout à fait favorable à ce qu’il soit plus facile et moins coûteux d’élever des enfants. Les gouvernements peuvent aider les gens à avoir les enfants qu’ils souhaitent. Mais ils n’ont pas prouvé qu’ils étaient capables de convaincre les gens d’avoir des enfants qu’ils ne veulent pas.

Être conservateur, c’est notamment être réaliste quant à ce que nous pouvons accomplir sur terre. La désintégration de la famille ne sera pas réparée en cinq ans — peut-être cinquante, si le Seigneur le permet. Néanmoins, nous pouvons faire notre part pour promouvoir la santé sociale ici et maintenant et pour semer des graines en vue d’une récolte ultérieure. À cette fin, je présente deux propositions modestes.

Premièrement, nous devons placer l’institution et le bien-être de la famille au centre d’un conservatisme renouvelé. Il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec toutes les critiques de Yoram Hazony à l’égard du libéralisme classique pour reconnaître que sa proposition de « redécouverte » de la famille dans la pensée conservatrice est attendue depuis longtemps. De nombreux pères philosophiques du libéralisme n’étaient pas des pères du tout : Spinoza, Locke, Hume, Mill et Bentham n’ont pas eu d’enfants et Rousseau a abandonné ses cinq enfants à des orphelinats. Les conservateurs doivent trouver un moyen de défendre les droits de l’individu conférés par Dieu tout en affirmant que l’exercice de ces droits s’inscrit principalement dans le cadre de la famille. Un tel conservatisme ne se contentera pas d’insister sur des « valeurs familiales » vaguement définies. Il sera résolument convaincu que tous les efforts visant à redéfinir la famille comme autre chose qu’une institution pré-politique enracinée dans la différenciation des sexes et la procréation ne mèneront pas à la santé de la civilisation.

Deuxièmement, si nous devons placer la famille au centre de notre conservatisme, il est encore plus important que nous la placions au centre de nos vies — pas en en faisant un dieu, bien sûr, mais l’une des meilleures choses que Dieu veut que nous poursuivions. Les écoles chrétiennes devraient se demander si elles préparent les étudiants uniquement à l’université et à la carrière, ou si elles les préparent également à la famille. Les pasteurs et les prêtres devraient s’assurer que leurs fidèles savent que le chemin le plus direct pour changer le monde commence par changer une couche. Trop souvent, les leaders chrétiens imposent à leurs fidèles des fardeaux impossibles à porter, insistant pour qu’ils résolvent une foule de maux sociaux et deviennent des experts dans un millier de domaines différents, oubliant de leur assurer que se marier, élever des enfants dans l’Église et rester marié est une vie bien vécue. Les femmes, en particulier, ont besoin de savoir que la maternité n’est pas une moindre vocation, une interruption dans les vraies affaires de la vie ou un obstacle qui les empêche d’avoir une véritable raison d’être (ce qui signifie généralement ressembler davantage aux hommes). Pour une fois, j’aimerais qu’une université chrétienne mette en avant une mère au foyer dans son magazine des anciens élèves. D’après la façon dont les écoles chrétiennes se présentent, on n’imaginerait jamais que la plupart de leurs diplômées deviennent mères ou qu’une vie de famille normale est une vocation honorable.

Une vision renouvelée

En outre, nous devons comprendre le mariage comme l’échange de devoirs et d’obligations, et pas seulement d’émotions et d’expériences. Et nous devons admettre — aussi effrayant que cela puisse paraître à mes yeux en tant que parent de quatre adolescents — que de nombreux jeunes hommes et femmes devraient se marier plus tôt. Le baby-boom de l’après-guerre était en fait un boom du mariage. La taille moyenne des familles n’a pas augmenté autant que le nombre de personnes fondant une famille. Depuis 1950, l’âge moyen du premier mariage pour les femmes est passé d’un peu plus de vingt ans à près de vingt-huit ans. Si les femmes ont moins d’enfants, c’est en partie parce qu’elles ont moins d’années de mariage pour en avoir. Et il est certain que, pour les deux sexes, il n’est pas plus simple de résister à l’attrait de la pornographie et de la fornication lorsque les désirs sexuels brûlent pendant dix ou quinze ans avant que le mariage ne soit envisagé. La Bible ne dit jamais « tu dois finir tes études avant le mariage », « tu dois passer par l’Europe avant le mariage » ou « tu dois prendre le temps de regarder Netflix avant le mariage ». La Bible dit qu’il vaut mieux se marier que de brûler (1 Cor 7,9).

Avant tout, nous devons croire ce que les Écritures nous disent, à savoir que les enfants sont un héritage du Seigneur, le fruit des entrailles une récompense (Ps 127,3). Avoir des enfants n’est pas pour les âmes sensibles. Les enfants coûtent cher. Ils sont désordonnés et épuisants. Ils vous prennent du temps et peuvent vous briser le cœur. Ils ne vous aimeront probablement jamais autant que vous les aimez. Ne soyons pas romantiques : les enfants sont un fardeau. Mais ils sont aussi l’une des plus grandes bénédictions terrestres. Avons-nous inversé le cri de désespoir de Rachel en demandant à Dieu de ne pas nous donner d’enfants de peur que nous ne mourions à nous-mêmes ? La promesse de descendance faite à Abraham n’était pas sa malédiction, et elle n’est pas non plus la nôtre. Un homme comme un guerrier avec des flèches à la main, une femme comme une vigne féconde, et des enfants comme des pousses d’olivier autour de la table, voilà les bénédictions du Seigneur depuis Sion.

En Amérique et dans le monde entier, nous constatons que la foi et la famille vont et viennent ensemble. Les personnes conservatrices et pieuses ont plus d’enfants que leurs homologues libéraux et laïques. Même au sein de l’Église, les principales dénominations ont diminué en partie parce que leurs membres meurent sans avoir d’enfants fidèles pour les remplacer. Les Églises conservatrices se sont développées (ou du moins se sont maintenues) parce que leurs paroissiens ont eu des enfants et en ont gardé un plus grand nombre dans leur giron. Les doux hériteront de la terre, en particulier ceux qui sont assez humbles pour élever des enfants.

En fin de compte, avoir des enfants n’est pas seulement un acte d’obéissance obstinée, ni même un simple acte de foi. C’est un acte de transcendance. Lorsque je dis à mon enfant, au moment où il franchit la porte, « N’oublie pas que tu es un DeYoung », je ne l’exhorte pas seulement à agir conformément à nos valeurs, j’envoie notre nom de famille dans le monde, dans des endroits où je ne peux pas être et dans un avenir trop lointain pour que je puisse l’atteindre. Je ferai de toi une grande nation, a dit Dieu à Abraham, je te bénirai et je rendrai ton nom grand, de sorte que tu seras une bénédiction. (Gn 12,2) La Bible est pleine de généalogies qui montrent que nous sommes un peuple avec un passé et un avenir. Lorsque Genèse 5 retrace la lignée d’Adam à Noé, le refrain et il mourut rappelle la malédiction de la mort, mais le fait que chaque homme ait eu un fils rappelle la promesse qui vient avec la naissance. (Gn 3,15) Le Dieu qui a mis l’éternité dans nos cœurs (Ec 3,11) veut aussi mettre des enfants dans le ventre de leur mère (Mal 2,15). Si nous saisissons l’un, nous saisirons l’autre.


Illustration : Eugenio Zampighi (1859-1944), Une Famille heureuse.

  1. Note du traducteur : Le taux de remplacement est, selon l’ONU, le nombre d’enfants par femme qu’il faudrait pour renouveler la population. Ce taux varie entre 2,1 et 2,3 selon les situations : un pays en voie de développement nécessitant plus d’enfants pour se renouveler.[]
  2. Note du traducteur : En 1984, un des slogans de campagne présidentielle américaine de Ronald Reagan était It’s morning again in America, ce qui signifie « c’est un nouveau jour pour l’Amérique », slogan d’espérance. L’alternative ironique que propose DeYoung est un slogan de désespoir.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

1 Commentaire

  1. Nelly

    Bonjour Maxime , je lis cet document qui parle de la famille, la natalité le mariage,j’ai été confronté, je suis maman de 3 enfants ,j’aime quand dit que être parent ,n,’es pas romantique mais est une bénédiction.

    Réponse

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