La seconde arche — Jean Daillé
24 décembre 2023

Pasteur à Charenton, Jean Daillé a prêché sur l’ensemble du catéchisme de Genève qui était couramment utilisé pour la formation des laïcs de l’Église réformée. Nous reproduisons la première partie de son sermon sur la huitième section du catéchisme, qui concerne la conception et la naissance miraculeuse du Christ.


C’est avec raison que les saints Anges désirent de regarder jusqu’au fond le salut qui nous a été acquis par Jésus-Christ1, étant évident que ces bienheureux esprits ne sauraient trouver, ni dans les profondeurs de la terre, ni dans l’étendue de l’air, ni dans les hauteurs des cieux, aucun autre objet plus digne de leur contemplation ; car en Christ sont cachés tous les trésors de sagesse et de science2. C’est un fonds inépuisable de mystères et de miracles, puisqu’il a plu au Père d’y faire habiter toute plénitude de divinité et d’humanité.

Nous-mêmes, avec nos faibles entendements, y découvrons néanmoins des merveilles, pour peu que nous nous arrêtions à cette considération. Pensez à proportion ce qu’y peuvent voir les séraphins et les chérubins, les dominations et les puissances, avec leurs yeux aigus et perçants. Que la débilité néanmoins de notre chétive vue ne nous empêche point de nous exercer continuellement en cette contemplation ; car au lieu que le Soleil qui luit dans les cieux éblouit et aveugle ceux qui, avec de faibles yeux, ont la présomption de le regarder, notre soleil de justice, tout au contraire, éclaire et fortifie la vue de tous ceux qui le regardent. L’a-t-on regardé, dit le Psalmiste, on en est illuminé, et leurs faces ne sont point confuses3. Haussons donc continuellement notre vue vers lui, considérons attentivement et ses entrées et ses sorties, comme il part d’un bout des cieux et fait son tour, avec une vitesse et une force inconcevable, distribuant sa sainte et glorieuse lumière par tous les endroits de l’univers, sans que rien ne puisse se dérober à sa chaleur. Voyez comme il sort, comme il s’élève, comme il descend et puis remonte, répandant partout les doux et salutaires effets de sa vertu divine.

Dans le dernier exercice qui fut fait sur cette matière, nous le vîmes sortir du sein du Père pour se loger en ce sacré pavillon qui lui fut construit et dressé par le Saint-Esprit, dans le ventre de la bienheureuse Vierge ; il faut maintenant que, selon l’ordre du Symbole et du Catéchisme, nous nous arrêtions un peu à considérer la structure de ce pavillon, c’est-à-dire son humanité, et que nous méditions pourquoi Dieu a voulu que ce fût son Saint-Esprit qui le conçût, sans l’entremise d’aucun homme ; et puis nous tournerons nos yeux sur le plus grand et le plus divin de tous ces mystères, à savoir celui de sa Passion, pour en apprendre les causes4. Matières riches et profondes, toutes pleines d’une sagesse très élevée, que nous nous contenterons d’effleurer seulement, comme en passant, la brièveté du temps ne nous permettant pas de les traiter à fond.

Sur le premier article, nous avons deux choses à traiter ; la première, pourquoi le Seigneur Jésus est né d’une Vierge que l’ombre du Saint-Esprit est venu recouvrir5, sans l’entremise de l’homme. L’autre, pourquoi le Christ a dû ainsi naître. La première question est très aisée à résoudre, car puisque le Seigneur Jésus est le vrai Christ que Dieu a de tout temps promis à ses fidèles, il faut qu’il ait en soi toutes les choses attribuées au Christ par les Prophètes ; autrement, la foi de ses disciples s’ébranlerait, si elle ne trouvait en lui toutes les marques et les qualités du Messie. Or, dans les portraits qui nous en ont été tirés dans le Vieux Testament, une marque entre autres y est visible et éminente : sa conception et sa nativité auraient quelque chose de miraculeux, et ce serait plutôt par une vertu et par une puissance divine que par l’entremise de la force humaine.

Types vétérotestamentaires de la naissance du Christ

Car premièrement nous trouvons que la plupart des personnes par lesquelles Dieu représentait son Christ ont été conçues et sont nées par l’opération divine, plutôt qu’humaine, non de vierges à la vérité (car il était convenable que l’ombre fût moins illustre que le corps), mais de femmes stériles, aussi inhabiles à la génération dans le mariage, que si elles fussent demeurées vierges.

Le premier que nous alléguons de ce nombre est Isaac, né d’une mère stérile de sa nature, et de plus amortie par l’âge, et d’un père fort âgé6 ; car Abraham avait plus de cent ans quand il l’engendra ; mais principalement, et même totalement par la vertu de notre Seigneur, d’où vient aussi que l’Apôtre le nomme enfant de la promesse7.

Le second, c’est Joseph, petit-fils d’Isaac, type illustre du Christ qui par sa captivité et servitude a racheté ses frères, né de Rachel tout aussi stérile que Sarah, et dont il est expressément dit que l’Éternel la rendit féconde8, nous représentant clairement en cela la Nativité du Seigneur sorti d’une mère qui le conçut par la seule opération de Dieu.

Que dirai-je de Samson, excellent type de ce vrai soleil de justice, qui par sa mort a d’une part froissé ses ennemis, et de l’autre affranchi son peuple ? Ne naquit-il pas aussi d’une femme stérile, par la promesse et la dispensation divine, non par l’opération humaine9?

Samuel, qui figura au peuple ancien Christ, le vrai demandé de Dieu, le Prophète qui nous a jugés et nous jugera éternellement, quoique le faux Israël ait follement requis un autre conducteur, Samuel, dis-je, n’est-il pas né tout de même d’une femme stérile ? Anne ne le conçut-elle pas par la force de la promesse et de la parole divine, plutôt que par l’opération d’Elkana10?

Peut-être qu’à fouiller partout curieusement, l’on en pourrait trouver davantage. Mais ces quatre si illustres et si célèbres suffisent, ce me semble, pour vous faire voir que cette forme de naissance miraculeuse ne s’y est pas rencontrée par hasard, mais à dessein de nous signifier qu’en la naissance de celui qu’ils figuraient tous quatre se trouverait le corps de cette ombre merveilleuse, la vérité de ce type extraordinaire, c’est-à-dire, comme nous l’a expliqué l’Évangile, que le Christ serait conçu par la vertu du Saint-Esprit purement et simplement, et naîtrait d’une Vierge.

Quelques-uns remarquent aussi que le premier Adam, formée d’une terre non labourée, non même arrosée par aucune pluie ou vapeur11, était une image de Jésus-Christ conçu de la chair d’une Vierge pure, formé par les seuls doigts de Dieu, sans l’entremise d’aucune cause ordinaire et naturelle. J’ajouterai encore que de ces quatre personnages nommés ci-dessus, trois, à savoir Joseph, Samson et Samuel ont été nazirs12, c’est-à-dire séparés d’avec les autres hommes et sanctifiés particulièrement par l’œuvre de l’Éternel, et il nous paraît clairement par l’Écriture que ces deux derniers, Samson et Samuel, l’ont été dès le ventre de leurs mères. En quoi je ne doute point qu’ils ne représentèrent que le Christ serait aussi dès là, par une pleine et entière opération du Saint-Esprit, mis à part et oint sans mesure de son onction céleste, pour être le Saint des saints, comme il est qualifié par Daniel.

Mais je ne puis passer sous silence qu’outre tout cela, le prophète Ésaïe au chapitre 7 de ses révélations prédit expressément qu’Emmanuel, le Dieu avec nous, c’est-à-dire le Christ, naîtrait d’une vierge qui serait enceinte13. Je sais bien que le passage, à le lire superficiellement, semble pointer14 ailleurs : mais aussi suis-je très assuré que quiconque le considérera exactement, quiconque en pèsera toutes les clauses et les expressions, se souvenant que le Christ est la plénitude de l’Ancienne Alliance, que tout le regarde et s’y rapporte, principalement ce qui est excellent et remarquable ; je suis, dis-je, très assuré qu’un tel homme reconnaîtra infailliblement que le saint Prophète, avec cette peinture ombragée et pleine d’énigmes et de chiffres15 à la manière antique, mais qui néanmoins a du vif et de la clarté en divers endroits, nous représente que le Christ naîtrait d’une vierge, qui est le sens que saint Matthieu a donné à cette écriture au premier chapitre de son Évangile16.

Puisque donc les figures et les oracles de l’Ancien Testament signifiaient que le Messie naîtrait d’une vierge par une extraordinaire opération de la seule puissance divine, j’estime que personne ne demandera plus pourquoi le Seigneur Jésus est ainsi né, vu que s’il l’était autrement, il n’aurait pas en soi les vérités représentées par les anciens types ; et par conséquent, il ne serait pas le Christ.

Fondement théologique de la naissance virginale

Mais me direz-vous, vous n’avez pas encore satisfait à toute notre demande. Car à vrai dire, ce ne sont pas les prédictions qui règlent les événements, mais tout au rebours, ce sont les événements qui forment et qualifient les prédictions. Le Christ n’est pas né d’une vierge parce que les prophètes l’avaient prédit, ou que ses types l’avaient figuré ; mais tout au contraire, parce qu’il devait naître d’une vierge, les prophètes l’ont prédit, et les types l’ont figuré. C’est le corps qui donne ses plis et sa figure à l’ombre, et non pas l’ombre qui les forme au corps. Dites-nous donc pourquoi le Christ a dû ainsi naître, plutôt que de la manière commune. C’est la seconde question que nous nous sommes proposé de résoudre.

La singularité de la naissance du Christ

Je dis donc que l’on peut en alléguer plusieurs raisons, dont nous toucherons les principales. Premièrement, il arrive le plus souvent par une secrète dispensation de la Providence divine que les conceptions et nativités des grands hommes qui doivent se signaler par de grands et merveilleux faits ont quelque chose de rare, d’étrange et de singulier, comme il paraît avec Jacob, Moïse, Cyrus et d’autres. Car je ne veux pas m’arrêter à vous rapporter ici les exemples que l’on en trouve très abondamment dans les histoires de l’Église et du monde, où chacun peut le remarquer. Or, tout ce qu’il y eut jamais en ces hommes de grand et d’illustre n’est rien auprès de Jésus-Christ, roi, prophète et sacrificateur souverain de tout le genre humain. Il a donc été très convenable que sa naissance fût signalée de quelque marque rare, étrange et singulière. Or comment eût-il pu naître plus singulièrement que d’une vierge ? Ou être conçu plus merveilleusement que du Saint-Esprit ? De plus, il venait au monde pour être un roi, non mondain ou terrestre, mais céleste, car son Royaume est le royaume des cieux, comme il le nomme d’ordinaire, suivant la prophétie de Daniel au chapitre 2 de ses révélations17.

L’origine céleste du Christ

Son office de prophète requérait aussi évidemment qu’il descendît du ciel, ce qui avait été autrefois représenté par les prophètes que Dieu envoyait, et surtout par Moïse qu’il faisait descendre d’une haute montagne, pour annoncer sa volonté aux hommes. Et il semble que le Seigneur y regarde au chapitre 3 de saint Jean. Personne, dit-il, parlant à Nicodème, n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, à savoir le Fils de l’homme qui est au ciel18. Et c’est pour cela que saint Paul, en 1 Corinthiens 15, nomme le Christ un homme céleste19. Or il ne pouvait être céleste s’il fut né d’un homme à la façon commune. D’extraire aussi son corps du ciel ou des astres, comme l’ont rêvé quelques anciens hérétiques, cela eût été contraire à notre consolation et salut, qui requérait qu’il fût homme semblable à nous, comme vous l’ouîtes dimanche. Il lui restait donc à naître d’une femme pour être vrai homme, de la semence d’Abraham et de David, mais d’une femme vierge par la force seule de l’Esprit d’en haut, afin qu’il fût un homme céleste.

L’immaculée conception du Christ

Mais une autre considération encore plus forte que tout ce qui précède le requérait nécessairement ainsi : car la semence humaine est tellement corrompue, que tout ce qui en naît de manière ordinaire est de nécessité taché de péché, selon la maxime que nous a apprise Jésus-Christ lui-même : que tout ce qui naît de la chair est chair20, et la reconnaissance ingénue de David, qui, quelque saint qu’il fût, avoue que sa mère l’avait conçu dans le péché21, et qu’il avait été formé en iniquité22. Or il fallait nécessairement que la nature humaine du Christ fût pure et nette de tout péché, soit que vous considériez sa personne, soit que vous ayez égard à ses offices.

Sa personne, car comment eût pu la Parole éternelle du Père habiter, non pour un temps mais éternellement, en un domicile souillé ? Comment eût pu cette grande et glorieuse divinité, qui consume l’iniquité comme l’éteule23, non se joindre légèrement, mais s’unir personnellment à une humanité tachée des ordures originelles de notre nature ; cela est tout à fait inimaginable.

Mais l’office du Christ requérait aussi que son humanité fût très pure, car s’il eut été souillé de lèvres, comment eût-il pu nous annoncer la volonté de Dieu ? Comment, pour apprendre les choses qu’il nous révèle, eût-il pu, s’il eut été taché de la moindre souillure, entrer dans le sein du Père où les anges mêmes, quelques saints et purs qu’ils soient, n’ont point d’accès ? Comment encore eût-il été notre Roi, nous gouvernant en justice et équité parfaite, réformant nos âmes à son image, et détruisant en nous le péché et ses convoitises, s’il eut été lui-même souillé de semblable impureté ? Et enfin, comment eût-il pu expier nos crimes par son sacrifice éternel, si lui-même n’eut pas été exempt de crime ? Comment eût-il exhibé la vérité de ces anciennes hosties typiques24, entières et sans aucune tache ni tare, s’il y eut eu le moindre défaut en sa sainteté et justice ?

Puisque donc le Christ a dû véritablement être très saint et très pur, et qu’il ne pouvait être tel s’il eut été conçu de la manière ordinaire des hommes, il a bien fallu, même de nécessité, que toute opération d’homme, source et origine d’impureté, fût bannie bien loin de cette sacrée et immaculée conception, et que le Saint-Esprit y intervenant, purifiât la chair de la Vierge par sa toute-puissante vertu, et de cette substance ainsi nettoyée et sanctifiée, façonnât, d’une étrange et merveilleuse matière, la nature humaine du Seigneur, le tabernacle éternel du Saint des saints, son arche où il habite aux siècles des siècles. Ce fut Betsaléel qui dressa la première25 arche et l’enrichit d’une exquise manufacture, ayant reçu de Dieu pour cet effet une adresse singulière à travailler en toute sorte d’ouvrage26; mais ç’a été le Saint-Esprit lui-même qui a construit cette seconde arche, non un rayon de sa vertu, mais lui-même tout entier. Aussi était-il convenable que l’arche où Dieu ne se communiquait, s’il faut ainsi dire, qu’en type et en ombre, et encore pour un temps, fût construite par les doigts d’un homme dont tous les ouvrages sont temporels et mortels, comme leur auteur ; mais quant à cette autre arche où le fils de Dieu se repose, où il se communique réellement, et comme parle l’Écriture, corporellement et pour toujours, qui est le siège du prince d’éternité, son palais et son cabinet, il a été très raisonnable en toute sorte que ce fût non un homme, mais un Dieu, l’Esprit éternel de Dieu qui la formât, pour subsister éternellement.

Le modèle de notre nouvelle naissance

J’ajoute encore, ô fidèles, que Dieu en cette conception et naissance miraculeuse de Jésus-Christ a voulu vous donner l’image, ou pour mieux dire, l’exemplaire et le patron de la vertu par laquelle vous avez été faits fidèles, par laquelle vous êtes nés chrétiens ; car à cet égard, à parler proprement, ce n’est pas l’homme qui vous sème, ce n’est pas l’homme qui vous plante ou qui vous engendre, c’est le Saint-Esprit céleste. Celui-là même qui survenant en la Vierge la prit sous son ombre27 et forma Christ en son ventre, descend en vous et dans le sein de votre cœur avec une vertu divine, produit et crée la chair et le sang de Christ ; cet homme nouveau que vous êtes maintenant, ayant dépouillé le vieux. Saint Jean vous en assure, vous protestant que vous n’êtes pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu28. Afin donc que votre Christ fût le premier en toutes choses, le moule sur lequel vous puissiez être jetés et fondus, le patron à l’image duquel vous pussiez être rendus conformes, selon la prédestination de Dieu, il a été convenable qu’il fût conçu du Saint-Esprit et qu’il naquît d’une vierge, sans l’opération de l’homme.


Illustration : Louis Gauffier, La prédiction de la naissance de Samson, huile sur toile, 1786 (Poitiers, musée Sainte-Croix).

  1. 1 Pierre 1,12.[]
  2. Colossiens 2,3.[]
  3. Psaume 34,6.[]
  4. Nous ne reproduisons pas ici la seconde partie du sermon, consacrée à la Passion.[]
  5. Texte original : énombrée par le Saint-Esprit.[]
  6. Genèse 18, 21.[]
  7. Romains 9,8.[]
  8. Genèse 30,22.[]
  9. Juges 13,3 sq.[]
  10. 1 Samuel 1,19.[]
  11. Genèse 2,6-7.[]
  12. Texte original : nazariens.[]
  13. Ésaïe 7,14.[]
  14. Texte original : viser.[]
  15. De chiffres : de symboles, de codes.[]
  16. Matthieu 1,22-23.[]
  17. Cf. Daniel 2,44.[]
  18. Jean 3,13.[]
  19. 1 Corinthiens 15,47.[]
  20. Jean 3,6.[]
  21. Texte original : échauffé en péché.[]
  22. Psaume 51,7.[]
  23. Éteule : chaume laissé sur place après la moisson.[]
  24. Hosties typiques : animaux sacrifiés pour l’Éternel, préfigurant le sacrifice parfait du Christ.[]
  25. Texte original : l’autre (latinisme).[]
  26. Exode 31,3-5.[]
  27. Texte original : l’énombra.[]
  28. Jean 1,13.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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