L'alliance avec Moïse : une clarification
30 mai 2018

“Avant de traiter Jérémie 31 et la question des alliances plus en détail, je tiens à clarifier ce qui me semble être une source de confusion dans les débats sur l’alliance mosaïque, en particulier depuis la publication des travaux de Meredith Kline.

En effet, en théologie de l’alliance traditionnelle, quand nous utilisons l’expression « alliance mosaïque » nous désignons l’alliance conclue au Sinaï, les dispositions civiles et le système sacrificiel mis en place. Or, Meredith Kline désigne tout cela sous le nom d’économie mosaïque tandis qu’il réserve l’expression « alliance mosaïque » de façon plus précise à ce qui est scellé par le rite et le serment qu’Israël a pris au Sinaï.

Cette différence de langage peut laisser penser qu’il y a une opposition fondamentale entre la position réformée classique qui désignera l’alliance mosaïque comme une administration de l’alliance de grâce tandis que Kline en parlera comme une réaffirmation typologique, temporaire et nationale du principe des œuvres, tout en reconnaissant que l’économie mosaïque est gracieuse.

Ainsi, en un sens l’alliance mosaïque est une alliance des œuvres, ce qui explique une bonne partie du langage du Nouveau Testament sur Moïse. Mais cette réaffirmation typologique du principe des œuvres, par lequel Israël va revivre dans son exil l’expulsion d’Eden, est elle-même asservie aux dispositions gracieuses de l’alliance de Moïse, ou de l’économie mosaïque par lesquelles Israël était véritablement nourrit du Christ (1 Corinthiens 10 :3-4), comme nous le sommes en la Cène (1 Corinthiens 10 :16).

Ainsi donc, ces deux façons de considérer l’alliance mosaïque, soit dans le fait qu’elle réaffirme le principe des œuvres, soit dans le fait qu’elle commence à accomplir et administre l’alliance abrahamique ; permet d’expliquer le langage paradoxal du Nouveau Testament.

Certains proposent de parler d’alliance mosaïque et d’économie mosaïque, d’autres d’alliance sinaïtique et d’alliance mosaïque. L’avantage de cette deuxième formulation est qu’elle s’inscrit dans la continuité avec les théologiens de l’alliance du passé, son défaut est qu’elle pourrait laisser penser qu’il y a ici deux alliances séparées. Quoi qu’il en soit, gardons cela en tête alors que nous comparons ce que dit Kline et ce que disent les auteurs réformés qui le précèdent.

On peut se demander quel est le langage le plus proche du langage biblique. En réalité, je pense que Paul se rapproche plus du langage de Kline et que Moïse prend son sens technique chez lui tandis que dans l’épître aux Hébreux l’auteur semble y inclure le système sacrificiel et lui donner un sens plus large. Je ne développerai pas cela ici, mais là encore il faut être sensible à cette différence de langage pour concilier ce que dit Paul et ce que dit l’épître aux Hébreux.

Ici, et pour souligner la continuité entre la pensée de Kline et celle des réformés du passé, je rapporterai la remarque de Pierre-Sovann Chauny dans son mémoire sur la nouveauté de la nouvelle alliance[1] :

Le statut de l’alliance mosaïque joue un rôle crucial : chez les théologiens réformés, le degré de continuité de la nouvelle alliance avec l’ancienne est généralement strictement corrélé au degré de continuité de l’alliance sinaïtique avec l’alliance abrahamique.

Là où Moïse reprend Abraham, la nouvelle alliance reprend l’ancienne. La continuité entre l’alliance mosaïque et la nouvelle alliance existe simplement parce qu’il y a continuité entre Moïse et Abraham et que la nouvelle alliance accomplit la promesse à Abraham.”

(Extrait d’un futur livre !)

Nous le voyons donc, l’alliance mosaïque a deux niveau. Au niveau de la substance, elle administre la grâce aux croyants de l’ancienne alliance, comme la Bible ne cesse de le montrer; mais elle comporte, à un autre niveau (national), une réaffirmation du principe des oeuvres. Comme nous l’avons dit ailleurs, cette réaffirmation est typologique et temporaire. Les sections de l’alliance qui font appel au principe “faites ceci et vous vivrez” et qui lient le fait de demeurer dans le pays à l’obéissance du peuple sont une réaffirmation du principe des oeuvres tandis que les sections qui promettent la grâce de Dieu de façon inconditionnelle, qui illustrent son pardon par des sacrifices ou qui prolongent l’alliance avec Abraham sont la substance de l’alliance : la grâce. La continuité entre Abraham et Moïse est rendu explicite par le fait que ces deux alliances aient le même signe : la circoncision (Jean 7 :22).

Être conscient de ce double niveau ainsi que de la différence de vocabulaire entre les auteurs réformés permet de bien mieux comprendre le sujet.

[1]Pierre-Sovann Chauny, La Nouveauté de la Nouvelle Alliance, Faculté Libre de Théologie Évangélique, Juin 2013, note 26, page 4.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

2 Commentaires

  1. ladangvu

    C’est vraiment une dispute de mots oui. Je sais pas si c’est exact de dire que l’alliance mosaïque est à deux niveau (inconditionnelle et conditionnelle). Moi je suis plutôt partant pour dire que l’alliance mosaïque est essentiellement conditionnelle (mis à part quelques dispositions gracieuses comme les sacrifices). Je pense que ce qu’on considère comme étant la partie gracieuse est en réalité l’alliance abrahamique. Quand Dieu annonce d’avance qu’il va punir les Israélites par l’exil il dit qu’ensuite il les ramènera dans le pays en vertu de son alliance avec Abraham (Lev 26.42). C’est aussi en vertu de celle-ci que Dieu pardonne Israël après l’épisode du veau d’or (Exode 32.13). Jamais l’alliance mosaïque est celle sur laquelle Dieu fonde son pardon ou une bénédiction inconditionnelle. C’est toujours “l’alliance avec Abraham”. Et par opposition, dans le Nouveau Testament, Moïse est toujours associé à la loi et les oeuvres tandis qu’Abraham est toujours associé à la foi et à la grâce. Retrouver la même idée dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau renforce cette conception.
    L’exode (sortie d’Egypte) et le don du pays sont les bénédictions de l’alliance abrahamique. Y rester c’est la bénédiction de l’alliance mosaïque. En fait les deux sont connectées, l’alliance abrahamique (la sortie d’Egypte, Exode 20.2) est la raison de l’obéissance (Exode 20.3-17). Mais quelque soit le point de vue, il est important en effet de distinguer le but de l’alliance mosaïque (dans le but de la grâce) de celui de l’alliance des oeuvres (vraiment mériter la consommation, la gloire), ce qui les rend différent même si elles sont tous les deux des alliances des oeuvres. C’est la manière la plus cohérente de rendre compte du paradoxe conditionnalité et inconditionnalité dans la relation d’Israël avec l’Eternel.
    En fait c’est l’interprétation que Michael Horton a de Kline. Je conseille vivement “Introducing covenant theology”.
    A mon avis l’essentiel quelque soit la formulation (oeuvre = alliance mosaïque et grâce = alliance abrahamique ; ou alors ; oeuvre = niveau 2 de l’alliance mosaïque et grâce = niveau 1 (substrat) de l’alliance mosaïque), je pense que l’essentiel est de repérer qu’il y a à la fois de la grâce (don du pays, système sacrificiel) et oeuvres (rester dans le pays en étant fidèle à l’Eternel, exil) dans la relation entre Dieu et Israël.
    Pour ton livre, je te conseille de mettre le contenu de cet article (Moïse = deux niveaux, même si je ne suis pas d’accord :p) avec celui d’hier dans une seule et unique partie sur Moïse, bon je pense que tu avais déjà prévu de le faire.

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    • Maxime Georgel

      J’aurai un problème avec l’idée de formuler sans mettre 2 niveaux. Car la circoncision est bien le signe de l’alliance avec Moïse par exemple et pourtant c’est gracieux, idem pour toutes les fois où elle reprend l’Abrahamique. Donc oui, c’est uniquement quand elle reprend Abraham qu’elle est gracieuse, mais ce n’est pas équivalent à dire que la grâce en est absente. Il y a bien deux niveaux et c’est ainsi que formulent Lee Iron qui est un meilleur interprète de Kline que Horton.

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