L'éternité de Dieu – Thomas D'Aquin
2 mars 2019

Nous avons vu la semaine dernière que Dieu était immuable. Une implication directe du fait que Dieu ne change pas, c’est qu’il est éternel, et qu’il existe « aux siècles des siècles ». Il est intéressant de voir dans la Bible à quel point les deux sont liés d’ailleurs.

Il y a dans la tradition chrétienne deux façons de considérer le fait que Dieu n’a ni commencement ni fin. Le premier est de considérer que Dieu est dans le temps, mais que le temps n’a pas de début, il s’est toujours égrainé. La deuxième (plus traditionnelle) est de considérer que Dieu est hors du temps.

Ces dernières années, William Lane Craig a essayé de faire une synthèse des deux positions en disant en gros que Dieu était hors du temps avant que le temps n’existe, puis qu’il est rentré dans le temps à partir de la Création. C’est assez cohérent avec le fait qu’il a redéfini aussi la simplicité et l’absence de changement en Dieu, d’ailleurs, mais passons… L’éternité de Dieu a une forte tendance à être redéfinie en ce moment, et j’espère par cet article apporter le point de vue médiéval (ou thomiste à minima) sur ce que signifie pour Dieu d’être éternel.

Article 1: Qu’est ce que l’éternité?

Mieux vaut savoir de quoi on parle, d’autant plus que ce n’est pas une notion qui nous est facilement accessible.

Si on demande à n’importe quel évangélique, il y a des chances que la réponse soit: « Ce qui existe toujours ». Mais vous allez le voir, le concept d’éternité est en réalité beaucoup, beaucoup plus riche qu’une simple existence sans début ni fin.

Thomas d’Aquin récupère et défend la définition de Boèce. Boèce est un chrétien du 6e siècle (le tout début du moyen-âge), qui fut le premier à donner une définition de l’intemporalité de Dieu. Voici cette définition:

La définition de Boèce : “ L’éternité est la possession toute à la fois et parfaite d’une vie sans terme. ” – Ia, Q10, a1

Je ne sais pas pour vous, mais ce genre de définition provoque toujours deux réactions simultanées chez moi: 1. « Oh qu’elle est belle et élégante » 2. « J’y comprends fichtre rien! » Alors déballons minutieusement chaque terme.

Possession: Il est défini dans la solution 6 de l’article 1:

Ce qui est possédé, on le tient fermement et tranquillement. C’est donc pour signifier l’immutabilité et l’indéfectibilité de l’éternité qu’on a choisi le terme “ possession ”.

Cela veut donc dire que l’on ne peut pas perdre ni acquérir l’état d’éternité. Il est immuable et ferme.

Toute à la fois: Solution 3 de l’article 1

L’éternité est dite “toute à la fois ”, non parce qu’elle a des parties, mais parce que rien ne lui manque.

Ce n’est donc pas une agrégation de temps, ou de secondes, mais un état simple, sans compositions. Voir aussi juste après:

Parfaite Solution 5 de l’article 1

Dans le temps, il y a deux choses à considérer : le temps lui-même, qui est successif ; et l’instant, essentiellement imparfait. C’est pourquoi la définition de l’éternité dit qu’elle est “ toute à la fois ” pour exclure le temps, et “ parfaite ” pour exclure l’instant.

L’éternité est un état de plénitude, qui n’appelle pas à être perfectionné encore l’instant d’après. Il est donc un état parfait.

D’une vie Solution 2 de l’article 1

Ce qui est vraiment éternel n’est pas seulement étant, il est aussi vivant ; et, le “ vivre ” s’étend d’une certaine manière à l’opération, ce qui n’est pas vrai de l’être.

L’éternité n’est pas simplement une existence hors du temps: c’est une vie hors du temps. On critique souvent l’idée d’un Dieu intemporel sur la base qu’un tel Dieu est un bloc de glace inaccessible (tel William Lane Craig dans ses Defenders Class 2). Mais ce n’est pas le cas: l’éternité est un état de vie, qui dépasse l’existence nue.

Sans terme est expliqué dans le corps de la réponse.

Tout d’abord, ce qui est dans l’éternité est sans terme, c’est-à-dire sans commencement et sans fin, “ terme ” se rapportant à l’un et à l’autre

C’est assez clair pour que je n’aie pas à commenter.

Essayons maintenant de synthétiser tout cela. L’éternité est un « régime temporel » c’est à dire une certaine forme de relation aux changements et aux évènements. Le régime temporel de Dieu est un régime qui n’a ni commencement ni fin, qui est parfait, simple, et qui est plus qu’un régime d’existence c’est une vie. Voilà ce que l’on appelle « éternité ».

Article 2 Dieu est-il éternel?

Thomas s’appuie sur le symbole d’Athanase:

On dit dans le Symbole de S. Athanase : “ Éternel est le Père, éternel est le Fils, éternel est le Saint-Esprit. ” – Ia Q10 a2

La raison est simple: Dieu est absolument immuable, et il est sa propre vie (simplicité divine). Il possède donc tout à la fois et parfaitement une vie sans terme. Autrement dit il est éternel.

On peut même rajouter, simplicité oblige, qu’il n’a pas d’éternité, mais qu’il EST l’Eternité.

Article 3 Dieu est-il le seul à être éternel?

Augustin écrit : “ Il n’y a que Dieu qui n’ait pas de commencement ” ; or ce qui a un commencement n’est pas éternel.

Il faut dire que l’éternité, entendue en son sens propre et véritable, se trouve en Dieu seul. Car l’éternité est une conséquence de l’immutabilité, comme il est évident d’après ce qui précède. Or, Dieu seul est absolument immuable, ainsi qu’on l’a montré, Toutefois, dans la mesure où ils reçoivent de lui l’immutabilité, certains êtres participent à ce titre de son éternité.

Donc oui, Dieu seul est éternel, toutefois vous trouverez plusieurs occasions dans l’Écriture où l’éternité est attribuée aux créatures, par participation à l’Éternité de Dieu.

  • Celles qui ne cessent jamais d’être comme la terre dans Ecclésiaste 1.4 « La terre subsiste toujours »
  • Celles qui durent longtemps, même si elles sont corruptible et sujettes au changement comme les montagnes dans Deutéronome 33.15 « Les meilleurs produits des collines éternelles« 
  • Les anges, qui ne changent pas selon l’être, mais changent selon leur opération.
  • Les élus après la fin des temps, qui auront une vie pleine et sans fin.

Article 4 L’éternité diffère-t-elle du temps?

Ici, Thomas d’Aquin assassine l’idée selon laquelle l’éternité est juste une accumulation infinie de secondes (sempiternel). Il dit:

L’éternité est “ toute à la fois ”, alors que dans le temps il y a un avant et un après. Donc le temps et l’éternité ne sont pas identiques. – Ia Q10 a4

Rappelez vous que l’éternité est un état fixe de vie parfaite, alors que la définition même du temps présuppose qu’il reste quelque chose de potentiel à réaliser. L’éternité est un état, le temps est un courant continu. L’éternité n’est donc pas une accumulation infinie d’unités de temps.

Mais alors, la vie éternelle des élus est-elle aussi une stase fixe? Il me semble que Thomas d’Aquin l’affirme, mais je m’inscris contre lui sur ce point, en accord avec la tradition réformée. Notre vie sera éternelle parce qu’elle n’aura pas de fin, qu’elle sera une possession ferme d’une vie humaine parfaite. La seule chose qui sera différente entre notre éternité et celle de Dieu sera que l’éternité de Dieu sera « tout à la fois » alors que la nôtre sera toujours continue et successive.

Article 5 et 6 L’aevum

Je regroupe en un seul point une notion technique que je n’avais jamais vu avant Thomas, et dont je ne sais pas ce qu’elle vaut. Le but de ces articles étant de commenter la Summa, je présente néanmoins la notion: l’aevum.

L’ae-quoi?!

L’aevum c’est le temps des anges, une sorte de mesure intermédiaire entre l’éternité fixe et le temps continu. Voici la définition de Thomas:

L’aevum diffère du temps et de l’éternité, comme tenant le milieu entre eux. […] le temps comporte l’avant et l’après ; l’aevum n’a pas d’avant et d’après, mais l’avant et l’après peuvent l’accompagner ; enfin l’éternité n’a pas l’avant et l’après et ne les admet en aucune manière. -Ia Q10, a5

Pourquoi au juste faut-il un aevum différent du temps? Parce que les anges sont considérés comme hors du « temps matériel ».

Cela fait sens quand on y pense: le temps a démarré à la Création du monde matériel, mais nous savons qu’avant la création matérielle il y avait déjà des anges, et même la chute de Satan. Cela veut dire que le temps des anges est différent de celui de la matière (le nôtre).

Ils ont tout de même une succession de pensées et de désirs, raison pour laquelle leur « temps » n’est pas l’éternité fixe. Mais leur être même n’est pas comme le nôtre: ils n’ont pas de corps qui grandit, change et même vieillit. Leur âme est simple, et n’a changé aucunement depuis sa création. Si jamais ils viennent à se concentrer sur une seule pensée pendant longtemps -par exemple contempler la gloire de Dieu- nous ne distinguerions aucun changement qui pourrait nous permettre de dire: « il s’est passé 400 ans ». Puis tout d’un coup il est envoyé par Dieu pour faire passer la frontière de l’URSS à une cargaison de bibles. Puis il revient dans cet état fixe de contemplation de la gloire de Dieu.

Ni le temps matériel, ni l’éternité de Dieu ne conviennent pour décrire le « temps des anges ». Voilà pourquoi l’aevum existe.

Synthèse

Qu’est ce que l’éternité?

L’éternité est la possession toute à la fois et parfaite d’une vie sans terme.

Dieu est-il éternel?

Oui, on peut même dire qu’il EST l’éternité.

Dieu est-il le seul éternel?

De façon propre oui, mais il peut faire participer d’autres créatures à son éternité.

L’éternité est-elle différente du temps?

Oui, car l’éternité est un état fixe alors que le temps est un écoulement continu

L’aevum

L’aevum est le temps des anges, dont l’être est sans changement, mais dont les opérations peuvent parfois changer.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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