Historiquement, nous avons dû beaucoup défendre l’unité de Dieu, et sa simplicité. En conséquence, nous sommes plutôt bien équiper pour expliquer son unité. Mais aujourd’hui, c’est plutôt la pluralité des personnes qui est attaquée, et nous trébuchons souvent pour expliquer comment « 1+1+1=1 » et autres bêtises. Aujourd’hui, avec Thomas, nous allons expliciter ce que nous entendons par « Trois personnes ». Nous allons aussi voir pourquoi la Trinité (trois personnes séparées dans un « Dieu » unique) n’est pas du trithéisme.
- Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ? Oui.
- Combien sont-elles ? Trois.
- Que signifient en Dieu nos termes numériques ? Une négation.
- Comment le nom de personnes est-il commun en Dieu ? Selon une attribution logique.
Article 1 : Y a-t-il plusieurs personnes en Dieu ?
Saint Athanase dit : “ Autre est la personne du Père, autre celle du Fils, autre celle du Saint-Esprit. ” Le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont donc plusieurs personnes.
Tout cela découle de la définition de « personne » qui a été établie à la question 29, juste avant. Nous avons dit qu’une personne divine est « la relation en tant que réalité subsistante dans la nature divine ». Or il y a plusieurs relations subsistantes, comme on l’a dit dès la question 27. Donc il y a plusieurs personnes.
Article 2 : Combien sont-elles ?
on lit dans la 1° lettre de S. Jean (5, 7) : “ Ils sont trois qui témoignent dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit. ” Et si l’on demande : Trois quoi ? on répond : trois personnes, comme saint Augustin l’expose. Il y a donc seulement trois personnes en Dieu.
Il y a trois relations en Dieu : la paternité, la filiation et la procession (cf. question 27). Les personnes sont des relations. Donc il y a trois personnes.
A noter cependant que Thomas ne cherche pas à démonter par la raison qu’il y a seulement trois personnes en Dieu. Il explicitera plus tard que la Trinité est au-delà de la philosophie, et qu’elle est en réalité le fruit de la révélation et non de la raison. Tout ce qu’il fait dans cet article est un simple « débugage » par rapport à des objections trop techniques pour que je les rapporte ici.
Article 3 : Que signifient en Dieu nos termes numériques ?
Saint Hilaire écrit : “ L’affirmation d’une société, c’est-à-dire d’une pluralité, a exclu l’idée d’isolement et de solitude (en Dieu). ” Et saint Ambroise : “ Quand nous disons : un Dieu, l’unité exclut une pluralité de dieux ; et nous ne posons pas de quantité en Dieu. ” Il semble donc bien que, si l’on fait appel à des termes de ce genre à propos de Dieu, c’est pour nier, et non affirmer quelque chose de positif.
Il y a deux formes de pluralités :
- L’une qui est « matérielle, par division du continu ». C’est ainsi qu’on peut imaginer faussement que le Fils est « 1/3 de Dieu ». Celle-là ne convient pas, et ne peut pas être le « 3 » que nous attribuons aux personnes de la Divinité.
- L’autre qui est « division formelle, par opposition ou diversité de formes » et qui convient aux réalités immatérielles. C’est ainsi qu’on peut dire qu’il y a « deux gauches irréconciliables en France » (Manuel Valls) ou bien que René Rémond parlait de « trois » droites différentes : orléaniste, bonapartiste et légitimiste. Le souci de cette division est qu’elle rajoute à l’étant. Ca veut dire que « trois » s’ajoute à « droites » pour reprendre l’exemple de René Rémond : c’est une propriété supplémentaire. C’est ce genre de pluralité qu’utilise William Lane Craig dans son modèle trinitaire où il parle de « trois centres de conscience de soi [self-consciousness] »
Or, comme nous l’avons vu dans la question 11 « Un ne rajoute pas à étant en Dieu ». Quand nous disons qu’il y a « un » Dieu, cela veut simplement dire qu’il est indivisé et sans équivalent. Ce n’est pas l’ajout d’une quantité numérique.
C’est ce genre de « numération » qui convient aux personnes, il y a « un » Père, indivis et sans équivalent, « un » Fils, indivis et sans équivalent, et « un » Saint-Esprit, indivis et sans équivalent. Il y a donc trois personnes, sans que « trois » ne rajoute quoi que ce soit à ces personnes, ou à Dieu.
Trois signifie donc bien : « pas autre chose que trois subsistances » et non l’ajout d’une propriété en Dieu.
Remarque sur le modèle trinitaire de William Lane Craig
J’ai beaucoup de respect et d’amour pour William Lane Craig, car ce fut lui qui a allumé ma vie intellectuelle pour Christ, et qui m’a initié à la théologie chrétienne, à travers ses Defenders Class. Cependant, il rejette le théisme classique et redéfinit lourdement la doctrine de Dieu en plusieurs endroits pour la conformer au langage et à la méthode de la philosophie analytique.
C’est le cas de son modèle trinitaire où il dit ceci dans son podcast « Defenders class » serie 2, section 5, partie 8 (où il propose Cerbère comme analogie de la Trinité):
Dieu aurait trois centres de conscience de soi [self-consciousness], trois centre d’intentionnalités (penser à propos/au sujet de choses), trois centres de volitions (voulant librement faire des choses). Ainsi, si Dieu a trois ensembles complets de facultés rationnelles, il aurait trois centre de conscience de soi, d’intentionnalité, et de volonté, ce qui semble être exactement ce que la doctrine de la Trinité maintiendrait.
Il y a plusieurs critiques à faire de son modèle trinitaire, et je les ferais une par une, selon les occasions. Pour le moment, il suffit de faire remarquer que son « trois » est une pluralité formelle, autrement dit, elle implique une réelle pluralité en Dieu, c’est-à-dire du trithéisme, une hérésie à éviter.
En effet, lorsque William Lane Craig parle de « trois ensembles de facultés rationnelles », il ne désigne pas du tout des réalités indivises et uniques, mais au contraire, une division formelle de plusieurs ensembles individuels appartenant à une espèce commune. Il y a donc bien trois objets réellement distincts dans le Dieu unique, alors que Thomas insiste pour dire que le terme numérique « trois » n’ajoute rien de réel en Dieu.
J’en conclus donc que Thomas d’Aquin arrive à éviter le trithéisme, alors que William Lane Craig n’y arrive pas, et n’essaie d’ailleurs pas vraiment de le faire.
Article 4 : Comment le nom de « personne » est-il commun en Dieu ?
Il faut ici « débuguer » une chose. Si le Père, le Fils et le Saint Esprit sont trois « personnes » cela veut-il dire qu’ils sont trois individus de l’espèce « personne divine » ? Si c’était le cas, alors William Lane Craig aurait raison et Thomas aurait tort.
Il nous faut donc préciser ce que les personnes de la divinité ont en commun, car c’est ainsi qu’on pourra vraiment voir s’il est possible d’avoir « trois » dans « un ».
Saint Augustin dit qu’à la question : « trois quoi ? » on a répondu : trois personnes, parce que le signifié de ce terme leur est commun.
Il y a deux formes de communauté :
- Réelle : Par exemple, « chien » est réellement commun à Médor, Rex et Rintintin. Il s’agit de leur essence commune. Or, « personne » n’est pas réellement commun au Père au Fils et au Saint-Esprit. Seule l’essence divine est la communauté réelle de ces trois.
- De raison pure : Cela se décompose encore :
- Communauté de négation : Les personnes ont en commun de « ne pas être » une autre.
- Communauté logique : elles partagent un élément de définition en commun, tout comme « cheval » et « bœuf » ont en commun le fait que ce sont des « espèces animales ».
La réponse que Thomas donne est la suivante :
Voici plutôt ce qu’il faut dire. Même en ces cas humains, « personne » est un nom commun, de cette communauté logique qui est celle non pas du genre ou de l’espèce, mais de l’individu indéterminé.
Le mot personne est commun au Père et au Fils non pas parce que ils sont tous les deux de l’espèce « personne divine », mais parce qu’ils ont une même « façon d’être » (mode d’existence en langage thomiste) qui est celle de la personne. Ce qui leur est commun, ce n’est pas d’être chacun un exemplaire de la nature divine, c’est plutôt ceci :
Ceci est commun logiquement à toutes les Personnes divines : chacune d’elle subsiste en la nature divine, et subsiste distincte des autres.
Il y a donc trois personnes en Dieu, sans aucun trithéisme.
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