Contempler Dieu dans nos œuvres
9 novembre 2020

Dans son livre La Guerre des spectacles récemment traduit en français, Tony Reinke expose le problème pratique de la concurrence entre spectacles mondains et spectacle divin de la gloire de Dieu. D’une façon très prudente et intéressante, il explique comment nous devrions prendre conscience de cette guerre spirituelle et mentale, et comment nous devrions chercher à orienter nos pensées et nos gestes vers Dieu et sa contemplation.

Or, comme nous l’avons vu en commentant Thomas d’Aquin, la contemplation de Dieu est le bonheur de l’homme. Le bonheur suprême consiste à orienter toute notre attention vers notre Père, et à se rendre compte de toute l’excellence de son être. L’adoration doit être ainsi comprise : elle est l’expression qui suit notre vision de l’excellence de Dieu, et c’est cette vision qui nous donne la paix.

Mais nous vivons aussi dans une époque exigeante, qui fractionne l’attention et nous avons des tâches mondaines à faire. Si nous pouvons consacrer dix minutes à une contemplation oisive le matin, ce n’est pas mal, mais nous ne pouvons pas en faire toute une vie. Et pourtant, la Bible nous encourage à tourner nos regards vers le spectacle de Dieu continuellement par la prière. Comment cela est-il possible ?

Dans cet article, je mets par écrit quelques réflexions qui me sont venues en lisant La Guerre des spectacles de Tony Reinke. Je souhaite décrire comment nous pouvons mener une vie active et contemplative, et comment nous pouvons accomplir nos responsabilités ordinaires tout en contemplant la gloire de Dieu.

Rappels sur la contemplation

L’homme a été créé pour Dieu, en vue de Dieu. Cela veut dire que, comme le dit le catéchisme de Westminster, « le but suprême de la vie [est de] connaître Dieu et [de] le glorifier pour toujours ». C’est lorsque nous connaissons Dieu, que nous tournons nos pensées vers lui et que notre cœur s’élève jusqu’à lui que nous avons la paix et le bonheur qui ne viennent pas d’ailleurs. Notez la centralité de la connaissance de Dieu dans l’obtention de ce bonheur. Le bonheur ne vient pas simplement de quelques pensées romantiques sur le « locataire du dessus ». Il vient d’une contemplation délibérée du Dieu qui s’est révélé en Jésus-Christ, sur des pensées claires et conscientes. Le bouddhisme peut produire un ersatz de bonheur, parce qu’il vise un décentrage de soi-même, qui est la première étape de la contemplation. Mais la méditation bouddhiste ne peut pas fournir le vrai bonheur, parce qu’elle refuse explicitement de fixer l’esprit sur un objet particulier, le seul objet qui fournit le bonheur de l’homme.

Ainsi donc, le bonheur vient de la contemplation du spectacle divin. Un spectacle est un objet destiné à attirer et retenir votre attention.

Comment pouvons-nous avoir notre attention attirée et retenue par Dieu alors que nous faisons face aux multiples responsabilités quotidiennes ? Comment pourrais-je contempler Dieu alors que je change la couche de mon enfant ? Que je dois discipliner mon fils ? Que je dois remplir un formulaire au travail ?

Les trois objets de contemplation

Lorsque je parle de contempler Dieu, et que cela est liée à notre connaissance de Dieu, cela s’applique à trois réalités possibles :

  • Qui est Dieu (son essence)
  • Ce que Dieu fait (ses œuvres)
  • Ce que Dieu veut (sa volonté)

L’objectif donc de vos études bibliques et des prédications bibliques est de vous donner des éléments sur les trois aspects, afin de pouvoir les inclure à votre vie spirituelle ensuite. Mais elles ne sont pas destinées à rester des pures théories. Chacune doit être expérimentée d’une façon différente.

Quand nous parlons de contemplation, nous pensons souvent à la contemplation de l’essence de Dieu (c’est en tout cas ce qu’en dit Thomas). Dieu étant un être spirituel, c’est par l’intellect que nous le contemplons, d’où l’aspect plus « cérébral » et désincarné que nous gardons de la contemplation. L’objet même de notre contemplation — un être spirituel et sans corps — fait que notre contemplation de l’essence de Dieu est spirituelle et relativement désincarnée.

Mais il n’y a pas que l’essence de Dieu, il y a aussi ses œuvres. Cette fois-ci, il s’agit de contempler Dieu par ce qu’il a fait. C’est le genre de contemplation que nous avons face à de majestueuses montagnes, ou bien face à un panorama océanique, ou bien face à un lever de soleil. Remarquez le genre de bonheur discret mais durable que vous ressentez face à cette magnifique beauté. C’est une béatitude qui vient de Dieu. Et pourtant, ce n’est pas l’essence de Dieu, mais son œuvre qui est l’objet de votre contemplation. En contemplant le spectacle de ses œuvres, vous avez la paix et le bonheur que donne Dieu.

Enfin, il y en a une qui est le centre de cet article : la contemplation de sa volonté. Contrairement à la contemplation de l’essence, cette contemplation n’est pas intellectuelle, mais pratique. Contrairement à la contemplation des œuvres de Dieu, ce n’est pas un objet extérieur, mais vos propres actes que vous contemplez.

Le principe de la contemplation de la volonté de Dieu est que vous pratiquiez la volonté de Dieu en identifiant clairement la volonté de Dieu présente dans vos actes.

  • Vous changez la couche de votre enfant ? Considérez que vous êtes pour lui comme Dieu est pour ses enfants, et que toutes les fois où vous êtes affectueux avec lui, vous reflétez l’affection de Dieu pour vous-même.
  • Vous disciplinez votre fils ? Considérez que vous êtes semblable au Père qui a tant à cœur le sain développement de ses enfants qu’il permet une détresse temporaire pour un bonheur final plus durable.
  • Vous remplissez un formulaire au travail ? Considérez que vous êtes semblable au Fils Serviteur, qui en toute humilité a accompli sa mission pour qu’une œuvre plus grande encore se réalise. Considérez aussi la mise en ordre de la création — semblable à la Création initiale de Dieu — que vous réalisez. Considérez à quel point votre vocation plaît à Dieu, et combien elle est à son image.

C’est par la pratique même que vous verrez Dieu, par votre acte même. Alors la paix viendra non parce que vous êtes « zen », mais parce que vous verrez votre Père dans votre propre action. Ainsi nous pourrons contempler Dieu, même dans les phases les plus actives, même dans ce qui est le plus ennuyeux. Car bien souvent, c’est dans les tâches humbles que se situe réellement la volonté de Dieu.

Heureuses les mères de famille, car elles sont à l’image de la providence divine, souvent ignorée, mais si indispensables. Malheur aux orateurs pleins de fausses gloires, car leurs œuvres sont vides et sans trace de Dieu, et qu’elles ne pèsent rien.

Les obstacles

Le premier obstacle de ce genre de contemplation, c’est que notre conduite est pécheresse. Elle n’est jamais pure et parfaite, et l’image de Dieu qu’elle contient est forcément détruite ou mutilée. Cependant, par l’œuvre régénératrice du Saint Esprit, il est possible de recouvrir une partie de la beauté originelle de nos propres œuvres. C’est pourquoi il est vital que nous grandissions en sainteté pour mieux voir la gloire de Dieu.

Le deuxième obstacle est que les actes contraires à la volonté de Dieu, ou bien les futilités sont beaucoup plus attirantes et plaisantes que les œuvres difficiles du christianisme. Il est plus agréable de jouer sur notre téléphone que de passer du temps avec nos enfants. Nous sommes encouragés à désirer d’autres femmes, plutôt qu’à supporter la mauvaise humeur de la nôtre. Sur ce point, nous devons nous instaurer une discipline sévère.

Le troisième obstacle est que les responsabilités ordinaires qui forment le cœur de la volonté de Dieu sont sans valeurs à nos yeux. Tony Reinke développe une interprétation de la lettre aux Colossiens qui est la suivante :

  1. Colossiens 1:15-2:15 : Paul nous décrit le plus grand spectacle de l’univers, selon le modèle du triomphe romain. Il nous appelle à le concrétiser dans notre vie.
  2. Colossiens 2:16-23 : Paul rejette l’ascèse qui consiste à supprimer tout spectacle de notre vie : en agissant ainsi, on se prive aussi du spectacle de l’évangile.
  3. Colossiens 3:1-4 : Au contraire, il veut que l’on recentre notre attention. Il distingue le théâtre terrestre qui a pour objet ce qui est mortel (destiné à mourir) et le théâtre céleste qui a pour objet ce qui est éternel.
  4. Colossiens 3:5-11 : Paul nous dit ensuite de tuer ce qui est terrestre en nous. “Je protège donc mon attention, non pas avec ascétisme, mais avec conscience, prudence, le jeûne et le retrait sélectif basé sur mon propre appétit et mes propres faiblesses. “
  5. Colossiens 3:12-4:6 : Et en conséquence, d’accepter et de nous engager dans nos responsabilités quotidiennes. Le théâtre céleste, c’est notre vie quotidienne sous la conduite du Saint Esprit.

C’est dans l’accomplissement de nos responsabilités les plus insignifiantes et humbles que se situe la volonté de Dieu pour nous, c’est là que se situe la clé de notre bonheur. C’est pourquoi l’apôtre Paul a dit : « Laissez vous attirer par ce qui est humble » ou bien qu’il est écrit à plusieurs reprises « l’humilité précède la gloire ».

Par ailleurs prenons garde à ne pas mésinterpréter « précède la gloire » : certes la Bible montre plusieurs fois l’exemple de gens humbles que Dieu élève à une gloire personnelle (Joseph, David, Moïse, Salomon, Néhémie, Jésus). Mais il n’en est pas toujours ainsi. Ce qui en revanche arrive toujours, ce sont les béatitudes : « Heureux les simples en esprit car le Royaume des Cieux leur appartient » ; « Heureux ceux qui sont humbles de cœur car ils verront Dieu ». La gloire, dans « l’humilité précède la gloire », est la gloire de Dieu.

En conséquence, nous devons développer les qualités suivantes, pour pouvoir goûter au bonheur de Dieu au sein même des exigences de nos vies :

  1. Avoir une conduite sans reproche, pour que nos actes soient bien à l’image de Dieu.
  2. Savoir mettre un frein à sa distraction, pour que nous ayons l’espace mental de contempler nos propres actes, et ce que Dieu fait à travers nous.
  3. Nous laisser attirer par ce qui est humble et savoir nous émerveiller des choses simples.

Alors nous remarquerons que les béatitudes ne sont pas pour les moines hors du temps, mais pour les humbles travailleurs et les mères fatiguées. Heureux seront-ils, car ils verront le spectacle de Dieu dans leurs propres œuvres.


Illustration : George Hendrik Breitner, Déjeuner sur le chantier de construction de Van Diemenstraat à Amsterdam, huile sur toile, 1897.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *