Nous aimons mettre en lumière les trésors de l’histoire de l’Église. Quoi de plus lumineux que la période des fêtes pour vous faire découvrir le Festival des Neuf Leçons et Chants de Noël ? Cette célébration anglicane, conçue et organisée pour la première fois par Edward White Benson en 1880 réunit neuf leçons et chants de Noël qui retracent l’histoire du salut, de la chute de l’homme au mystère de l’Incarnation. Inauguré à la cathédrale de Truro en Angleterre, l’événement est reconduit tous les ans depuis lors.
L’histoire ne s’arrête pourtant pas là. À son retour de la grande guerre, l’aumônier du King’s College de Cambridge souhaita réchauffer les cœurs en calquant le culte de Noël traditionnel de l’école sur celui des fameuses leçons et chants de Benson. Dès la première année son succès fut immense, dix ans plus tard, il devenait un événement mondial lorsque la BBC commença à le diffuser sur ses programmes étrangers. Ce sont désormais des millions d’auditeurs qui écoutent ces leçons, composées de neuf lectures de la Bible entrecoupées de chants de Noël.
À travers une collaboration mêlant méditations des contributeurs et illustrations de Pauline Bargy, nous vous proposons de les découvrir, afin de méditer avec plus d’attention encore sur la naissance de notre sauveur, que ce soit pour votre édification personnelle (les raisons et les implications de la naissance du Messie font partie des sujets de méditation les plus glorieux pour le chrétien !), ou pour témoigner autour de vous de ce que nous devrions réellement célébrer à l’occasion de cette fête. Méditez, contemplez et surtout découvrez le vrai sens de Noël!
Voici de quelle manière arriva la naissance de Jésus-Christ. Marie, sa mère, ayant été fiancée à Joseph, se trouva enceinte, par la vertu du Saint-Esprit, avant qu’ils aient habité ensemble. Joseph, son époux, qui était un homme de bien et qui ne voulait pas la diffamer, se proposa de rompre secrètement avec elle. Comme il y pensait, voici, un ange du Seigneur lui apparut en songe, et dit : Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre avec toi Marie, ta femme, car l’enfant qu’elle a conçu vient du Saint-Esprit ; elle enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jésus ; c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. Tout cela arriva afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait annoncé par le prophète : Voici, la vierge sera enceinte, elle enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie Dieu avec nous.
Matthieu 1:18-23
Les deux Évangiles qui nous parlent des circonstances de la conception et de la naissance de notre Seigneur le font dans une perspective différente : alors que la présentation lucanienne témoigne d’une joie exubérante et contagieuse1, qui culmine dans les trois cantiques de Marie, de Zacharie et de Syméon, celle de Matthieu commence plus humblement et, osons le dire, plus sombrement. Le point de vue adopté par le narrateur est en effet celui de Joseph. Il est question d’un scandale qui couve, d’une rupture (à ce stade des noces, il s’agit presque d’un divorce), de desseins cachés, d’un déshonneur qu’on devine pour la fiancée infidèle.
Ce soir, beaucoup de nos frères et sœurs, dans l’Église et en-dehors, sont dans le deuil, la maladie, la solitude, la précarité ou l’ennui. Pour beaucoup, ces circonstances sont d’autant plus dures qu’elles sont nouvelles, qu’elles étaient encore difficiles à imaginer il y a quelques mois. Ils partagent certainement la tristesse, le désarroi et le sentiment d’abandon de Joseph.
Joseph était un homme de bien, un homme juste (δίκαιος), nous dit l’Évangéliste. La crainte qu’il a pu éprouver face à l’ange du Seigneur n’était sans doute pas toute pure ; on peut penser qu’elle était mêlée d’une légitime colère. La loi de Dieu semblait avoir été enfreinte, et son propre honneur d’homme compromis. Si l’occupation romaine ne permettait pas de punir le crime selon l’usage des Juifs, à tout le moins, sa relation n’était plus possible. Il n’était pas envisageable que Joseph, au nom d’un pardon à bon marché, laissât cet affront sans conséquence, comme le rappelle Calvin dans son commentaire :
Certains exégètes comprennent que Joseph, parce qu’il était juste, a voulu couvrir sa femme. Ils appellent justice une humanité ou modération de l’âme, encline à la clémence. Mais ce sont ceux qui lisent cette phrase de manière contrastive qui ont raison : à savoir que Joseph était juste, mais qu’il craignait de couvrir d’opprobre sa femme. La justice dont il est ici fait l’éloge consistait à haïr et détester le mal. Parce que sa femme était suspectée d’adultère, et qu’il tenait même son adultère pour certain, il ne voulait point nourrir le mal par son indulgence. Et de fait, celui qui dissimule l’impudicité de sa femme s’en fait le souteneur2; non seulement tous les esprits vertueux et honnêtes ont cela en horreur, mais les lois frappent aussi d’infamie une telle bêtise des maris. Joseph donc, dans son zèle pour la justice et son amour de la vertu, a maudit le mal qu’il croyait imputable à sa femme, mais, animé de tendresse (humanitas), il s’empêchait d’agir avec toute la rigueur du droit […]. Joseph n’a pas eu un cœur si lâche et efféminé que, sous couleur de douceur et de miséricorde, il ait voulu alimenter le crime en le couvrant ; pour autant, il a eu égard de ne pas le poursuivre avec toute la rigueur, de peur d’exposer sa femme à un jugement sordide.
Jean Calvin, In Harmoniam evangelistarum, III.15, trad. personnelle.
Ce soir, beaucoup de nos frères et sœurs ont aussi soif de justice. Les accusations, les plaintes se multiplient, certaines visiblement fondées, d’autres non. Des hommes politiques, des médecins, d’autres encore en sont les cibles. Dieu et son Église en sont aussi l’objet : où sont-ils ? Que font-ils ? Plus largement, c’est la suspicion et la défiance qui règnent, parfois jusqu’au sein d’une famille. Et les exigences sanitaires du moment semblent plutôt encourager de tels sentiments.
À ce Joseph, il est dit pourtant de ne pas craindre. Cet enfant — et cette situation sociale compliquée, qui allait accompagner longtemps, à mots à peine couverts, le « fils de Marie » — en gestation, loin d’être une malédiction, fut en réalité une bénédiction. Ce n’était pas le péché, mais la Providence qui était à l’œuvre. En d’autres termes, l’apparence du mal peut cacher un plus grand bien ; c’est déjà ce qu’avait compris Joseph, premier du nom, en accueillant ses frères en Égypte (Gn 50:20). Dans ce Noël à la sobriété inédite, puissent nos frères et sœurs discerner également l’action de la Providence divine.
Aujourd’hui comme au temps de Joseph, la Providence nous montre le Christ. À l’heure de beaucoup de renoncements et de déceptions, il est la seule espérance qui puisse réellement demeurer à toujours. Le double nom qui fut révélé à Joseph, Jésus–Emmanuel, nous dit l’essentiel de lui. Emmanuel nous parle de sa personne : il est Dieu-avec-nous, pleinement Dieu et pleinement de notre nature, mystérieusement incarné dans le sein de Marie. Jésus nous parle de son œuvre : il est salut, il est pour nous, là où la loi était contre nous. Il est un salut qui vient, nous dit le texte : c’est lui qui sauvera (σώσει) son peuple de ses péchés. Le salut commence à Noël (et Syméon s’en fait le chantre : mes yeux ont vu ton salut, Lc 2:30), mais l’Incarnation n’en est pas le paroxysme : c’est la Croix. À la Croix, il n’y a plus de place pour la peur du scandale, pour une justice qui voudrait négocier ou fermer les yeux sur le péché. Là où Joseph avait daigné, par humanité, épargner à Marie l’opprobre, Dieu, au nom d’une justice plus haute encore, n’a pas voulu épargner son Fils, pour l’humanité.
Tandis que la personne de l’Emmanuel grandissait en Marie, l’œuvre de Jésus commençait par Joseph. La généalogie de Jésus qui ouvre l’Évangile de Matthieu est celle de Joseph. Joseph donne à Jésus son ascendance royale : il est le père adoptif de Jésus. Mais Joseph, époux de la mère de Dieu, est aussi le premier des adoptés. L’enfant qui va le justifier sanctifie aussi sa famille d’une manière toute spécifique ; Dieu se révèle et l’invite à une relation nouvelle, toute personnelle avec lui. Jésus appelle son père à devenir lui-même enfant de Dieu3. À Joseph qui est dans la crainte, l’ange du Seigneur donne donc un esprit d’adoption.
Ce soir, beaucoup de nos frères et sœurs ont besoin d’un tel esprit d’adoption. Face aux craintes de ce temps, puissions-nous être touchés par la naissance de cet enfant, nous laisser adopter et sauver à notre tour, par lui, avec lui et en lui.
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