Un détail souvent surprenant pour les protestants qui se penchent sur les écrits de saint Augustin est que ce Père de l’Église croyait et pratiquait la « prière pour les morts » ; c’est ce dont témoigne son traité De cura pro mortuis gerenda (Des devoirs à rendre aux morts). L’objet de ma recherche est de montrer de quelle manière Augustin croyait et pratiquait « la prière pour les défunts », non pour la justifier, mais pour l’expliquer et prendre de la distance sur les interprétations modernes qui peuvent être préjudiciables.
En étudiant Augustin et les Pères en général, nous devons nous renseigner sur leurs croyances, leur pourquoi et leur comment, en s’intéressant à leurs propres contextes et motivations. En effet, plusieurs commettent l’erreur de les lire avec beaucoup de présuppositions et d’a priori modernes, au lieu de vérifier de quelle manière l’évêque qui a officié à Hippone au Ve siècle croyait et pratiquait la prière pour les défunts.
Cet article a été publié par Romel Quintero, réformé colombien, étudiant en théologie, pour le site hispanophone Agustinismo protestante. Nous remercions Manuel Lara qui s’est aimablement proposé de le traduire pour Par la foi. C’est là une des diverses manières de nous soutenir.
La prière pour les défunts ?
Une chose que nous devons faire, c’est clarifier l’expression « prière pour les défunts ». Premièrement, il est important de souligner que cette expression se retrouve assez peu dans le Corpus Augustinianum. Cependant, nous devons admettre qu’Augustin utilisait le terme oratio « prière, oraison » en relation avec les défunts. Par exemple, il disait « On ne peut douter que nous les aidions (les morts) avec les prières de la sainte Église. » (sermon 172) Mais on peut encore relever qu’il disait « prions pour les morts »(Des devoirs à rendre aux morts, 16.20). Sur le fondement de ces passages, on peut clairement parler de prière pour les morts chez Augustin, mais je pense qu’il y a une expression plus large et plus inclusive pour comprendre sa croyance et sa pratique. Dans le Des devoirs à rendre aux morts, Augustin utilise le terme supplicatio (supplique) pour définir les prières pratiquées dans l’Église en faveur des défunts, parmi lesquelles se trouve la prière pour eux. Étant donné que « supplication » est le terme le plus couramment utilisé dans son œuvre, qui fut quasiment écrite à la fin de son ministère et de sa vie de théologien, c’est donc une clé pour comprendre sa pensée sur les morts ; sachant de plus que l’idée de « prière » est déjà contenue dans la supplication, il me paraît donc préférable et plus adéquat d’utiliser l’expression « supplique pour les défunts » pour définir la pratique générale et ordinaire dans la piété d’Augustin envers les défunts.
La nature de la supplication pour les défunts
Comme il a été dit dans le paragraphe précédent, la « supplication pour les morts » chez Augustin contenait bien une prière pour les défunts ; Toutefois, cette supplication impliquait bien plus que des prières. Augustin disait que cette supplication solennelle incluait trois éléments: le sacrifice de l’autel (l’eucharistie), la prière et l’aumône (l’offrande) pour les défunts (Des devoirs…, 18.22). Ces éléments sont des supplications qui bénéficient aux défunts pour lesquels ils sont offerts :
On ne peut douter qu’on les aide [ales défunts] par les prières de la sainte Église, par le sacrifice sauveur et par les aumônes qui sont accordées en faveur de leurs âmes, afin que le Seigneur les traite avec plus de miséricorde que celle méritée pour leurs péchés.
Sermon 172.2
Mais ces supplications ne bénéficient pas à tous les défunts, mais uniquement aux défunts croyants1:
Il ne doit y avoir aucun doute que toutes ces choses profitent aux défunts, mais seulement à ceux qui ont vécu avant leur mort d’une manière qui puisse leur être utile après leur mort. Car ceux qui ont émigré de leurs corps sans la foi qui agit par la charité et sans les sacrements de cette foi, accomplissent en vain les leurs avec les devoirs de la piété dont ils ont manqué pendant qu’ils vivaient ici, ou parce qu’ils n’ont pas reçu ou reçu en vain la grâce de Dieu et qu’ils ont amassé pour eux sa colère et non sa miséricorde.
Ibid.
Par ailleurs, il répète que les supplications pour les fidèles défunts se font par l’intermédiaire de l’eucharistie, la prière et l’aumône, et qu’elles bénéficient seulement aux défunts chrétiens qui vivaient correctement, même si elles sont offertes à tous les fidèles baptisés, bien qu’il ne sache pas avec certitude lesquels furent de vrais ou de faux chrétiens :
Soyons bien convaincus qu’arrivent aux défunts par qui nous exerçons la piété les supplications solennelles faites par eux dans les sacrifices offerts à l’autel, les prières et les aumônes, même si elles ne profitent pas à tous par qui elles sont faites, mais seulement ceux qui, de leur vivant, ont eu le mérite de les exploiter. Mais, parce que nous ne pouvons pas discerner qui ils sont, il convient de les faire pour tous les baptisés, afin qu’aucun de ceux à qui ils peuvent et doivent parvenir ne soit oublié.
Des devoirs…, 18.22
Les bénéfices de cette supplication pour les chrétiens défunts ne sont pas tout à fait clairs, mais le même Augustin disait que les supplications « ont comme objectif d’apaiser la justice divine » (Enchiridion à Laurentius, 110), ou en d’autres mots : « elles incitent Dieu à traiter avec la meilleure miséricorde aux personnes mortes en son amitié2». Elles sont particulièrement bénéfiques aux chrétiens décédés « pas très impies ». Cela sont les chrétiens « égénérés en Christ, dont la vie, durant la période corporelle, n’a pas été si désordonnée qu’ils soient considérés comme indignes d’une telle miséricorde, ni qu’ils n’aient pas besoin d’une telle miséricorde » (La Cité de Dieu, 21.24-2). Cela se rapporte à un chrétien qui, bien que n’étant pas totalement très bon lors de sa vie terrestre, a cependant gagné le droit « à ce qu’il puisse profiter de ces choses » après la mort (Enchiridion…, 110). Bien entendu, comme il est impossible de savoir avec certitude quel chrétien a besoin de ces bénéfices, les supplications sont destinées à tous. On ne risque jamais d’y perdre quoi que ce soit : au cas où la supplication est faite pour un « très bon » chrétien qui n’a donc pas besoin de ces bénéfices, la supplication fait office d’action de grâce. Et au cas où l’objet des supplications est un chrétien « très mauvais », la supplication ne leur sert de rien, mais elle sert de réconfort pour les vivants affligés qui prient pour eux (ibid.).
La prière pour les défunts dans la liturgie
Maintenant que nous avons une idée claire de ce qu’est la supplication pour les morts, nous pouvons traiter de celle qui s’exprime spécifiquement dans la prière pour eux. La prière pour les chrétiens décédés dans la liturgie augustinienne n’était qu’une des diverses parties de la prière eucharistique, qui ressemblait à ceci :
Les paroles de consécration suivent une forme figée qui inclut les paroles d’institution dans le Nouveau Testament, l’acte de tracer le signe de la croix sur les espèces et sur les offrandes du pain et du vin à Dieu. Au sein de cette cérémonie, ils ajoutent la commémoration des martyrs, la prière pour les fidèles qui sont maintenant décédés, pour le clergé de l’Église locale et pour les évêques qui sont en communion. Le peuple répondait par « Amen ! »
Allan Fitzgerald (éd.), Diccionario de San Agustín: San Agustin a través del tiempo, Monte Carmelo, 2006.
Cette prière pour les chrétiens décédés n’est pas une prière particulière et spéciale, mais fait partie d’une oraison générale pour les morts et pour le clergé local (vivant) et les autres évêques des autres Églises (vivants). C’était une oraison large avec une dimension locale, universelle et cosmique. C’était une oraison pour tout le corps du Christ, tant dans sa dimension terrestre, que dans sa dimension céleste. L’inclusion des chrétiens décédés vient de la croyance qu’ils font partie de l’Église.
Car les âmes des justes défunts ne sont pas séparées de l’Église qui est, déjà maintenant, le Royaume du Christ. Autrement, ils ne seraient pas rappelés devant l’autel du Seigneur au moment de communier le corps du Christ […]. Quelle raison d’être ont toutes ces choses si les fidèles, même les défunts, ne sont pas membres de l’Église ?
La Cité de Dieu 20.9
Pour Augustin, cette prière pour les morts s’appelle « la commémoration des défunts » (Des devoirs…, 1.3) ; pour qu’elle soit réellement une prière commémorative, il faut qu’elle soit générale, c’est-à-dire sans mentionner leurs noms (Des devoirs…, 4.6) ; il en fait mention dans des cas particuliers (sermon 172.2). Le réformateur Jean Calvin précise que les Pères comme Augustin « font mémoire des défunts pour ne pas les oublier » mais aussi « sobrement, et seulement pour les mentionner lors de la célébration de la Cène du Seigneur3».
Pourquoi Augustin croyait en la supplication pour les défunts ?
Cela peut surprendre beaucoup d’entre nous qu’un théologien comme Augustin crût et pratiquât quelque chose qui est pour nous protestants assez éloigné et étranger à nos pratiques. Mais si nous voulons comprendre ce théologien, nous devons laisser de côté nos impressions et nos sensibilités personnelles et considérer avec sérieux, honnêteté et charité les raisons qu’il avait. Je vais résumer ses raisons en quatre points : l’autorité des Écritures, l’autorité de l’Église, sa piété et ses raisons personnelles. Ces raisons, je les partage pour examiner les motivations propres d’Augustin, non pour le justifier (mais peut-être pour l’excuser). Et j’ajouterai également mes commentaires et mon évaluation critique point par point.
1. L’autorité des Écritures : comme preuve scripturaire, Augustin faisait valoir un témoignage des Maccabées « Nous lisons que dans les livres des Maccabées il fut offert un sacrifice pour les défunts » (Des devoirs…, 1.3). Augustin a en tête 2 Maccabées 12,43-45, où il est dit que Judas avait prié et donné une aumône en sacrifice à la faveur des morts. Bien entendu, cette preuve « scripturaire » est pour la majorité des protestants nulle, car ce livre n’est pas considéré comme inspiré par la tradition protestante. Cependant, Augustin le considère comme faisant partie des livres canoniques (De la doctrine chrétienne, 2.8.13), ce qui montre au moins son intention constante de prouver autant que possible ses thèses au moyen des Écritures. Mais il reconnaissait que « dans aucun autre endroit dans l’Ancien testament, il ne se lit ceci » , et il n’ignorait pas l’opinion concurrente selon laquelle ce livre, comme les autres qui ne faisaient pas partie du canon hébreu, n’était pas canonique mais plutôt apocryphe (Des devoirs…, 15.18)…
2. L’autorité de l’Église : en l’absence de preuves scripturaires, Augustin faisait appel à l’autorité universelle de l’Église pour prouver l’apostolicité de cette pratique : « l’autorité de l’Église qui se reflète dans cette pratique n’est pas négligeable, lors des prières faites par le prêtre et offertes au Seigneur notre Dieu sur l’autel, la commémoration des défunts occupe un moment distinct. » (Des devoirs, 1.3) Et Augustin de préciser que « cette coutume, transmise par les Pères, est observée par l’Église toute entière » (sermon 172.2). C’est une règle pour Augustin que « tout ce que nous observons par tradition, même non écrite, tout ce que l’Église respecte dans le monde entier est implicitement regardé comme recommandation ou commandement des apôtres ou des conciles pléniers, dont l’autorité dans l’Église est indiscutable » (lettre 54,1). Cet argument d’autorité est celui qui a le plus de poids pour Augustin, et pour être honnête, c’est la raison la plus difficile à réfuter, car il faudrait prouver que cette coutume a surgi après la mort des apôtres. Je dirai que le silence du récit du Martyre de Polycarpe (un document assez proche du temps des apôtres) sur cette pratique est une preuve que cette coutume n’existait pas, ou du moins qu’elle ne s’est pas popularisée avant la fin du IIe siècle ou le début du IIIe siècle. Mais cette pratique se serait diffusée si rapidement qu’à l’époque d’Augustin (IVe et Ve siècles) elle était pratiquement universelle. Si nous y additionnons le silence des Écritures qu’Augustin reconnaît, sa non-apostolicité devient plus évidente.
3. La piété : Augustin considère que l’attention portée envers les morts est une chose pieuse et chrétienne. Et son traité Des devoirs à rendre aux morts traite de manière approfondie ce sujet. Il soutient que la meilleure attention que nous puissons avoir envers eux est une attention spirituelle, en présentant des supplications à Dieu pour eux : « En effet, si nous ne nous soucions pas des morts, nous n’implorerons certainement pas Dieu pour eux » (Des devoirs… 14,17). Bien que cette raison de piété soit solide et qu’elle puisse être vraie (c’est-à-dire, que nous devions porter une attention envers les morts), il n’est pas certain que le mode d’attention portée envers eux doive être spirituel, surtout si nous n’avons pas reçu de commandement de Dieu à ce sujet4. En revanche, nous devons porter une attention humaine envers eux en leur donnant une sépulture honorable, ce que les chrétiens ont fait depuis le commencement, en honorant et défendant leur mémoire, leur héritage et leur témoignage.
4. Les raisons personnelles : Avec tous ceux que nous venons de mentionner, Augustin suivait cette coutume en raison de l’expérience personnelle qu’il a eue avec sa mère. Avant de mourir, sa mère Monique demanda à son Augustin et à son frère qu’ils fissent des supplications en pour elle dans la prière eucharistique : « Enterrez ce corps n’importe où et ne vous préoccupez plus de lui ; souvenez-vous seulement de moi devant l’autel du Seigneur, où que vous soyez. » (Confessions, 9.11.27). Par ailleurs, à la fin du livre IX de ses Confessions, Augustin fait une prière au Seigneur pour sa mère. Et termine en demandant aux lecteurs qu’ils prient pour son père Patricius et sa mère Monique comme elle lui a demandé de le faire avant de mourir : Souvenez-vous avec une pieuse affection de ceux qui furent mes pères dans cette lumière transitoire ; mes frères au-dessus de vous, ô Père ! Au sein de la Mère catholique, et de mes citoyens dans la Jérusalem céleste […], afin que ce qu’elle m’a demandé au dernier moment lui soit plus largement accordé par les prières de beaucoup avec ces Confessions, et non par mes seules prières. La piété de sa mère et l’amour qu’elle lui portait influencèrent beaucoup la piété d’Augustin envers les défunts. Par exemple, en réfléchissant pour savoir si les morts s’intéressent aux vivants et apparaissent en songe, il fait valoir que sa mère ne lui est pas apparue, comme une indication que cela ne se produit pas (du moins pas naturellement et ordinairement)5. Une lecture des Confessions nous montre que l’expérience de la mort de Monique et la demande qu’elle a faite ont marqué la vie d’Augustin, et que cela l’a personnellement poussé à croire et à pratiquer la prière pour les défunts.
Bien entendu, l’expérience personnelle n’est pas une règle de foi et de piété ; comme l’observe Jean Calvin, on peut voir ici qu’Augustin « mû par l’affection naturelle, il n’a pas conformément à la règle de l’Écriture3».
Conclusion
Comme un catholique de son époque, Augustin suivait les coutumes qui étaient alors partout pratiquées par les chrétiens. Si bien que la pratique augustinienne de la supplication pour les morts n’avait fondamentalement rien de nouveau pour un chrétien de l’époque. Quoique cette croyance et cette pratique fussent erronées, il en usait avec prudence et parcimonie ; la supplication avait lieu principalement lors de la prière eucharistique de l’Église, dans le culte public. En considérant ceci, il est compréhensible que, pour Augustin, cela ne fût pas un problème. Et il ne faudrait pas l’associer avec la pratique postérieure de la prière pour les morts pendant le Moyen Âge, où elle était teintée de superstition et d’idolâtrie. Si Augustin avait connu et expérimenté ces dites pratiques, il est raisonnable de penser qu’il se serait opposé à ces abus, car lui-même s’était opposé aux pratiques païennes qui s’étaient mêlées à la vénération des martyrs, et il a obtenu leur abolition dans la ville d’Hippone et la province romaine de l’Afrique.
En tant que protestants, nous pouvons évidemment suivre la foi et la piété augustinienne tout en suivant la sagesse des réformateurs et en nous distançant de cette coutume, qui n’a pris son essor qu’à une époque pas si éloignée d’Augustin.
Illustration : Le Tintoret, Le Paradis (détail), huile sur toile, 1588-1592 (Venise, palais des doges).
- Tout chrétien est un « fidèle », qu’il ait professé sa foi à l’âge adulte ou qu’il ait été baptisé enfant.[↩]
- Oroz Galindo (éd.), El pensamiento de San Agustín para el hombre de hoy, EDICEP, 1998, vol. 1, p. 997.[↩]
- Institution de la religion chrétienne, 3.5.10.[↩][↩]
- Voici ce que Calvin affirme énergiquement à ce propos : « Même si je reconnais que les docteurs anciens ont jugé qu’il ne fallait pas rejeter les prières pour les morts, nous n’en devons pas moins nous en tenir à la règle infaillible suivante : il n’est pas permis de mettre en avant, dans nos prières, le fruit de nos imaginations. Nous devons plutôt soumettre nos désirs et nos requêtes à Dieu, parce qu’il a l’autorité de nous dire ce que nous devons lui demander. Puisqu’il n’y a pas, dans toute la Loi et l’Évangile, une syllabe qui nous permette de prier pour les morts, j’affirme qu’aller au-delà de ce que Dieu a permis, c’est profaner son nom. » (IRC, 3.5.10)[↩]
- « Si les âmes des défunts s’intéressaient aux affaires des vivants et si elles nous parlaient quand nous les voyons en songe, ma pieuse mère, pour ne pas parler des autres, ne m’abandonnerait pas une seule nuit, elle qui m’a suivi par monts et par vaux pour vivre avec moi. Loin de moi en effet l’idée que la vie bienheureuse l’ait rendue cruelle à tel point qu’elle ne souhaite plus consoler son fils attristé par quelque sujet d’angoisse, elle qui l’aimait d’un amour sans pareil, et qu’elle n’aurait jamais voulu voir affligé ! » (Des devoirs…, 13.16)[↩]
Merci pour la traduction, c’est très intéressant.
« Cela peut surprendre beaucoup d’entre nous qu’un théologien comme Augustin crût et pratiquât quelque chose qui est pour nous protestants assez éloigné et étranger à nos pratiques. » ? Cela ne surprendra que ceux qui naïvement imaginent que l’Eglise des premiers siècles aurait eu une foi « protestante », foi qui aurait dévié au cours du Moyen-Âge.
Il s’agit plutôt de dire que nous avons en tête une image de la prière aux morts qui est une répugnante superstition (donnant aux saints des capacités divines notamment) et que les théologiens sont généralement attentifs à éviter la superstition. D’où cette étude sur ce que peut signifier cette pratique pour Augustin.
Si Augustin trouvait utile et approprié de prier pour les morts c’est qu’il devait croire à l’existence après la mort d’un processus de purification nécessaire pour la plupart des chrétiens. En fait-il mention dans ses écrits?
Il est justement assez discret sur cette question. De mémoire il en touche un mot dans son Enchiridion (ou Traité de la foi, de l’espérance et de la charité). Il croyait probablement à une forme de purgatoire, sans tout le développement autour des mérites qui s’y ajouta au cours de la deuxième partie du Moyen-Âge.
Je viens de retrouver l’extrait en question, Augustin en parle comme quelque chose d’incertain :
« Y a-t-il dans l’autre monde une épreuve analogue ? Il n’y aurait là rien d’extraordinaire, et on peut se poser cette question. Par une loi plus ou moins mystérieuse, il peut y avoir des fidèles qui se purifient, dans les flammes, de leur attachement excessif aux choses d’ici-bas, et qui se sauvent en endurant un supplice dont la longueur est en rapport avec l’intensité de leurs désirs mondains mais il ne saurait être ici question de ceux « à qui le royaume du ciel est fermé », à moins qu’ils n’aient obtenu par une juste pénitence le pardon de leurs crimes. Par ce mot de juste pénitence, je veux surtout dire qu’ils ne doivent pas être pauvres d’aumônes : l’Ecriture, en effet, attribue.àl’aumône une vertu si puissante que le Seigneur prédit qu’il mettra les hommes à sa droite ou à sa gauche, au dernier jour, selon qu’ils auront été féconds ou stériles en charités ; car il doit dire aux uns : « Venez, bénis de mon Père, a possédez le royaume qui vous a été préparé »; et aux autres : « Allez au feu éternel ». » (*Enchiridion*, LXIX.)
De même, dans *La Cité de Dieu* (XXI, XXVI, 4), au sujet de « sauvé à travers du feu », il dit : « Les afflictions, comme un feu, brûleront ses délices et ses amours, qui ne sont pas criminelles, à cause du mariage. Ce feu figure donc les veuvages, les pertes d’enfants, et toutes les autres calamités qui emportent ou traversent les plaisirs terrestres. Ainsi cet édifice fera tort à celui qui l’aura construit, parce qu’il n’aura pas ce qu’il a édifié, et qu’il sera affligé de la perte des choses dont la jouissance le charmait. » et il interpète alors ce feu principalement comme étant les afflictions des croyants. Mais il introduit comme probable alors le purgatoire et non comme certain : « Maintenant si l’on dit que dans l’intervalle de temps qui se passera entre la mort de chacun et ce jour qui sera, après la résurrection des corps, le dernier jour de rémunération et de damnation, si l’on dit que les âmes seront exposées à l’ardeur d’un feu que ne sentiront point ceux « qui n’auront pas eu dans cette vie des moeurs et des affections charnelles, de telle sorte qu’ils n’aient point bâti un édifice de bois, de foin et de paille que le feu puisse consumer » ; mais que sentiront ceux qui auront bâti un semblable édifice, c’est-à-dire qui auront commis des péchés véniels, et qui devront pour cela être soumis à un supplice transitoire, je ne m’y oppose point, car cela peut être vrai. »
Par ailleurs, dans ses *Traités sur Jean* (XLIX, 10), il affirme que les chrétiens reçoivent le repos dès leur mort : « Toutes les âmes ont donc, et je saisis cette occasion de l’enseigner à votre charité, toutes les âmes ont donc, lorsqu’elles sortent de ce monde, des demeures différentes. Les bonnes sont reçues dans la joie, les méchantes dans les tourments. Mais quand la résurrection sera faite, la joie des bons sera plus grande, et plus graves aussi seront les tourments des méchants, parce qu’ils seront torturés avec leur corps. Les saints patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les martyrs, les bons fidèles ont tous été reçus dans le séjour de la paix, mais tous ne recevront qu’à la fin des temps ce que Dieu a promis. Car il a promis la résurrection même de la chair, la destruction de la mort, le partage de la vie éternelle avec les anges. C’est là ce que tous recevront également, car pour le repos qui est accordé immédiatement après la mort, chacun, s’il en est digne, le reçoit aussitôt qu’il est mort. Les patriarches l’ont reçu les premiers; voyez depuis quand ils reposent. Après eux l’ont reçu les Prophètes, plus récemment les Apôtres, beaucoup plus tard encore les saints martyrs; et chaque jour les bons et les fidèles le reçoivent. Et ainsi les uns y sont déjà depuis longtemps ;d’autres, depuis moins de temps; d’autres, depuis quelques années seulement; d’autres n’y sont pas encore. Mais quand ils s’éveilleront de ce sommeil, tous ensemble recevront ce qui a été promis. »