Le concile fantôme : ces médiévaux contre le culte des icônes
7 octobre 2024

Il est courant d’entendre de la part des catholiques romains et des orthodoxes que le concile de Nicée II (787), à ne pas confondre avec le premier concile de Nicée, était un concile œcuménique qui a tranché la question du culte aux images. Rappelons rapidement que dans l’antiquité chrétienne, les premiers Pères de l’Église s’opposaient aux images. Certains, comme Lactance ou Tertullien allaient jusqu’à s’opposer à tout usage des images. D’autres, comme le Synode d’Elvire (36e canon) ou Épiphane à s’opposer à leur présence dans les églises. D’autres encore, comme Grégoire le Grand, évêque de Rome, à permettre leur présence dans un but didactique mais à en interdire tout hommage ou vénération particulière. Quasiment tous ces textes ont été publié sur notre site précédemment. Augustin décrit comme un sacrilège le fait de représenter le Père et en particulier de placer un tel « simulacre » dans un temple chrétien, c’est-à-dire une église1.

Le deuxième concile de Nicée, quant à lui, ne défend ni la position iconoclaste (qui n’admet pas les images, soit pas du tout, soit pas dans les églises) ni la position aniconique (qui les admet pour un but didactique) mais la position iconodule : nous pouvons et nous devons rendre un culte de vénération aux images, pour obtenir le salut. Le concile déclare aussi anathèmes, c’est-à-dire maudits, ceux qui ne pratiquent pas un tel culte. Le concile prétend par ailleurs que cette tradition remonte aux apôtres, sur la base d’un texte que l’on sait aujourd’hui dater du IIIe siècle et ne pas avoir les apôtres pour auteurs. Notons toutefois que le concile autorise les icônes mais n’avait pas en tête les statues. Jusqu’à ce jour, faire une statue n’est toujours pas une pratique des Églises orthodoxes d’Orient, qui n’admettent que les icônes planes.

Ce qui est moins connu, c’est que le concile d’Hiéra, au même siècle (754), qui réunissait un nombre plus grand d’évêques dans la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople, en présence de l’empereur Constantin V, avait conclu quant à lui que les images n’étaient pas permise dans l’Église chrétienne et s’appuie sur les décisions antérieures des Pères à ce sujet. Plusieurs illustres rois de France aussi furent iconoclastes. Mais voilà, on nous présente aujourd’hui ce concile de Nicée II comme étant le septième concile œcuménique ayant tranché le débat.

Ayant ces choses en tête, et alors que je lisais les canons du concile de Florence (1438-1445) pour préparer un article sur l’Immaculée Conception, j’y découvre un texte dans lequel l’évêque de Rome écrit aux orientaux un résumé de la foi des Églises latines et une formulation m’interpelle, relativement aux conciles œcuméniques. En poursuivant les recherches, j’ai découvert que bien des sources médiévales latines mentionnaient uniquement six et non pas sept conciles œcuméniques. Ainsi, l’historien Willam Patrick Palmer relève-t-il :

Venons-en maintenant à l’Occident. Il est certain que (à l’exception du siège romain qui l’a toujours soutenu et approuvé) les églises d’Occident ont généralement condamné et rejeté le synode de Nicée II comme illégitime… Mais ce qui est encore plus remarquable, c’est que les pontifes romains eux-mêmes, bien qu’ils aient toujours accueilli et défendu vigoureusement le synode de Nice, ne l’ont pas inclus pendant longtemps dans le nombre des synodes œcuméniques. En 859, le pape Nicolas Ier, dans sa réponse à une lettre d’Ado, évêque de Vienne, demandant le pallium, n’exige son assentiment qu’à six conciles généraux – en omettant celui de Nicée iI : et, de peur que l’on ne prétende que cela résulte simplement du fait que ce pape tolérait l’erreur des Francs qui avaient rejeté ce concile, en 863 ou 866, il tint un synode à Rome et, dans le décret contre Photius qui y fut pris à l’unanimité, six conciles généraux seulement sont à nouveau reconnus, à l’exclusion, comme auparavant, du synode de Nicée II. Dans ce cas, il ne peut y avoir aucune raison concevable pour une telle omission, si ce n’est que l’Église de Rome ne le comptait pas à cette époque parmi les synodes généraux. Même en 871, le pape Hadrien, dans une lettre à l’empereur Charles le Chauve, ne parle encore que de six conciles généraux, bien qu’avant cette date le huitième (comme l’ont appelé depuis les Romains) ait été approuvé et confirmé par ce pape. Cependant, l’Église de Rome a fini par considérer le synode de Nicée II comme le septième synode œcuménique, comme le montre l’excommunication de Cerularius par le cardinal Humbert, en l’an 1054. Les différentes chroniques de France et d’Allemagne du IXe siècle et des siècles suivants en parlent uniformément comme d’un « pseudo-synode ».

Les Annales Francorum, écrites en l’an 808, disent qu’au synode de Francfort, « le pseudo-synode des Grecs, qu’ils appelaient faussement le septième, et qu’ils avaient fait pour sanctionner l’adoration des images, a été rejeté par les évêques ». Il est également qualifié de « pseudo-synode », dans les Annales Francorum, jusqu’en 814, et dans la vie anonyme de Charlemagne écrite après 814. Il est également condamné dans les annales écrites après 819. Eginhard, dans ses Annales Francorum, écrites en 829, dit qu’à Francfort, « le synode qui avait été appelé par les Grecs non seulement le septième, mais universel, a été entièrement annulé par tous, comme n’ayant aucune force, afin qu’il ne soit ni tenu ni dit comme universel ». En 824, les évêques gallicans la condamnèrent à nouveau à Paris. Hincmar, archevêque de Reims, vers 870, parle du « pseudo-synode » de Nicée II comme entièrement détruit et annulé par un synode général en France. Ado, évêque de Vienne, mort en 875, parle dans sa chronique du « pseudo-synode » que les Grecs appellent le septième. Anastase, bibliothécaire de l’Église romaine, traduisit le synode de Nicée II en latin, lorsqu’il participa au « huitième synode général », en l’an 870. Dans sa préface, il fait remarquer que les Français n’approuvaient pas le culte des images. Les chroniques du monastère de S. Bertinus, écrites après 884, parlent du synode de Constantinople de 870, au cours duquel celui de Nicée II a été approuvé et le culte des images autorisé, comme « ordonnant des choses concernant l’adoration des images contraires aux définitions des docteurs orthodoxes », etc. Les Annales Francorum, écrites à l’abbaye de Fulda après l’an 900, parlent du synode de Nicée comme d’un « pseudo-synode des Grecs, faussement appelé le septième ».

William Patrick Palmer, A Treatise on the Church of Christ, page 190 et suivantes.

Plus loin, il décrit comment il a été subrepticement introduit par les clercs papaux dans les listes manuscrites des conciles officiels, aux XIe et XIIe siècles ; et après cette période (jusqu’au XVIe siècle), il est devenu un fait accompli que l’Église aurait eu 7 conciles œcuméniques.

Il est notable que les théologiens réformés ont historiquement rejeté l’enseignement de ce concile. Ainsi, Amandus Polanus, dans sa Syntagma, déclarait :

Le deuxième concile de Nicée n’a pas d’autorité, parce qu’il est à la fois un pseudo-concile et qu’il est erroné.

Amandus Polanus, Syntagma2.

On le voit, en déclarant Nicée II « pseudo-concile », ce théologien réformé ne décidait pas arbitrairement qu’un concile qui aurait été reconnu de tous temps ne comptait pas parce que son contenu ne lui plaisait pas. Il perpétuait une tradition latine ancienne qui avait vu dans ce synode une assemblée exclusivement byzantine et illégitime, s’opposant à l’enseignement des Écritures et des Pères.

  1. Augustin, De la foi et du Symbole, VII, 14.[]
  2. Traduction par mon ami Charles Johnson, page 4006 de l’édition latine qu’il utilise.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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