Un regard sur l’art : les hymnes du couronnements de Haendel
28 mars 2021

Lorsque le roi George Ier naturalisa Haendel, la première commande à ce nouveau sujet de la couronne consistait à écrire la musique du couronnement qui eut lieu plus tard dans la même année. Haendel composa quatre hymnes du couronnement et c’est sur le premier de ces hymnes que nous porterons notre attention.

Ce premier hymne reprend le récit de l’onction de Salomon par le prêtre Tzadok et le prophète Nathan, rapportée au premier chapitre du premier livre des Rois. Voici ses paroles :

Tzadok le prêtre, et Nathan le prophète, oignirent Salomon comme roi.
Et le peuple se réjouît et dit :
Que Dieu sauve le roi, longue vie au roi, que le roi vive à toujours !
Amen ! Allélulia !1

Sans tarder, écoutons cette représentation, notable par le jeune âge des choristes et le tempo choisi :

Les paroles mentionnent donc trois personnes : Nathan, Tzadok et Salomon. Elles ont pour point commun d’avoir reçu l’onction. Dans ces trois offices oints, la tradition réformée a identifié trois types du Christ. Christ est notre prophète, meilleur encore que Nathan ; notre prêtre, plus véritable que Tzadok et notre roi, plus excellent que Salomon2. Ce n’est pas à Haendel que l’on va apprendre qu’un passage biblique qui ne mentionne pas explicitement le Christ peut y faire allusion : son Oratorio le plus célèbre, Le Messie, ne contient pas une seule fois le mot « Jésus ».

Voici ce que disent respectivement les catéchismes de Westminster et Heidelberg sur ces offices du Christ :

Q. Quelles charges Christ remplit-il en tant que notre Rédempteur ?
R. Christ, en tant que notre Rédempteur, remplit les charges de prophète, de sacrificateur et de roi, soit dans son état d’humiliation soit dans son état d’exaltation.

Q. Comment Christ remplit-il la charge de prophète ?
R. Christ remplit la charge de prophète en nous révélant, par sa parole et par son Esprit, la volonté de Dieu quant à notre salut.

Q. Comment Christ remplit-il la charge de sacrificateur ?
R. Christ remplit la charge de sacrificateur en ce qu’il s’est offert lui-même, une fois, en sacrifice, pour satisfaire la justice divine et nous réconcilier avec Dieu, et en ce qu’il intercède continuellement pour nous.

Q. Comment Christ remplit-il la charge de roi ?
R. Christ remplit la charge de roi en nous soumettant à lui, en nous gouvernant et nous défendant, et en réprimant et subjuguant tous ses ennemis et les nôtres.

Catéchisme de Westminster, questions 23 à 26.

Q. Pourquoi est-il appelé Christ, c’est-à-dire Oint ? 

R. Parce qu’il a été ordonné de Dieu le Père, et oint du Saint-Esprit pour être notre Souverain Prophète et docteur : c’est lui qui nous a pleinement révélé le conseil secret et la volonté de Dieu pour notre rédemption ; pour être notre unique Souverain Sacrificateur : c’est lui qui nous a rachetés par le seul sacrifice de son corps et qui intercède continuellement pour nous auprès du Père ; et pour être notre Roi éternel : c’est lui qui règne sur nous par sa Parole et par son Esprit et qui nous garde et maintient dans la rédemption qu’il nous a acquise. 

Catéchisme de Heidelberg, question 31.

Jean Calvin accorde un chapitre entier de son Institution (II, XV) à ces offices. Ici, comme ailleurs, la tradition réformée, qui accorde une grande place à ces trois offices, dispose d’un solide fondement biblique et développe une notion déjà présente chez les Pères et les docteurs médiévaux. Hébreux 1.1-4 nous dit en effet :

Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, par lequel il a aussi créé le monde, et qui, étant le reflet de sa gloire et l’empreinte de sa personne, et soutenant toutes choses par sa parole puissante, a fait la purification des péchés et s’est assis à la droite de la majesté divine dans les lieux très hauts, devenu d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom plus excellent que le leur.

Christ est ici présenté comme celui par qui, à la suite des prophètes, Dieu parle ; celui qui, comme un prêtre, accomplit la purification des péchés et celui qui, tel un roi, s’est assis sur un trône majestueux. Cette notion, je l’ai dit, est présente chez les théologiens avant la Réforme :

Nous avons appris encore que certains prophètes sont eux-mêmes devenus, par l’onction, des Christs figuratifs ; parce que tous ceux-ci avaient une ressemblance avec le véritable Christ, le Verbe divin et céleste, le seul souverain prêtre de l’univers, le seul roi de toute la création, le seul chef des prophètes de son Père3.

EUSÈBE de Césarée, Histoire Ecclésiastique, livre I, chapitre III, 8.

Comme nous l’avons déjà dit les autres hommes possèdent certaines grâces particulières, mais le Christ, tête de tous les hommes, a reçu en perfection toutes les grâces. C’est pourquoi, en ce qui regarde les autres hommes, l’un est législateur, l’autre prêtre, l’autre roi ; chez le Christ au contraire, tout cela se rejoint, comme chez celui qui est la source de toutes les grâces. Aussi lisons-nous dans Isaïe (33.22) : « Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, notre roi ; il viendra et nous sauvera. »

THOMAS d’Aquin, Somme Théologique, III, q.22, a. 1, sol. 3.

James B. Jordan fait remarquer que les offices de roi, prêtre et prophète, dans cet ordre, témoignent d’une internalisation croissante de la Parole4. Le roi est juge : il est législateur et applique la loi, il doit la méditer chaque jour5 mais celle-ci demeure extérieure à lui. Le prêtre est interprète : il est scribe, il explique la loi au peuple6. Le rapport du prêtre à la Parole est plus étroit. Le prophète, quant à lui, fait corps avec la Parole prêchée. Certaines prophéties l’expriment avec force lorsqu’elles représentent le prophète ingérant un livre contenant la Parole de Dieu7. Le message est clair : la Parole est en lui. Eusèbe a bien raison de noter que ces oints sont à l’image du « Verbe ».

Par notre identification avec lui dans le baptême, nous devenons semblables à lui dans ses offices :

Vous aussi, le baptême vous fait rois, prêtres et prophètes ; il vous fait rois, quand vous terrassez vos mauvaises actions, et que vous donnez la mort à vos péchés. Il vous fait prêtres, quand vous sacrifiez votre corps, vous immolant ainsi vous-mêmes. « Si en effet, » dit saint Paul, « nous mourons avec Jésus-Christ, nous vivrons avec lui ». Enfin il vous fait prophètes ; puisqu’on vous instruit des choses futures, que vous recevez le souffle de l’Esprit, et que vous êtes marqués du sceau de Dieu. L’Esprit-Saint imprime aux fidèles un caractère analogue à cette marque qui fait reconnaître les soldats ; et si vous quittez les rangs, vous êtes aussitôt découverts. Les Juifs avaient la circoncision comme marque distinctive, nous avons, nous, le gage de l’Esprit-Saint.

Jean Chrysostome, Homélie III.7 sur 2 Corinthiens 1.12.

Christ accomplit parfaitement ces offices aussi en ce qu’il est plus uni que quiconque à la Parole : il est la Parole éternelle de Dieu8. L’Ancien Testament9 et la prédication des apôtres10, consignée dans le Nouveau Testament, sont appelés Parole de Dieu parce qu’ils sont le témoignage inspiré rendu à la Parole, Jésus-Christ. La Bible est la loi de notre roi, le traité d’alliance de notre prêtre, la prophétie de notre salut ; elle est la parole de la Parole.

Puissent ces pensées nous inspirer des hymnes aussi glorieux que celui de Haendel pour notre grand roi. Écoutons à nouveau cet hymne en ayant à l’esprit ces vérités sur notre Seigneur.

P.S. : Oui, l’hymne de la Ligue des Champions de l’UEFA est inspirée de ce premier hymne du couronnement.

Illustration en couverture : L’onction de Salomon, Cornelis de Vos, 1630, huile sur toile.


  1. Zadok, the Priest, and Nathan, the Prophet, anointed Solomon King; and all the people rejoic’d, and said: God save the King, long live the King, may the King live for ever! Amen ! Alleluja![]
  2. Matthieu 12.42.[]
  3. Ἤδη δὲ καὶ αὐτῶν τῶν προφητῶν τινὰς διὰ χρίσματος Χριστοὺς ἐν τύπῳ γεγονέναι παρειλήφαμεν, ὡς τούτους ἅπαντας τὴν ἐπὶ τὸν ἀληθῆ Χριστὸν, τὸν ἔνθεον καὶ οὐράνιον λόγον, ἀναφορὰν ἔχειν, μόνον ἀρχιέρεα τῶν ὅλων καὶ μόνον ἁπάσης κτίσεως βασιλέα καὶ μόνον προφητῶν ἀρχιπροφήτην τοῦ πατρὸς τυγχάνοντα.[]
  4. C’est en écoutant la méditation quotidienne d’Alastair Roberts sur les lectures bibliques du Livre de la Prière Commune que j’ai appris ceci.[]
  5. Deutéronome 17.18-19.[]
  6. Néhémie 8.7.[]
  7. Ézéchiel 3.3, Apocalypse 10.9.[]
  8. Jean 1.1, Apocalypse 19.13.[]
  9. Romains 3.2.[]
  10. 1 Thessaloniciens 2.13[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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