Sermon réformé pour l’Avent — Alexandre Morus
28 novembre 2021

En ce premier dimanche de l’Avent, nous publions (en version légèrement modernisée) quelques extraits d’un sermons sans date d’Alexandre Morus (1616-1670) sur l’évangile de Luc (2,8-14). Le texte complet du sermon est disponible en facsimilé sur le site dvarim.fr, ainsi qu’une courte biographie de son auteur.


Depuis que le Soleil éclaire le monde, il n’a point ramené de jour aussi beau que ce jour où nous célébrons avec toute l’Église l’heureuse naissance du Sauveur du monde : car en ce jour le soleil a vu naître son maître. Il n’est quant à lui qu’un serviteur public de la nature, suivant le nom que lui ont donné les Hébreux1: le soleil a vu naître un autre soleil, visible, dirai-je, ou invisible, de la terre, dirai-je, ou du ciel ; un petit soleil et un vrai Samson (qui veut dire petit Soleil), mais qui nous apporte une grande joie, le salut se trouve dans ses rayons. Quand notre soleil vint à se coucher, et alors que notre sauveur mourait, cet astre glorieux que nous appelons soleil se couvrit de ténèbres, comme ayant horreur d’être témoin et porte-flambeau d’un si triste spectacle. Mais au lever de notre divin soleil, et à la naissance de notre sauveur, toute la terre s’égaya, et ce père du jour, qui est le mari de la nature, sortit alors vraiment comme un époux de sa chambre nuptiale, pour éclairer avec toute la force de sa lumière cette nuit, dirai-je, ou ce jour, et pour allumer non pas un feu, mais une lumière de joie autour des bergers qui observaient les veilles de la nuit. Et n’estimez pas que nous usions ici d’allégorie : ce n’est pas le soleil seulement dont le mouvement, la rapidité et les influences ont je ne sais quoi de vivant, mais les créatures les plus mortes et les plus insensibles nous sont devenues aujourd’hui favorables, d’ennemies qu’elles nous étaient, des plus basses jusqu’aux plus hautes : Dieu étant pour nous, il n’y en a pas une qui soit contre nous.

Cet heureux jour peut donc s’appeler la joie du ciel et de la terre. Si le ciel se réjouit de la conversion d’un pécheur, combien a-t-il dû se réjouir à la naissance d’un sauveur, qui doit tirer après soi les conversions de tous les pécheurs ? Et si on allume des feux de joie sur la terre à la naissance des princes terrestres, quels feux, quels cris, quels chants de triomphe devons-nous faire à la naissance du prince des rois de la terre, qui est venu du ciel sur la terre pour nous ramener avec lui de la terre au ciel ? Que les cieux s’en égayent, que la terre en éclate de joie : car l’Éternel a consolé son peuple. Vous voyez que les anges ne peuvent se contenir dans les cieux et qu’ils se hâtent pour en porter la première nouvelle : demeurerions-nous insensibles, stupides et endormis sur la terre, nous que la chose touche de plus près qu’eux ? Nous sommes les bergers auxquels ils s’adressent, nous tous, pasteurs et troupeaux. Or il y avait, dit notre texte, en la même contrée, des bergers couchant aux champs, et observant les veilles de la nuit sur leurs troupeaux ; et voici l’ange du Seigneur survint vers eux, et la clarté du Seigneur resplendit autour d’eux, et ils furent saisis d’une fort grande peur. Alors l’ange leur dit : « N’ayez point de peur. Car voici je vous annonce une grande joie, qui sera à tout le peuple ; c’est qu’aujourd’hui en la cité de David, le sauveur vous est né, qui est Christ le Seigneur. Et vous aurez ces enseignes : vous trouverez le petit enfant emmailloté et couché dans une crèche ». Et aussitôt avec l’ange il y eut une multitude d’armées célestes, louant Dieu et disant : « Gloire soit à Dieu aux lieux très hauts, et paix sur terre aux hommes de bonne volonté. »

[…]

Je ne dis pas comme les Anciens, au bout de tant d’années, au bout de tant de semaines, il naîtra ; mais je dis qu’il est né aujourd’hui. Je ne dis pas que ce sera en un pays lointain, et qu’il vous faudra entreprendre un voyage pour aller le voir, je dis que c’est en ce lieu tout proche que vient de naître un grand sauveur et un grand roi. Car c’est le Christ qui sera oint d’huile de joie par-dessus ses consorts ; le sauveur des pécheurs, le seigneur des vivants et des morts, le messie promis, l’attente d’Israël et le désir des nations. N’est-ce pas une grande joie ? Abraham a vu ce jour du Seigneur, et il s’en est réjoui2. Ce fut de bien loin qu’il le salua, mais il ne laissa pas de s’en réjouir. Et nous qui le voyons aujourd’hui présent au milieu de nous, ne devons-nous pas en faire un jour de triomphe spirituel ?

Mais quoi, c’était une nuit et non pas un jour ! Les bergers observaient les veilles de la nuit, et Notre-Seigneur naquit durant la nuit. Pourquoi donc l’ange ne dit-il pas en cette nuit, mais en ce jour, aujourd’hui ? Vous direz qu’il y a un jour naturel et un jour artificiel, et vous me permettrez d’ajouter qu’il y a un jour éternel : Je t’ai aujourd’hui engendré3. Mais n’allons pas dans ces lieux très hauts, nous sommes encore dans les lieux plus bas de la terre. Il y a, dis-je, un jour surnaturel, un jour de salut, un jour du Seigneur, jour sans soir et sans nuit, jour sans nuage et sans obscurité. La lumière qui resplendit autour des bergers n’égale point cet astre qui blanchit sur les montagnes de Judée : il fait grand jour à Bethlée, le soleil ne s’est pas arrêté comme en Ascalon4, mais un plus grand, mais un plus grand soleil s’est levé ; l’Orient d’en haut est monté sur l’horizon de l’Église. Ne contons nos jours et nos années que par cette heureuse nuit, éclairée de tant de feux et de tant de lumières qu’elle surpasse infiniment les plus beaux des jours. Ou plutôt ne parlons plus de nuit : la nuit est passée, le jour est approché, notre soleil ne se couche point. Aujourd’hui nous est né le sauveur.

[…]

Il n’y a que Dieu qui soit seigneur absolu : le nom de Christ comprend ces trois offices qui ne se sont rencontrés tous trois qu’en lui seul. Melchisédech était roi et sacrificateur, Samuel sacrificateur et prophète, David prophète et roi ; mais ce n’était pas le Christ, le Christ seul a eu tous les trois. Mais bien que ce nom de Christ comprenne les trois, l’ange a voulu les marquer distinctement, lorsqu’il l’appelle premièrement sauveur, car il nous sauve comme sacrificateur éternel ; puis seigneur, car il règne comme seigneur souverain. Mais où est, direz-vous, l’office de prophète ? Dans la suite, car comme prophète il nous enseigne. L’ange nous donne pour signe son maillot et sa crèche, qui nous fait mille bonnes leçons, car sa crèche est une chaire où il prêche avant qu’il puisse parler ; il prêche à toute la terre l’humilité, la patience, l’innocence et toutes les vertus ; le fils de l’homme n’a point où reposer sa tête5. Apprenez de moi que je suis débonnaire et humble de cœur6. Ce sont comme autant de textes qu’il expose : le maillot est un livre, un petit volume qu’il déploie devant nos yeux. N’y lisez-vous pas en gros caractères l’histoire de son amour ? Il ne parle que par signes, mais oh qu’il parle bien ! il fait bien plus que parler, il prêche.

L’ange appelle Christ premièrement sauveur, puis seigneur, parce qu’il ne veut pas que nous lui soyons sujets pour obtenir le salut, ou afin qu’il nous sauve, mais il veut que nous lui obéissions parce qu’il nous a sauvés. Le titre de sauveur marche le premier, et celui de seigneur lui est joint parce que, bien qu’il soit le seigneur des anges, il n’est pas leur sauveur. Il n’est pas même leur seigneur comme il est le nôtre, car il est le leur parce qu’il les a créés ; mais il est le nôtre à double titre, parce qu’il nous a créés comme eux, et parce qu’il nous a sauvés (et non pas eux). Servus a servando : il nous a sauvés afin que nous le servions. Ne séparons point ce que les anges ont conjoint : plusieurs voudraient l’avoir pour sauveur, mais ils ne voudraient point de sa seigneurie ; ils voudraient jouir de ses biens, mais ils voudraient être dispensés d’accomplir ses commandements.

[…]

Alexandre Morus (1616–1670)

Illustration de couverture : Claude Monet, Impression, soleil levant, huile sur toile, 1872 (musée Marmottan Monet, Paris).

  1. C’est le sens de la racine hébraïque שׁמשׁ.[]
  2. Jn 8,56.[]
  3. Ps 2,7.[]
  4. Allusion à Jos 10,12, mais c’est à Gibeon et non à Ashkelon que l’événement est situé. Morus cite probablement de mémoire.[]
  5. Mt 8,20.[]
  6. Mt 11,29.[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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