Ce texte du pasteur Henry Bruston a été publié dans un journal paroissial en août 1958, et réédité dans son recueil posthume L’Invincible Espérance (Alès : Lumière des hommes, 1984). Henry Bruston (1904-1975) se convertit lors de ses études à l’École normale supérieure et abandonna la carrière scientifique pour des études de théologie réformée à Montpellier et à Strasbourg. En 1938, il fut un des acteurs principaux du combat pour l’orthodoxie. Il fut ensuite à tour de rôle pasteur de l’Église réformée évangélique de Saint-Jean-du-Gard (dans les Cévennes), enseignant de dogmatique à la Faculté libre de théologie réformée (Aix-en-Provence) et œuvra au rapprochement des Églises de la Réforme, dans la paroisse évangélique luthérienne de Lyon.
Certes, il y a dans le Nouveau Testament des prières qui nourrissent notre piété, et celle qui est le modèle de toutes nos prières. Il y a aussi dans la vie de l’Église des recueils de prières, soit liturgiques, soit personnelles qui alimentent la vie spirituelle des croyants.
Mais les Psaumes sont le seul recueil « scripturaire » de prières et de cantiques; c’est le Louange et Prière du Second Temple (de la restauration en Palestine jusqu’à la venue de Jésus, et au-delà !) ; de lui étaient nourris les apôtres, les chrétiens de Jérusalem ; de lui était nourri Jésus de Nazareth ; leur inspiration divine a toujours été reconnue ; d’où leur place dans notre vie de prière.
La piété des Psaumes repose sur la gloire du Dieu créateur, souverain, fidèle ; sur la certitude de son pardon, de ses délivrances, de sa victoire ; sur le dialogue d’adoration, de requête et de foi qui se noue entre Dieu et le psalmiste ; sur la grâce du Dieu qui vient le premier dans son amour vers celui qui a soif de lui. Prier les Psaumes, c’est accueillir cette grâce, c’est entrer dans ce dialogue, c’est être en communion avec le Dieu vivant.
Désormais donc, ô Dieu Suprême,
Pourquoi chercherais-je en moi-même
La prière à te présenter ?
De la grâce je vcux l’attendre,
C’est du ciel qu’elle doit descendre,
Pour qu’elle y puisse remonter.
(H. Lutteroth)
« Les méchants » dans les psaumes
Mais la piété des Psaumes n’est-elle pas liée à l’Ancienne Alliance ; pouvons-nous encore demander à Dieu l’extermination de nos adversaires et les menacer de nos imprécations ; pouvons-nous encore nous ranger au nombre de ces justes protestant de leur intégrité ? Cette difficulté arrête bien des chrétiens qui, finalement, « sautent » certains passages qu’ils ne peuvent prier.
Remarquons tout d’abord ceci : tous les psaumes, quels que soient leurs auteurs, nommés ou anonymes, sont placés sous l’inspiration de David. Or, David a été l’homme de Dieu calomnié, accusé, pourchassé par Saül, plus tard par son propre fils Absalon ; les psaumes se déroulent souvent dans ce climat de persécution ; le psalmiste est accusé par de faux témoins de crimes qu’il n’a pas commis ; c’est un malade dont on prétend qu’il a dû commettre tel péché pour être ainsi malade ; c’est un pauvre, un humble, jugé avec dédain par des puissants qui se moquent de sa piété, ou ne croient qu’aux récompenses terrestres. Dans de telles circonstances, protester de son innocence n’est pas le fait d’un homme aveugle sur lui-même ; c’est l’assurance de celui qui se soumet au jugement de Dieu, droitement et virilement ; c’est l’humiliation ici qui serait fausse, et manque de confiance en Celui qui prend en mains la cause de l’accusé.
De plus, le psalmiste se refuse à la vengeance ; il remet sa cause entre les mains du Seigneur ; il fait appel au Juge suprême ; Dieu est juge, non en ce qu’il pèse dans une balance le pour et le contre, mais en ce qu’il intervient dans les situations humaines, en manifestant sa grâce, sa miséricorde à celui qui est accusé faussement, en mettant en lumière l’impiété des « méchants ». Il s’agit, pour le psalmiste. de l’honneur de Dieu bafoué par les hommes et que le Seigneur va faire éclater dans sa colère.
C’est ici que la foi chrétienne dépasse les perspectives du psalmiste, ou plutôt leur donne leurs vraies dimensions.
« Ce n’est pas contre la chair et le sang que nous avons à combattre, dit saint Paul, mais contre les esprits méchants dans les lieux célestes. » Dans l’action des méchants, le chrétien discerne « les esprits méchants », les puissances démoniaques dont les hommes ne sont que les victimes ou les complices. Tous les appels à la victoire de Dieu, à la disparition des méchants peuvent être, quand nous prions les Psaumes, repris par nous comme des appels à l’intervention de Dieu corttre le Satan qui nous attaque et opprime nos frères. La piété des Psaumes nous rappelle que la vie chrétienne est un continuel combat, que nous sommes des persécutés (seul ne l’est pas celui qui se désintéresse des progrès du mal dans Je monde, qui dévient non plus l’ennemi mais « l’ami du monde » par lâcheté ou complaisance ou connivence avec la haine, l’égoïsme. l’orgueil, la guerre, la maladie, la mort), mais des persécutés qui comptons sur le secours du Dieu fort, du juste juge.
En ce qui concerne nos adversaires, ceux qui nous font du mal, nous calomnient, nous blessent, se moquent de notre foi l’appel à l’intervention de Dieu prend aussi une autre forme : le juste juge est intervenu, et sa condamnation a été prononcée ; mais elle l’a été sur le Christ dans sa Croix ; toute condamnation s’y est éteinte pour se muer en bénédiction, en grâce. Notre appel au Seigneur à propos des pécheurs est donc un appel à les placer au bénéfice de leur salut, de leur délivrance en Christ ; l’imprécation ici devient intercession.
La haine du péché et l’amour du pécheur ne pouvaient, dans le cœur du psalmiste, trouver une issue commune ; il s’en remettait à Dieu ; dans le cœur du chrétien, la Croix a jeté sa lumière, elle est l’issue ; et le « Père, pardonne-leur » retentit dans la même prière que l’inexorable combat contre Satan.
Prier les Psaumes, c’est être mis en garde contre l’indulgence frivole ou lassée à l’égard du mal, c’est être appelé à la vigilance, à l’état de continuelle alerte spirituelle ; c’est respirer l’air tonique des victoires de la grâce qui « amène toute pensée captive à l’obéissance de Christ ». C’est être arraché à nos égoïstes requêtes pour être replacé dans le plan du salut de Dieu, pour nous et pour les autres.
Jésus dans les Psaumes
On a souvent souligné le grand nombre de psaumes cités par les apôtres comme ayant annoncé d’avance des traits de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus (une trentaine de versets au moins, cités parfois à maintes reprises). Ainsi, en priant les Psaumes, notre pensée s’oriente-t-elle, a la faveur de ces rapprochements, vers la contemplation du Christ.
Pour saisir la portée de ces faits, nous devons rappeler encore que les Psaumes sont composés soit par David lui-même, soit sous son inspiration. Or, David est l’élu de Dieu, et sa vie, dès la prophétie de Nathan, est entièrement tournée vers sa descendance, grâce à laquelle s’accomplira l’éternel royaume du Seigneur. Dans bien des événements, il regarde, au-delà de leur portée historique, leur portée spirituelle et leur portée lointaine ; David est l’oint du Seigneur, le roi « selon le cœur de Dieu » ; Dieu lui-même lui a annoncé : tu seras mon fils.
Mais chacune de ces expressions trouvent leur plénitude dans le Messie (oint), le Roi de paix, le Fils de Dieu. Parfois, l’application au Messie reste inconsciente, indirecte, parfois au contraire, elle surgit directement, consciemment ; tantôt — et le plus souvent — elle annonce la gloire du Messie (psaumes 2, 110), tantôt elle découvre dans la délivrance de la pire détresse le secret du salut final (psaume 22). Ainsi se dévoilent aux yeux du psalmiste la vraie signification de telle victoire de telle liturgie du culte, ou de telle défaite douloureuse. La prière du psalmiste reste sous-tendue par l’espérance du salut final du monde.
Prier les Psaumes, c’est regarder à Jésus, c’est le voir dans sa souffrance, dans sa croix et dans sa résurrection comme celui qui a répondu à l’espérance de son peuple et inauguré le salut du monde ; c’est le voir dans l’attente de son retour, dans l’invincible espérance. C’est, au long d’une route qui comporte ses pierres, ses ronces, ses tunnels, comme ses délivrances, ses joies et sa paix, cheminer avec Christ et vers lui, avec le Roi vers son Royaume de justice. À travers la prière des Psaumes, l’antique Israël nous redit ce qu’a exprimé un de ses enfants : « Regardez à Jésus… afin que vous ne vous lassiez point, l’âme découragée. »
Prions ensemble les Psaumes cet été ; ils se graveront dans nos cœurs ; leurs strophes inspirées nous aideront à vivre nos journées dans l’adoration, la foi, la victoire et l’espérance.
Illustration : Le Guerchin, Le Roi David, huile sur toile, 1768 (Spencer House, Londres).
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