Retour à l’envoyeur
16 avril 2023

Ce sermon sur les premiers vers du prophète Zacharie a été prêché le dimanche 5 mars 2023 à l’Église réformée évangélique d’Aix-en-Provence, puis aujourd’hui 16 avril 2023 pour l’Église réformée Saint-Marc de la ville de Québec. Merci à ces Églises pour leurs aimables invitations. L’enregistrement audio peut être écouté ici.


1Le huitième mois, la deuxième année de Darius, la parole de l’Éternel fut adressée au prophète Zacharie, fils de Bérékia, fils d’Iddo, en ces mots : 2L’Éternel a été grandement indigné contre vos pères. 3Tu leur diras : Ainsi parle l’Éternel des armées : Revenez à moi – oracle de l’Éternel des armées – et je reviendrai à vous, dit l’Éternel des armées. 4Ne soyez pas comme vos pères, à qui les premiers prophètes proclamaient : Ainsi parle l’Éternel des armées : Revenez de vos mauvaises voies, de vos agissements mauvais ! Mais ils n’ont pas écouté, ils n’ont pas fait attention à moi – oracle de l’Éternel. 5Vos pères, où sont-ils ? Et les prophètes, pouvaient-ils vivre toujours ? 6Cependant les paroles et les prescriptions que j’avais données à mes serviteurs, les prophètes, n’ont-elles pas atteint vos pères ? Ils sont revenus et ils ont dit : L’Éternel des armées nous a traités comme il avait résolu de le faire selon notre conduite et nos agissements.

Zacharie 1,1-6.

Zacharie prêche au début du VIe siècle en compagnie de plusieurs collègues, dont le prophète Aggée (le livre immédiatement précédent) et Malachie (le livre immédiatement suivant). C’est un prophète conducteur de travaux. Les Juifs viennent de retrouver possession de la Terre sainte, une terre dévastée, une terre en travaux ; les travaux de la ville de Jérusalem et surtout du Temple. Il est important d’être efficace, il faut que cela avance, il faut voir les progrès. En parlant d’efficacité, on voit au moins trois mouvements très efficaces dans ce texte : d’abord nous voyons la colère, la colère efficace de Dieu contre Israël. Nous voyons ensuite la prédication efficace, celle des premiers prophètes puis de Zacharie et de ses contemporains ; et enfin une repentance, la repentance efficace du peuple par le ministère de Zacharie. Ce sont ces trois points sur lesquels j’aimerais m’arrêter dans ce texte simple, fondamental, qui va ouvrir tout le texte beaucoup moins simple qui suit. La parole de Dieu est efficace, Dieu est juste, Dieu peut se mettre en colère mais aussi nous amener à la repentance et au salut.

I. L’efficacité de la colère de Dieu

Mais avant de parler du salut, nous devons parler de la situation d’Israël. Et Israël est en proie à la colère de Dieu. Elle l’a expérimentée pendant 70 ans mais n’en a pas encore tout à fait fini. Israël est certes revenue sur sa terre, c’est un sujet de joie, elle est certes encore sous un joug étranger, et dès le début du livre on nous rappelle que nous sommes la deuxième année de Darius, c’est un roi perse, pas babylonien, assyrien ou égyptien, mais c’est quand même un occupant, un souverain étranger. Et puis surtout tout est à reconstruire. Si je prêchais ce texte en Lituanie, je pense que les personnes les plus âgées de l’assistance penseraient à leurs parents, à tous ces déportés qui revenaient du Goulag, qui revenaient d’une terre étrangère où ils avaient été étrangers : ils revenaient certes dans leur patrie, mais dans une patrie qui leur était devenue aussi assez étrangère. Et c’est un peu, je pense, le sentiment qu’avaient les Israélites ; ils étaient certes chez eux, ils pouvaient en être reconnaissants, mais tout était à refaire, ils avaient perdu les repères, ils avaient vécu la destruction du monde connu. Ces rapatriés qui étaient étrangers à Babylone se retrouvaient comme étrangers à Jérusalem. Ils trouvaient leurs maisons soit détruites, soit occupées par de nouveaux habitants. Ils n’avaient plus leurs repères, ce qui faisait le centre de leur vie spirituelle. Ils se sentaient encore un peu abandonnés. Le peuple est rentré, Dieu s’est souvenu (c’est le sens du prénom Zacharie), mais toutes les institutions sont à reconstruire : la religion, avec le Temple ; la famille, avec les maisons ; l’État, avec la muraille la terre est encore en travaux, le Temple se reconstruit lentement, ce n’est pas toujours la priorité des hommes, il y a les débuts d’un réveil en Israël, mais il n’atteint pas tout le peuple. Tous ne sont pas rentrés, et tous ceux qui sont rentrés ne sont pas au travail. Et c’est là sans doute le premier sens de l’injonction de Zacharie, dans un sens très concret, géographique : Revenez, revenez dans votre terre, faites ce chemin de retour. Alors on pourra penser que ceux qui sont revenus, c’étaient ceux qui étaient les plus motivés, qui avaient encore à cœur de continuer ce chemin avec l’éternel, de lui rendre un culte, de lui reconstruire son Temple. Nous pouvons penser que ceux qui avaient quelque peu délaissé la foi, les coutumes du peuple d’Israël, qui voulaient s’assimiler, qui avaient peut-être fait fortune pendant ces 70 ans, avaient sans doute préféré rester à Babylone. Nous savons pourtant qu’il n’en est pas vraiment ainsi. D’abord, nous voyons encore aujourd’hui que tout mouvement migratoire comporte son lot de gens qui n’ont pas grand-chose à perdre et sont mus par des motivations plus ou moins honnêtes. Le livre d’Esdras, qui raconte les mêmes événements, nous dit aussi que des étrangers s’étaient joints aux rapatriés ; certains Israélites eux-mêmes étaient en bonne voie d’assimilation, ayant notamment pris des femmes étrangères. Et en terre d’Israël, ceux qui avaient échappé à la déportation, qu’on appellerait bientôt les Samaritains, avaient eux aussi accueilli de nouveaux arrivants, subi diverses influences, et leur piété avait incorporé des éléments étrangers.

Zacharie commence donc par le rappel du péché, de la colère de Dieu, par une invitation à la repentance, qu’il s’adresse à ce groupe des plus motivés, des premiers à avoir remigré en terre d’Israël. Certes, quelques jours auparavant (on le sait par un oracle d’Aggée), la construction du Temple avait repris, les travaux semblaient désormais en bonne voie, tout semblait aller comme sur des roulettes ? Et pourtant Zacharie veut envoyer un avertissement. Le peuple doit apprendre de l’exemple funeste de ses pères, ces événements ont une leçon importante à nous livrer, sur notre désobéissance et ses conséquences. Zacharie insiste sur la puissance et la souveraineté de celui qu’il appelle l’Éternel, le maître de l’univers (l’Éternel des armées, יהוה צבאות). Il adopte un ton sévère pour nous montrer qu’il reste beaucoup à faire. Ce n’est pas seulement le chantier du Temple qui nous le rappelle, c’est aussi tous ceux qui ne sont pas revenus de Babylone. Les pères sont morts, et on peut peut-être espérer que la colère de l’Éternel a été rassasiée, apaisée. Dieu va peut-être tourner la page ? On va changer de génération et ce sera un nouveau départ. L’Éternel ne connaît-il pas nos faiblesses et nos limitations ? N’a-t-il pas dit par la bouche d’Ésaïe : Non, je ne veux pas lancer éternellement des accusations, je ne veux pas m’irriter indéfiniment, car il est trop faible devant moi, l’esprit, le souffle des êtres que j’ai moi-même faits (Ésaïe 57,16) ? Oui, l’Éternel a été en colère, il a envoyé des serviteurs, il a envoyé les prophètes, nous n’avons pas écouté… Mais voici, 70 ans ont passé, par la bonté d’un prince étranger nous sommes revenus, peut-être pouvons-nous être quittes avec Dieu ? Eh bien non ! Ce n’est pas si simple, car le péché est là, il a un fondement systémique. Les mêmes causes produisent les mêmes effets, et le châtiment risque de se reproduire. Rester dans le pays, c’est plus compliqué que d’y être revenu, cela implique de rester dans l’alliance, de demeurer fidèle. Sans cela, ils n’ont pas beaucoup de raisons d’espérer un avenir meilleur.

Car ce que nous dit Zacharie, c’est que ce qui est arrivé au peuple d’Israël est bien le résultat de la colère divine. Là où les Israélites pensaient avoir été abandonnés, et là où nous pensons souvent être abandonnés au moins pour un temps par le Seigneur, Zacharie nous rappelle que c’est parce que Dieu est fidèle qu’il les a déportés. C’est parce que Dieu est fidèle que Zacharie lui-même, petit enfant, a grandi en exil, qu’il est maintenant venu dans un pays qu’il n’a pas connu et que les plus vieux ont à peine reconnu. Dieu a été fidèle à son alliance dans ses malédictions, et cela peut se reproduire. L’Éternel voit le même esprit dans les fils que celui qui animait leurs pères. Il voit déjà, alors qu’ils n’étaient rentrés que depuis quelques temps, des signes de faiblesse, de paresse, de narcissisme qui conduisait le peuple à se préoccuper davantage du lambris de ses maisons que des pierres du Temple. Ces gens sont revenus physiquement au pays, mais pas forcément spirituellement au Dieu de leurs pères. Et nous le savons, il y a pour nous, comme pour eux, de mauvaises raisons de venir à l’église, de s’y engager, parfois avec zèle ou assiduité, de s’engager même dans le ministère. Dans cette même terre, depuis la fin du XIXe siècle, beaucoup sont revenus parmi ceux qui se prétendent la descendance d’Israël. Mais combien dans ce mouvement du sionisme, du retour au pays d’Israël, sont animés d’une vraie quête spirituelle ? Eh bien pas plus qu’aujourd’hui, pas plus hier les Israélites qui revenaient ne le faisaient avec la ferme intention de rendre un culte et de reconstruire la religion d’Israël. Ce retour n’est pas forcément le véritable retour, la véritable conversion que Dieu nous demande. Nous devons retourner au pays avec notre cœur car Dieu se préoccupe du cœur.

Alors Dieu est donc responsable de la déportation. Dieu a été grandement indigné, mais la Loi interdit de punir les enfants pour les péchés des parents. Mais nous pouvons souffrir des conséquences de leurs péchés, comme Zacharie a souffert dans son enfance. Et la haine de Dieu surtout peut persister de génération en génération. Mais si nous mettons notre foi en Dieu, nous n’avons aucune culpabilité aux yeux de Dieu. Quoi qu’aient fait nos ancêtres. Par contre, lorsqu’on rentre d’exil, on doit comprendre pourquoi on y a été. Car s’il est possible d’être dans l’alliance en étant en exil, il est aussi possible d’être dans l’alliance et dans le pays sans être sauvé. La colère de Dieu n’est jamais arbitraire. À cette époque-là, la Parole abonde : plusieurs prophètes prêchent en même temps, le peuple d’Israël est invité comprendre le sens de cette colère, et surtout l’Éternel lui-même dit qu’une nouvelle période va venir. Un peu plus loin, au chapitre 8, il dira : maintenant, je ne suis pas pour le reste de ce peuple comme j’ai été par le passé. (Zacharie 8,11) Le Seigneur est donc comme mieux disposé, il est prêt à pardonner à son peuple, si seulement ce peuple reconnaît son péché, la souveraineté de Dieu dans toutes ses afflictions.

II. L’efficacité de la parole prophétique

Alors comment Dieu va-t-il amener son peuple à s’humilier ? Par le ministère, par le ministère de ses prophètes. Zacharie a grandi dans un autre contexte, il n’a pas connu la terre d’Israël, mais va avoir à cœur de se situer dans la continuité, dans la tradition de la prophétie en Israël. Il se présente comme fils de Bérékia, fils d’Iddo, et l’on ne sait pas trop si le terme de prophète le désigne lui-même ou ses ancêtres. Il est issu d’une lignée de prophètes, il mentionne les prophètes anciens qui témoignent que Dieu a été fidèle par la prédication de sa parole, de génération en génération, avant l’exil, pendant et maintenant après. Il va utiliser la même langue qu’eux pour prêcher la même chose qu’eux, le même Dieu qu’eux. Il le fait parce qu’il est optimiste sur le fait que la génération actuelle peut apprendre des précédentes. Nous n’avons pas besoin que la punition se répète de génération en génération. Ce que nous avons besoin c’est de revenir de génération en génération à l’Éternel. Et sa prédication toute simple, très courte, Revenez à moi et je reviendrai à vous,va se faire l’écho de cette prédication des prophètes antérieurs à l’exil. Zacharie rapporte aussi que les Pères n’ont pas obéi : c’est un jugement qui n’a rien de nouveau, ça n’est pas une surprise, c’était déjà annoncé au commencement. Les Chroniques nous disent que l’Éternel envoya parmi eux des prophètes pour les ramener à lui, mais ils n’écoutèrent pas les avertissements qu’ils reçurent d’eux. (2 Chroniques 24,19) Pour celui qui lisait les prophètes, la Déportation n’était pas une surprise, pas le signe de l’abandon mais bien le signe de la souveraineté divine. Zacharie se situe dans une tradition, mais pas dans une tradition mécanique. Ce serait le comble pour quelqu’un qui dit : ne soyez pas comme vos ancêtres !Le message reste le même mais un changement d’attitude, un détachement par rapport à la filiation naturelle est exigé.

Le message de Zacharie est donc finalement très simple : revenez à moi. Pour revenir à quelque chose et à quelqu’un, il faut aussi revenir de quelque chose. Les fautifs doivent se détourner de leurs œuvres mauvaises pour espérer se tourner vers Dieu. C’est le retour des exilés, du peuple au Temple, de la religion qui est rétablie, de la relation à l’Éternel qui peut être restaurée dans sa plénitude, c’est surtout le retour du peuple à son Dieu, et – et c’est là qu’est l’originalité, peut-être, de Zacharie – de Dieu à son peuple : revenez à moi, et je reviendrai à vous. Le verbe revenir n’était pas attribué à l’Éternel lui-même auparavant ; c’étaient plutôt les rois ou le peuple qui revenaient à lui. Lorsqu’on l’utilisait à propos de Dieu, c’était négativement : il se détournait de son peuple. Voici la promesse de Zacharie : si vous revenez, je reviendrai moi aussi à vous. Zacharie pose une condition : le retour et le maintien du peuple dans cette terre, dans l’Alliance dépend lui aussi de la bénédiction de l’Éternel. Ne nous y trompons pas, c’est Dieu qui est aux commandes ; il n’obéit pas machinalement à ce que nous faisons. Nous le savons : si nous revenons à l’Éternel, c’est parce que c’est lui qui le premier nous a donné la grâce de le faire. Et ce n’est pas un hasard si cette prédication, revenez à moi et je reviendrai à vous, est entourée, saturée même de marques de la souveraineté et de la toute-puissance de l’Éternel : Voici ce que dit l’Éternel, le maître de l’univers : Revenez à moi, déclare l’Éternel, le maître de l’univers, et je reviendrai à vous, dit l’Éternel, le maître de l’univers. C’est bien Dieu qui est à l’œuvre, qui signe son action, qui donne la repentance.

Zacharie doit aussi répondre à une objection : car il se situe dans une lignée de prophètes, mais on lui dit aussi : « Eh bien, Zacharie ! Tes prophètes eux aussi sont morts. Vos ancêtres, où sont-ils ? Et les prophètes pouvaient-ils vivre éternellement ? Les pères désobéissaient, et on comprend qu’ils aient péri, qu’ils soient restés enterrés à Babylone. Mais les prophètes ne pouvaient-ils pas vivre, eux qui prêchaient ta Parole ? Pourquoi les as-tu délaissés eux aussi, abandonnés loin d’Israël ? » C’est là une vérité, peut-être dure à accepter : oui, les prophètes qui prêchaient la Parole, qui étaient restés fidèles dans l’exil, eux aussi sont morts pendant ces soixante-dix ans. Et s’il ne s’agit pas de nier toute distinction (nous allons voir que le sort des prophètes n’a pas été tout à fait le même que celui des pères), il n’en est pas moins vrai qu’ils ont été dans le même bateau, qu’ils ont partagé le sort de ce peuple. En tant que peuple de l’Alliance, les ministres sont solidaires du troupeau, nous avons une responsabilité collective. Zacharie va cependant esquisser une distinction ; les prophètes ne pouvaient pas vivre toujours, mais il y a quelque chose qui vit toujours ; les paroles et les prescriptions que l’Éternel avait données à ses serviteurs, elles ont atteint vos ancêtres, et elles vivent encore, elles atteignent encore les fils par l’entremise de Zacharie.

La Parole a atteint les pères, a produit son effet et même post mortem, elle va produire de bons fruits, amener le peuple à la repentance. C’est l’exécution de la menace portée par les prophètes, la Déportation, qui va prouver la vérité de leurs oracles, qui provoque la repentance. Les prophètes sont morts mais leur parole vit. Ainsi en est-il de la Parole du seigneur, elle ne revient pas à lui sans effet, sans avoir fait ce qu’il désire et rempli la mission qu’il lui a confiée. (Ésaïe 55,11) Oui, ils avaient vu juste dans leurs oracles, et Dieu qui est parfaitement juste ne nous a donné que ce que nous méritions. Et de même que Moïse le premier des prophètes a conduit Israël d’Égypte en Terre sainte sans pouvoir y rentrer, de même les prophètes de l’exil ont conduit Israël de retour dans le pays sans voir les fruits de leur prédication. Sommes-nous prêts, nous qui prêchons l’Évangile, nous qui évangélisons nos amis, nos familles, à voir nos pères mourir, pour certains loin du Seigneur ? Sommes-nous prêts à mourir nous-mêmes sans avoir vu tous les fruits, ou même aucun fruit de notre prédication ? Acceptons-nous que les fruits ne soient pas immédiats ? Sommes-nous capables de dire, comme le disaient les réformateurs, en particulier luthériens, verbum Domini manet in aeternum, la parole de Dieu demeure à toujours ? Voilà ce que Zacharie croyait, lui qui avait sans doute bénéficié du ministère de ces vieux prophètes déportés, et qui continuait à porter ce flambeau alors qu’il jouissait des premiers fruits, des prémices d’Israël revenue chez elle. Voilà un exemple historique qu’utilise Zacharie : la comparaison avec le temps des pères qui sont morts et des prophètes qui ne pouvaient vivre à toujours, mais ont porté une parole éternelle, sert à souligner la nouveauté du temps présent, celui de la réconciliation. Oui, la puissance des mots des prophètes perdure, et a atteint vos ancêtres ; le verbe atteindre (נשׂג) avait autrefois des connotations punitives, il était question précédemment des malédictions de l’alliance lorsque les auteurs bibliques l’utilisaient : voici toutes les malédictions qui t’atteindront et seront ton lot (Deutéronome 28,1), elles te poursuivront et t’atteindront jusqu’à ce que tu sois détruit parce que tu n’auras pas obéi à l’Éternel ton Dieu (Deutéronome 28,45). Nous voyons ici qu’une parole a atteint les pères, mais aussi les fils, cette fois sans les détruire. Peut-être les rapatriés avaient-ils chanté, comme nous l’avons chanté tantôt, le Psaume 85, Tu as été favorable à ton pays, Éternel, tu as rétabli Jacob (Psaume 85,2). Ce psaume est d’ailleurs attribué aux descendants de Koré (Psaume 85,1), un groupe de chantres: eux aussi avaient vu la Parole atteindre leurs ancêtres de manière toute particulière, avec une grande violence ; ils n’étaient que trop conscients que leurs ancêtres étaient morts dans ce grand péché que fut la révolte de Koré.

La Parole subsiste éternellement et est efficace. Que pouvons-nous voir et apprendre de cette Parole dans notre propre famille ? Quelle est l’histoire de la Parole dans notre nation ? De notre Église ? Où se situent nos parents, les pères fondateurs de notre peuple, les grandes figures de notre Église par rapport à cette Parole ? Et nous, où nous situons-nous ? Qu’avons-nous fait de la Parole reçue ? Appelons-nous nous aussi nos pères, nos fils, nos contemporains à se détourner des mauvaises voies qu’avaient prises leurs ancêtres, ou nous contentons-nous d’un héritage qui ne va pas au salut, d’une tradition familiale qui ne nous a menés que d’affliction en affliction ?

III. L’efficacité de la repentance du peuple

La parole de Zacharie ne va pas mener d’affliction en affliction, elle va être aussi efficace, et la repentance va faire que l’Éternel dira, un peu plus loin dans le même chapitre, je reviens à Jérusalem avec compassion, ma maison y sera reconstruite […], mes villes auront encore des biens en abondance ; l’Éternel consolera encore Sion, il choisira encore Jérusalem. (Zacharie 1,16-17)

La repentance du peuple commence par des signes timides mais bien visibles. La forme est interrogative, ce sont d’abord des questions, un intérêt pour la parole de Zacharie, puis une brève confession qui répond à ces questions. L’Éternel des armées nous a traités comme il avait résolu de le faire selon notre conduite et nos agissements. L’histoire est bien vive, facilement accessible à l’époque, car beaucoup l’ont vécue dans leur chair. Zacharie sait trouver les mots et le retour est rapide. Ils sont revenus à l’Éternel ! Zacharie cite donc leurs propos, en écho à sa propre prédication. Les premiers prophètes disaient : renoncez à vos mauvaises voies (revenez de vos mauvaises voies), et maintenant le peuple dit : l’Éternel nous a traités selon nos mauvaises voies. Ce que nous a fait l’Éternel, ce que nous avons reçu, c’est le résultat de notre conduite et de nos agissements. Oui, la Déportation était juste : ce n’est plus Dieu ou Zacharie qui le dit, mais le peuple des déportés lui-même. Et voilà bien un bon indice de la conversion : lorsque nous faisons nôtre la parole de Dieu, que nous acceptons ses oracles, et ses jugements, que nous n’essayons plus de transiger, de fermer les yeux sur les douleurs subies, les fardeaux portés dans le passé, les cris de désespoir que nous avons poussés. Nous acceptons la souveraineté de Dieu dans notre vie et la puissance de sa justice, de sa colère même, dans notre vie.

À l’époque de Zacharie, malheureusement, cette acceptation n’a pas duré très longtemps. Quelques siècles plus tard, on retrouve la même conduite et les mêmes agissements, la vieille nature reprend le dessus : le désir de ne pas accepter la réalité telle qu’elle est est revenu. Ce révisionnisme a été constamment à l’œuvre chez le peuple juif. Au premier siècle, alors qu’ils étaient sous le joug d’un nouvel occupant — non plus les Babyloniens ou les Perses, mais les Romains — les Juifs eurent l’audace, le toupet de dire : nous sommes la descendance d’Abraham, et nous n’avons jamais été esclaves de personne (Jean 8,33), eux qui ont été successivement esclaves en Égypte, déportés à Babylone, soumis à Ponce Pilate. Les Juifs furent à la merci de bien des peuples mais ils voulurent toujours réécrire l’histoire dans un sens qui les arrangeât, qui leur fît honneur, qui ne les confrontât pas à leurs propres infidélités. Et face à ce peuple qui avait oublié sa conduite, ses agissements et la manière dont l’Éternel l’avait traité, un autre prophète vint prêcher, vint pleurer sur cette Jérusalem dont Dieu avait dit qu’il ferait encore porter son choix sur elle : Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés ! Combien de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! Voici que votre maison vous sera laissée déserte. (Matthieu 23,37-38) Ce que Jésus annonçait là, c’était un nouvel exil, c’était ce dont avertissait Zacharie. Si le peuple oublie son histoire, sa conduite et ses agissements passés, s’il oublie la souveraineté de Dieu sur lui, le destin qui l’a frappé le rattrapera, l’atteindra à nouveau.

Pour l’instant les pères sont revenus au pays, et la génération actuelle semble commencer à revenir à Dieu. Dieu va pouvoir revenir : nous voyons là la confiance de Zacharie dans l’efficacité de son ministère ; dans l’efficacité de la repentance, de la prière aussi. La prière est tellement efficace que lorsque Dieu voulait déporter les Israélites, il dit à Jérémie de ne pas prier pour ce peuple (Jérémie 7,16, etc.). Certes Dieu est souverain et n’est pas un automate qui répond à nos prières. Mais par son Alliance, il veut nous écouter, il veut répondre à nos prières. Revenez à moi et je reviendrai à vous : Dieu attend, Dieu est disponible. Il n’attend que de pardonner. Jacques, plus tard, dans son épître, dira de même : Approchez-vous de Dieu et il s’approchera de vous. (Jacques 4,8) N’est-ce pas ce que Dieu a fait en envoyant le plus grand de ses prophètes ? Jésus-Christ, Dieu fait homme venu à nous, venu constater la même chose que Zacharie, venu nous laver du péché, régler le problème du péché une bonne fois pour toutes. Jésus qui reconstruirait son Temple, un troisième temple, celui de son corps. Jésus surtout qui viendrait pour nous réconcilier avec Dieu. Là où les prophètes annonçaient cette Parole, Jésus est cette parole éternelle du Père, cette Parole qui nous invite une fois de plus à la repentance. La vie du chrétien, c’est non seulement se souvenir de l’exil, en Égypte ou à Babylone, mais surtout de ce retour, non pas seulement du peuple à son Dieu, mais de Dieu à son peuple. Oui, Dieu est venu en Jésus-Christ et Dieu va revenir pour rassembler son peuple, pour édifier cette nouvelle Jérusalem céleste, glorieuse. L’Éternel choisira encore Jérusalem.

Voilà pourquoi cette repentance, qui était importante au moment où Israël construisait son second Temple, est encore primordiale au moment où nous chrétiens, nous édifions le troisième, celui de l’Esprit saint qui est l’Église. En disant « Faites pénitence », commençait Martin Luther dans la première de ses Quatre-vingt-quinze thèses, notre maître et seigneur Jésus-Christ a voulu que la vie entière des fidèles fût une pénitence. Oui, notre vie entière se résume à revenir à l’Éternel. Revenir à lui parce qu’il est venu à nous le premier, et va revenir encore à nous. La repentance, la constatation et la confession de la souveraineté de Dieu sont les premiers pas qui nous mènent dans ce grand salut que l’Éternel a préparé pour Jérusalem. Alors la tristesse de ceux qui voyaient le pays désolé, le Temple peut-être moins grand et moins somptueux que le premier, pourra devenir une joie, cette joie de la repentance, dont parle l’apôtre Paul, lorsqu’il termine sa mission auprès des Corinthiens ; Corinthe était une Église bien difficile, bien abîmée, qui avait encore largement devant elle ce long chemin de repentance. Dans la seconde lettre qu’il leur adresse, toutefois, il peut enfin leur dire ces mots : Je me réjouis maintenant, non pas de ce que vous avez été attristés, mais de ce que votre tristesse vous a amenés à changer d’attitude (à vous repentir), car vous avez été attristés selon Dieu, si bien que vous n’avez subi aucun dommage de notre part. En effet, la tristesse selon Dieu produit une repentance qui conduit au salut et que l’on ne regrette jamais, tandis que la tristesse du monde produit la mort. (2 Corinthiens 7,9-10) Les pères étaient tristes à Babylone et ils sont morts. Nous sommes revenus à l’Église, alors revenons aussi au Seigneur de l’Église, à ce Dieu qui est venu auprès d’elle, qui l’a aimée et qui a versé son sang pour elle ; faisons cette repentance qui mène au salut et que nous ne regretterons pas, et nous vivrons dans cette nouvelle Jérusalem. Car l’Éternel consolera encore Sion, il choisira encore Jérusalem. Revenez à lui, et il reviendra à vous.

Amen.


Illustration : Jan van Eyck, L’Adoration de l’Agneau mystique ou autel de Gand (détail : Zacharie le prophète), peinture sur bois, 1432 (Gand, cathédrale Saint-Bavon).

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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