John Stevens Cabot Abbott (1805-1877) fut un pasteur réformé américain qui s’illustra aussi comme historien et didacticien. Dans le plus populaire de ces livres, La mère de famille, qui fut traduit en français dès son époque, il offre la remarque suivante concernant les obstacles à la réussite des principes éducatifs qu’il a énoncés dans les chapitres précédents.
Les principes que j’ai présentés dans les chapitres qui précèdent, sont d’une telle évidence, qu’on est conduit à se demander pourquoi ils ne sont pas plus généralement suivis ; pourquoi elles sont si rares, les familles où les parents savent obtenir de leurs enfants une obéissance prompte et entière. Les règles sont simples, il est vrai, mais il y a plusieurs obstacles qui s’opposent à ce qu’on les observe rigoureusement.
Le premier de ces obstacles est la négligence que mettent les parents à surveiller leur propre à conduite. Il en est peu qui soient tellement maîtres d’eux-mêmes, qu’ils sachent demeurer calmes au milieu des diverses vicissitudes de la vie ; il en est peu qui se tiennent assez sur leurs gardes pour ne se laisser jamais aller à des mouvements d’irritation et de colère. Et comment une mère saurait-elle gouverner son enfant, si elle ne sait pas se gouverner elle-même ? C’est par son propre cœur qu’elle doit commencer ; il faut qu’elle apprenne d’abord à subjuguer ses passions ; il faut qu’elle puisse leur donner l’exemple de la douceur et de l’égalité d’humeur, si elle veut raisonnablement attendre quelque bien des efforts qu’elle fait pour soumettre leurs cœurs.
Un enfant s’emporte et frappe sa sœur ; la mère s’emporte et frappe l’enfant, la mère et l’enfant sont également coupables. Tous deux se sont fâchés, et tous deux ont frappé avec emportement. Quel sera le résultat de cette triste punition ? L’enfant craindra de frapper de nouveau sa sœur ; mais il n’a pas appris qu’il a mal fait, que la colère est un péché ; il n’en a reçu aucun bien dans son cœur. Il voit sa mère fâchée, il pense qu’il lui est aussi permis de se fâcher, Cette punition n’a d’autre effet que de fortifier sa passion et de l’enraciner davantage. Il n’y a point là d’instruction morale, de discipline salutaire ; et c’est pourtant toujours ainsi qu’il en arrivera avec une mère qui n’a pas appris du Seigneur à être maîtresse d’elle-même, et qui ne peut contenir la violence de ses passions.
Lorsque nous voyons cette mère entourée d’enfants passionnés et violents, nous n’avons pas besoin de demander pourquoi ils ne sont ni doux ni obéissants ; et lorsque nous réfléchissons combien il est rare de rencontrer un individu qui ne se laisse pas entraîner par l’irritation du moment, nous cessons de nous étonner de voir tant de familles ne présenter dans leur intérieur que des scènes de désordre et de trouble. S’il est une chose importante et difficile à acquérir en tout temps, c’est cette active surveillance qu’il faut exercer continuellement sur soi-même.
Accoutumés dès leur enfance à une entière liberté, des parents trouvent qu’il leur est malaisé de se contraindre ; on le comprend ; mais s’ils n’y parviennent, ils seront infidèles à leurs enfants. Il faut absolument soumettre ses sentiments et ses actions au joug d’une discipline sévère, si l’on ne veut échouer dans ses tentatives pour dompter les passions et diriger la conduite de ses enfants ; c’est de nous qu’ils attendent un enseignement fidèle, c’est à l’exemple que nous leur donnons qu’ils regardent.
La patience d’une mère est souvent mise à une rude épreuve. À moins d’être douée d’une rare douceur ou d’avoir été habituée de bonne heure à réprimer les mouvements de son cœur, elle trouvera toujours que la plus grande difficulté est en elle-même. Si j’insiste sur ce point, c’est qu’il est de la plus haute importance. L’irritation est une courte folie1 ; que peut-il y avoir de plus déplorable que de voir une mère se vengeant de son enfant dans un accès de colère ? Qu’une mère soit affligée des fautes de son enfant, et qu’elle le témoigne, c’est bien ; qu’elle exerce alors, avec réflexion et avec calme, la discipline que le cas exige, c’est encore bien ; mais qu’elle ne s’irrite jamais, qu’elle ne laisse jamais échapper une expression de colère. Si elle parvient à conserver son coeur calme et serein, elle ajoutera l’exemple au précepte ; elle connaîtra mieux son devoir, elle s’en acquittera mieux aussi ; ses enfants sauront très bien discerner dans sa conduite cet air de supériorité et de force qui commande le respect et l’admiration, et ils se soumettront aisément. Tant que cela n’a pas lieu, tant qu’une mère ne s’est pas rendue maîtresse d’elle-même, elle ne pourra jamais soumettre sa famille aux règles de la discipline, quelque simples et quelque évidentes qu’elles soient.
Illustration en couverture : Anonyme, Le maître d’école, huile sur toile, vers 1700.
- L’auteur fait allusion à ces mots de Horace : Ira furor brevis est (Épîtres I,2,62).[↩]
0 commentaires