Tertullien était-il crédobaptiste ?
15 octobre 2025

Qu’est-ce que le crédobaptisme ?

Avant de se demander si un auteur est crédobaptiste, il convient d’être au clair sur le sens de ce mot tel qu’il sera employé dans la suite de l’article.

Commençons par ce que le crédobaptisme n’est pas :

  • Le crédobaptisme n’est pas simplement un anti-pédobaptisme. Ce n’est pas avant tout une question d’âge ou une opposition de principe à ce qu’une personne mineure reçoive le baptême.
  • Le crédobaptisme n’est pas non plus un tardobaptisme. Le tardobaptisme est une idée que l’on retrouve dans l’antiquité, qui consiste à se faire baptiser « le plus tard possible », afin de ne pas pécher grièvement après le baptême. Le tardobaptisme, parce qu’il considère que le baptême ne peut être administré qu’une fois, et que celui-ci ôte la culpabilité des péchés passés, considère plus stratégique d’attendre soit les derniers instants de la vie d’une personne ou du moins une certaine maturité et stature dans la foi.

Puisque le crédobaptisme n’est pas une sorte de « limite d’âge légale » du baptême ni un « le plus tard sera la mieux », qu’est-ce positivement ?

Le crédobaptisme, c’est croire que pour qu’un baptême soit valide, c’est-à-dire que pour qu’un baptême soit un baptême et non un faux-semblant, il faut que celui qui reçoit le baptême confesse la foi (d’où le credo- dans le terme, qui signifie « je crois » en latin) et que le baptême résulte d’une démarche consciente et volontaire de la part du baptisé. Ainsi, le crédobaptisme n’est pas opposé au baptême des enfants pour lui-même mais uniquement parce que l’enfant n’est pas considéré comme capable de professer la foi.

Un crédobaptiste ne considère pas qu’il faut baptiser le plus tard possible un croyant ou attendre un certain degré de maturité dans la foi. Il ne considère pas non plus qu’une personne mineure et sous la responsabilité de ses parents ne peut pas être baptisée, si elle professe la foi. Ainsi, si une personne a été baptisée sans profession, dans sa toute petite enfance, le crédobaptiste va réitérer le baptême, puisqu’il ne considère pas le premier baptême comme un baptême valide.

Maintenant que nous avons une définition précise du crédobaptisme, nous pouvons appliquer cela à Tertullien, qui nous intéresse dans cet article.

Tertullien, le tardobaptiste

Tertullien est fréquemment invoqué par des crédobaptistes comme un précédent antique à leur position. Toutefois, comme nous le verrons, Tertullien ne correspond pas à une position crédobaptiste pour deux raisons principales :

  1. Premièrement, Tertullien ne conteste pas la validité du baptême d’enfants. Un tel baptême ne pourra pas être réitéré pour lui, car il est valide ;
  2. Deuxièmement, Tertullien ne place pas la confession de foi comme unique condition au baptême mais bien la maturité dans la foi, ce qui est une logique tardobaptiste : puisque le baptême lave les péchés passés, retardons le jusqu’à une certaine maturité. Cela se traduit non seulement par sa recommandation de différer le baptême des enfants, mais également des célibataires.

Ces deux points sont incontestables dans son œuvre, comme nous allons le montrer, et ainsi il n’est pas intellectuellement honnête de présenter Tertullien comme un crédobaptiste antique. Du reste, il faut remarquer qu’absolument aucun auteur chrétien antique ne conteste la validité du baptême d’enfants ni ne demande à ce qu’il soit réitéré. Voilà pourquoi l’erreur contraire a été condamnée à la Réforme sous le nom d’anabaptisme (terme signifiant « qui répète le baptême »). Ce qui était condamné n’était pas tant la volonté de différer ou la recommandation de le faire mais la prétention que ces baptêmes étaient invalides, n’étaient pas des baptêmes du tout. Le terme plus péjoratif de catabaptisme était également utilisé (« qui détruit le baptême »).

Tertullien débute son propos sur le baptême en disant qu’il ne faut pas l’accorder trop rapidement, y compris à ceux qui le demandent :

Du reste, ceux qui sont chargés de l’administration du baptême n’ignorent pas qu’il ne faut pas le conférer légèrement. Ce précepte: « Donnez à tous ceux qui vous demandent, » a sa mesure, et s’applique à l’aumône. Souvenons-nous plutôt de ces paroles: « Gardez-vous de donner aux chiens les choses saintes; ne jetez point vos perles devant les pourceaux; » et ailleurs: « N’imposez pas facilement les mains à personne, de peur de participer aux péchés d’autrui1. »

Puis il poursuit en examinant des objections que l’on pourrait faire à cette recommandation, en produisant par exemple les baptêmes que les apôtres ont pratiqué rapidement : 

Sans doute Philippe administra facilement le baptême à l’eunuque, mais n’oublions pas qu’un ordre manifeste et formel était intervenu de la part du Seigneur. L’Esprit avait recommandé à Philippe de suivre cette route; l’eunuque lui-même s’occupait à lire les Prophètes, sans songer à demander si promptement le baptême. Il songeait seulement à monter au temple pour y prier. Chemin faisant, il était tout entier à la méditation de l’Ecriture. Religieuses dispositions dans lesquelles devait être surpris celui auquel Dieu envoyait volontairement un Apôtre à qui l’Esprit ordonnait en outre de monter sur le char de l’eunuque. L’Ecriture va au-devant de sa foi; l’exhorter, le choisir, lui révéler le Seigneur est l’affaire d’un moment; sa foi ne supporte pas de retard; l’eau ne se fait pas attendre; le baptême consommé, l’Apôtre disparaît.

—- Mais enfin Paul fut baptisé sans délai.

—- Oui, sans délai; car Simon, son hôte, l’avait reconnu d’abord pour un vase d’élection. La bonté de Dieu se distingue à certaines prérogatives. Au reste, toute demande peut tromper ou être trompée. Il est donc plus utile de différer le baptême d’après l’état, la disposition et l’âge de chacun1.

Ainsi, Tertullien prétend que les cas de l’eunuque et de Paul sont exceptionnels, et que l’on ne devrait pas tirer une prescription du fait qu’ils aient été baptisés si rapidement. Puis il applique le même raisonnement pour les enfants :

Il est donc plus utile de différer le baptême d’après l’état, la disposition et l’âge de chacun, mais surtout par rapport aux enfants: pourquoi, en effet, exposer au péril ceux qui répondent pour eux? La mort ne peut-elle pas les empêcher d’acquitter leurs promesses? S’ils vivent, le mauvais naturel des enfants ne peut-il pas tromper leurs espérances?

Il est bien vrai que notre Seigneur a dit: « Laissez-les venir à moi! » Qu’ils viennent donc, mais quand ils seront plus âgés; qu’ils viennent, mais quand ils auront étudié, et qu’il leur aura été enseigné pourquoi ils viennent; qu’ils soient marqués du sceau des Chrétiens, mais quand ils auront pu connaître Jésus-Christ. Pourquoi l’âge de l’innocence court-il à la rémission des péchés? On en use avec plus de précaution pour les choses du siècle: confierons-nous les trésors du ciel à qui nous ne confierions pas ceux de la terre? Que les enfants apprennent donc à demander le salut, afin qu’il ne semble accordé qu’à ceux qui le demandent1.

Nous voyons ici que la logique est que « l’innocence » de l’enfance ne doit pas « courir à la rémission des péchés » (ce qui suppose que le baptême n’efface que les péchés passés). En fait, il ne s’agit pas d’une supposition, mais des premiers mots de son traité :

Heureux sacrement que celui de l’eau chrétienne, qui, lavant les souillures de nos ténèbres passées, nous enfante à la liberté de la vie éternelle2 !

D’autre part, nous voyons que ce que dit Tertullien ici suppose que ce baptême sera valide et ne pourra pas être réitéré. C’est parce que ce baptême est valide et ne survient qu’une seule fois que Tertullien juge périlleux de baptiser si tôt. Remarquons en outre qu’il déclare que cela « expose au péril » et que ceux qui sont ainsi « exposés au péril » sont ceux qui « répondent pour eux ». Autrement dit, il témoigne de l’existence et il reconnait la responsabilité réelle de ceux qui représentent l’enfant lors de son baptême. Après les enfants, c’est aux célibataires que Tertullien applique la même logique :

Les motifs pour ajourner les adultes qui ne sont pas encore engagés dans le mariage, ne sont pas moins décisifs. La liberté les expose à trop de tentations, les vierges par la maturité de leur âge, les veuves par la privation; il faut attendre qu’elles soient mariées ou affermies dans la continence. Si l’on comprenait bien quel est le fardeau du baptême, on craindrait plus de le recevoir que de le différer: la foi parfaite n’a rien à redouter pour le salut1.

Ainsi, Tertullien milite pour ajourner le baptême des enfants mais également des vierges et des veufs : il faut éprouver leur continence ou attendre qu’ils soient mariés. Très clairement, ce que redoute Tertullien c’est que ces personnes tombent dans un péché sexuel après leur baptême.

Conclusion

Ainsi, il est clair à l’examen des textes de Tertullien que de présenter uniquement la section sur les enfants puis de prétendre qu’il était crédobaptiste est une présentation on ne peut plus malhonnête des données. Dans cet article, nous avons produit l’intégralité du chapitre de Tertullien à ce propos, sans en tronquer un seul mot, contrairement à bien des présentations crédobaptistes de sa position. Tertullien ne considérait pas le baptême d’enfants comme invalide, pas plus que le baptême de vierges ou de veufs, mais, dans ces trois cas, il recommande de différer. Sa logique n’a absolument rien à voir avec l’idée que le baptême n’est valide qu’après une profession de foi.

Du reste, Tertullien témoigne du même coup qu’à son époque on baptisait les vierges, les veufs et les enfants, autrement il ne jugerait pas nécessaire de plaider pour différer cela. D’ailleurs, le fait qu’il doive argumenter contre cette pratique et qu’il anticipe des objections témoigne du fait qu’elle était admise et que c’est lui qui plaide pour un changement des pratiques. Cela correspond aux autres données que nous avons qui témoignent que le baptême des enfants était pratiqué dans les décennies qui ont précédé et les siècles qui ont suivi le traité de Tertullien3. Ainsi, l’historien Isaac Fox relève avec justesse :

En d’autres termes, le silence qui précède Tertullien, ainsi que la présomption de Tertullien selon laquelle le baptême des enfants était la norme, reflètent une pratique largement répandue dans les cent à cent cinquante années suivant la mort de l’apôtre Jean4.

De même, le patrologue Philip Schaff relève :

Il aborde [le baptême d’enfants] non comme une nouveauté, mais comme une pratique largement établie.5

De même, Seth Snyder relève :

Quant à Tertullien, son témoignage plaide autant en faveur qu’à l’encontre du baptême des enfants ; car, en critiquant cette pratique, il la traite comme une coutume déjà bien établie, mentionnant même le détail précis des parrains baptismaux. Autrement dit, il s’oppose consciemment à ce qu’il reconnaît être une pratique ancienne et développée dans l’Église, ce qui, ajouté à nos propres preuves tirées de l’Antiquité, confirme qu’elle était déjà courante à son époque.

De plus, Tertullien ne rejette jamais explicitement le baptême des enfants ; il affirme seulement qu’il est préférable d’attendre la fin de la catéchèse. Cette omission est particulièrement significative. Tertullien est un écrivain hautement polémique et combatif, prompt à accuser ses adversaires théologiques de nouveauté doctrinale, d’abandon de la tradition apostolique et même d’hérésie. Le fait qu’il ne le fasse pas ici, et qu’il se borne à recommander une alternative jugée meilleure, suggère qu’il reconnaissait le baptême des enfants – fût-ce à contrecœur – comme une pratique ancienne, peut-être même d’origine apostolique, et doctrinalement orthodoxe (quoique, selon lui, non préférable).

Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, l’argument de Tertullien contre le baptême des enfants n’est pas celui des baptistes confessionnels modernes. Il soutient que le baptême des adultes catéchisés est préférable en raison de la responsabilité que les parrains assument envers le baptisé pour son développement spirituel et moral, ainsi que des dangers qui découlent de cette responsabilité6.

Rappelons, finalement, qu’il n’existe pas un seul auteur antique qui conteste la validité du baptême des enfants ou demande à ce que le baptême soit réitéré dans une pareille situation, ce qui permet d’affirmer catégoriquement qu’il n’existait pas de crédobaptistes dans l’antiquité, au sens défini plus tôt. La seule façon de trouver des crédobaptistes antiques est d’étendre considérablement le sens de ce terme pour y placer des raisonnements considérablement éloignés de la logique crédobaptiste.


  1. Tertullien, Du Baptême, XVIII.[][][][]
  2. Tertullien, Du Baptême, I.[]
  3. Irénée, Contre les Hérésies, II, XXII, 4 ; Origène, Commentaire sur Romains, V, 9, Homélie sur Luc 4Homélie sur Lévitique ; Augustin, Lettres 166, 21 ; La Genèse au sens littéral, X, XXIII, 39 ; Cyprien, Correspondance, lettre LXIV, 2 ; Ambroise, Sur Abraham, II, XI, 84 ; Hippolyte, La Tradition des Apôtres 21 :16 ; Chrysostome, Contre Julien, 1 :6 :21.[]
  4. HeidelBlog, « Tertullian Was a Cautious Paedobaptist (Part 1) », 2025.[]
  5. Cité par Bryan Holstrom, Infant Baptism and the Silence of the New Testament, page 98.[]
  6. Snyder, Fr. Seth. « Infant Baptism: A Treatise in Defense of Infant Baptism, Written in the Scholastic Style – Part II. » The North American Anglican, 17 juillet 2023.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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