La transsubstantiation est la doctrine romaine selon laquelle, lors de la consécration, la totalité de la substance du pain et du vin est changée en corps et sang du Christ, tout en conservant l’apparence du pain et du vin.

Une conséquence de la transsubstantiation, c’est que manger le pain et boire le vin consacrés, même si l’on a pas la foi, c’est manger le corps et boire le sang du Christ. Imaginons que quelqu’un entre dans une église, voie une hostie consacrée et décide de la manger alors qu’il n’est absolument pas croyant. Un catholique romain doit croire que cette personne mange le corps et le sang du Christ. Eh bien, justement, les Pères ne croyaient pas cela. Nous avions déjà considéré comment Augustin ne croyait pas à cela, considérons maintenant ce que dit l’évêque d’Édesse, le plus ancien royaume chrétien, au V^e siècle :

En effet, ceux qui mangent le pain avec foi mangent en lui et avec lui le corps vivant de Dieu qui sanctifie, mais ceux qui le mangent sans foi ne reçoivent qu’une nourriture comme le reste des choses qui sont à l’usage du corps. En effet, si le pain est enlevé par des ennemis et mangé de force, ils ne mangent que du pain, parce que, tout en le mangeant, ils n’ont pas la foi qui est consciente de sa force de vie. En effet, le palais goûte le pain, mais la foi goûte la force qui est cachée dans le pain. En effet, ce n’est pas seulement le corps que l’on mange qui nous fait vivre, comme nous l’avons dit un peu plus haut, mais c’est ce qui y est mêlé à ce corps qui nous fait vivre, comme nous le croyons. En effet, la force qui n’est pas mangée se mêle au pain qui est mangé et se confond avec ceux qui le prennent, de même que les noms cachés s’associent aux eaux visibles et que, d’elles, un enfant naît nouvellement. Car l’Esprit plane secrètement sur les eaux visibles pour engendrer à nouveau par elles l’image de l’Adam céleste. Et de même que dans l’eau visible sont cachés les noms invisibles, afin que tous ceux qui sont baptisés en elle participent visiblement à la vie invisible, de même dans le pain visible est cachée la puissance cachée dont quiconque prend part correctement obtiendra la vie immortelle¹.

Ici, très clairement, l’évêque d’Édesse nie que quelqu’un qui mange sans foi l’Eucharistie mange le corps du Christ. Et la raison en est évidente, c’est qu’il ne croyait pas à un changement de substance mais à une réception du corps par la foi. L’analogie qu’il présente avec le baptême rend cela d’autant plus manifeste : l’eau du baptême ne devient pas eau baptismale par un changement de sa substance, mais en raison du lien entre elle et l’Esprit. Ainsi, les éditeurs des œuvres de Rabbula d’Édesse commentent :

La nécessité de la foi pour que l’Eucharistie soit sacramentellement présente au participant apparaît dans les hymnes ainsi que dans la Lettre de Rabbula à Gemellina, qui discute des abus eucharistiques².

Ainsi, on pourrait très simplement dire que :

1. Croire à la transsubstantiation implique de croire que les impies reçoivent le Christ en mangeant le pain ;
2. Rabbula croyait que si l’on ne demeure pas dans le Christ, on ne mange point sa chair, on ne boit pas son sang ;
3. Donc Rabbula ne croyait pas à la transsubstantiation.

Les citations de cet article sont issues d’un travail plus général sur l’Eucharistie chez les pères de l’Église, abordant plusieurs dizaines d’autres citations de ce type et notamment de nombreuses citations de saint Augustin, nous vous invitons à poursuivre l’étude par cette vidéo :

Illustration en couverture : détail des Évangiles de Rabbula, présentant les quatre évangélistes. Ces évangiles syriaques ne sont pas l’œuvre du même Rabbula que celui cité dans l’article.

1. Rabbula d’Édesse, Lettre à Gemillina, 4.[↩]
2. Robert R. Phenix Jr. and Cornelia B. Horn, The Rabbula Corpus, page cclvii.[↩]