Il est courant de voir citée ici et là une prière, le Sub Tuum Praesidium (sous ta bienveillance), adressée à Marie et datée du IIIe siècle. Cette datation provient du premier catalogue établi suite à la découverte du manuscrit contenant cette prière. Ce catalogue, publié en 1929, précise pourtant déjà que si le IIIe siècle a été évoqué, une datation avant la seconde moitié du IVe est hautement improbable1. En effet, le terme Theotokos, que contient cette prière, n’est pas attesté avant Athanase. Par ailleurs, quand bien même cette prière serait ancienne, elle n’est pas un bon argument apologétique, dans la mesure où nous n’avons aucune certitude quant à l’orthodoxie de son auteur : il pourrait s’agir d’un écrit émanant d’un groupe hétérodoxe marial, comme les collyridiens que saint Épiphane de Salamine condamne pour leur culte envers la Vierge, consistant à lui offrir un gâteau (κολλυρίς), d’après lequel il les nomme.
Toutefois, les recherches paléographiques sur le manuscrit, c’est-à-dire les recherches qui sont fondées sur la façon dont les lettres sont dessinées sur les manuscrits, ont conclu à une date bien plus tardive pour ce manuscrit.
Déjà en 1952, Otto Stegmüller, prêtre catholique et professeur d’histoire des religions, déclarait :
À ce jour, il est impossible de déterminer si l’écriture du manuscrit date du IVe, Ve ou du VIe siècle2.
C’est en 1995 que la première étude sérieuse sur le manuscrit (dont le joli nom est P.Ryl. III, 470) est menée par le papyrologue autrichien Hans Förster, dans celle-ci, il conclut :
En résumé, on peut dire qu’une datation du IIIe ou du IVe siècle est très improbable. Sur la base des textes comparatifs cités, P.Ryl. III, 470 se situe entre le VIe et le VIIe siècle. Le Ve siècle est peu probable comme date d’origine, mais ne peut être totalement exclu. L’utilisation d’encre brune, dont il n’existe aucune trace avant le IVe siècle, va également dans ce sens. […] Après une nouvelle étude paléographique du P.Ryl. III 470, la datation ancienne de ce fragment – du IIIe siècle –, qui était jusqu’ici généralement acceptée par les théologiens, ne peut plus être maintenue. La datation du VIe ou même du VIIe siècle signifie que la valeur de source de témoignage historique qui lui a souvent été attribuée s’effondre3.
En 2005, le même papyrologue étudie à nouveau la question, à partir de nouveaux éléments tirés de l’étude des papyri coptes, dans cette nouvelle étude, il conclut :
Si l’on considère l’impression générale du texte, une datation ultérieure ne semble pas injustifiée, les parallèles avec les manuscrits coptes nous évoquent en effet une datation estimée entre les VIIIe-IXe siècles comme plus probable que celle du IIe-IIIe siècle, voire du IVe siècle. En conséquence de ces considérations, il faut affirmer que non seulement des preuves circonstancielles, mais aussi des parallèles très clairs peuvent être invoqués contre la classification souvent trop enthousiaste du papyrus de Manchester comme le plus ancien témoin de l’antienne Sub tuum praesidium. À cet égard, la copie viennoise de cette antienne, qui date du VIe-VIIe siècle, doit être considérée comme la copie la plus ancienne.
En 2015, Arne Effenburger écrit « le papyrus – dans sa forme matérielle actuelle, probablement une amulette protectrice – ne pouvait avoir été créé qu’entre le VIe et le VIIe siècle » en raison de la paléographie et de l’utilisation d’encre brune, ce qui explique pourquoi « une datation du IIIe ou IVe siècle est très improbable »4.
En 2021, une étude de Piotr Towarek affirme :
Dans le débat sur la question de sa datation, de nombreux chercheurs ont par exemple évoqué le IIIe siècle (Giamberardini, Starowieyski). Il s’avère cependant qu’à la lumière des dernières recherches paléographiques, cette époque devrait être déplacée vers les VIe/VIIe, voire les VIIIe/IXe siècles5.
Le portail de recherche papyrologique Trismegistos, dans sa page consacrée au manuscrit, fournit les indications temporelles « 700 à 900 après J.-C. » pour ce manuscrit.
En 2019, Mihalyko conclut également à une datation entre les VIIIe et IXe siècles pour ce manuscrit6.
D’un point de vue académique, il est donc injustifiable de présenter cette prière comme étant un témoin d’une prière mariale au IIIe siècle.
- Le fac-similé du catalogue peut être consulté ici.[↩]
- Otto Stegmüller, “Sub tuum praesidium. Bemerkungen zur ältesten Überlieferung.,” dans Zeitschrift für Katholische Theologie, vol. 74, 1952, pp. 76-82.[↩]
- Hans Forster, “Zur ältesten überlieferung der marianischen Antiphon Sub tuum praesidium”, dans Biblos : Osterreichische Zeitschrift fur Buch und Bibliothekswesen, vol. 44, 1995, 183-192.[↩]
- Arne Effenburger, “Maria als Vermittlerin und Fürbitterin”, dans L. Peltoma etc, Presbeia Theothokou : The Intercessory Role of Mary across Times and Places in Byzantium (4th-9th Century), Vienne, 2015, 49-108 ; page 50.[↩]
- Piotr Towarek, “Prayer „Sub Tuum praesidium”: Time of Origin, Place in Liturgy and Reception in Musical Culture. Outline of the Issues,” Vox Patrum, vol. 80, pp. 239–268.[↩]
- A. T. Mihálykó, The Christian Liturgical Papyri, Studien zur Antike und Christentum 114, Tübingen, 2019, p. 353, no. 267. Consultable ici.[↩]
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