Les Pères de l'Église et les dons charismatiques.
18 août 2017

L’article suivant ne prétend pas être une analyse patristique du don des langues et de la prophétie. Il s’agit simplement de partager des citations des pères à ce sujet sur lesquelles je suis tombé dans mes lectures. On remarque que, comme pour l’Eucharistie et l’Immaculée Conception, les pères ne s’accordaient pas tous sur la question.

Miltiade, par exemple, exprime une position continuationniste ou charismatique en commentant très certainement 1 Corinthiens 13. Il dit :

puisque l’apôtre estime que le charisme prophétique doit exister dans toute l’Eglise jusqu’à la parousie finale.

Cité par Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclesiastique, V, 17, 4.

On remarque toutefois que les miracles et les charismes se font de plus en plus rares dans l’histoire de l’Eglise. Les pères commencent à en parler au passé. Mais ils donnent aussi des raisons théologiques pour lesquelles ces dons ont cessé. Si bien que les quelques manifestations rapportées se font dans des groupes dissidents, hérétiques, minoritaires et de plus en plus rares.

Eusèbe de Césarée, dans son Histoire Ecclesiastique, nous parle en historien des moments (passés) où ces dons se manifestaient :

Car par eux agissaient les merveilleux miracles de l’Esprit divin, encore très nombreux en ce temps-là.

Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, III, 37, 3

En parlant de l’époque de Justin Martyr, il dit :

Il écrit aussi que, encore jusqu’à son époque, des charismes prophétiques brillaient dans l’Eglise.
Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, IV, 18, 8

En HE, V, 1,49, Eusèbe parle d’un Alexandre qui avait part au charisme apostolique. Et au sujet de Montan, il dit :

En effet les nombreuses autres merveilles du charisme divin qui s’accomplissaient jusqu’à cette époque en différentes Eglises faisaient croire à beaucoup que ces hommes-là (les montanistes) aussi prophétisaient.
Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, V, 3, 4

Irénée signale qu’à son temps des résurrections se faisaient encore en réponse aux prières. (Eusèbe, H.E., V, 7, 1-2)

Au sujet de Montan, Eusèbe rapporte :

Il se mit, dans ses transports, à parler, à prononcer des mots étranges et à prophétiser d’une manière tout à fait contraire à la tradition et à l’enseignement de l’Eglise depuis ses débuts.
Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, V, 16, 7

Ainsi, selon Eusèbe de Césarée, les dons ont encore existé peu après l’époque apostolique mais ont progressivement disparu vers l’époque d’Irénée, de Montan et de Justin Martyr. Il ne reproche pas à Montan de prophétiser ou de parler en langues, mais de le faire d’une manière contraire à celle de la tradition de l’Église. En effet, il parlait d’une façon incompréhensible, dans une sorte de transe ou d’extase. Notons toutefois qu’Eusèbe n’est pas un historien incontesté, il est pionnier dans son domaine et  reconnait lui-même la difficulté de la tache qu’il entreprend.

Mais les théologiens parmi les pères de l’Église ne voient pas, dans cette “disparition” du don, un problème, au contraire ils nous livrent une théologie de ce don, une place dans le plan du salut qui explique son apparition et sa disparition.
Ainsi, Chrysotome, en Orient, au sujet de 1 Corinthiens 12.1, nous dit :

Tout ce lieu est fort obscur : et cette obscurité vient de ce que nous ne savons pas assez à fond de quoi saint Paul traite. Les choses dont il parle étaient alors dans l’usage ordinaire, au lieu que maintenant elles ne sont plus. (…)
Comme donc ceux qui se convertissaient du culte des idoles ne connaissaient rien de Dieu, et n’étaient point instruits des Livres du vieux Testament, aussitôt qu’ils avaient été baptisés ils recevaient le Saint-Esprit. Ils ne le voyaient pas, parce qu’il n’est point sensible ; mais la grâce intérieure leur donnait des dons sensibles et extérieurs qui étaient comme autant de marques assurés de son opération divine. L’un parlait la langue de Perse, un autre celle de Rome, un autre celle des Indes ; un autre enfin quelqu’autre langue semblable.
Jean Chrysostome, Homélie XXIX, cité par Florent Varak dans La Foi Charismatique.

Au sujet de 1 Corinthiens 13.8, il rajoute :

Après donc avoir ainsi montré l’excellence de la charité, il la relève d’une autre manière.
Les prophéties, dit-il, s’anéantiront, les langues cesseront. Si ces dons n’ont été fait d’abord que pour établir la Foi, maintenant que la Foi est établie, ils ne sont plus nécessaires, alors qu’on ne cessera jamais de s’aimer les uns les autres dans le Ciel et qu’au contraire la Charité y sera bien plus ardente, qu’elle ne l’est maintenant.
Jean Chrysostome, Homélie XXXIV, cité par Florent Varak dans La Foi Charismatique.

Augustin, à son tour, nous explique la fonction qu’avait le don des langues :

Vous savez comment le ciel répondit à leurs prières : par un grand prodige. Tous ceux qui étaient présents n’avaient appris qu’une seule langue. L’Esprit saint descendit sur eux et remplit leur âme, et ils commencèrent à parler les langues de tous les peuples sans les connaître, sans les avoir apprises; (…)
Est-ce qu’aujourd’hui, mes frères, le Saint Esprit n’est plus donné ? Celui qui le croirait ne serait pas digne de le recevoir. On le reçoit donc encore aujourd’hui. Pourquoi donc ne parle-t-on plus plus aujourd’hui toutes les langues, comme les parlaient ceux qui recevaient alors le Saint Esprit ? Pourquoi ? Parce que la signification mystérieuse du don des langues est accomplie. (…)
Cette Eglise si peu nombreuse, qui parlait toutes les langues, était le symbole de cette grande Eglise qui s’étend du lever du soleil à son coucher, et parle les langues de tous les peuples. Cette promesse a reçu son accomplissement.
Augustin, Sermon CCLXVII, II et III, cité par Florent Varak

Ailleurs, il rajoute à ce sujet :

Il ne s’ensuit pas maintenant que l’Esprit saint ne soit pas donné à ceux qui croient, parce qu’ils ne reçoivent pas le don des langues. Si ce don était alors nécessaire, c’était afin de montrer que toutes les langues professeraient la foi du Christ. Quand le fait prophétisé a été accompli, la prophétie n’a plus eu lieu.
Augustin, Discours sur le Psaume 131, cité par Florent Varak

Conclusion

D’un point de vue historique alors, comme je le disais, les dons semblent avoir progressivement disparus et les théologiens ont donné des raisons pour expliquer cela. Les charismatiques disent parfois que la disparition vient d’une sur-réaction à l’hérésie de Montan. Les cessationistes remarquent que le don des langues, très tôt, a disparu de l’Église orthodoxe pour ne paraître que dans des groupes hérétiques et ce, rarement dans l’histoire. De telle sorte que Florent Varak fait remarquer aux charismatiques qui ne sont pas restaurationnistes (les restaurationnistes pensent que l’Eglise de Christ a en quelque sorte disparu pendant des siècles pour réapparaître récemment), doivent expliquer comment ce don a pu disparaître si longtemps. Tandis que les cessationistes, qui pensent que le don a disparu avec les apôtres, doivent expliquer les témoignages de ces dons après la période apostolique; ou admettre, avec Eusèbe qui semble lui-même cessationiste, que si ce don a cessé, il ne l’a fait directement après la mort des apôtres mais quelques temps après.

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs trois enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

3 Commentaires

  1. timminard

    Merci bien pour cet article qui permet d’entrevoir les difficultés de la question.
    Quelques suggestions d’amélioration, sur la forme :
    – Il serait utile pour les néophytes de donner les dates des auteurs anciens cités : cela permettrait de mieux situer la manière dont la réflexion évolue au fil des siècles (il y a quand même 250 ans d’écart entre Justin Martyr et Augustin !).
    – Il pourrait être sympa de laisser les liens vers les traductions françaises de ces textes disponibles en ligne, pour que le lecteur curieux puisse étudier les citations dans leur contexte (pour les oeuvres complètes d’Augustin, voir ici : http://abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/ ; pour Jean Chrysostome, voir ici : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/index.htm ; pour Eusèbe, voir ici : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/eusebe/index.htm#HIS )
    Quelques remarques sur le fond :
    – Parler des “dons charismatiques” peut porter à confusion : ne s’agit-il pas plutôt des “dons miraculeux” ? (les cessationnistes contemporains affirment l’actualité des “charismes” non miraculeux).
    – Au sein des “dons miraculeux”, il faudrait aussi distinguer : si certains auteurs anciens, à partir de la fin du 3e siècle, signalent la disparition du don des langues, ils ne diraient pas la même chose quant à la guérison miraculeuse. Quant à la prophétie, la chose est encore plus complexe : Augustin la définit par exemple comme une forme d’interprétation faisant appel à la raison (voir ici : http://abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/genese/genlit/gen3l.htm#_Toc23147436). Il est possible que la prophétie ait pu être comprise par des auteurs anciens comme Augustin, comme un don pouvant s’exprimer dans la prédication, par exemple. Mais là encore, les textes ne sont pas très clairs…
    – Quant à la deuxième citation de Chrysostome (celle de l’homélie 34 sur 1 Corinthiens 13), le texte n’est pas très clair : pour ma part, il me semble plutôt que Chrysostome affirme non pas une distinction entre le temps apostolique et son époque, mais entre le temps présent et celui de la fin des temps (futur). Par ailleurs, dans l’homélie 36 (sur 1 Co 14.20ss), Chrysostome semble regretter les temps apostoliques :
    “C’est qu’à cette époque l’Église, c’était le ciel; c’était l’Esprit-Saint qui dirigeait tout, qui faisait mouvoir les chefs de l’Église et qui leur donnait l’inspiration divine. Aujourd’hui nous n’avons conservé que les symboles et les signes extérieurs de ces dons précieux, aujourd’hui encore nous sommes deux ou trois qui parlons, et nous prenons la parole tour à tour; et quand l’un se tait, l’autre commence, mais ce ne sont là que des signes qui rappellent de si grands dons; voilà pourquoi, quand nous prenons la parole, le peuple répond : Que le Seigneur soit avec votre esprit. Cela prouve que l’on parlait ainsi autrefois, mais alors c’était non pas la sagesse humaine, mais l’Esprit qui était dans toutes les bouches; il n’en est pas ainsi de nos jours; et ici je parle aussi pour moi.
    Mais l’Église ressemble aujourd’hui à une femme déchue de son ancienne splendeur, et n’a plus que des images de sa prospérité d’autrefois, elle montre les cassettes et les coffrets où étaient renfermées des richesses, mais elle a perdu les richesses elles-mêmes. C’est à cette femme que l’Église ressemble. Ce n’est point à cause des grâces que je parle ainsi , il n’y aurait rien d’étonnant si elle n’avait perdu que cela, mais elle a perdu encore la bonne conduite et la vertu. ” (voir ici, fin du §4 et début du §5 : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/corinthiens/1co36.htm )
    Chrysostome n’est donc pas très clair sur la manière dont il faut interpréter l’absence de certains dons à son époque. S’il constate la cessation de ces dons, il ne la justifie pas à la manière des cessationnistes modernes.
    Au passage, il me semble que l’argument des cessationnistes modernes qui relient la fin des dons spirituels à la clôture du canon, ne se retrouve pas chez les auteurs anciens d’avant la Réforme.
    Bref, la question est complexe, et c’est tout à fait juste de dire que les pères ne s’accordaient pas sur la question !
    Encore bravo pour cet intérêt pour la théologie, pour ces lectures attentives, et cette volonté de partager ses lectures avec d’autres !
    Bien fraternellement,
    Timothée

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    • objectifpacesblog

      Merci pour ton commentaire, c’était le but de mon article : lancer la discussion 🙂

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  2. David Vincent

    Augustin insiste sur les guérisons miraculeuses à la fin de la Cité de Dieu. J’en publierai prochainement quelques extraits.

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