Article précédent : La cessation des « dons extraordinaires » (2) : le témoignage apostolique – Richard B. Gaffin
Ephésiens 2:20 associe les « prophètes » aux apôtres dans l’exercice du témoignage fondateur ou du ministère de la parole. L’identité de ces prophètes a été souvent un sujet de débat (Selon une opinion encore répandue, ces prophètes seraient ceux de l’Ancien Testament. L’expression « les apôtres et les prophètes » soulignerait l’unité de l’ancienne et de la nouvelle alliances et marquerait que l’Eglise est fondée sur les deux).
Il est peu probable qu’il s’agisse d’une référence aux prophètes de l’Ancien Testament pour trois raisons :
- Premièrement, le mot « prophètes » devrait précéder celui d' »apôtres », s’il s’agissait d’une référence aux prophètes de l’Ancien Testament ;
- Deuxièmement, le contexte d’Ephésiens 2:20 souligne la nouveauté de la nouvelle alliance, qui inclut des Gentils aussi bien que des Juifs ;
- Troisièmement, on retrouve ce même ordre de mots quelques versets plus loin (3:5) où les « prophètes » sont manifestement des membres de l’Eglise à laquelle Paul écrit et non pas des personnes vivant sous l’ancienne alliance (« Ce mystère… n’avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations comme il a été révélé maintenant par l’Esprit à ses saints apôtres et prophètes ». Voir Ep 2:20 et 3:5. Cf. Rm 11:25 ; 1 Co 15:51 ; 1 Th 4:15 ; 1 Co 14:6).
Certains croient que les prophètes seraient les apôtres : « les apôtres qui sont aussi des prophètes ». Ceci est grammaticalement possible ; les apôtres exercent bien des fonctions prophétiques. Rien n’exclut catégoriquement de point de vue. Pourtant plusieurs considérations obligent à écarter cette hypothèse (Tout d’abord, en Ephésiens 4:11 où Paul énumère certains des dons faits à l’Eglise par le Christ exalté (v.7), les apôtres représentent un groupe nettement distinct de celui des « prophètes » : « C’est lui qui a donné les uns comme apôtres, les autres comme prophètes, les autres comme évangélistes… » Dans la mesure où ce verset fait partie de l’ensemble où Paul parle de l’Eglise en tant que « nouvelle création » et corps de Christ (2:11-4:16), il est fort peu probable qu’il ait utilisé, sans la moindre explication, le mot « prophètes » dans deux sens différents. En Ep 4:7-16, Paul souligne l’harmonie des dons divers que le Christ a donné à son « corps »). L’explication la plus probable est que les prophètes mentionnés en 2:20 et 3:5 (cf. 4:11) sont comme les apôtres : un don du Christ exalté à l’Eglise, mais un don différent. Ainsi il est peu probable que les « apôtres et prophètes » mentionnés comme fondement de l’Eglise, soient autres que les « apôtres » et « prophètes » qui servent à son édification (v.12). En fait, si l’on considère le contexte, leur fonction de témoins-fondateurs est leur apport spécifique à l’ensemble de l’oeuvre d’édification décrite en Ephésiens 4:11-16.
Ces observations sont renforcées par d’autres. En 1 Corinthiens 12:28, le seul autre passage où Paul mentionne « apôtres et prophètes » ensemble, il les distingue nettement comme constituant deux groupes séparés (« Et Dieu a établi dans l’Eglise premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs… » ; voir aussi la distinction faite en Ap 18:20). De plus, ce verset est placé dans un contexte semblable à celui d’Ephésiens 2-4 ; en 1 Corinthiens 12, Paul se préoccupe de l’Eglise dans sa globalité (le corps de Christ) qui est composée de Juifs et de Gentils (v.13) et équipée pour le service. Si Paul avait eu l’intention d’identifier les apôtres et les prophètes en Ephésiens 2:20 et 3:5, il aurait dû fournir une explication à ses lecteurs (1 Tm 2:7 ; 2 Tm 1:11. Il est vrai que la ligne de séparation entre certains des dons n’est pas toujours claire et nette, et que les apôtres ont exercé des fonctions de prophètes et d’enseignants. Paul lui-même, en tant qu’apôtre, se dit prédicateur et docteur, mais il ne revendique jamais, ni pour lui, ni pour aucun des apôtres, le titre de prophète »).
Plus révélateur est l’emploi du pluriel en Ephésiens 2:20 et 3:5. Les apôtres sont considérés comme un groupe. Ailleurs, Paul ne désigne jamais les apôtres comme prophètes, enseignants, ou par quelque terme désignant un autre ministère distinct dans l’Eglise, car cela aurait été source de confusion. Certes, l’activité prophétique n’était pas rigoureusement limitée à un seul groupe d’individus dans l’Eglise. Ce don a pu être accordé, de façon temporaire, dans des situations particulières à ceux qui n’étaient pas prophètes (Ac 19:6). C’est précisément ce que nous voulons démontrer. L’emploi de ce terme dans le livre des Actes et dans l’Apocalypse ainsi que chez Paul, indique clairement que le mot « prophète » désigne ceux qui, par l’exercice fréquent ou régulier de ce don, constituent un groupe particulier à l’intérieur de l’Eglise, groupe qui se distingue des apôtres, même lorsque ceux-ci exercent des fonctions prophétiques. C’est pourquoi Paul n’a pas utilisé ce mot de « prophètes » en Ephésiens 2:20 et 3:5 autrement que dans le sens déjà familier à ses lecteurs ; et il poursuit de façon encore plus nette (Ep 4:11).
Pour ces raisons, nous devons conclure, avec la grande majorité des commentateurs, que les « prophètes » d’Ephésiens 2:20 et 3:5 sont ceux du Nouveau Testament et bien distincts des apôtres. Il devient donc évident que l’absence, dans ces deux versets, de l’article défini avant le mot « prophètes » manifeste combien Paul les associe aux apôtres dans l’activité fondatrice de l’Eglise en tant que témoins du Christ et du « mystère » révélé en lui (L’objection selon laquelle la révélation de ce mystère ne serait pas du même ordre que celle donnée aux prophètes, est basée sur une mauvaise compréhension de l’enseignement de la prophétie dans le Nouveau Testament ainsi que sur une notion trop limité du « mystère ». Le cas précis d’Agabus (Ac 11:20 ; 21:10s) est en faveur, et non l’inverse, du caractère fondateur de la prophétie).
L’incorporation des Gentils dans l’Eglise, soulignée par ce passage (surtout en 3:6) constitue un aspect important du mystère, et seulement un aspect. Le mystère n’est rien de moins que Christ lui-même dans toute sa plénitude salvatrice, l’Evangile dans sa totalité (Col 2:2s ; Ep 6:19 ; cf Rm 16:25s.). Une conclusion majeure de notre étude d’Ephésiens 2:20 est que les prophètes du Nouveau Testament, avec les apôtres, constituent le fondement de l’Eglise. Ils ont une fonction fondatrice, c’est-à-dire temporaire, provisoire dans l’histoire de l’Eglise, et, selon le dessein de Dieu, ils sont destinés à disparaître, avec les apôtres.
C’est ce qui sera développé dans le prochain article…
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