Notre connaissance de l'existence de Dieu selon Thomas D'Aquin
5 janvier 2019

La dernière fois, nous avons précisé ce que Thomas d’Aquin entendait faire: établir et enseigner la « doctrine sacrée » à partir de la révélation divine (et l’Écriture seulement). Mais avant de savoir ce qu’est Dieu, il nous faut savoir… si Dieu existe. Inutile de se tordre l’esprit à savoir comment il existe si au final il n’existe pas. Il pose donc la question 2: à propos de l’existence de Dieu. Il divise cette question en 3 articles:

  • A1: L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même?
  • A2: L’existence de Dieu est-elle démontrable?
  • A3: Dieu existe-il?

Pour le post d’aujourd’hui, je ne traiterai que des deux premiers articles, le commentaire nécessaire pour présenter et commenter les 5 voies risque d’être copieux, je me le réserve pour plus tard. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien d’intéressant à voir, bien au contraire: pour un évangélique, la question de l’existence de Dieu est semblable au mythique éléphant dans le salon: c’est une question énorme qu’en général on évite avec beaucoup d’application.

1. L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même?

Demandez à n’importe quel frère et soeur dans la foi, et il vous répondra: « Mais bien sûr que oui! » Il semble à certain que l’existence de Dieu est aussi évidente que l’air que l’on respire, et qu’il suffit de dire à un athée: « écoute ton coeur et tu verras que Dieu existe » ou bien plus sobrement: « croire en Dieu (=savoir que Dieu existe) est aussi naturel que de respirer. »

Ce n’est pas comme si c’était complètement faux. Il est écrit après tout: « ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître.  » (Rom 1.19) La tradition réformée a pas mal élaboré sur le thème du sensus divinitatis, le sens du divin qui existe en tout homme et que Dieu utilise pour témoigner de son existence. Enfin, la philosophie présuppositionaliste fait de cette évidence de l’existence de Dieu une pierre angulaire: si les hommes ne voient pas l’existence de Dieu, c’est parce qu’ils ont les mauvais présupposés, pas parce que cette existence est obscure.

Thomas d’Aquin serait d’accord avec eux… en un sens. Mais il affirme tout de même que l’existence de Dieu n’est pas évidente par elle-même et voici sa formulation:

Je dis donc que cette proposition : Dieu existe, est évidente de soi, car le prédicat y est identique au sujet ; Dieu, en effet, est son être même, comme on le verra plus loin. Mais comme nous ne connaissons pas l’essence de Dieu, cette proposition n’est pas évidente pour nous ; elle a besoin d’être démontrée par ce qui est mieux connu de nous, même si cela est, par nature, moins connu, à savoir par les œuvres de Dieu. – Ia Q2, a1

Oui, l’existence de Dieu est évidente, ne serait-ce que parce que Dieu et le concept de Dieu sont une seule et même chose. Si donc nous avions naturellement une idée de ce qu’est Dieu le créateur infini, omniscient etc…. et bien nous saurions déjà que Dieu existe (ce qui est le coeur de l’argument ontologique pour l’existence de Dieu). Problème: nous n’avons en réalité aucune idée naturelle de ce qu’est précisément l’essence de Dieu. Nous avons bien sûr de vagues intuitions et un sens confus du divin, mais ce n’est pas suffisant pour qu’on puisse qualifier ces instincts de « connaissances ». Si je sens confusément qu’il y a un locataire du dessus, on peut très difficilement dire que je sais que « Dieu » existe, surtout si je l’imagine sur un trône doré avec une grande barbe.

La solution est donc: l’existence de Dieu est évidente, mais pas pour nous.

Il y a tout de même des objections à cela: comment pouvons nous dire que l’existence de Dieu n’est pas évidente, alors que nous avons le sensus divinitatis? Thomas répond:

Nous avons naturellement quelque connaissance générale et confuse de l’existence de Dieu, à savoir en tant que Dieu est la béatitude de l’homme ; car l’homme désire naturellement la béatitude, et ce que naturellement il désire, naturellement aussi il le connaît. Mais ce n’est pas là vraiment connaître que Dieu existe, pas plus que connaître que quelqu’un vient n’est connaître Pierre, même si c’est Pierre qui vient. En effet, beaucoup estiment que la béatitude, ce bien parfait de l’homme, consiste dans les richesses, d’autres dans les plaisirs, d’autres dans quelque autre chose.

Savoir qu’il y a du divin dans l’univers, ce n’est pas savoir que Dieu existe.

Autre objection: Dieu est la fondation de la vérité, de l’existence, du Bien. Si donc nous connaissons naturellement que la vérité, l’existence et le bien moral existe, c’est déjà reconnaître que Dieu, la perfection même de ces choses existe. A ceci Thomas répond simplement:

Que la Vérité soit, en général, cela est évident ; mais que la Vérité première soit, c’est ce qui n’est pas évident pour nous.

Tous reconnaissent l’existence du Bien et du mal. Mais les discours des athées modernes montre bien qu’ils sont très très loin de faire le lien entre le bien et le Bien, qu’ils ont beau utiliser en permanence des concepts qui n’ont de sens que si Dieu existe, ils ne réalisent pas et n’arrivent pas à comprendre que Dieu existe. Cette vérité est donc évidente, certes, mais pas pour nous.

2. L’existence de Dieu est-elle démontrable?

Voilà un thème sur lequel le consensus évangélique commun dira assurément non. Et auquel Thomas d’Aquin répond facilement oui. Faisons chaque objection dans l’ordre:

Je connais plus d’un frère ou d’une soeur qui dirait:

L’existence de Dieu est un article de foi ; mais les articles de foi ne se démontrent pas ; car la démonstration engendre la science, mais l’objet de la foi est ce dont la vérité n’apparaît pas, selon l’épître aux Hébreux (11, 1) – Summa Ia, Q2, a2

C’est plutôt juste: c’est par la foi que nous déclarons que Dieu existe: à aucun moment à notre conversion nous n’avons entendu de démonstration logique qui nous amenait à cette existence. On nous as dit: « Dieu a envoyé Jésus faire ceci et cela » et nous l’avons cru. Il n’y a donc pas lieu de démontrer, mais uniquement de recevoir par la foi. C’est même plutôt inconvenant de faire autrement.

Passons sur le fait qu’il y a des personnes qui se sont converties suite justement à des arguments logiques sur l’existence de Dieu et concentrons nous sur ce que dit Thomas:

L’existence de Dieu et les autres vérités concernant Dieu, que la raison naturelle peut connaître, comme dit l’Apôtre (Rm 1, 19), ne sont pas des articles de foi, mais des vérités préliminaires qui nous y acheminent. – Ibid

Cette phrase peut paraître difficile, parce que la plupart d’entre nous prennent l’existence de Dieu par la foi, et la confirment plus ou moins plus tard. Cela ne correspond pas à la façon dont nous recevons cette information. Personne ne nous as prouvé ou enseigné l’existence de Dieu, on nous l’a proclamé, et j’y ai cru… Ecoutez alors ce que dit Thomas:

En effet, la foi présuppose la connaissance naturelle, comme la grâce présuppose la nature, et la perfection le perfectible. Toutefois, rien n’empêche que ce qui est, de soi, objet de démonstration et de science ne soit reçu comme objet de foi par celui qui ne peut saisir la démonstration. – Ibid

Je propose une illustration: on m’a appris directement le théorème de pythagore: « le carré de l’hypothénuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés ». Ceci est une connaissance naturelle, elle n’est pas le fruit d’une révélation divine directe. Cependant, si on devait m’exposer les raisons pour lesquelles ce théorème est vrai, je serais à sec: ma prof de maths me l’a appris, et je lui fais confiance. Bien que le théorème de Pythagore soit une connaissance qui peut être prouvée, rien n’empêche que la plupart d’entre nous le recoive par la foi.

De même, l’existence de Dieu est une proposition qui n’est pas révélée, mais prouvable par la raison, et sur laquelle s’appuie toute la révélation divine. Cela ne veut pas dire que la Bible s’appuie sur la Raison: en effet, il est tout à fait possible de sauter cette étape et admettre par la foi que Dieu existe. Cela ne change pas le fait que la proposition: « Dieu existe » est de nature rationnelle et prouvable, et c’est bien tout le travail des philosophes et apologètes. Inutile de dire, en effet, que si Dieu n’existe pas, alors il n’y a même pas de raison de parler de Jésus…

Pendant que j’y suis, en dehors de l’existence de Dieu, quels sont les autres attributs de Dieu que l’on peut connaître par la raison seulement? Thomas d’Aquin nous renvoie vers Romains 1.20, aussi allons nous vers ce texte:

En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’oeil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. – Paul de Tarse, Romains 1.20

Les limites de ce que l’on peut connaître rationnellement de Dieu, sans révélation divine sont donc assez limitées: nous savons qu’il y a un quelque chose au dessus de nous, que ce quelque chose est divin, et qu’il est puissant. C’est exactement ce que Platon (que Clément d’Alexandrie appelait « amoureux de la vérité ») et Aristote développait dans leurs systèmes, hors de toute révélation divine.

Cela dit, cette théologie purement naturelle n’est pas très utile ni pour le salut, ni pour la vie chrétienne, car il manque encore une grande quantité d’informations sur ce que Dieu est, ce qu’il a fait et ce qu’il veut, et voici pourquoi, comme on le disait au premier article, il nous faut une révélation divine et une « doctrine sacrée » basée dessus.

Synthèse

Avant de savoir si Dieu existe, il nous faut savoir si cela a seulement du sens de se poser la question.

  • L’existence de Dieu est-elle évidente par elle-même?

Oui, mais pas pour nous.

  • Peut-on démontrer l’existence de Dieu?

Oui, même si nombre d’entre nous sautent cette étape et l’accepte par la foi.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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