Thomas D'Aquin sur la théologie
29 décembre 2018

Article de Étienne Omnès qui est le début d’une série exposant la Somme de Théologie de Thomas D’Aquin. Ce livre, destiné à l’origine à la formation des prêcheurs dominicains, reste aujourd’hui un chef d’oeuvre titanesque de la théologie et de la métaphysique chrétienne, et reste un des livres philosophiques les plus commentés, que ce soit par des chrétiens ou des non-croyants, pour sa théologie proper ou pour son éthique. Nous commenterons chaque semaine, question par question ou article par article (selon le sujet) la position de Thomas d’Aquin sur le sujet, afin de faire découvrir au monde évangélique toute la richesse de la théologie médiévale, qui est à bien des égards un recours parfait face aux défaillances de notre propre théologie contemporaine.

La méthode scholastique qui se retrouve parfaitement chez Thomas d’Aquin consiste avant tout à se poser des questions, puis de question en question progresser dans la connaissance. Et quand on veut explorer le sujet de Dieu, la toute première question à se poser est: que suis-je en train de faire? Quelle est la nature de ce que je m’apprête à dire? Est ce que c’est utile?

Thomas pose donc la question: « Qu’est ce que la doctrine sacrée? Quel est son objet? » Il découpe ensuite en 10 articles, ou sous-questions:

Q1-4: La nature de la théologie

Q5-7: Sa place parmi tous les savoirs

Q8-10: Comment la fait-on?

  1. Une telle doctrine est-elle nécessaire?
  2. Est-elle une science?
  3. Est-elle un ou multiple?
  4. Est-elle spéculative ou pratique?
  5. Quels rapports entretient-elle avec les autres sciences?
  6. Est-t-elle une sagesse?
  7. Quel est son sujet?
  8. Argumente-t-elle?
  9. Doit elle employer des métaphores?
  10. La Bible peut-elle être expliqué selon plusieurs sens?

Mon objectif dans cet article est de vous présenter en une fois toute la question 1 (je ne pourrais pas toujours commenter une question entière), en démystifiant d’abord les questions, et éclairant autant que le Seigneur me permettra les réponses.

1. La doctrine sacrée est-t-elle nécessaire?

Après tout, il existe déjà la philosophie pour se poser la question de Dieu et de ses attributs. Nous n’avons pas non plus besoin de théologie pour savoir comment nous devons vivre et comment, par exemple, avoir un mariage réussi. Considérant que la théologie chrétienne n’est pas l’étude d’un champ de savoir foncièrement nouveau, il apparaît inutile de rajouter la théologie quand la philosophie et les sciences sociales suffisent… Elle paraît superflue.

Thomas défend alors l’idée que ce qui rend la théologie nécessaire n’est pas son sujet ou sa méthode, mais son point de départ:

Il fut nécessaire pour le salut de l’homme qu’il y eût, en dehors des sciences philosophiques que scrute la raison humaine, une doctrine procédant de la révélation divine. – Summa Ia, Q1, a1

Il donne deux raisons pour lesquelles elle est nécessaire:

  • Le but ultime de l’homme n’est pas situé en l’homme, mais au delà de lui, et il faut donc qu’il lui soit révélé pour qu’il agisse en fonction.
  • La révélation permet de rendre disponible au plus grand nombre un savoir vital qui autrement, ne serait connu que d’une minorité de joyeux philosophes.

Il n’y a pas de superfluité de la théologie quant aux autres domaines de savoir: par exemple, la théologie du mariage ne rentre pas en concurrence ou en superfluité avec la sociologie du mariage, parce que ce sont deux démarches différentes sur un même objet, ce qui arrive couramment. Même en ce qui concerne la connaissance de Dieu, la philosophie part de l’homme et ce qu’il connaît pour décrire Dieu, quand la théologie part de la Révélation de Dieu pour connaître Dieu. Comme ce sont des démarches différentes, il n’y a pas de concurrence entre philosophie et théologie.

Une diversité de “ raisons ”, ou de points de vue, dans ce que l’on connaît, détermine une diversité de sciences. Ainsi est-ce bien une même conclusion que démontrent l’astronome et le physicien, par exemple, que la terre est ronde ; mais le premier utilise à cette fin un moyen terme mathématique, c’est-à-dire abstrait de la matière, tandis que le second en emploie un qui s’y trouve impliqué. Rien n’empêche donc que les objets mêmes dont traitent les sciences philosophiques, selon qu’ils sont connaissables par la lumière de la raison naturelle, puissent encore être envisagés dans une autre science, selon qu’ils sont connus par la lumière de la révélation divine. La théologie qui relève de la doctrine sacrée est donc d’un autre genre que celle qui est encore une partie de la philosophie.

2. La doctrine sacrée est-elle une science?

Ici on pose la question de l’objet de ce savoir:  si ce savoir est une révélation divine, faite une fois pour toute, alors la théologie n’est pas une science, puisqu’elle n’est pas étude de quelque chose…

Thomas d’Aquin se sert en fait de cette question pour expliciter la chose suivante: la « doctrine sacrée » n’est pas la révélation divine. Notre théologie n’est pas la Bible, mais notre étude de la Bible. Elle est la science, l’étude si vous préférez, de la révélation divine.

A coup sûr la doctrine sacrée est une science. Mais, parmi les sciences, il en est de deux espèces. Certaines s’appuient sur des principes connus par la lumière naturelle de l’intelligence : telles l’arithmétique, la géométrie, etc. D’autres procèdent de principes qui sont connus à la lumière d’une science supérieure : comme la perspective à partir de principes reconnus en géométrie, et la musique à partir de principes connus par l’arithmétique. Et c’est de cette façon que la doctrine sacrée est une science. Elle procède en effet de principes connus à la lumière d’une science de Dieu et des bienheureux. Et comme la musique fait confiance aux principes qui lui sont livrés par l’arithmétique, ainsi la doctrine sacrée accorde foi aux principes révélés par Dieu. – Summa Ia, Q1, a2

3. Est-t-elle une ou multiple?

Si la théologie est une, alors elle ne devrait parler que de Dieu: parler de l’homme, de la création etc ne serait déjà plus de la théologie.

Ou alors « théologie » n’est qu’un raccourci pour parler de plein de sciences différentes. Par exemple, la « physique » est une science multiple: elle comprend l’électricité, la mécanique, le génie des matériaux etc… La théologie peut être ainsi, avec la théologie de l’homme, de la création etc… Problème: comment unifier tous ces savoir disparates? Comment unifier la doctrine  de l’homme à la doctrine de Christ? La doctrine du mal à la doctrine de l’expiation? Comment unifier l’étude du livre de Jérémie à la discipline de l’éthique chrétienne?

Thomas d’Aquin répond alors que la théologie est bel et bien une science unique, même quand elle étudie des savoirs très différents. En effet, ce qui fait l’unité d’un savoir est l’unité de ce qui est étudié. La physique est une science multiple, parce que l’électronicien n’étudie pas la même chose que l’atomiste, qui n’étudie pas la même chose que le mécanicien quantique. Il peut y avoir des interactions, mais aux marges de la discipline seulement…

A l’inverse lorsque vous êtes un spécialiste d’exégèse ou d’histoire de l’église, ou d’éthique chrétienne, vous étudiez en fait tous une seule et même chose: la révélation divine. La diversité des disciplines ne vient que des variations dans les méthodes et les détails étudiés.

De même, l’unique science sacrée est en mesure d’envisager sous une même raison formelle, c’est-à-dire en tant que divinement révélables, des objets traités dans des sciences philosophiques différentes ; ce qui fait que cette science peut être regardée comme une certaine impression de la science de Dieu elle-même, une et simple à l’égard de tout. – Summa Ia, Q1, a3

4. La doctrine sacrée est-elle spéculative ou pratique?

Reformulons: La théologie chrétienne est-elle un savoir « pur », ou bien un savoir en vue d’une certaine oeuvre, presque un savoir-faire?

On pourrait être tenté de tout de suite dire que la théologie est un savoir pour le savoir, mais rappelez vous que l’apôtre Jacques lui-même disait: « Mettez la parole en pratique au lieu de l’écouter seulement » (Jc1.22) et qu’un bon nombre de versets de la Bible porte sur des commandements pratiques…

Néanmoins Thomas d’Aquin maintient que la théologie est « spéculative », car la fin de la théologie chrétienne n’est pas une vie morale ou vertueuse, mais de connaître et amener à la connaissance du seul vrai Dieu, face à face.

Toutefois la science sacrée est plus spéculative que pratique, car elle concerne plus les choses divines que les actes humains n’envisageant ceux-ci que comme moyens pour parvenir à la pleine connaissance de Dieu, en laquelle consiste l’éternelle béatitude. – Summa Ia, Q1, a4

Soit dit en passant, le but de l’éthique chrétienne n’est donc pas de former le parfait pharisien ou bien de donner une liste de bon comportements à adopter dans l’église: la théologie pratique sert à mieux connaître Dieu dans le domaines de nos actes.

La doctrine sacrée est donc l’étude de la révélation divine en vue de connaître Dieu, sous tous ses angles. Maintenant, occupons nous de savoir si cette science devrait être première, ou bien si elle est juste un savoir comme un autre.

5. La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences?

A première vue, cela semble mal parti: notre théologie est composée de sciences du langage, de philosophie, de sciences historiques… Considérant qu’elle utilise toutes ces sciences, il apparaît évident que la théologie passe après la philosophie et la connaissance du grec par exemple.

Une autre objection que l’on pourrait apporter est que la théologie porte sur des articles de foi (la révélation divine) et est donc indigne d’être une science plus « noble » que les sciences physiques, qui portent sur du concret et de l’empiriquement vérifiable.

Mais Thomas affirme sans concession que la théologie est bel et bien la reine des sciences:

En sens contraire, les autres sciences sont appelées ses servantes ; ainsi lit-on aux Proverbes (9, 3) : la Sagesse “ a dépêché ses servantes, elle appelle sur les hauteurs ”

[…]La vérité est que cette science, à la fois spéculative et pratique, dépasse sous ce double rapport toutes les autres. – Summa Ia, Q1, a5

Elle est plus noble que les sciences spéculatives (physique, chimie, sociologie…) parce qu’elle s’occupe d’un objet plus élevé. Qui osera dire qu’il est plus important de connaître le comportement d’un électron plutôt que de connaître celui qui est le chemin, la vérité et la vie?

Elle est aussi plus noble parce qu’elle s’appuie sur la révélation divine, qui est beaucoup plus fiable que n’importe quelle expérience et observation physique. Certains objecteront qu’au contraire, la connaissance de la Révélation divine n’est pas fiable puisqu’elle n’est pas vérifiable et demande au contraire la foi pour s’appuyer dessus. A ceci, Thomas d’Aquin répond magnifiquement:

Rien n’empêche qu’une connaissance plus certaine selon sa nature soit en même temps moins certaine pour nous ; cela tient à la faiblesse de notre esprit, qui se trouve, dit Aristote, “ devant les plus hautes évidences des choses, comme l’œil du hibou en face de la lumière du soleil ”. Le doute qui peut surgir à l’égard des articles de foi ne doit donc pas être attribué à une incertitude des choses mêmes, mais à la faiblesse de l’intelligence humaine. Malgré cela, la moindre connaissance touchant les choses les plus hautes est plus désirable qu’une science très certaine des choses moindres, dit Aristote

Vlam. C’était quoi l’objection déjà?

La théologie chrétienne est aussi la plus noble des sciences pratiques parce qu’elle vise à la plus haute de toutes les fins, le plus noble de tous les buts: la politologie sert à vous faire gagner la prochaine élection. La théologie sert à vous montrer le chemin de la vie éternelle. Qui osera dire qu’il existe un plus noble « savoir-faire » que celui qui nous mène au face à face avec le Père?

La théologie est donc bel et bien la reine des sciences. Fin de l’histoire.

L’article commencant à être long, et les questions suivantes étant moins importantes, je vais tâcher de faire plus rapide.

6. Cette doctrine est-elle une sagesse?

Le mot « sagesse » a ici un sens très particulier, qui en langage moderne se retrouve en partie dans la notion de « vision du monde ». Une sagesse, au sens aristotélicien, c’est le « méta-savoir » autour duquel s’arrange les autres savoirs. Par exemple, la « sagesse » de l’architecte, c’est ce méta-savoir qui lui permet d’arranger ensemble ses connaissances en génie civil, dessin, conception, gestion de projets etc… pour concevoir un bâtiment. Est ce que la théologie est de ce genre?

Cette doctrine est par excellence une sagesse, parmi toutes les sagesses humaines, et cela non pas seulement dans un genre particulier, mais absolument. – Summa Ia, Q1, a6

Dieu étant le créateur de l’univers et l’ordonnateur de la vie de l’homme, l’étude de la révélation divine est forcément une sagesse, et même la plus grande des sagesses, puisqu’il n’y a pas de « plans » plus grands que celui de Dieu. Quand on comprend et connaît le plan de Dieu, on peut arranger et utiliser tous les savoirs humains pour le réaliser dans nos vies et à l’extérieur.

A l’inverse, celui qui enferme la théologie dans un bocal et se retire dans sa petite sphère chrétienne ne reconnaît pas la sagesse de Dieu, car il ne cherche pas à soummettre la création à Dieu, mais au contraire la fuit, comme si le monde fonctionnait selon un certain plan, une certaine « sagesse » et le chrétien une « sagesse différente ». C’est là l’erreur des fondamentalistes.

7. Dieu est-il le sujet de cette science?

Un livre qui parle du mariage selon Dieu, et qui ne parle que du mariage, est-il un livre de théologie?

Thomas répond oui.

Or, dans la doctrine sacrée, on traite tout “ sous la raison de Dieu ”, ou du point de vue de Dieu, soit que l’objet d’étude soit Dieu lui-même, soit qu’il ait rapport à Dieu comme à son principe ou comme à sa fin. D’où il suit que Dieu est vraiment le sujet de cette science. – Summa Ia, Q1, a7

8. Cette doctrine argumente-t-elle?

Est ce qu’il convient vraiment d’argumenter au sujet de la révélation divine? La théologie ne devrait-elle pas se réduire à la rédaction des confessions de foi, la liste de ce qu’il faut croire? Pourquoi argumente-t-on ce qui est reçu non par la raison, mais par la foi seule?

Thomas d’Aquin dissipe ici un malentendu: Oui la théologie utilise la raison, la logique et l’argumentation, mais à partir de la révélation, pas contre la révélation. Elle prend sa base sur ce que dit la Bible, et développe dans toutes leurs richesses les idées implicites contenues dans l’Ecriture.

Les autres sciences n’argumentent pas en vue de démontrer leurs principes ; mais elles argumentent à partir d’eux pour démontrer d’autres vérités comprises dans ces sciences. Ainsi la doctrine sacrée ne prétend pas, au moyen d’une argumentation, prouver ses propres principes, qui sont les vérités de foi ; mais elle les prend comme point d’appui pour manifester quelque autre vérité, comme l’Apôtre (1 Co 15,12) prend appui sur la résurrection du Christ pour prouver la résurrection générale. – Summa Ia, Q1, a8

Avec en plus un exemple biblique. Que demander de plus?

Avant de quitter cette question, je dois aborder un point très intéressant pour nous protestants: que penser des sources extra-bibliques et particulièrement des écrits des autres théologiens? C’est ici que Thomas d’Aquin traite la question:

Au contraire, c’est un usage propre qu’elle [=la doctrine sacrée] fait des autorités de l’Écriture canonique. Quant aux autorités des autres docteurs de l’Église, elle en use aussi comme arguments propres, mais d’une manière seulement probable. Cela tient à ce que notre foi repose sur la révélation faite aux Apôtres et aux Prophètes, non sur d’autres révélations, s’il en existe, faites à d’autres docteurs. C’est pourquoi, écrivant à S. Jérôme, S. Augustin déclare : “ Les livres des Écritures canoniques sont les seuls auxquels j’accorde l’honneur de croire très fermement leurs auteurs incapables d’errer en ce qu’ils écrivent. Les autres, si je les lis, ce n’est point parce qu’ils ont pensé une chose ou l’ont écrite que je l’estime vraie, quelque éminents qu’ils puissent être en sainteté et en doctrine. ” – Summa Ia, Q1, a8

Notre foi repose sur le Nouveau Testament et l’Ancien Testament seulement, et non sur des révélations orales (si elles existent!!) faite aux successeurs des apôtres. Ecriture + Tradition? Hm… non, pas pour Thomas d’Aquin, et tant pis pour Vatican II… Le prochain catholique qui vous dira que les réformateurs ont inventé Sola Scriptura, dites lui que Thomas d’Aquin est un réformateur alors.

9. La doctrine sacrée doit-elle user de métaphores?

Si le but est d’exposer la vérité, alors il apparaît peu pratiquer d’utiliser des analogies, des paraboles et des images… Cela engendre la confusion et éloigne de la vérité.

Mais Thomas répond:

Or, il est naturel à l’homme de s’élever à l’intelligible par le sensible, parce que toute notre connaissance prend son origine des sens. Il est donc parfaitement convenable que dans l’Écriture sainte les choses spirituelles nous soient livrées au moyen de métaphores corporelles.- Summa Ia, Q1, a9

Il commente ensuite pourquoi la Bible utilise ainsi de telles images, mais passons vite.

10. Peut-il y avoir plusieurs sens à l’écriture?

Cette question là intéressera davantage le lecteur évangélique: peut-il y avoir un sens allégorique attaché au sens littéral? Considérant l’emphase que la tradition réformée met sur le sens littéral, il se peut que vous ayez le poil hérissé lorsque vous lirez Thomas dire, en bon chrétien médiéval, qu’il y a en plus du sens littéral, un sens spirituel:

A son tour, le sens spirituel se divise en trois sens distincts. […] Donc, lorsque les réalités de la loi ancienne signifient celles de la loi nouvelle, on a le sens allégorique ; quand les choses réalisées dans le Christ, ou dans ce qui signifie le Christ, sont le signe de ce que nous devons faire, on a le sens moral ; pour autant, enfin que ces mêmes choses signifient ce qui existe dans la gloire éternelle, on a le sens anagogique.

Argl! Que Thomas d’Aquin soit envoyé dans le septième cercle de l’enfer herméneutique, quelque part entre Basilide et Benny Hinn! Il ose!!

Sauf que.

Premièrement, nous ne sommes d’aussi rigides littéralistes que nous prétendons être. Je constate par exemple qu’il y a un consensus aujourd’hui autour de l’interprétation « typologique », qui dit que par dessus l’interprétation littérale il y a une interprétation plus allégorique centrée autour de Christ. David vainqueur contre Goliath est une figure du Christ vainqueur contre le Mal par exemple. Aucun prédicateur n’est choqué par ces interprétations, qui sont pourtant de nature allégoriques (à quelques nuances près).

Deuxièmement, Thomas d’Aquin est très prudent dans l’utilisation de l’interprétation « allégorique », tout autant que n’importe quel exégète contemporain, voire même plus. N’oublions pas que tout scholastique du XIIe siècle commençait sa carrière par l’enseignement et le commentaire des écritures. On ne séparait pas l’exégèse de la théologie systématique comme on peut le faire aujourd’hui. Voici donc ce qu’il dit face aux craintes d’allégories foireuses et de confusion alexandrines dans les interprétations:

Il n’y aura pas non plus de confusion dans l’Écriture, car tous les sens sont fondés sur l’unique sens littéral, et l’on ne pourra argumenter qu’à partir de lui, à l’exclusion des sens allégoriques, ainsi que l’observe S. Augustin contre le donatiste Vincent. Rien cependant ne sera perdu de l’Ecriture sainte, car rien de nécessaire à la foi n’est contenu dans le sens spirituel sans que l’Écriture nous le livre clairement ailleurs, par le sens littéral. – Summa Ia, Q1, a10

Vous remarquerez donc que Thomas d’Aquin n’est pas du tout en faveur des interprétations fantaisistes, il pose même deux barrières très efficace contre celles-ci:

  • On ne peut argumenter qu’à partir du sens littéral. Je ne peux pas dire qu’il y a dix ciels au dessus de la terre parce qu’il est écrit: « L’omer est le dixième de l’épha » (j’aimerais pouvoir vous l’inventer…). On peut encourager, exhorter et fortifier à partir du sens allégorique. Mais lorsque vient le moment d’exposer la vérité et la doctrine, Thomas n’argumente qu’à partir du sens littéral.
  • Tout ce qui est nécessaire à la foi est contenu clairement dans le sens littéral. En plus d’affirmer une doctrine réformée que les catholiques rejettent, Thomas insiste fortement sur le fait qu’aucune doctrine ne devrait être basée sur une interprétation allégorique. S’il est possible de dire « Jésus est mort pour mes péchés » à partir de l’épisode du serpent de bronze dans l’Exode, il est tout de même plus facile et plus sûr de le faire à partir des épîtres des apôtres, et c’est à partir de celles-ci que nous devons l’argumenter.

Donc tout bien considéré, l’interprétation biblique telle qu’elle est présentée par Thomas d’Aquin n’est jamais que le système évangélique en plus développé. Il se permet de distinguer une variété de sens spirituel, là où nous restons allergiques à tout ce qui pourrait ressembler à de l’allégorie, mais sa démarche est la même que la nôtre, et s’oppose à celle des catholiques romains.

Voilà qui expose tout ce que Thomas d’Aquin dit sur la doctrine sacrée.

Synthèse

  • Une telle doctrine est-elle nécessaire?

Oui car nous avons besoin d’une révélation divine pour être sauvé

  • Est-elle une science?

Oui car elle un savoir qui se développe à partir de la révélation divine

  • Est-elle une ou multiple?

Elle est une, car toutes les sciences bibliques et théologiques ne sont que des variations de l’étude d’un seul sujet: la révélation divine.

  • Est-elle spéculative ou pratique?

Bien qu’elle ait des aspects pratiques, la théologie est avant tout le savoir de Dieu pour connaître Dieu, et non pour faire quelque chose avec.

  • Quels rapports entretient-elle avec les autres sciences?

La théologie est la reine des sciences, à cause du sujet traité.

  • Est-t-elle une sagesse?

Oui, elle est même la plus grande de toutes les sagesses car elle est l’étude du plus grand plan qui soit, celui de Dieu.

  • Quel est son sujet?

Dieu, dans ses différents attributs, volontés ou commandements.

  • Argumente-t-elle?

Oui, mais A PARTIR de la révélation divine, et non la révélation divine elle-même.

  • Doit elle employer des métaphores?

Oui, afin de rendre plus accessible la connaissance de Dieu

  • La Bible peut-elle être expliqué selon plusieurs sens?

Oui, tant que ces sens sont strictement soumis au sens littéral.

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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