L’un des plus grands ouvrages de la Réforme fut sans nul doute De la Liberté du chrétien, rédigé par Luther en 1520. Dédicacé au pape Léon X, ce traité affirme et décrit la liberté chrétienne en prenant pour point de départ ces deux vérités : « Un chrétien est un libre seigneur sur tout et n’est soumis à personne. Un chrétien est un esclave asservi en tout et est soumis à tous. » C’est par la foi qu’une telle liberté est donnée au chrétien. « Telle est donc la liberté chrétienne, c’est la foi seule… » dira le réformateur.
Luther continue en affirmant que c’est aussi par la foi que l’âme du croyant est unie au Christ. Il s’engage alors dans la doctrine de la double imputation qu’il décrit comme un « échange joyeux ». Le passage est superbe :
La foi ne fait pas seulement que l’âme, semblable à la Parole divine, soit remplie de toutes les grâces, libre et bienheureuse, mais elle unit de plus l’âme au Christ comme une épouse à son époux. De ces noces s’ensuit comme le dit saint Paul (Éph. 5, 30), que le Christ et l’âme ne font qu’une seule chair, alors les biens des deux, bonheur et malheur, toutes choses leur sont communes : ce qui est au Christ revient à l’âme croyante, ce qui est à l’âme revient au Christ. Ainsi le Christ possède-t-il tout bien et toute béatitude, et ceux-ci reviennent à l’âme ; ainsi l’âme a-t-elle sur elle tous les vices et les péchés, et ceux-ci reviennent au Christ. Alors s’instaurent une querelle et un échange joyeux. Le Christ étant Dieu et en même temps un homme qui n’a encore jamais péché, sa justice étant invincible, éternelle et toute-puissante, s’il fait siens, grâce à l’anneau de l’épouse, c’est-à-dire grâce à la foi, les péchés de l’âme croyante et fait comme s’il les avait lui-même commis, alors les péchés doivent s’engloutir et se noyer en lui. Car son invincible justice est trop forte pour tous les péchés, et l’âme se trouve alors, grâce à sa seule dot, sa foi, débarrassée, libre de tous ses péchés et douée de l’éternelle justice de son époux le Christ. N’est-ce pas là un heureux ménage, quand un riche, noble et juste époux comme le Christ épouse une malheureuse petite putain, mauvaise et méprisée, la débarrasse de tous les maux et la pare de tous les biens ? Il est alors impossible que ses péchés la condamnent, car ils reposent maintenant sur le Christ et sont engloutis en lui ; et elle possède ainsi en son époux une justice si riche qu’elle peut, une fois encore, résister à tous les péchés, quand bien même ils reposeraient sur elle1.
Près de 1400 ans plus tôt, l’auteur – inconnu – de l’Épître à Diognète décrivait aussi la beauté de cette double imputation. On y retrouve un vocabulaire semblable à celui de Luther : « Ô le doux échange ». Là encore, cette vérité libératrice y est décrite à merveille :
Lorsque notre injustice a atteint son comble, lorsqu’il a été tout à fait évident qu’elle méritait pour salaire un châtiment mortel, quand est venu le temps que Dieu avait par avance fixé pour manifester enfin sa bienveillance et sa puissance (ô surabondance de son amitié pour les humains et de son amour !), il ne nous a pas détestés, ne nous a pas rejetés, ne s’est pas souvenu de nos fautes, mais il a été patient, il nous a supportés. En sa pitié, il a lui-même pris sur lui nos péchés. Il a lui-même livré son propre Fils en rançon pour nous : le saint pour les transgresseurs, l’innocent pour les coupables, le juste pour les injustes, l’incorruptible pour les corruptibles, l’immortel pour les mortels.
Car, pour voiler nos péchés, qu’y avait-il d’autres que sa justice ? Par qui était-il possible de nous rendre justes, nous les transgresseurs, les impies, sinon par le seul Fils de Dieu ? Ô le doux échange, l’œuvre insondable, les bienfaits inattendus : la transgression d’un grand nombre est effacée par un seul juste, la justice d’un seul rend justes de nombreux transgresseurs ! Donc, après avoir démontré, auparavant, qu’il était impossible à notre nature d’obtenir la vie, maintenant il montre que le Sauveur peut sauver même ce qui ne pouvait l’être. Par ces deux expériences, il a voulu que nous ayons foi en sa bienveillance, que nous trouvions en lui un nourricier, un père, un enseignant, un conseiller, un médecin, l’intelligence, la lumière, l’honneur, la gloire, la force, la vie, et que nous ne nous inquiétions pas de l’habillement ni de la nourriture2.
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