Le prêt bancaire est-il permis? – Turretin
2 mars 2020

Cet article est la deuxième traduction depuis le latin d’un extrait des Institus de Théologie Elenctique de François Turretin. C’est un des meilleurs livres de théologie qui aient jamais existé, et bien que l’auteur soit un professeur genevois de la fin du XVIIe siècle, il n’existe pas en Français à ce jour. Je vous souhaite une bonne lecture. Voici donc la traduction des Instituts de Théologie Elenctique, Sujet 11, Question 19.


Qu’interdit et que commande le commandement de ne pas voler, et l’usure est-elle incluse dans cette interdiction ? Nous le nions.

I Les commandements précédents traitaient de la préservation des personnes et des corps de nos prochains, ou de leurs vies et de leur chasteté. Le huitième s’occupe de leurs biens, ou de leurs facultés à les mettre en sécurité. Le but de ce commandement est que, puisque l’injustice est une abomination pour Dieu, nous rendions à chacun ce qui lui appartient.

La raison de ce commandement

II Or il n’y a pas moins de trois raisons pour cette sanction.

  1. Divine, parce que Dieu n’étant rien de moins que le donateur et le conservateur des biens, celui qui préfère ravir ces biens à travers l’injustice plutôt que de les attendre de sa main libérale offense grandement Dieu lui-même. 
  2. Naturelle, parce que la distinction des domaines, selon laquelle certains possèdent beaucoup et d’autres peu, convient à la loi naturelle, l’usurpation des choses qui appartiennent aux autres ne peut pas être moins qu’un grave péché qui s’oppose à la loi naturelle.
  3. Politique, parce que le vol et le pillage sans frein porte atteinte à la paix et la tranquillité publique, ébranlant le lien de la société humaine.

Le vol et ses différentes espèces condamnés dans ce commmandement.

III Aussi le huitième commandement s’oppose au vol en général, qu’on définit habituellement par le détournement des choses appartenant aux autres, ou l’usurpation contre la volonté du propriétaire, qu’il soit fait par ruse ou par force. D’autre part, le huitième commandement n’interdit pas simplement le vol simple, mais aussi le vol qualifié par la diversité de ses objets, variés et multiples. Car si c’est l’usurpation de choses sacrées, on l’appelle sacrilège. S’il s’agit de l’usurpation des biens publics appartenant à la communauté on l’appelle détournement [peculatus]. S’il s’agit de voler une personne qui est sous le pouvoir d’une autre, qu’elle soit libre ou esclave, on l’appelle enlèvement [plagium]. C’est dans cette catégorie que l’on range le brigandage, le chantage [concussio], l’escroquerie qui ont chacun un châtiment approprié dans les lois civiles.

IV. Sont rattachés au vol les atteintes, fraudes et toutes tromperies dans les contrats, marchandises, les poids, mesures, monnaies, monopoles et tous les arts mauvais et poursuites de ce qui appartient aux autres. Enfin, sous le regard de Dieu, la paresse et l’inaction vicieuse (qui est le lit du Diable) sont des vols. Ceux qui sont négligents et infidèles dans leurs vocations, professions et ministères sont des voleurs, qui volent les salaires qui leur sont attribués et accomplissent avec nonchalance les tâches qui leurs sont conférées.

V Le Huitième Commandement concerne aussi l’avarice, la racine de tous les maux (1 Timothée 6.9-10) que l’on définit comme le désir insatiable de posséder, la soif maudite de l’or, ou l’amour désordonné des richesses, qui est ασυσατος [incompatible] avec l’amour que nous devons à Dieu ou nos prochains. « Adultères ! Ne savez–vous pas que l’amour du monde est hostilité à l’égard de Dieu ? » (Jacques 4.4). Cette avidité est appelée de l’idolâtrie, un crime détestable, par l’Apôtre Paul dans Ephésiens 5.5, parce que l’homme met le Nom Divin en second plan, et place toute son espérance et sa confiance dans sa richesse, comme si elle était son bien suprême.

VI A partir de là, il est évident que l’avarice n’est pas seulement interdite dans le Nouveau Testament, comme le disent les sociniens et les anabaptistes, comme si Christ avait ajouté quelque chose dans la Loi. Ils disent que la possession de richesses au-delà du nécessaire était permise dans l’Ancien Testament, mais restreinte à ce qui strictement nécessaire aux besoins vitaux dans le Nouveau Testament, selon le Catéchisme de Racow au sujet des commandements rajoutés à la Loi par Christ, Q101. Cette idée est fausse parce qu’à travers l’Ancien Testament l’avarice est interdite, non seulement par ce huitième commandement, mais aussi le dixième, où il nous est interdit de convoiter les biens de notre prochain, plus d’autres condamnations en Exode 18.21, 22.25 et 23.8 ; Lévitique 19.13 et 25.46 ; Deutéronome 16.19 ; Psaumes 62.11 ; Esaïe 5.8 ; Jérémie 6.6-7 et 22.17 ; Psaumes 119.36 etc.

Cependant la possession de richesses en elle-même n’est pas illicite, tant qu’elles sont acquises de façon légitime, et que nous les utilisons comme des moyens, plutôt que d’en jouir comme une fin, comme c’est le cas de beaucoup de fidèles qui avaient beaucoup de richesses, y compris dans le Nouveau Testament, comme Joseph d’Arimathée (Matthieu 27) le centurion Cornélius (Actes 10), Tabitha (Actes 9) et d’autres. Il ne serait pas écrit non plus que les riches peuvent entrer avec difficulté dans le Royaume des Cieux (Matthieu 19.23), si c’était à cause de leurs richesses, et non de leur mauvais usage, comme ce qui est révélé dans Marc 10.24, où ce sont ceux qui se confient en leur richesses qui sont condamnés. Ces richesses sont appelées Le mamon de l’injustice (Luc 16.9) non par essence, mais par accident, parce qu’elles sont acquis le plus souvent de façon injuste, et mal utilisées. Et on dit qu’elles sont απατη [séduction] en Matthieu 13.22 non en elle-même, mais en ce qui concerne l’esprit de celui qui les possède. Aussi le sens qui est attribué à cette sollicitude et étouffement de la parole, n’est pas au sujet des richesses en elle-même, mais à l’âme de celui qui les possède, dont la sollicitude anxieuse étouffe en lui-même la semence de la parole, et ne peut pas laisser les racines se former dans son cœur. Donc l’avarice n’est pas dans l’effet, mais dans l’affect ; non dans les richesses, mais dans leur désir et usage illicite.

L’usure est-elle licite ?

VII Nous traitons ici la noble question de l’usure, qui est passé en revue parmi les espèces de vol : L’usure est-elle licite ? Il y a peu de choses qui sont dites à ce sujet dans la parole de Dieu. L’usure est le gain qui est fait quand on exige qu’on rende davantage d’argent que ce qui est emprunté, soit en monnaie, soit en nature, soit sous une autre forme. Il tire son nom de usu [usage] parce qu’il est perçu à partir de l’usage de l’argent. Les grecs disent τοκος depuis le mot τικτω, enfanter. Comme s’il était accouché de l’emprunt. En hébreu, on utilise seulement deux mots pour exprimer l’usure : תרכיח de la racine רָבָה a multiplié, puisque l’argent est multiplié par l’usure et qu’il croît de cette façon, et le mot נָשָׁה de la racine נָשָׁה a mordu,parce qu’il mord comme le serpent et qu’il n’écrase pas la perception 1

VIII Il y a deux familles d’opinions autour de cette question. Certains l’affirment, d’autres le nient. Ceux qui nient considèrent que toute forme d’usure est simplement illicite, comme les canonistes dans le droit canonique, chapitre 14, question 3, suivant ce qu’enseignent les scolastiques et les sententiaires à partir de Lombard, livre 3 distinction 37. A cela se joignent quelques-uns d’entre les luthériens, et même parmi les nôtres : Zwingli, Musculus, Aretius et plusieurs parmi les théologiens anglicans : John Jewel dans sa dissertation sur l’usure, Lancelot Andrews, Vilsonus et d’autres. Les orthodoxes2 embrassent généralement l’affirmative, et disent que l’usure est licite, si l’on admet certaines distinctions.

IX Il faut d’abord distinguer dans l’usure :

  • Celle qui est mordante et immodérée ou punitive, qui n’a aucun lien avec l’équité et la charité chrétienne, et qui exige sans pitié en retour de l’emprunt de n’importe qui, y compris le pauvre, et affaiblit ou est une grande atteinte au bien familial qui le rend (sauf erreur de sa part) incapable de payer.
  • L’autre est modique et aidante, lorsqu’elle est utilisée avec modération, pour la nécessité, la commodité et le gain à la fois pour l’emprunteur et le prêteur. Elle convient à l’équité chrétienne selon le juste mode prescrit par le magistrat en fonction des lieux, des temps et des personnes.

Deuxièmement dans ceux prêtent de l’argent à intérêt :

  • Les prêteurs d’argent professionnels, qu’ils agissent individuellement ou non.
  • Ceux qui prêtent leur argent à intérêt, ou parfois à titre gratuit.
  • Ou ceux qui négocient leur propre argent honnêtement.
  • Ou ceux qui ne peuvent pas le faire honnêtement, soit parce qu’ils manquent de la capacité ou de la position nécessaire, ou qu’ils sont pleinement consacrés à un office, qu’il soit sacré ou politique.

Troisièmement dans ceux qui emprutent :

  • Selon s’ils sont pauvres, riches, ou modestes.
  • Que l’usure leur est nécessaire pour le soutien à eux-même et leur famille, et que c’est la raison pour laquelle ils y ont recours ; ou si c’est pour l’aisance et le gain.

Etat de la question

X Nous posons ici la question :

  • Non au sujet de l’usure mordante, que nous estimons injuste et illicte ; mais au sujet de celle qui est modérée et rationnelle.
  • Non au sujet de celle qui est pratiquée par les banquiers professionnels, et qui ne font que cela, pour que par l’évaluation et l’usure ils s’enrichissent aux dépens des autres ; en effet un tel art mérite sa très mauvaise réputation. De tels usuriers et banquiers qui suivent ce genre de vie  sont comme des sangsues qui saignent les pauvres, et nous estimons très juste de les condamner.
  • Mais au sujet de ceux qui considèrent leur propre intérêt aussi bien que celui des autres, qui exigent une estimation honnête dans la limite de ce que la loi leur permet, pour être prêt à assister lui-même gratuitement les pauvres, et le font ; ou qui ne sont pas aptes -soit par état, soit par incapacité, soit par d’autres affaires- de s’enrichir autrement que par l’usage de leur propre monnaie.
  • Non au sujet des pauvres et des nécessiteux, qui sont obligés de prendre un prêt nécessaire et inévitable pour avoir de l’argent. En effet, nous estimons qu’il est injuste d’établir et d’exiger d’eux un intérêt.
  • Mais nous parlons de ceux qui sont dans l’aisance, ou modestes, qui empruntent de l’argent pour augmenter leur propriété, et qui à partir de cette négociation d’argent peuvent acquérir un bien ou un gain. A leur sujet, nous estimons qu’exiger un intérêt de leur part est licte et juste

Toutes les usures ne sont pas illicites : prouvé par Deutéronome 23.20

XI Premièrement, parce qu’il est permis de prendre des intérêts de la part des étrangers dans l’Ancien Testament, en Deutéronome 23.20. Cela ne pourrait pas être juste, si l’usure était intrinsèquement corrompue, car ce qui est de nature mauvaise en soi, ne peut pas devenir juste dans un quelconque usage. On ne peut pas non plus dire que seuls les sept nations vouées à la destruction sont designées, parce que les « étrangers » sont opposés aux « frères », c’est-à-dire les juifs. Car comme ils avaient la possibilité d’exiger des intérêts aux Juifs , la même liberté était concédée aux Israelites, pour qu’ils puissent commercer entre eux, par équité.

On ne peut pas non plus dire : c’est une permission qui leur est faite, non parce qu’elle est juste, ou parce qu’elle est légitime, mais pour limiter le mal comme les lettres de divorces. Parce que c’est gratuitement supposé, et non prouvé, et aucune permission ne peut être donnée pour quelque chose d’expressément mauvais, pour qu’il arrive ensuite quelque chose de bon.

XII Deuxièmement, si l’usure était absolument illicite, Christ n’aurait pas utilisé cette représentation pour parler d’un devoir spirituel dans la parabole des talents en Matthieu 25, sans aucun indice de désapprobation, comme dans d’autres paraboles tirées d’un usage qu’il désapprouve comme en Luc 16.8. Ni Jean-Baptiste n’aurait commandé au publicains de garder leur emploi, à condition de n’exiger rien de plus que ce qui était juste, alors qu’ils rassemblaient à un certain prix l’impôt pour les romains (Luc 3.13).

XIII Troisièmement, toutes formes d’usures ne sont pas interdites par la loi, ni opposés à l’équité et l’honnêteté. Mieux encore, elle est fondée :

  1. Dans la nécessité et l’utilité, parce que sans l’usure on ne pourrait ni soutenir ni pratiquer le commerce, qui est le principal appui de la société humaine. Peut-on défendre qu’une chose est injuste alors que sans elle la société humaine ne pourrait pas demeurer, et que sans elle toute activité économique et négoce des hommes s’arrêterait ?
  2. Dans l’équité naturelle, parce que qu’il est équitable que celui qui reçoit un avantage par l’argent d’un autre fasse participer cet autre à l’avantage produit par cet argent, en guise de juste compensation.
  3. Dans la juste gratitude, car ce que l’on doit légitimement à l’autre et reçu à bon droit par l’autre. Et pour le gain qui est fait par l’emprunt à un autre , on lui doit à bon droit une certaine αντιδωρον [récompense]. En effet, la loi naturelle exige, que soyons reconnaissant à celui qui nous a fait un bienfait, non seulement en parole, mais en acte.
  4. Dans la charité chrétienne qui requière que chaque père de famille prenne en charge les siens, et que les parents doivent épargner pour leurs enfants( 1 Timothée 5.8 ; 2 Corinthiens 12.14). Cependant, s’ils donnent de l’argent aux autres mais négligent les leurs, ils n’augmenteront jamais leurs biens.
  5. Par la comparaison avec d’autres contrats, qui ont lieu dans la société, et qui sont approuvés par tous. Par exemple, les contrats εμφυτευσεας [réciproques], αντιχρησεως [d’embauche], de location, d’arrangement etc. Car si par la location d’une maison et d’une ferme, et l’usage d’ustensiles, on peut recevoir un gain, pourquoi ne peut-on pas faire de même à partir de l’usage de l’argent ?
  6. A ceci s’ajoutent les constitutions impériales et royales, par lequelles sont posées de justes limites. Cf Corpus Iuris Civilis I : Digesta 22.1 ; De usuris et fructibus, idem II, Codex Iustinianus 4.32

Sources de solutions

Exodes 22.26 et Lévitique 25.35

XIV Ne s’oppose pas à l’usure :

  1. L’interdiction des prêts à intérêts en Exode 22.26-27 et Lévitique 25.35-36, parce qu’elle est manifestement restreinte aux pauvres et aux personnes de peu de moyens, comme cela apparaît du fait que le commandement n’est pas le même pour les riches : « Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de mon peuple, au pauvre qui est chez toi, tu ne te comporteras pas à son égard comme un prêteur sur gages : tu n’exigeras pas de lui un intérêt. » (Exode 22.25). Pauvre désigne ici ceux qui étaient pauvres et dans le manque, ne possédant rien, d’où le besoin de les soulager, comme c’est clairement exposé en Lévitique 25.35. « Si ton frère devient pauvre chez toi et que les ressources lui manquent […] Tu ne tireras de lui ni intérêt ni rente » et en Deutéronome 15.7-9.

Si l’on voit à d’autres endroits cette interdiction être étendue à tous les israélites sans discriminations, comme en Deutéronome 23.20 « Tu pourras exiger un intérêt de l’étranger, mais tu n’en exigeras pas de ton frère », il faut alors exposer cette interdiction à la lumière des passages parallèles de l’Exode et du Lévitique dans lesquels il est clair que cette interdiction est restreinte aux pauvres. Ce n’est pas un mystère que l’on fait ici mention de « l’usure alimentaire », à savoir l’argent qui est reçu par celui qui emprunte pour sa propre sustentation, pour avoir de quoi vivre.

Et même si la loi se référait à tous les Hébreux sans exceptions, c’était une loi civile [forensis] propre à ce peuple, pour que la société des israélites soit plus cohésive sous ce lien, comme pour les autres lois au sujet des esclaves, les gages, les lois agricoles, le glanage et autre qui n’ont pas lieu d’être dans le Nouveau Testament.

Ezéchiel 18.8

XV Ne s’oppose pas à l’usure:

  1. Les louanges au juste qui ne prête pas à intérêt en Psaumes 15.5 et Ezéchiel 18.8, parce qu’il ne s’agit pas de toutes formes d’usures, en dehors de celles auxquelles s’opposent Moïse, qui permet les usures qui ne sont pas mordantes et mauvaises, dans laquelle le créditeur, méprisant toute équité, charge et accable son débiteur en exigeant rigidement trop ou de trop [vel nimium, vel nimis] par rapport à ce que la Loi veut interdire.

Luc 6.35

XVINe s’oppose pas non plus à l’usure ce que Christ dit en Luc 6.35 « Prêtez sans rien espérer ».

  • Parce que ce qui est ordonné ici est ce qu’il faut faire, pas la seule chose qu’il faut faire, à savoir qu’il faut subvenir aux pauvres et nécessiteux, desquels il n’y a rien à attendre.
  • Si l’on devait abuser des paroles de Christ, il en suivrait qu’il ne faudrait réclamer rien de personne, puisqu’il est commandé : δανειζεν μηδεν απελπιζοντεσ [prêter sans rien espérer en retour]. Donc on ne doit pas plus réclamer le capital que les intérêts.
  • L’intention est hortatoire 3 pour que nous fassions du bien aux pauvres, afin qu’il leur soit payé leurs quelconques nécessités urgentes, même s’il n’y aucun espoir qu’il le rende, ni gain possible, ou quelque chose de cette sorte. Ce n’est pas sans raison que Christ parle de cette espèce de prêt, parce qu’elle est ordinairement négligée de notre part.
  • Ce n’est pas pour cette raison qu’il faut substituer le mot δοτε [donner] plutôt que δανειζετε [prêter], comme si c’était une simple aumône et non un prêt. Parce que dans le prêt, il reste toujours une obligation de rendre chez l’emprunteur, même si il n’y a pas obligatoirement une application de ce droit de la part du donneur. Mais celui qui reçoit l’aumône n’est pas tenu de la rendre. Ajoutez à cela qu’un tel paiement  n’est pas seulement un δορεμα [don], mais aussi δανεισμα [un prêt] à cause de la grande récompense qui est promise par le Seigneur, parce que celui qui donne aux pauvres, prête à Dieu.
  • Certains l’exposent comme  si les Ecritures disaient : μηδενα απελπιζοντες « ne pousser personne au désespoir » ce qui s’applique à des personnes et non des choses, comme le demande l’Interprète Syrien qui le rend ainsi : prête, et ne coupe pas l’espérance de l’homme., ce qui est cohérent avec les passages parallèle de Matthieu 5.42 « Donne à celui qui te demande, et ne te détourne pas de celui qui veut t’emprunter quelque chose. » – τῷ αἰτοῦντί σε ⸀δός, καὶ τὸν θέλοντα ἀπὸ σοῦ δανίσασθαι μὴ ἀποστραφῇς. Dans ce passage, il nous est demandé de ne pas retirer la possibilité d’un prêt, quelles que soient les circonstances, et nous recevrons en retour une récompense de la part de Dieu. D’autres ont dit non sans bonnes raisons explique que la force du mot απελπιζοντες [de ne désespérer personne] est comme si votre bienfait était perdu, ou que votre argent était mal placé, comme si vous ne receviez rien en comparaison de votre récompense qui sera toujours auprès de Dieu, si les hommes ne négligent pas leurs devoirs.

Contre la stérilité de l’argent

XVII Bien que l’argent soit stérile en lui-même, il peut cependant être fécond par son usage, tout comme un champ ou une ferme sont productifs non par eux-même, mais sont rendus fertiles par l’industrie humaine. Une usure payée deux fois n’est pas légitime, ni un double paiement, puisque l’argent crédité est une chose, le fruit que l’on en espère est une autre, tout comme une ferme est autre chose que les émoluments gagnés à partir d’une ferme 4

Matthieu 21.12

XVIII Christ a renversé la table des changeurs de monnaie dans le Temple, en Matthieu 21.12, tout comme les acheteurs et les vendeurs, non parce qu’ils achetaient et vendaient, comme si l’échange de monnaie était illicite, mais parce qu’ils ne devaient pas faire un lieu de commerce à partir d’un lieu de prières. Par ailleurs ils sont blâmés pour avoir fait de la maison de Dieu une caverne de voleurs, pas personnellement, mais parce qu’ils avaient amenés leur commerce dans le Temple, avec la connivence des prêtres, ils ont servi la rapacité de ces derniers, puisque par ce commerce et cet échange d’argents, les prêtres pourchassaient leur propre gain.

« Tout prêt doit être gratuit »

XIX L’axiome des canonistes selon lequel « Tout prêt doit être gratuit » ne peut pas être admis simplement des prêts à proprement parlé, parce que le devoir de chacun est de n’être nuisible à personne. Il n’est pas plus équitable d’utiliser gratuitement l’argent d’un autre dans nos affaires, que sa maison ou son véhicule. Tout comme il n’est pas équitable qu’il n’ait rien des fruits et émoluments et votre περισευμα [superflu] soit son υστερημα [déficit], tout comme que pour vous soit ανεσις [l’aisance] et pour lui θλιψις [la pression].

Des banquiers

XX Le nom des prêteurs est devenu infâmant et cet art n’est pas seulement illibéral, mais il est aussi malhonnête :

  • Qu’une telle profession fasse profit de l’usure et ouvre des boutiques publiques de prêt
  • Quand il exige une usure exagérée, condamnées par les lois civiles
  • Quand il est impatient et poursuit le pauvre pour qu’il rembourse sans délai, appliquant trop rigidement son droit (en effet, dans cette situation le sommet du droit [jus] est souvent le sommet de l’injustice).

Ce n’est pas pour rien qu’on affuble les banquiers du nom de « juifs » ou « lombards », qui rongent le peuple et surtout les pauvres par une usure gravissime, et se gavent de leur sang en recevant n’importe quel gage sans distinction. Par ces gages, non seulement ils assurent le capital, mais aussi l’usure immodérée, y compris de ceux qui mendient le pain à la porte, de la part des serviteurs sans que les maîtres ne le sachent, de la part des enfants sans que les parents ne soient au courant. Ils exercent cette profession de banquier pour la seule fin de s’enrichir. Ils doivent être chassés des états chrétiens, comme des pestes publiques et des pillards de la société.

Mais ce n’est pas pareil pour ceux qui par un bon métier, selon des conditions équitables constituées par la loi civile, rendent utile la monnaie qu’ils ont chez eux, et qui serait stérile sinon.

Les accusations contre Calvin

XXI   L’accusation injuste que font les papistes et le plus souvent les Jésuites, comme Bayle, contre notre Calvin qu’ils accusent d’être le patron des banquiers parce qu’il ne condamne pas absolument l’usure, est plus juste dans la bouche des jansénistes qui les accusent de la même chose. Ils pratiquent et permettent presque n’importe quelle usure, aussi malhonnête qu’elle soit ; cf Pascal, « Lettres Provinciales » et Amadeus Guimenius, « Traité de l’usure ». Mais il est plus admirable que Lancelot Andrews « Determinatione Theologica de usura », un grand homme de Dieu, soit ainsi enrôlé, lui qui défend l’usure dans son commentaire d’Ezéchiel 18 et une lettre. En effet non pouvons pas désirer autre chose que de l’équité de la part d’un tel homme, qui jette des accusations aussi graves contre Calvin. Car il a parlé si peu et si sobrement de l’usure, pour ne pas le cacher il préférait ne pas en parler et y ajouter beaucoup de précautions, si bien qu’il est facile de voir qu’il ne mérite pas les calomnies de ses adversaires. Dans l’épitre 383 « Je n’ai pas encore essayé » dit-il « de trouver quelle réponse peut être donnée à la question proposée, mais j’ai appris par le danger des autres, combien cette chose représente un danger. Si en effet nous condamnons toute forme d’usure, nous serrons davantage le lacet que ce que le Seigneur voudrait ; si nous concédons le plus petit point, plusieurs se jetteront dans la licence sous ce prétexte. » Et après avoir dit qu’aucun passage de l’Ecriture ne condamnait l’usure, il ajoute peu après : « il devrait être souhaitable que toutes les usures et même le nom lui-même soit exclu du monde ».  Il a confirmé la même chose dans son commentaire sur Ezéchiel 18. Ceux qui veulent en savoir davantage sur l’usure consulteront le très célèbre Voetius (Disputes sélectionnées, partie 4)

Conclusions sur le 8e commandement

XXII Les vertus exigées par ce commandement sont :

  1. Αυταρκεια [auto-suffisance] ou l’acceptation de son sort, pour que chacun vive de son honnête travail par la vocation qui lui incombe. (Genèse 3.19) et, content de son sort, ne convoite pas ce qui est aux autres (1 Timothée 6.6 ; Hébreux 13.5).
  2. La parcimonie et la frugalité
  3. La sincérité et la justice dans toutes les relations, pour que nous vivions toujours ανευ δολυ και απατης [sans tricherie ni tromperie] et que nous donnions à chacun ce qui lui revient.
  4. La libéralité pour les pauvres et les nécessiteux, pour que non seulement nous ne volions pas les biens de nos prochains, mais que nous donnions largement nos biens, aussi souvent que la nécessité et l’occasion le requiert.

  1. Traduction incertaine : atterit non sentientes.[]
  2. Il faut comprendre ici l’orthodoxie réformée, et non les chrétiens grecs ou les orientaux[]
  3. Pour exhorter à une bonne œuvre.[]
  4. La part d’héritage que l’on reçoit à une succession.[]

Étienne Omnès

Mari, père, appartient à Christ. Les marques de mon salut sont ma confession de foi et les sacrements que je reçois.

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  1. Où en est la vision chrétienne sur les crédits bancaires ? - Par la foi - […] avons exploré rapidement la question de l’usure dans la Tradition chrétienne. Nous avons ainsi traduit Turretin, et exploré rapidement…

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