En peu de mots, le psaume 117 condense l’essentiel du message de la Pentecôte.
1Nations, louez toutes l’Éternel ; vous tous, peuples, célébrez-le.
(traduction Ostervald)
2Car sa bonté envers nous est infinie, et la vérité de l’Éternel demeure éternellement.
Louez l’Éternel.
Ce psaume, chose connue, est le plus petit chapitre de la Bible. Il occupe de plus une position assez singulière, dans une séquence de trois psaumes (Ps 117-119) : le Ps 117 est le plus court du psautier, le Ps 119 le plus long. Quant au Ps 118, c’est le chapitre situé au milieu du texte biblique, Ancien et Nouveau Testaments compris. On n’accordera pas à ces considérations numérologiques plus d’importance qu’il n’en faut : toutes les Églises chrétiennes ne reconnaissent pas un même canon et ne classent pas dans le même ordre les livres de l’Ancien Testament ; le livre des Psaumes lui-même, et l’ordre de ses poèmes, ont une histoire complexe ; on a d’ailleurs longtemps voulu faire du Ps 117 une simple doxologie à rattacher au poème précédent1.
Tout ceci ne doit pas nous distraire de la méditation de ces deux versets : toute écriture est inspirée et donc utile, même la plus insignifiante au premier abord. Le Psalmiste a bien choisi ses mots, et ceux-ci méritent toute notre concentration.
Un Dieu digne de toute louange
On remarquera d’abord que ce psaume est un chant de louange : nulle trace ici d’une confession personnelle, d’une intercession voire d’une imprécation ; non, si nous devons réduire notre prière à sa plus simple expression, alors celle-ci doit être une louange. Deux formules de louange encadrent le reste du texte2, toutes deux à l’impératif (la première plus formelle, הַֽלְל֣וּ אֶת־יְ֭הוָה haləlû eth-YHWH, l’autre plus ramassée, הַֽלְלוּ־יָֽהּ haləlû-yāh). Le premier verset présente aussi un redoublement ; ces parallélismes sont très fréquents dans la poésie hébraïque, et nous pourrions être tentés de passer un peu vite dessus, car ils ne semblent rien ajouter d’indispensable au sens du texte.
À la lecture de la traduction, cela semble bien être ici le cas : nations et peuples d’une part, louer et célébrer d’autre part sont bel et bien de quasi-synonymes. La Septante reconnaît qu’il n’y a pas de différence de sens fondamentale entre les deux verbes en traduisant le second par un préfixé du premier (αἰνεῖτε τὸν κύριον… ἐπαινέσατε αὐτόν). Les mots utilisés dans la deuxième partie du verset sont moins habituels. Tant le verbe (שַׁ֜בְּח֗וּהוּ šabḥûhû, racine שׁבח) que son sujet (כָּל־הָאֻמִּֽים kāl-hāʾummîm, pluriel défini du substantif אֻמָּה ʾummāh — cf. arabe أُمَّة ʾumma « nation ; communauté ») n’appartiennent pas au vocabulaire habituel. On considère généralement ces deux mots comme des aramaïsmes :
Ce verbe semble être un mot araméen pour « louer, célébrer »; et à moins qu’il soit aussi hébreu, mais peu usité dans les Psaumes, il peut indiquer que le Psalmiste l’a choisi pour s’adresser aux nations, puisque l’araméen était parlé dans le monde non-juif et devint la langue dominante à l’époque exilique. Un mot « païen » viendrait ainsi en complément du premier impératif, en hébreu, s’adressant aux Israélites. Et le second verbe a lui aussi un objet (הָאֻמִּֽים), peut-être aussi une graphie araméenne.
Allen Ross, A Commentary on the Psalms 90–150, Grand Rapids : Kregel, 2016, p. 434.
Si cette hypothèse et correcte, alors nous pouvons voir dans cette polyphonie une première préfiguration de la Pentecôte. De fait, on trouve notamment ces mots dans les livres bibliques tardifs de Daniel et d’Esdras. Ironiquement, le mot authentiquement hébreu désignant les nations est dans ce verset est גּוֹיִ֑ם goyîm, qui désignera plus tard spécifiquement les non-Juifs (ce qui n’est pas le cas à l’époque de rédaction). Israël et les nations se retrouvent unies dans l’Église jusqu’à l’indistinction. C’est désormais au monde entier qu’on propose, et même qu’on ordonne d’adorer l’Éternel.
Un Dieu fidèle à son alliance
Le Psalmiste entreprend ensuite de donner ses raisons pour cet éloge : la conjonction כִּ֥י kî ouvrant le second verset introduit un discours argumentatif. Il s’agit d’une « louange descriptive3», là encore dans sa forme la plus ramassée. Pas le temps ici de s’attarder à raconter tel ou tel prodige de Dieu (comme c’est le cas, par exemple, aux psaumes 68 et 105), l’auteur nous invite d’emblée à nous rappeler ses qualités, ses attributs éternels. La louange la plus pure se fait donc contemplative.
Parmi tous les attributs de Dieu, le Psalmiste choisit de retenir sa « bonté » (חַסְדּ֗וֹ ḥasdô) et sa « vérité » (אֱמֶת־יְהוָ֥ה ʾemeth-YHWH). Alors même qu’il s’adresse à des nations qui ne connaissent pas le Dieu d’Israël, il ne cherche pas à les démontrer mais se contente de les affirmer tranquillement. Il cherche à toucher les cœurs plutôt qu’à gagner une dispute apologétique. L’association de חֶ֫סֶד ḥesed (bonté, fidélité, miséricorde) et de אֱמֶת ʾemeth (vérité, fidélité) est très fréquente dans le psautier :
Tous les sentiers de l’Éternel sont bonté et fidélité pour ceux qui gardent son alliance et ses commandements.
Ps 25,10.
Je ne dissimule pas ta justice dans mon cœur, je proclame ta vérité et ton salut ; je ne cache pas ta bonté et ta fidélité dans la grande assemblée.
Ps 40,11.
Qu[e le roi] siège éternellement devant Dieu ! Fais que ta bonté et ta fidélité veillent sur lui !
Ps 61,8.
Non pas à nous, Éternel, non pas à nous, mais à ton nom donne gloire, à cause de ta bonté, à cause de ta vérité !
Ps 115,1.
Je me prosterne dans ton saint temple et je célèbre ton nom à cause de ta bonté et de ta vérité.
Ps 138,2.
Cette association exprime usuellement l’« idée de force4», et effectivement, le verbe גָבַ֤ר gāḇar au début du verset 2, qu’Ostervald traduit par être infini, signifie littéralement être fort. Mais elle se trouve aussi dans un contexte allianciel, et c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la fidélité de Dieu ; les deux termes sont comme un hendiadys renvoyant à l’amour loyal de Dieu pour le peuple de ses élus. La même racine verbale se retrouve d’ailleurs lorsqu’il est explicitement question de confirmer une alliance :
Et il consolidera [וְהִגְבִּ֥יר wəhiḡbîr] une alliance avec un grand nombre le temps d’une semaine ; (…)
Da 9,27a (Bible de Jérusalem).
C’est donc l’accomplissement des promesses de l’alliance, la « vérité » de Dieu, qui rend témoignage de son amour, de sa miséricorde, de sa « bonté » envers nous. Pour nous, pécheurs en voie de conversion, être confrontés à ces qualités de Dieu ne va pas toujours de soi. La fidélité de Dieu à son alliance implique de prendre au sérieux tant les bénédictions qui y sont associées que les malédictions qui menacent ceux qui s’en détourneraient. Mais remarquons que l’ordre des deux attributs cités n’est pas non plus anodin. La bonté et la miséricorde y précèdent systématiquement la vérité et la fermeté (c’est le sens littéral de אֱמֶת ʾemeth). Comme il l’a illustré dans l’Exode, Dieu sauve d’abord avant d’imposer ses commandements ; de même, le remercier pour ce qu’il est et pour les grâces reçues, avec les psaumes du hallel (Ps 113-118) est comme une préparation à l’accueil obéissant de sa Loi (Ps 119).
La Pentecôte ne fut pas un accident dans l’histoire d’un salut qui eût échappé aux mains de ceux auxquels il était initialement destiné. Au contraire, les Nations étaient incluses dans le plan du salut dès les débuts de la révélation (Gn 12,3). La foi dans le Dieu d’Israël est ici résumée et tout entière orientée vers la mission. Qu’un aussi petit poème en témoigne5, qu’une prière aussi discrète choisisse de rappeler une promesse aussi énorme et prétentieuse6 a quelque chose d’exubérant. Et c’est cette exubérance que nous constatons aussi à la Pentecôte, avec l’effusion généreuse de l’Esprit, la profusion des langues, l’affluence d’une foule bigarrée de Juifs d’ici et d’ailleurs, et l’effervescence missionnaire qui suivra peu après.
Que le Dieu de l’espérance vous remplisse de toute joie et de toute paix dans la foi,
pour que vous débordiez d’espérance, par la puissance du Saint-Esprit ! (Rm 15,13)
Illustration : La Pentecôte, gravure de la Bible illustrée par Gustave Doré (1866), colorisée.
- C’est le cas par exemple pour Augustin, qui commente ces versets au sein du Ps 116.[↩]
- Dans certaines éditions, toutefois, l’alléluia final introduit le Ps 118, et celui qui termine le Ps 116 est reporté au début du Ps 117.[↩]
- Bruce Waltke, Théologie de l’Ancien Testament, Charols : Excelsis, 2012, p. 950 : « La louange descriptive, à la différence de la louange déclarative, célèbre la personne et les œuvres de Dieu en général, et non un acte particulier de délivrance en réponse à la prière. La louange descriptive célèbre Dieu avant tout pour sa ḥesed (bonté, bienveillance, et autres termes semblables) ».[↩]
- Edmond Jacob, Théologie de l’Ancien Testament, Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1968, p. 82.[↩]
- L’apôtre Paul l’utilise d’ailleurs pour argumenter en ce sens (Rm 15,11).[↩]
- J’emprunte cet adjectif à Walter Brueggemann, The Message of the Psalms. A Theologal Commentary, Augsbourg, 1984, p. 159 : « This may seem inordinately pretentious as a ritual activity. Such rhetoric in the temple reenforces the claims of the temple (and the dynasty). But it also keeps alive a vision of all peoples gathered in one act of worship. »[↩]
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