La Constitution civile du clergé
Pour rappel : l’Église française n’a pas forcément été archi-conservatrice dans les tous premiers jours des États généraux: certes, les évêques et la haute hiérarchie étaient définitivement réactionnaire, mais les délégués plus humble — les prêtres, les curés, les abbés — étaient en faveur du peuple. C’est d’ailleurs par sympathie pour le tiers-état qu’une grande partie des délégués du clergé alla rejoindre les délégués du tiers-état, brisant fatalement le système des trois ordres et créant l’Assemblée Nationale. C’est à un ecclésiastique — l’abbé Seyès — que nous devons le pamphlet Qu’est ce que le tiers-état ? qui servit de catalyseur à la plupart des demandes de liberté politique. En 1790 donc, il n’y avait aucune raison que les événements politiques vinssent troubler les relations entre l’Église et la nation.
Puis il y eut la Constitution civile du clergé. Après la formation de l’Assemblée Nationale, il y eut la grande et fameuse nuit du 4 août 1789, où tous les privilèges, y compris ceux de l’Église, furent abolis. En une seule soirée enfiévrée, c’est toute l’organisation de l’Église française qui partait en fumée, avec la nécessité désormais de la réorganiser différemment. L’Église était arrachée de la nation, comment allions-nous la rattacher à nouveau ?
Plusieurs philosophies s’affrontaient alors : une vision gallicane, qui voulait que le Royaume de France remplaçât la Papauté, sans changer la structure même. Une autre de ces visions était la vision janséniste, qui se rapprochait du fonctionnement synodal des Églises calvinistes. Ce fut la première, largement supportée par les députés de l’Assemblée, qui fut votée le 12 juillet 1790 sous le nom de Constitution civile du clergé.
Le texte exact est : « l’Assemblée constituante décide l’abolition des vœux de religion et confirme la nationalisation des biens d’Église. » L’État ayant ainsi à sa charge l’entretien du clergé, pouvait le réorganiser à sa guise, comme tout autre service public.
Selon les mots de Mourret, un témoin d’époque : « C’était une erreur, une erreur voulue et non accidentelle qui allait obliger le clergé, pour rester fidèle à l’Église et à ses engagements sacerdotaux, à refuser son obéissance à l’État1. »
- La Constituante exige du clergé qu’il refuse de reconnaître toute autorité venant d’un évêque extérieur à la France, comme par exemple l’évêque de Rome.
- L’article XIX dit même expressément : « les constituants décident que tout évêque élu n’aura plus à s’adresser au pape pour obtenir l’institution canonique. Il suffira désormais de l’en avertir par politesse, en témoignage d’union de foi et de communion avec lui. »
- Un département = un diocèse. 52 évêchés sont ainsi rayés de la carte.
- L’évêque, comme le curé, est désormais élu à la majorité des voix par tous les citoyens actifs (= propriétaires), même s’ils sont juifs, protestants, ou incroyants.
Bref, le Royaume des cieux passe entièrement sous la coupe du Royaume de France. Le texte fut reçu diversement selon les endroits et les idées locales. Je vais me concentrer uniquement sur l’Ouest à présent.
La réaction vendéenne au serment
Premièrement, les prêtres et les évêques eux-mêmes protestent par voie écrite. Ne sachant pas trop comment contrecarrer ce qui relève après tout de la liberté de conscience, les municipalités se livrent à toutes sortes de vexations : elles augmentent leurs impôts, déclarent le nombre de paroissiens (qui détermine le salaire) à la baisse, etc., parfois même à l’encontre de la loi. Par exemple, la municipalité de La Chapelle-Bassemère soumet à l’impôt la domestique âgée du curé, alors qu’une loi nationale interdit de taxer les plus de 60 ans.
Le 27 novembre 1790, la Constituante exige alors que les prêtres prêtent serment sur la nouvelle constitution de l’Église, sous peine d’être déchus de leur emploi et de leur salaire. Il ne s’agit plus de protester et discuter, on exige aux prêtres de se plier au nouvel ordre ou bien de se voir retirer leur charge.
Seuls deux évêques sur quarante-quatre présents acceptent de prêter serment à la Constitution (qui a interdit les serments religieux…). En Vendée, l’évêque de Nantes demande aux prêtres de refuser la Constitution et le 10 mars, le pape lui-même condamne ce serment comme « hérétique et schismatique ». Reynald Secher écrit : « les catholiques étaient déjà avisés de la situation, mais désormais ils savent qu’il n’y a plus de compromis possible. »
Devant l’insuccès de cette loi, les départements édictent des proclamations culpabilisantes à l’égard des prêtres réfractaires. Secher le relate ainsi : « Ces prêtres sont déjà traités de fanatiques qui veulent faire naître les horreurs d’une guerre civile. On conjure la population de ne pas les écouter et de tourner ses regards vers les autres, ‘les vertueux’ qui se disputent l’honneur de prêter serment. »
Sur 1058 prêtres et religieux dans le diocèse de Nantes, seuls 159 prêtent serment, dont beaucoup se rétracteront ensuite. En Vendée, ils sont 207 sur 768 (à peine plus d’un quart) et dans l’Anjou 44 sur 332.
L’installation des nouveaux évêques est un fiasco. Jarnoux raconte :
Dès que sa voiture [celle du nouvel évêque de Nantes] fut en vue sur le chemin de Paris, vers le croissant, canons et cloches saluèrent son arrivée. La municipalité et les élus étaient là au grand complet pour l’accueillir. Pressentant quelques remous possibles dans la foule, ces derniers avaient fait publier dans les heures précédentes qu’ils n’accepteraient aucune brimade : « nous croyons devoir prévenir les bonnes petites vieilles et déterminés bigots que quarante à cinquante jeunes gens, bien forts et vigoureux, souvent munis de verges bénites ou non bénites, se disperseront dans tous les quartiers de la ville le jour de l’arrivée du nouvel évêque et celui de son installation, pour administrer le fouet à celles qui auraient l’impudence de faire des sorties désagréables, suggérées par leur imbécile hypocrisie.
À pied, l’évêque s’avança entre deux haies de soldats et de gardes nationaux pour gagner la cathédrale. […] À l’évêché, il reçut les compliments de tous les administrateurs du département et des membres du tribunal. Mais le clergé était absent.
Plutôt gênant pour un évêque… Les évêques légitimes de leur côté encouragent et exhortent leurs prêtres à tenir ferme. L’évêque d’Angers par exemple écrit à ses prêtres:
Je m’attendais toujours à ce que vous rejetiez ce serment civique et qu’aucune considération humaine ne pourrait vous faire trahir votre conscience. […] Courage, continuez à visiter avec zèle. Nous avons un plus grand maître à servir que l’Assemblée nationale, et c’est lui qui nous défend de la manière la plus absolue de faire le serment qu’on exige.
À la suite de cette décision, la tension entre population et municipalités devient électrique, « tout devient prétexte à querelle ». Par exemple, à Beaufort en août 1790, des gens armés vont voir le conseil municipal avec des armes et exigent qu’on échange les bancs par des chaises à l’église. Le conseil municipal refuse et en retour les pétitionnaires deviennent menaçants et disent : « on nous a conduits comme des moutons, nous allons devenir des lions. » La garde nationale clôt l’incident en dispersant tout le monde en bon ordre.
D’après Reynald Secher,
les exemples sont nombreux. On parle partout de trahison et de tromperie. Parfois on menace de chasser les pouvoirs publics. Les officiers municipaux de Beaufort se voient même traités de bourgeois sur « lesquels il est question de foutre des coups de fusils comme sur des chiens ». La colère monte devant l’ordre donné de brûler les galons de soie et d’or, les ornements d’églises, d’enlever les pierres tombales, de cuivre ou de fonte, et de confisquer les cloches.
Les municipalités identifient alors les prêtres réfractaires comme les instigateurs de ces troubles, et « en conséquence, les prêtres visés subissent maintes tracasseries : augmentation arbitraire des impôts, messe perturbée etc… ». Elles sont généralement plus rigoureuses encore que l’Assemblée nationale, qui essaie encore de modérer la situation. Alors que l’Assemblée nationale n’a encore prévu aucune sanction pour les réfractaires, le département nantais décide déjà de les emprisonner. Les prêtres réfractaires abandonnent leurs paroisses. Nous sommes en mars 1791.
Prêtres réfractaires et prêtres jureurs
Le départ soudain des prêtres laisse les communes dans l’embarras. Le maire de la Chapelle-Achard écrit : « Lorsqu’il y aura un enterrement à faire dans notre paroisse, comme le cas arrive, quel prêtre requerrons-nous ? Comme pour les baptêmes, et qui les enregistrera ? ». Ou bien encore, à Saint-Hilaire de Mortagne, le curé s’en va en promettant à la population de faire la messe tous les jours à dix heures, et de prier pour eux. La population se rassemble alors dans l’église tous les jours à dix heures, cloches sonnantes. Les autorités scellent les portes de l’église. La population va se recueillir dans le cimetière attenant. Les gendarmes renoncent à les chasser et rapportent les faits à l’administration, qui les classe sans suite. Du moins jusqu’à l’arrivée des remplaçants, des prêtres dûment assermentés. L’accueil sera glacial en Vendée.
Reynald Secher raconte :
Selon les communes, on se trouve en présence de plusieurs situations : on accueille avec enthousiasme ou indifférence ces prêtres « intrus », ou les chasse. Le maire peut aussi à l’occasion « négliger » de les introduire invoquant divers prétextes : défaut de mandat, manque de logement etc… […] On fait appel à la force armée plus ou moins importante selon les cas.[…] En règle générale, les installations se déroulent assez bien comme le montrent les procès-verbaux.
Cependant, la population ne suit pas :
À la Chapelle-Bassemère, de mars à décembre 1792, soit huit mois, [le prêtre assermenté] ne célèbre qu’un seul mariage. Les années précédentes, dans le même laps de temps, il y en avait une vingtaine.
Pour les baptêmes, c’est plus rude. Certains curés assermentés se contentent de demander qu’on veuille bien leur faire parvenir les certificats établis par les non-assermentés, mais d’autre envoient tout de suite la troupe. Ainsi, à Saint-Lambert du Lattay,
le 20 août 1792, le capitaine de la garde d’Angers, Payer, arrivé la veille dans la commune, envoie, sur les plaintes de l’intrus Dubourg, quatre gardes nationaux dans les familles où il y avait des nouveaux-nés. Ils en apportent dix-huit à l’église pour les rebaptiser. Payer, lui-même, veut être parrain d’une petite fille du nom de Godineau, avec comme marraine Perrette Androuin. À la question de l’intrus : « Que veut cet enfant ? », la femme répond : « rien ». Le capitaine entre en fureur et la fait conduire immédiatement à l’hôtel de l’Écu où se tient son état-major. Là on lui coupe les cheveux, on lui enlève le mouchoir qu’elle a sur les épaules, et on la fait monter, selon la farce du jour, à rebours sur un âne. Elle est ainsi promenée dans les rues du bourg.
Pour les enterrements, « les dépouilles mortelles sont abandonnées à la porte des églises et chapelles. Faute de porteurs, on est obligés de recourir aux gardes nationaux qui portent croix et bannières. »
Les messes des curés assermentés sont peu remplies, voire vides. C’en est au point où, à Saint-Julien de Concelles, « pour soutenir le prêtre jureur, les municipaux et leurs partisans sont réduits à afficher plus de religion que par le passé. »
On les insulte, les caillasse, voire essaye de les tuer. D’un autre côté, la plupart des assermentés sont plus attachés « au traitement attaché à la charge qu’aux fonctions ecclésiastiques proprement dites. Par exemple, au registre paroissial de la Chapelle-Bassemère de 1784, retrouvé après le départ de Caperon, manquent les feuillets des 5 premiers mois dont il s’est servi pour faire des papillotes. On comprend à la suite d’une telle attitude, les réactions des paroissiens qui ne désirent qu’une chose : le départ de l’intrus. »
Seuls 35,55% des ecclésiastiques de Vendée (273/768) et 24% de ceux d’Anjou (80/332) se soumettent au serment pour garder leur cure. Où vont les autres ?
Contrairement à une idée reçue, ils ne s’exilent pas en Angleterre ou en Espagne. Ils reviennent dans leur paroisse natale, ou bien ils se cachent dans leur paroisse dont ils avaient la charge ou celle qu’ils peuvent. Reynald Secher affirme que « 235 prêtres vendéens sur 561 et 196 de l’Anjou sur 252 se réfugient au pays natal. »
L’influence de ces prêtres réfractaires va être immense pour trois raisons :
- Ils continuent d’administrer les paroisses parallèlement aux curés assermentés. Cela va même jusqu’aux registres d’état civil clandestin. L’administration se fâche de cette situation aux conséquences dangereuses.
- Ils réaniment la ferveur religieuse à commencer par celle de leurs familles, leurs proches et leur ouailles. Le lien un peu abîmé entre la population et ses curés sous l’ancien Régime est restauré par la persécution.
- Ils soutiennent et stimulent la résistance face à l’administration et aux « changements importés de la ville ». Ce sont des véritables apologistes contre-révolutionnaires que les communautés cachent soigneusement. Ainsi, l’un d’entre eux écrit : « On vous avait promis la liberté, on vous a imposé un prêtre jureur. On vous avait promis l’égalité, on a rétabli le cens. »
Leur existence devient complètement clandestine, ce qui fait que l’Église catholique devient par certains aspects semblable à l’Église du Désert. Ainsi, Peigné, un témoin d’époque raconte :
Dans la campagne, ils se réfugient au fond des bois, dans un champ de blé, dans un ravin profond, un fossé rempli d’eau, une humble cabane de charbonnier ou une chaumière. Souvent même ils se cachent dans des cavernes ténébreuses ou bien ils descendent dans des carrières ou mines abandonnées. Ici, entourés de petits enfants, ils font entendre la parole de vie, leur enseigne à aimer Dieu, à consoler leur mère, à prier pour la France et à pardonner. Là, à la clairière d’un bois au bord de la Divate, dans un vallon écarté, ils célèbrent la messe ordinairement une heure ou deux avant les premières teintes de l’aube. Une table ou quelqu’autre meuble recouvert d’un linge blanc sert d’autel, pourvu du minimum liturgique. Souvent une alerte vient interrompre la cérémonie. Aussitôt le prêtre regagne sa cachette. Lorsqu’on a espoir d’échapper à la visite des Républicains, les fidèles se réunissent dans un lieu plus digne : une maison où l’on choisit la plus belle salle. Alors les fenêtres sont soigneusement masquées et l’on parle à voix basse.
Reynald Secher conclut alors :
Peu à peu, avec la clandestinité, de nouvelles habitudes et structures se mettent en place ; elles permettent à des mouvements de résistance et de guérillas de fonctionner. Les premiers prêtres réfractaires rentrent dans leur famille dès novembre 1790. Les autres trouvent asile auprès d’amis, de personnes sûres qui se portent garantes de leur liberté et de leur sécurité. À partir de ce moment et jusqu’en mars 1793, mois de l’insurrection générale, ils se trouvent immergés dans leur milieu d’origine ou voisine. Cachés et protégés, ils peuvent à tout instant attirer l’attention sur les clivages incontestables entre la tradition chrétienne, les principes et les décisions révolutionnaires. Il se produit alors une reviviscence du sentiment religieux à l’intérieur de ces familles et de ces ouailles. Cette situation explique très bien l’attachement indéfectible à ces prêtres réfractaires et la naissance d’un contre-pouvoir.
Le clergé pendant le génocide
Pendant les évènements proprement génocidaires. Le clergé est une cible prioritaire pour les révolutionnaires, et font l’objet de recherches particulières. Quand ils sont capturés, ils sont condamnés à mort, et exécutés dans des conditions parfois moins qu’humaine. Ainsi, Secher dit :
Certains sont odieusement traités, tel l’abbé Joseph Cosneau, titulaire du bénéfice de la chevalerie à Maumusson. Arrêté par les Bleus, vers la fin de 1794, il est attaché à la queue d’un cheval et traîné à Ancenis en passant par Saint-Herblon. Là il est mutilé à coups de sabre, puis attaché sur une planche mise ensuite sur la Loire. Des rives, les soldats se font un jeu de décharger leurs fusils sur la victime.
En plus de la persécution officielle, ils sont en proie aux colères de la foule. Ainsi, quatre prêtres arrêtés à la Rochelle subissent un lynchage complètement incontrôlé.
Les hommes frappent à coups redoublés, les femmes saisissent les têtes pour les cogner contre le sol, un autre s’amuse à faire passer sous le menton des femmes une oreille ensanglantée, un marin ouvre un ventre avec un rasoir… Une femme s’écrie « cela vaut mieux que de l’eau bénite ». Les cadavres sont ensuite traînés sur le quai en essuyant toujours force de coups : « Un nommé Lionet brandit en ricanant des lambeaux de chair et un crucifix ». Tous les prêtres ont la tête coupée, piquée sur des fourches et promenées à travers la ville. L’acte de décès porte l’incroyable mention : « prêtres morts victime d’une émotion populaire ». Le lendemain 22 mars, d’autres ecclésiastiques subissent le même sort : leurs dépouilles sont coupées en morceaux que se disputent les égorgeurs en disant : « tu en as un plus gros que moi »…
Selon le département, on va de 29 % (Pays nantais) à 60,4 % des prêtres tués (en Anjou) pendant la période. Pour les prêtres qui ont prêté serment, le prix est tout aussi lourd : la Vendée a perdu 55 % de ses prêtres assermentés et l’Anjou 50 %, à cause de la vengeance des insurgés.
Secher dit :
Rares sont les prêtres non assermentés qui, incarcérés dans les prisons républicaines, survivent. Conduits par les gardes nationaux, la présentation au tribunal porte en elle-même la sentence : « C’est un prêtre ». Les juges touchent alors inexorablement une petite hache, sans rien dire, ou répondent : « À mort ».
Cette mortalité effarante est largement due à leur héroïsme et leur persévérance. Ainsi Reynald Secher dit les concernant :
Non seulement les prêtres assurent la continuité du culte au sein des paroisses dont ils ont la charge, mais ils peuvent être amenés à s’occuper d’autres communautés parfois très éloignées (Jusqu’à quinze autres !) […]. Ce clergé, conscient de sa mission, s’efforce par l’administration des sacrements, de maintenir le rythme du calendrier grégorien avec le respect du dimanche, les fêtes et les pratiques cultuelles. Certains prêtres ont même l’audace, en pleine répression, de faire des processions […]. À la moindre accalmie, on catéchise, on baptise les enfants « qui n’ont pu l’être en raison de l’insurrection » ou qui ont été simplement ondoyés. On fait aussi des mariages à la faveur de la nuit […]. À ces cérémonies s’ajoute l’exhumation des cadavres enterrés hâtivement « au lieu de leur martyre » pour « leur donner une plus digne sépulture. » Un agent municipal de Montravers a ainsi la surprise de rencontrer à peu de distance de la commune un prêtre réfractaire portant un crucifix et marchant à la tête d’un convoi funèbre […]. L’éducation cléricale des jeunes séminaristes n’est pas oubliée. Une fois instruits, ils passent à l’étranger recevoir l’ordination des évêques légitimes et reviennent ensuite dans le pays insurgé […]. Ces actions héroïques sont innombrables, l’amour du sacerdoce se mêle à l’inconscience. L’abbé Clair Massonet, curé de Ligné, refuse durant toute la persécution de quitter l’habit ecclésiastique : « Un déguisement serait tout à fait inutile, dans la mesure où on me reconnaîtrait toujours à mes cheveux blancs. » À quelqu’un qui le plaignait de ce qu’il soit toujours obligé de fuir et de se cacher continuellement, l’abbé Souffrand, curé de Maumusson, réplique : « Si les républicains savaient combien je suis content d’être persécuté pour la bonne cause, j’imagine qu’ils s’arracheraient eux-même les cheveux de dépit. » En conséquence, ces prêtres deviennent extrêmement populaires et forcent l’admiration de leurs ouailles par leur courage […]. Ce zèle intrépide permet à ces hommes d’Eglise de compter sur la protection absolue de tous les fidèles, des membres de leur familles qu’ils n’ont jamais abandonnés : ils ont vécu avec eux toutes les péripéties de la guerre, ils les ont parfois au péril de leur vie, suivis au combat, en exil et accueillis à leur retour.
Même après le pic de massacres, ils sont l’objet de persécutions continues.
À la faveur des apparentes périodes d’apaisement, quelques prêtres émigrés en profitent pour rentrer. Leurs conditions d’exilés étaient souvent difficiles, surtout en Espage. Beaucoup avaient même dû travailler pour survivre. Certains firent preuve d’un talent particulièrement remarquable ; tel l’abbé Mouilleron, curé de Sainte-Marie, qui ayant appris à faire le chocolat fit fortune à Londres où existe encore un rue qui porte son nom.
Bon nombre de ces prêtres se font arrêter à peine débarqués, au moins douze à Quiberon. Ils sont fusillés à Vannes avec l’évêque de Dol lui-même, Mgr de Hercé.
Pour être larvée et irrégulière, la persécution ecclésiastique n’en est pas moins réelle […]. Outre l’emprisonnement dans les prisons départementales, et dans diverses citadelles, dont celle de Ré, ces prêtes sont déportés à la Guyane : « C’était l’abandon et l’exil dans toute leur amertume », explique l’abbé de Beauregard, le vicaire général de Luçon. Cependant, malgré les dangers, ce clergé insermenté est extrêmement actif.
Conclusion
Je disais dans l’introduction que l’histoire des prêtres catholiques vendéens rappelle par certains côtés celle des pasteurs du désert. Nous retrouvons le même héroïsme, le même amour de leur vocation, et le même courage entêté pour accomplir tout ce que requiert leur tâche.
Serait-ce le signe d’une caractéristique de l’Église française dans son sens le plus large? Certes parfois collaboratrice de l’État, mais toujours prête à de grandes manifestations de fidélité à la foi et à des sacrifices d’inconscients dès que l’Évangile est atteint? Plaise à Dieu qu’il en soit vraiment ainsi. Catholiques et protestants français peuvent être fiers de leurs ancêtres dans la foi : ils sont à compter aux côtés du grand Polycarpe, et c’est sur une citation du martyre de Polycarpe, auxquels les Vendéens peuvent être comparés, que je vous laisse :
Quand Polycarpe en franchit les portes [du tribunal], une voix retentit du ciel : « Courage, Polycarpe, et sois un homme ». Nul ne vit qui avait parlé, mais ceux des nôtres qui étaient présents entendirent la voix. On fit entrer Polycarpe. Quand la foule apprit qu’il avait été arrêté, les clameurs redoublèrent.
Le proconsul le fit comparaître devant lui et lui demanda s’il était Polycarpe. « Oui », répondit celui-ci. Alors il essaya de le faire abjurer : « Respecte ton âge », disait-il. Suivaient toutes les paroles que l’on tenait en pareil cas : « Jure par la fortune de César, rétracte-toi, crie : à mort les impies ! »
Alors Polycarpe jeta un œil sombre sur cette populace de païens massée dans le stade, et pointa sa main vers elle. Puis il soupira, et, les yeux levés au ciel, il dit : « À bas les impies ! » Le proconsul le pressait de plus belle : « Jure donc et je te libère, maudis le Christ ! »
Polycarpe répondit : «Si tu t’imagines que je vais jurer par la fortune de César, comme tu dis, en feignant d’ignorer qui je suis, écoute-le donc une bonne fois : je suis chrétien. Voilà quatre-vingt-six ans que je le sers et il ne m’a fait aucun mal. Comment pourrais-je insulter mon roi et mon sauveur ? Si le christianisme t’intéresse, donne-toi un jour pour m’entendre». Le proconsul lui dit : « Essaie de convaincre le peuple ». Mais Polycarpe répliqua : « Avec toi, je veux bien m’expliquer. Dieu nous demande de respecter comme elles le méritent les autorités et les hautes fonctions qu’il a lui-même instituées, du moment que cela ne nous porte pas préjudice. Mais ces gens-là ont trop peu de dignité pour que je défende ma foi devant eux ».
Le proconsul reprit : « J’ai des fauves, je t’y ferai jeter si tu ne changes pas d’opinion ».
« Fais-les venir ! Quand nous changeons, nous, ce n’est pas pour aller du bien au mal. Nous ne consentons à changer que pour devenir meilleurs. »Le magistrat s’irritait : « Je t’envoie au bûcher si tu ne crains pas les fauves. Apostasie donc. »
Polycarpe répliqua : « Tu me menaces d’un feu qui brûle une heure, puis s’éteint rapidement. Tu ignores donc le feu du jugement à venir et du châtiment éternel gardé pour les impies. Mais pourquoi tardes-tu ? Va, donne tes ordres. »
- Sauf indication contraire, les citations de cet article proviennent de Secher, Reynald, La Vendée-Vengé: le génocide franco-français, Paris : Perrin, 2006.[↩]
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