Est-il juste d’appeler la providence de Dieu « destin » et une nécessité fatale doit-elle lui être attribué ? Nous distinguons.
Le mot destin, fatum en latin, a été très tôt repris chez les Pères latins à partir de l’usage qu’en avait les stoïciens, à l’exemple de Minucius Félix 1. Il désignait alors la providence de Dieu. Mais il a en fait quatre sens:
- Son sens physique : c’est l’ordre et les séries des causes naturelles. Il est du destin de la rivière de couler jusqu’à la mer.
- Le destin mathématique, celui des astrologues qui prétendaient que le destin des hommes était fixé par les étoiles. Celui-là est rejeté par l’Église, comme nous l’avons vu en 5.7.
- Le destin des stoïciens : un enchaînement aveugle de causes et de conséquences qui s’applique à tous nécessairement, y compris Dieu. C’est le destin auquel on fait référence dans de nombreux films et histoires.
Nous professons être très séparés d’eux [des stoïciens]. Ils soumettent Dieu à la nécessité, nous soumettons la nécessité à Dieu. Ils prétendent que toutes les causes sont naturelles et définies, nous maintenons constamment la différences entre causes naturelles et libres, et croyons que les deux dépendent de la providence de Dieu. Ainsi il est évident qu’on ne peut accuser sans injustice d’être stoïcienne. Car bien que nous tenions que toutes choses arrivent par une inévitable nécessité par la Providence, il n’y a malgré tout rien de commun avec eux. Nous n’affirmons pas une nécessité absolue dans les causes elles-même (comme ils le font), mais une nécessité hypothétique à cause du décret. Nous ne feignons pas non plus une série de causes naturelle et éternelle qui serait inévitable même à Dieu, même une série temporelle comme le sont les causes elles-mêmes, faites par Dieu lui-même, qui sont soumises à son bon plaisir et qui les dirige si bien qu’il peut en changer ou les retenir ou les enlever.
Turretin, Institutions de théologie élenctique, 6.2.5
Enfin, il y a le sens chrétien du destin, c’est à dire la série de causes et conséquences par lesquels la Providence advient.
Alors, peut-on utiliser le mot destin pour qualifier la providence chrétienne ? Techniquement oui, mais vu le risque de confusion et l’occasion d’attaque que cela représente, Jean Calvin – et Turretin qui le cite – suggèrent de ne pas l’utiliser 2. À la place, il suggère cette autre citation d’Augustin : Si quelqu’un appelle la puissance même et la volonté de Dieu le destin, qu’il garde cette opinion, mais corrige son langage.
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