Apprendre à raisonner (67) : Vérifier la validité d’un syllogisme avec les diagrammes de Venn
18 avril 2025

Cet article est le soixante-septième d’une série consacrée à la logique classique (ou aristotélicienne, c’est-à-dire développée par Aristote). Dans le soixantesixième, j’ai expliqué comment vérifier la validité d’un syllogisme avec le moyen mnémotechnique « Barbara Celarent ». Dans cet article, je présenterai une autre méthode de vérification basée sur les diagrammes de Venn. Comme d’habitude, je reprendrai énormément le contenu du livre de Peter Kreeft, Socratic Logic, pp. 258-263.


Les diagrammes de Venn sont une méthode efficace pour repérer un syllogisme valide mais ils ne permettent pas de connaître la cause d’un syllogisme invalide. C’est pour cela que Kreeft conseille de ne pas l’apprendre. C’est aussi parce qu’ils présupposent le rejet de l’interprétation d’Aristote des propositions universelles, c’est-à-dire l’interprétation de Boole pour qui les propositions universelles ne disent rien sur l’existence des choses, renseignement que seules les propositions particulières peuvent nous donner. Quoiqu’il en soit, toujours selon Kreeft, il est intéressant d’étudier cette méthode comme une curiosité historique de notre époque.

Les diagrammes de Venn utilisent des cercles tout comme les diagrammes d’Euler. Mais la différence, c’est que désormais les deux cercles doivent toujours se chevaucher (avoir une partie commune). Alors que dans les diagrammes d’Euler, deux cercles pouvaient n’avoir aucune partie en commun dans le cas des propositions E (universelles négatives). On obtient alors quatre zones d’appartenance possible : appartenir à S, P, à la fois à S et P, ou ni à S ni à P :

Ils sont très utilisés en mathématiques en lien avec la théorie des ensembles et donc avec un peu tous les sous-domaines : probabilités, analyse des fonctions, etc. Vous avez sûrement déjà dû les rencontrer au lycée et dans le supérieur si vous étiez dans des études scientifiques.

Représentation des quatre types de propositions catégoriques (A, I, E et O)

Propositions A  

Au deux cercles, on rajoute un coloriage en couleur (souvent une zone grisée) pour représenter les espaces « inoccupés ». Donc dans cette représentation, par exemple la proposition A « Tout S est P. » signifie qu’il n’y a aucun être qui soit à la fois S et P (on grise alors la zone exclusive de S) :

Propositions I

On peut aussi utiliser un astérisque pour indiquer qu’une zone est bien occupée. Donc par exemple, une proposition I (« Certains S sont P. ») sera représentée ainsi :

Il est important de préciser que dans cette méthode/interprétation, les propositions A (universelles affirmatives) ne disent pas que des individus de S existent. Elles sont prises uniquement pour signifier qu’il n’y a aucun membre de S qui ne soit pas P. Pour ce qui est des propositions particulières I, on les interprète pour qu’elles impliquent que certains membres de S existent. C’est cette interprétation des propositions universelles qui est incompatible avec les présupposés de la logique classique (qui dit que les propositions universelles ont elles aussi des informations à donner sur l’existence).

Propositions E

Pour les propositions E (universelles négatives) « Aucun S n’est P. », on grise seulement la partie en commun pour représenter qu’il n’y a aucun membre à la fois de S et de P :

Propositions O

Pour les propositions O (particulières négatives) « Certains S ne sont pas P. », on met un astérisque dans la zone exclusive à S pour dire qu’on sait que des membres exclusifs à S existent :

Vérification de syllogismes avec les diagrammes de Venn

Exemple avec un syllogisme AAA

Prenons un syllogisme AAA (c’est-à-dire où toutes les propositions sont de type A) comme notre éternel exemple :

  1. Tous les hommes sont mortels. 
  2. Or Socrate est un homme. 
  3. Donc Socrate est mortel. 

Plus formellement, on a :

  1. Tout M est P.
  2. Tout S est M.
  3. Donc tout S est P.

De manière générale, on dessine un cercle pour chacun des trois termes. Or, on voit qu’ici on a trois termes (homme, mortel et Socrate), comme dans tout syllogisme. Donc on dessine trois cercles, un pour M, un pour S et un pour P :

Puis on grise les bonnes zones en avançant prémisse par prémisse. La première prémisse (la majeure) dit que « Tout M est P. ». On rappelle que dans l’interprétation de cette méthode, cela veut dire qu’il n’y a aucun P qui ne soit pas M. Donc on colorie tout la zone du cercle M en dehors du cercle P :

On passe maintenant à la seconde prémisse (la mineure) « Tout S est M. ». Encore une fois, cela veut dire implicitement qu’il n’existe aucun S qui est n’est pas dans M. Donc on refait la même chose qu’avant :

Enfin, on arrive à conclusion « Tout S est P. » qu’on peut vérifier avec la règle « inversée » du coloriage. On regarde la façon dont les cercles S et P sont grisés, et si cette façon correspond à la proposition A « Tout S est P. », alors on en déduit que le syllogisme est valide. Or, on voit que c’est bien le cas : tout ce qui est dans S et qui n’est pas dans P a été grisé. Donc le syllogisme est valide

Exemple avec un syllogisme EIO

Prenons un syllogisme EIO qui aura donc cette forme :

  1. Aucun M n’est P.
  2. Certains S sont M.
  3. Donc certains S ne sont pas P.

On écrit comme avant les trois cercles (un cercle par terme) :

Quand il y a une prémisse universelle et une autre particulière, on est obligé de commencer de représenter l’universelle d’abord pour éviter des ambiguïtés. L’ordre importe peu pour la majeure ou la mineure, pourvu que qu’on respecte cette règle.

On grise donc en fonction de la première prémisse « Aucun M n’est P. » (car elle est universelle et que la seconde est particulière), c’est-à-dire qu’on grise la partie commune à M et à P pour dire qu’il n’existe aucun individu qui est à la fois M et P :

Maintenant, on passe à la seconde prémisse « Certains S sont M. ». Comme elle est de type I, on doit ajouter un astérisque sur la partie en commun entre S et M pour signifier qu’il existe des individus à la fois dans S et dans M :

Exemple avec un syllogisme AII (besoin de plusieurs diagrammes de Venn et pas seulement un)

L’exemple que nous étudions maintenant a cette forme :

  1. Tout P est M.
  2. Certains S sont M.
  3. Donc certains S sont P.

Encore une fois, on dessine trois cercles :

On commence par la première prémisse car elle est universelle alors que la seconde est particulière :

On en arrive à la seconde prémisse qui est particulière « Certains S sont M. ». C’est ici un cas complexe : on ne sait pas où placer l’astérisque car il y a deux espaces communs à S et M possibles. On place donc un astérisque dans ces deux zones :

Nous pouvons désormais évaluer la conclusion (est-elle vraie ou fausse d’après les zones grisées et les astérisques ?). On voit que dans un cas (quand l’astérisque est en bas à gauche), la conclusion est vraie alors que dans l’autre (quand il se trouve en haut à droite), elle est fausse. Comme il existe un cas où elle est fausse, on en déduit alors que ce syllogisme est invalide.

Pourquoi obtient des résultats différents avec les diagrammes de Venn et les règles d’Aristote ?

Remarque : On obtient des résultats de validité (valide ou invalide) différents suivant qu’on utilise les six règles d’Aristote (et les cercles d’Euler) ou les diagrammes de Venn. C’est parce qu’encore une fois, chacun a des présupposés différents. La méthode d’Aristote accorde une valeur « existentielle » aux propositions universelles alors que celle de Venn (interprétation booléenne) la leur refuse et ne la donne qu’aux propositions particulières. Par conséquent, pour Aristote, on a le droit de déduire une conclusion particulière de deux prémisses universelles, chose interdite pour le système de Boole.

Les diagrammes de Venn : pas conseillés aux débutants

Kreeft déconseille aux débutants d’utiliser les diagrammes de Venn pour plusieurs raisons :

  1. Le caractère douteux de l’interprétation booléenne des propositions universelles et particulières à laquelle on préfèrera l’interprétation aristotélicienne
  2. Les six règles d’Aristote et les diagrammes d’Euler montrent plus clairement la raison pour laquelle un syllogisme est invalide.
  3. Les six règles d’Aristote et les diagrammes sont plus faciles à utiliser.

Il faut cependant reconnaître que les diagrammes Venn sont plus faciles à apprendre que les deux autres méthodes. Mais en pratique, ils sont plus durs à utiliser et de toute façon, les deux autres deviennent accessibles après seulement un minimum de pratique.


Illustration : Charles Laplante, Éducation d’Alexandre par Aristote, gravure, 1866.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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