Le titre de ce livre, L’éthique intellectuelle: Une épistémologie des vertus peut paraître étrange ou abstrait mais il s’agit en fait d’une excellente introduction à l’épistémologie d’un point de vue aristotélico-thomiste avec le style de la philosophie analytique (en particulier, le thomisme analytique).
L’auteur n’aborde pas tous les sujets en détails mais donne les grandes lignes d’une bonne épistémologie. Il présente au passage les principales problématiques de l’épistémologie analytique (définition de la connaissance, distinction entre savoir et croyance, internalisme et externalisme, etc.). L’auteur, Roger Pouivet est un philosophe français catholique actuellement à la retraite et connu pour ses travaux qui montrent les apports importants de Thomas d’Aquin en philosophie analytique, en particulier en épistémologie, la philosophie de la religion et l’esthétique. Vous trouverez ici un excellent résumé assez complet du livre.

Cette bonne épistémologie d’après lui, c’est l’épistémologie des vertus qu’il présente en réaction à l’épistémologie à la mode en philosophie analytique où le but est de trouver une définition « parfaite » de la connaissance (du savoir opposé à la simple croyance) en proposant des critères qui permettent de « capturer » tous les savoirs (voir les fameux cas de Gettier à l’origine de ces exercices tordus). Mais en plus d’être un projet voué à l’échec (il n’y a pas de consensus à ce jour), Pouivet affirme que celui-ci réduit l’épistémologie uniquement à une liste de règles et de normes à respecter. De façon générale, il n’y a pas de problème à proposer des normes et analyser la connaissance. Le problème se pose dès lors qu’on met entièrement de côté l’analyse des personnes qui connaissent (les connaissants/croyants) : l’éthique intellectuelle, c’est-à-dire l’analyse du bien et du mal chez les personnes qui réfléchissent (les vertus et les vices liés à la connaissance). Par exemple comme vices on a le bullshit, l’orgueil, la vaine gloire d’un côté et pour les vertus la studiosité (connaître pour rechercher la vérité), l’humilité, etc. Vertus et vices que Thomas d’Aquin développe dans sa Somme théologique. Et même si on admet qu’il y a des normes à respecter, le point de vue épistémologie « légaliste » ne nous donne pas de raisons profondes de les respecter. Problème auquel remédie l’épistémologie des vertus.
Pouivet présente donc la thèse selon laquelle l’épistémologie repose sur l’anthropologie (ce que nous les êtres humains sommes) et donc sur la métaphysique (ce que les choses, nous y compris, en général sont). Le point de vue contemporain essaye à l’inverse de bâtir une épistémologie sans métaphysique, mais en vain. Il propose donc des principes fondamentaux de la métaphysique aristotélico-thomiste. En résumé, nous sommes des êtres, des animaux rationnels faits naturellement pour rechercher la vérité (c’est la finalité d’Aristote reprise par les médiévaux, en particulier Thomas d’Aquin que Pouivet cite le plus). Or, la nature ne fait rien en vain, donc la connaissance est possible pour les hommes. C’est le fiabilisme opposé à l’épistémologie « légaliste » qui cherche absolument des conditions nécessaires et suffisantes exhaustives à la connaissance.
Il défend ensuite la théorie du sens commun de Thomas Reid : en somme si une croyance ridicule, on a le droit de la rejeter de facto sans même chercher à la réfuter. Comme croyances ridicules, contre-intuitives on en a énormément dans l’histoire de la philosophie : « Tout change tout le temps » d’Héraclite, « Rien ne change » de Parménide, « Il n’y a rien de matériel que des choses mentales » de Berkeley, etc.
Il va ensuite encore plus loin pour montrer que dans cette métaphysique, on a besoin de Dieu (son existence et ses attributs comme sa puissance et sa bonté) pour assurer un fondement à la fiabilité de nos connaissances en général. En termes plus savants, le théisme fournit un cadre bien plus propice à la connaissance de l’homme que le naturalisme pour en assurer la fiabilité. Il reprend les arguments d’Alvin Plantinga et de C. S. Lewis. Puis, il montre enfin que non seulement le théisme en général (l’existence d’un Créateur et sa création) fonde la connaissance mais aussi des dons surnaturels de Dieu, en particulier du Saint-Esprit : les vertus liées à la connaissance sont des dons que Dieu nous donne par le Saint-Esprit pour nous libérer de nos vices, du péché. Toute notre vie est affectée par le péché, y compris notre vie intellectuelle. Ainsi, notre Sauveur Jésus-Christ est une fois de plus la solution ultime à notre épistémologie défectueuse :
Pour un chrétien, la question n’est pas tant de savoir ce qui nous sauvera de l’obscurcissement de notre esprit, quelle technique intellectuelle, mais de savoir qui nous en sauvera. A cette question, un chrétien répond : Jésus-Christ, le Fils de Dieu. Nous devons l’imiter, non pas seulement ses actes, mais sa pensée – sa vie intellectuelle – pour que la nôtre, si corrompue, reçoive la grâce de la rédemption.
Roger Pouivet, L’éthique intellectuelle: Une épistémologie des vertus, p. 313.
Illustration en couverture : Emile Friant, L’étudiant, peinture, 1885 (musée des beaux-arts, Nancy).
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