Suite à mon premier article sur le sujet, quelques remarques m’ont été faites sur l’appellation « génocide vendéen » : on reproche à ce mot d’être trop utilisé, et de l’être illégitimement ici. Après tout, des massacres et des horreurs arrivent dans toutes les guerres, la brutalité des événements de Vendée ne conduisent pas forcément à un génocide. Il m’a donc paru juste d’apporter ma contribution au débat, expliquer pourquoi cette appellation est justifiée, et les raisons pour lesquelles j’accuse d’un tel crime la Première République française.
L’article qui suit n’est cependant qu’une synthèse d’un livre plus détaillé : Vendée : du génocide au mémoricide de Reynald Secher. C’est donc à lui que revient tout le mérite.
Les critères d’un génocide
Prenons d’abord une remarque privée qui m’a été faite, qui nous servira d’introduction.
Selon moi deux points sont essentiels [pour mériter l’appellation de génocide] : l’intensité de l’acte et l’intention derrière l’acte. 1) Pour l’intensité, je dirais que c’est le plus évident à mesurer : on compte les morts et on compare à la population totale. C’est un peu arbitraire de fixer une barrière comme ça mais je dirais qu’en dessous de 50% de morts, on ne peut pas parler de génocide. Et bien sûr il faut que ce soit des morts « hommes-femmes et enfants ». On ne peut pas parler de génocide quand un pays perd toute sa jeunesse masculine dans une guerre (par exemple la guerre de la Triple-Alliance ne marche pas selon moi). Donc déjà là, avec 200 000 morts pour une population d’à peu près un million de personnes, les chiffres sont un peu faibles pour les Vendéens.
2) Le critère le plus dur à estimer est l’intention derrière les massacres. Selon moi, ce qui fait la caractéristique du génocide c’est la volonté d’effacer un autre peuple (une autre « nation ») de la surface de la Terre pour des motifs touchant au « sacré ». Je crois qu’un élément caractéristique est la production d’un discours visant à déshumaniser les victimes. Ce n’est pas du tout la même chose de dire « Il faut massacrer les Vendéens car ce sont des traîtres et il faut faire un exemple » et de dire : « Nous avons la nécessité biologique, scientifique et historique d’éliminer les juifs car ils parasitent l’humanité ». Je caricature un peu les deux discours, mais dans un cas on a un choix politique dicté par les circonstances (faire un exemple) et dans l’autre on est guidé par une nécessité quasi métaphysique (rendre sa pureté à l’humanité).
Commençons par établir la définition commune et acceptée : En 1948, la convention des Nations unies définit très officiellement le génocide de la façon suivante : « le génocide s’entend d’un certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ». Il précise juste après le genre de moyens : « le meurtre de membres du groupe ; l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; l’application de mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; et le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
Les événements de Vendée tels que je vous les ai déjà racontés comportaient des meurtres de masse, des atteintes graves à l’intégrité tels que des viols ou des mutilations en masse, et je pourrais aussi parler de ces Vendéens entassés par centaines dans des bateaux le long de la Loire, puis « oubliés » pendant deux jours, jusqu’à ce qu’ils fussent tous morts d’étouffement… Heureusement les Bleus sont innocents d’un contrôle forcé des naissances ou de rapts d’enfants, puisqu’ils éventraient les femmes enceintes et jouaient à la passe à dix avec le corps des nourrissons sur leurs baïonnettes. L’article pourrait presque s’arrêter là, tant il est difficile, en prenant connaissance de la définition des Nations unies, d’imaginer comment les événements de Vendée ne pourraient pas être un génocide. Les faits témoignent d’eux-mêmes. Il y aurait un seul point à défendre : l’intention. Y avait-il vraiment une intention de détruire les Vendéens parce qu’ils étaient Vendéens ?
Avant d’attaquer l’analyse des intentions, je dois finir de répondre rapidement à la remarque citée précédemment. On voit qu’aux yeux des Nations unies, le critère « d’intensité de l’acte » ne compte pas du tout. Et on comprend : Hitler n’a tué que 40% de la population juive mondiale, dois-je réduire le « seuil de génocide » est à 40% ? Et si jamais par un accident de l’Histoire il avait été incapable de conquérir la Pologne (plus grande communauté juive européenne de l’époque), qu’il n’avait exterminé que les juifs d’Allemagne, cela aurait-il fait de cette extermination autre chose qu’un génocide ? Ou bien encore, si Hitler avait voulu détruire l’intégralité des juifs, mais était né deux siècles trop tôt, qu’il n’avait eu ni l’industrie chimique allemande (pour les gaz), ni le chemin de fer pour déporter un nombre aussi effroyable de gens, bref, qu’il aurait tué beaucoup moins de personnes pour des raisons techniques… Il n’y aurait pas eu non plus génocide ? Non, le critère n’est pas pertinent. Il y a du bon sens derrière, mais il n’est pas pertinent.
Mais alors, n’importe quelle ratonnade serait-elle un génocide ? Si un groupe de skinheads décidait de tuer un Arabe, serait-ce un génocide ? Non, parce qu’ils n’auraient pas l’intention de tuer un groupe entier. Ils auraient eu l’intention de tuer un seul individu, pour des raisons racistes. S’ils avaient vraiment l’intention de tuer un groupe entier (disons les arabes) alors ils ne se contenteraient pas d’un seul meurtre (et c’est pour cela que l’on peut imaginer par exemple que le critère d’intensité puisse être un critère).
Passons maintenant au critère phare de la détermination d’un génocide : l’intention de détruire, intégralement ou en partie les vendéens sur un critère national, ethnique, racial ou religieux.
Notons d’abord que contrairement à l’argument cité précédemment, les Nations unies ne tiennent pas compte de la nature de l’idéologie qui conduit au génocide. On peut décider d’exterminer toute une population amérindienne juste parce qu’elle est assise sur un puits de pétrole, c’est tout de même un génocide. Pas besoin de sacré ou de métaphysique. Cela dit, même si l’on devait tenir compte de ce critère, les événements de Vendée serait tout de même un génocide, à cause de la mythologie républicaine invoquée pour justifier la destruction de la Vendée.
Quelle était l’intention des Bleus ?
Si je veux prouver qu’il y a eu génocide, je dois prouver qu’il y avait bel et bien une volonté d’exterminer les Vendéens. Je dois ensuite prouver que cette idée est devenue politique de la part de la Convention. Je dois enfin prouver que cette politique a été appliquée et en commenter la manière. Si jamais on a massacré les Vendéens au hasard, ou bien qu’on a beaucoup parlé d’extermination, mais que personne n’a jamais vraiment pensé le faire, ou bien qu’on a voulu le faire mais qu’on en a été empêché, alors il n’y a pas de génocide.
Le motif idéologique
Commençons par parler du motif de l’éventuel génocide : il ne peut y avoir de génocide s’il n’y a au moins une justification au nom de laquelle il faut tuer toute une population précise. Les Jeunes Turcs voulaient tuer les Arméniens parce qu’ils étaient des traîtres au pays, et qu’ils empêchaient la glorieuse Turquie de leurs rêves d’exister. Hitler voulait tuer les juifs parce qu’ils étaient un cancer de l’humanité, et que leur élimination revenait à purifier l’humanité, amener à l’existence le surhomme qui vaincrait peut-être même la mort. Les Hutus voulaient tuer les Tutsis parce qu’ils étaient des collaborateurs et des exploiteurs de la majorité hutu. Est-ce que la Convention avait ce genre de motif contre les Vendéens ? Y avait-il le substrat idéologique qui pouvait amener à la destruction tout un peuple, ou un groupe ?
La réponse est oui : rappelons-nous qu’à partir de 1793, la France aux yeux de la Convention se divise en deux camps : les révolutionnaires, les « gentils » et les contre-révolutionnaires, les « méchants ». Les premiers sont pour les droits de l’homme, le progrès, le bonheur etc… Les seconds sont des affreux réactionnaires qui ne veulent que la servitude et le malheur de l’homme. Reynald Secher dit, dans son livre Vendée : du génocide au mémoricide :
Robespierre est le premier des dictateurs à faire passer la ligne du bien et du mal non plus dans le cœur de chaque homme, mais entre les hommes. Dès lors, le détenteur de la vérité et du bien se doit d’éliminer l’autre qui, par nature, d’autant plus irrécupérables d’autant qu’il ne peut changer.
La Terreur est plus qu’un réflexe de survie : Robespierre lui-même dit devant la Convention le 5 février 1794 :
La Terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu.
Ainsi, le massacre des Vendéens n’est pas le fruit d’une malheureuse émotion d’état ; il rentre dans le cadre d’une idéologie qui ne connaît qu’une réponse à l’opposition politique : l’extermination physique.
Pire que cela : la Vendée devient l’archétype des contre-révolutionnaires, des obstacles au Bien révolutionnaire. Considérez cet article du Moniteur (le journal officiel du régime), daté du 1er octobre 1793 :
Détruisez la Vendée ! Valenciennes et Condé ne seront plus au pouvoir de l’Autriche. Détruisez la Vendée ! L’Anglais ne s’occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée ! Le Rhin sera délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée ! L’Espagne sera morcelée, conquise par les méridionaux joints aux soldats victorieux de la Mortagne et de Cholet. Détruisez la Vendée ; Lyon ne résistera plus, Toulon s’insurgera contre les Espagnols et les Anglais et l’esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la révolution républicaine.
Quel est le lien entre des paysans vendéens qui se battent pour leurs clochers et leurs taxes, et les Prussiens, les Anglais, et la kyrielle de petites contre-révolutions locales qui sont indépendantes les unes des autres ? Aucun, si ce n’est dans la tête des révolutionnaires, pour qui tous ces ennemis n’en sont qu’un seul, le Satan-contre-révolutionnaire, qui doit être éliminé à tout prix, et dont le cœur se trouve en Vendée.
Cela ne veut pas dire que dans les premières heures de la « grande représaille », on ne cherche pas à faire la distinction entre hommes, femmes et enfants. Ou bien encore qu’on n’encourage pas les troupes à faire la distinction entre Vendéens royalistes et Vendéens républicains (qu’il faut protéger). Cependant, la résistance étant générale en Vendée, et les soldats étant de moins en moins disposés à faire dans la finasserie, on finit par céder au syllogisme : Tout ce qui n’est pas pour la révolution est contre la révolution. Tout ce qui est contre la révolution doit mourir. Donc tous les Vendéens doivent mourir. Et voici comment les Vendéens sont devenus un « peuple à part ».
La politique exterminatrice de la Convention et du Comité de salut public
S’il n’y avait que le motif idéologique, on ne pourrait reprocher à la Première république que d’avoir édicté des discours trop vifs. Il ne suffit pas de dire qu’il y avait des discours anti-vendéens, il faut aussi prouver que les hommes politiques de la Première république mettaient en œuvre ces discours. Sinon, il n’y a pas génocide, mais simple débordement local.
C’est à priori le plus simple : y a-t-il des documents conservés de la part du pouvoir central qui indique qu’ils avaient non seulement l’intention d’exterminer la Vendée, mais qu’ils sont passés à l’acte ? La réponse est oui, sans hésitation. Prenez par exemple Barère, qui dit le 1er octobre 1793 :
Le Comité [de salut public] s’est occupé aussi des mesures qui peuvent accélérer la destruction de la Vendée et ces mesures peuvent être puissamment secondées par une proclamation simple et courte […] : C’est à la Convention seule de commander cette fois seule le plan de campagne celui qui consiste à marcher avec audace vers les repaires des brigands de la Vendée.
La Convention doit donner à toutes les divisions de l’armée révolutionnaire de l’Ouest un rendez-vous général d’ici le 20 octobre, à Mortagne et à Cholet : Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leur propre foyer.
Ainsi donc, non seulement la Convention réclame l’extermination, mais elle affirme son autorité à la mener elle-même. Et elle punit ceux qui n’obéissent pas suffisamment bien. Ainsi, le député Carrier, le commissaire politique envoyé par le Comité de salut public auprès de l’armée de l’Ouest punit un officier qui refuse d’assassiner des femmes et des enfants. C’est Caux, un témoin du procès Carrier qui le raconte :
Lors de la députation des autorités constituées vers le représentant pour faire supprimer les fusillades des rebelles, Carrier répond par ces mots : « Toujours la fusillade et la guillotine ». Sur l’observation ferme et généreuse d’un général : « Nous sommes des soldats, pas des assassins. » Carrier entre dans la plus grande fureur.
On comprend sa fureur : qui était ce général qui se mettait en travers du Bien ? Qui était ce général qui prenait la défense des brigands, des assassins de la République ? Revenons à quelque chose de plus objectif : on voit bien par cet épisode que non seulement la Convention annonce et revendique son intention d’exterminer les Vendéens, mais qu’elle le fait effectivement et veille à ce que ses plans soient mis en action. Non seulement elle veille à ce que l’extermination soit mise en œuvre, mais elle en gère même les moindres détails. C’est ce que Reynald Secher appelle « un génocide par petits bouts de papiers », désignant ainsi les petits ordres que le Comité de salut public envoyait à tel ou tel individu aux prises avec les événements, leur donnant des ordres rapides, tous très clairs sur leurs intentions. Ces documents sont disponibles dans leur intégralité dans le livre de Secher, Vendée : du génocide au mémoricide. Mécanique d’un crime légal contre l’humanité (pp. 80-86) que je vous invite à découvrir par vous-mêmes. Pour les lecteurs de cet article, j’en citerai deux ou trois, pour vous faire une idée du genre d’ordres que donnait la Convention aux troupes bleues en Vendée.
21 brumaire [11 novembre 1793]. Le Comité a écrit aux représentants du peuple Bourbotte et Turreau en leur envoyant l’arrêté relatif aux rebelles. Il a été recommandé de concourir à son exécution et de presser les mesures propres à l’extermination de ces brigands. […]
Aux citoyens du peuple réuni à Rennes, Le Comité de salut public, chers collègues, a arrêté un plan vaste général tel que les brigands doivent disparaître en peu de temps non seulement de la Vendée, mais de toute la surface de la République. Des plans particuliers morcelleraient, détruiraient l’action des mesures prises. Renoncez-y, abandonnez tout mouvement partiel. Renfermez-vous dans le cercle qui vous est impérieusement tracé. Si vous en sortez, vous compromettrez la patrie. C’est de ce croisement de plans qui n’étaient point rattachés à une ensemble de vues que sont nés les malheurs de notre république. Pressez les rassemblements, épaississez les masses. Le Comité de salut public.
Je m’arrête là. Sachez qu’en plus de ces deux « petits bouts de papier », je pourrai en citer dix-neuf autres si vous le souhaitez, qui montrent tous à quel point non seulement la volonté de la Première république était dirigée vers l’extermination, mais à quel point elle a voulu aussi la mettre en œuvre, jusqu’au moindre détail. Tous les échelons du pouvoir ont été sollicités.
L’application de cette politique
Nous venons de voir que la Convention et le Comité de salut public avaient un motif idéologique, une politique d’extermination, et qu’ils utilisaient tout leur pouvoir à mettre en place ce fameux génocide. Question maintenant : comment a-t-il été mis en œuvre ? Ont-ils été suivis sur le terrain, a-t-on bien exterminé suffisamment de personnes, suffisamment diverses pour justifier l’appellation de « génocide » ?
A priori, avec « seulement » 20% de vendéens tués, nous sommes très loin des 80% d’Arméniens ou de Tutsis, ou bien des 75% de juifs européens (40% mondiaux). Mais en réalité, ce n’est pas un critère suffisant : ce qui a manqué aux républicains, c’est l’expérience (c’est la première fois de l’histoire que l’on tentait de faire cela, tout était à inventer), et les moyens techniques (pas de chemins de fer, seulement 20 000 hommes, tout à la baïonnette…), et le terrain de Vendée, très propice aux cachettes et aux embuscades. Ce n’est pas la volonté qui a manqué aux bleus : s’ils avaient eu les moyens des allemands, ou bien les masses hutus de leur côté, le résultat aurait été très différent.
J’ai déjà documenté la cruauté et la volonté d’extermination réelle des colonnes infernales et de leurs chefs. Je ne reciterai pas leurs témoignages, vous pouvez les lire dans mon article : « Rappel historique du génocide de Vendée ». J’attirerai simplement votre attention sur le fait que les soldats tuaient aussi bien les Vendéens favorable à la République que les royalistes, ce qui montre bien que l’on tuait les Vendéens pour ce qu’ils étaient, et non par pur motif politique.
Je citerai ici Reynald Secher :
Cette élimination de masse, légale, est une première, et tout est à inventer en la matière, d’où, au-delà de l’idée théorique, les tâtonnements, les expériences, les balbutiements, les échecs… Autre nouveauté, c’est la première fois que l’on pense de manière moderne, dans l’histoire contemporaine naissante, l’anéantissement d’un territoire et l’extermination de sa population de manière systématique. Ce n’est qu’en raison de l’échec d’une méthode industrielle que l’on va recourir à des moyens plus artisanaux.
[…] La première phase [du génocide] correspond à la phase industrielle : il s’agit de mettre en œuvre tous les moyens techniques dont le pouvoir dispose pour une élimination de masse et un anéantissement des plus rapides, des plus sûrs, et des moins coûteux en soldats. Trois grandes voies sont explorées : les gaz, les mines antipersonnelles, l’empoisonnement. Nous retrouvons d’ailleurs comme une constante dans tous les génocides cette question des moyens d’anéantissement, liée à la difficulté concrète de faire disparaître le maximum de personnes dans le minimum de temps et au moindre coût1.
On m’a exprimé des doutes sur l’utilisation des gaz, tellement cela ressemblait aux années 1940, mais je vous confirme bien que les scientifiques qui ont mis au point le Zyklon B ont vraiment des précurseurs dans la France de 1793. Le général Rossignol défend cette idée au Comité de salut public : « Par les mines, des fumigations ou autres moyens, on pourrait détruire, endormir, asphyxier l’armée ennemie » sans oublier dit-il « le reste de la population ». Il recommande le chimiste Fourcroy, mais ses recherches ne mènent nulle part. Le pharmacien Proust, d’Angers, propose une sorte de grenade fumigène mortelle dont des expérimentations auront lieu aux Ponts-de-Cé devant des conventionnels et des militaires. Sans résultats notables.
En ce qui concerne les mines, c’est la grande idée d’Antoine Santerre, qui réclame au ministère de la Guerre, le 22 août 1793 : « Des mines ! Des mines à force ! Des fumées soporatives et empoisonnées ! et puis tomber dessus ! » Problème : les mines sautent aussi bien sur les bleus que les blancs. L’idée est donc abandonnée.
Quant à l’empoisonnement, je peux invoquer le témoignage de Carrier, représentant du peuple (commissaire politique) en Vendée, le 9 novembre 1793 qui propose dans une lettre solennelle :
« Le poison est plus sûr que votre artillerie. Ne craignez donc pas de le mettre en jeu. Faites empoisonner les sources d’eau. Empoisonnez du pain, que vous abandonnerez à la voractié de cette misérable armée de brigands et laissez faire l’effet. »
Ces propositions seront effectivement tentées, comme en témoigne Jean Savin, un lieutenant vendéen de Charrette qui dit, le 25 mai 1793 :
« Nous fûmes vraiment étonnés de la quantité d’arsenic que nous trouvâmes à Pallau au commencement de la guerre. On nous a même constamment assuré qu’un étranger, qu’ils avaient avec eux et qui fut tué à cette affaire, était chargé d’assurer le projet d’empoisonnement. »
Le projet, bien sûr a des effets limités, et n’est pas si « rentable » que cela.
On en reste donc à des méthodes artisanales : Reynald Secher en dit : « la décollation, l’éclatement des crânes, le sabrage, la noyade, l’exécution par balle. Très rapidement, l’échec est patent pour deux raisons principales : la lenteur et le coût financier et humain. »
Bref, il n’y a peut-être pas les résultats d’un génocide moderne, mais ce n’est pas faute d’une réflexion moderne2.
Les particuliers de son exécution
Vu que les méthodes artisanales ne sont pas assez efficaces et que les méthodes industrielles ne sont pas assez peu chères, on tâche de combiner les deux. Ce sera l’idée des colonnes infernales, une masse de soldats lâchés sur la Vendée chargés d’une seule mission : exterminer ce qui est devant soi.
J’ai déjà documenté la cruauté et l’efficacité sinistre de ces colonnes. Au moment même où j’écris, j’ai sous les yeux le récit du massacre des enfants sur la plaine de Mauves, et je ne sais même pas si en tant que chrétien j’ai le droit de l’écrire. J’ai aussi le récit des tortures, des mutilations, des viols, des profanations auxquels les soldats bleus se sont livrés. Non, en tant que chrétien, je ne peux pas l’écrire, ce n’est pas ma mission. Si l’on comptait non pas le nombre de morts, mais la quantité de cruauté et de péché dégagé par les bourreaux, nous aurions sans souci le niveau d’Auschwitz.
Cette action est saluée, encouragée et félicitée par le Comité de salut public. Hérault de Séchelles écrit ainsi à Carrier : « Courage, mon brave ami, voilà comment on marche, j’ai lu ta lettre au Comité de salut public qui a entendu la lecture avec plaisir. »
Comme dans tout génocide moderne, comme pour les Arméniens et les Juifs, on voit les discours « officiels » faire tout ce qu’ils peuvent pour déshumaniser les Vendéens. C’est ainsi qu’ils sont devenus des brigands — et donc hors de la protection de la loi. Considérez par exemple les consignes données comme le démontre cette citation publiée au Mans en 1793 :
« Citoyens ! Tuez ! Tuez ! Massacrez ces bêtes féroces ! Détruisez ces germes de la peste ! Exterminez ces fanatiques que sont les brigands de Vendée ! Purgez la terre de cette race infâme ! »
Et ce discours est relayé jusqu’aux plus humbles niveaux. Ainsi le soldat Laurent Godard-Rivière écrit à sa mère (avec plein de charmantes fautes d’orthographe) le 11 novembre 1793 : « Fouillant encore la campagne, nous espérons bien trouver encore de ces féroces loups d’outre-Loire à abattre ». Cette logique de déshumanisation est poussée jusqu’à l’exploitation économique des cadavres : après tout il faut bien gagner de l’argent pour payer cette extermination… D’où les histoires de pantalon en cuir humain et de graisse humaine que j’ai déjà rapporté dans un autre article. Plusieurs siècles après eux, les Arméniens, les juifs, les opposants à Staline et à Pol Pot, les Tutsis connaîtront eux aussi ces discours animalisants.
La qualification des crimes de Vendée, un problème jamais résolu
Après le génocide, même les contemporains — qui pourtant connaissaient la mort et les massacres mieux que nous — ne savent pas comment qualifier ces évènements. On sent bien dès cette époque que l’on est allé au-delà du connu. Gracchus Babeuf dès le procès de Carrier essaie de forger une notion qui convienne de façon satisfaisante à ce qu’il s’est passé. Ce n’est pas seulement un massacre pour lui, c’est un « populicide ».
Les Vendéens aussi ont eu du mal à décrire ce qui leur arrivait : tous les peuples ayant subi un génocide rencontrent la difficulté de nommer ce qu’ils ont vécu, et généralement, un mot spécifique est forgé. Pour les Arméniens, ce fut aghet. Pour les Juifs, la shoah. Pour les Tsiganes les samudaripen. Pour les Ukrainiens, l’holodomor. Pour les Rwandais, itsembat-samba. Les Vendéens, eux, appelèrent ces évènements : « la grande guerre », « les massacres » ou bien encore « les événements de la guerre civile » dont l’expression même montre que la répression dépasse largement du cadre d’une guerre civile.
Reynald Secher dit :
Lénine, à sa façon, a résolu ce problème [de nommer le crime]. En réemployant les méthodes utilisées en Vendée — il a vécu dans la région en 1910 — il reprend à son compte la terminologie conventionnelle : les Cosaques du Don sont ses nouveaux Chouans, la Crimée sera sa nouvelle Vendée, la Volga sa nouvelle Loire. En ce sens, l’horreur des méthodes communistes d’anéantissement et d’extermination se situe dans le sillage du génocide des Vendéens qui en est la matrice.
Conclusion
A présent, vous comprenez pourquoi je suis si catégorique dans l’utilisation du mot « génocide ». Il arrive parfois que ce mot soit utilisé comme un épouvantail, mais il n’y aucune raison que ce soit le cas ici. Tous les critères, toutes les définitions imaginables d’un génocide sont validées par les évènements de Vendée. C’est à cause de cela que, guidé par ma conscience, j’ai choisi de parler et défendre le sujet.
Je n’ai pas avancé une seule idée que je ne sois capable de soutenir par une citation d’époque. Je n’ai pas donné une seule citation d’époque dont je ne sois capable de donner la source. C’est poussé par les faits, attiré par la vérité que je vous ai présenté cette défense.
À l’heure actuelle, j’ai l’impression que la scène intellectuelle est progressivement gagnée par l’idée qu’effectivement, la guerre de Vendée comporte bien un génocide classique. Seules subsistent des poches de résistance robespierriste opiniâtres, qui refusent cette appellation pour des raisons plus politiques et culturelles qu’historiques. Nous pouvons avoir confiance que la vérité un jour se fera. Mais nous devons aussi avoir conscience que c’est grâce à nous qu’elle se fera.
J’ai accompli ma tâche, je vous ai présenté tout ce que je savais sur ces évènements, et pourquoi la France est la première des nations à avoir commis un génocide. Acceptez, ou refusez, mais vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas.
Que Dieu nous soit en aide.
Illustration : Joseph Aubert, Les noyades de Nantes, huile sur toile, 1882, musée d’histoire de Nantes.
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