Notre pain quotidien : Hemmingsen sur la foi reconnaissante — Eric Hutchinson
5 octobre 2020

Cet article est une traduction de Our Daily Bread: Hemmingsen on Grateful Faith de Eric Hutchinson, originellement publié sur le blog The Davenant Institute. Eric Hutchinson est professeur adjoint de lettres classiques au Hillsdale College, où il dirige également le Collegiate Scholars Program. Ses recherches portent sur l’interaction entre christianisme et civilisation classique dans l’Antiquité tardive et la modernité précoce. Il est l’éditeur et le traducteur de Neils Hemmingsen, On the Law of Nature: A Demonstrative Method (CLP Academic, 2018).


La dernière fois, nous nous sommes intéressés à la manière dont Niels Hemmingsen décrivait les trois formes de justice (ou de droiture) dans son sermon sur Matthieu 5:20-26 pour le sixième dimanche après la Trinité. Son sermon pour le septième dimanche après la Trinité (cette année, le 26 juillet) s’avère tout aussi édifiant.

La péricope en question est Marc 8:1-9, la multiplication des pains. Voici le texte :

En ces jours-là, une foule nombreuse s’étant de nouveau réunie et n’ayant pas de quoi manger, Jésus appela les disciples, et leur dit : Je suis ému de compassion pour cette foule ; car voilà trois jours qu’ils sont près de moi, et ils n’ont rien à manger. Si je les renvoie chez eux à jeun, les forces leur manqueront en chemin ; car quelques-uns d’entre eux sont venus de loin. Ses disciples lui répondirent : Comment pourrait-on les rassasier de pains, ici, dans un lieu désert ? Jésus leur demanda : Combien avez-vous de pains ? Sept, répondirent-ils. Alors il fit asseoir la foule par terre, prit les sept pains, et, après avoir rendu grâces, il les rompit, et les donna à ses disciples pour les distribuer ; et ils les distribuèrent à la foule. Ils avaient encore quelques petits poissons, et Jésus, ayant rendu grâces, les fit aussi distribuer. Ils mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient. Ils étaient environ quatre mille. Ensuite Jésus les renvoya. Aussitôt il monta dans la barque avec ses disciples, et se rendit dans la contrée de Dalmanutha1.

Hemmingsen relève trois loci, ou  » thèmes « , dans le texte : le lot de ceux qui suivent le Christ dans cette vie, l’affection que le Christ a pour ceux qui le suivent, et la bonne manière de faire usage des dons de Dieu. Dans ce bref article, j’aimerais me concentrer sur le dernier de ces trois thèmes. La réflexion d’Hemmingsen contient un rappel salutaire : nous devons recevoir les précieux dons créés par Dieu avec gratitude et reconnaissance. Si nous ne le faisons pas, nous volons Dieu.

Bien que le Christ fasse quelque chose d’extraordinaire dans ce passage, en nourrissant quatre mille personnes avec seulement sept pains, il met néanmoins en évidence des principes importants pour la vie ordinaire. Prenons la multiplication des pains elle-même : quel principe général un tel miracle enseigne-t-il ? Les pains se multiplient dans les mains du Christ lorsqu’il prie et rend grâce à son Père céleste. Ainsi, nous apprenons que « toute bénédiction vient du Seigneur, comme l’enseigne Paul dans 1 Timothée 4 lorsqu’il dit : « Toute création de Dieu est bonne ».

Il serait facile de dire « Oui, oui, les bénédictions sont bonnes, la création de Dieu est bonne » d’une manière générale, et de poursuivre sans s’arrêter sur le fait que cette vérité réside même dans les plus petits et apparemment insignifiants détails de notre propre vie. Ainsi, Hemmingsen invite immédiatement son lecteur à réfléchir à cette question de manière personnelle plutôt que de l’aborder comme une vague abstraction. « Prenez un peu de recul, dit-il, et réfléchissez au fait que les choses que vous avez, votre nourriture et votre boisson, sont la création de Dieu, et non la vôtre. Vous jouez donc au voleur si vous prenez quelque chose à Dieu alors qu’il ne vous l’a pas accordé — ce que vous faites chaque fois que vous utilisez ce que Dieu a créé sans rendre grâce et sans invoquer Dieu. Car ce que vous tenez pour vôtre est à autrui et vous est interdit, à moins que vous ne le lui demandiez. »

Cette observation conduit Hemmingsen à établir un lien avec la quatrième demande du Notre Père, « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». « Voyez ici, commente-t-il, le même pain est appelé   “le nôtre ” et  “celui de Dieu ”. Il est à nous puisqu’il a été obtenu par un travail honnête ; il est à Dieu parce que c’est sa création, qu’il ne vous est pas permis d’utiliser sans le lui avoir demandé au préalable ». Paul l’enseigne également au quatrième chapitre de 1 Timothée. Hemmingsen a déjà fait référence à 1 Timothée 4:4, comme nous l’avons vu, mais il inclut désormais le reste de la déclaration de Paul : « Car tout ce que Dieu a créé est bon, et rien ne doit être rejeté, pourvu qu’on le prenne avec actions de grâces, parce que tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière. »

Cette « sanctification » des biens terrestres nécessite la foi — car comment peut-on correctement écouter la Parole et rendre grâce à Dieu sans la foi ? Si tous nos biens et bénédictions nous viennent de Dieu, nous devons être assurés du fait que nous les recevions selon son bon plaisir. Et dans cette confiance dans le Dieu de la création, un pas est franchi vers la levée de la malédiction d’Adam. Comme le dit Hemmingsen, en recevant cet enseignement sur Dieu et sa création avec foi, « nous professons que nous croyons […] que nous appartenons au nombre de ceux qui, par grâce, ont reçu en Christ ce droit de juste domination sur le reste de la nature animée perdue en Adam, afin que nous puissions protéger cette vie que nous consacrons à magnifier la gloire du Christ. » Grâce à cette « profession de foi », nous pouvons prier pour que « Dieu nous accorde de pouvoir profiter » des dons que nous avons reçus de sa part « avec une bonne conscience ».

Si tous nos biens et bénédictions nous viennent de Dieu, nous devons être assurés du fait que nous les recevions selon son bon plaisir. Et dans cette confiance dans le Dieu de la création, un pas est franchi vers la levée de la malédiction d’Adam.

Sans cette foi, en revanche, nous ne pouvons pas prier le Notre Père comme il se doit. Le professeur de Hemmingsen, Philippe Mélanchthon, dans ses propres Annotations sur le texte du septième dimanche après la Trinité, s’exprime ainsi : « Ceux qui ne croient pas que ces choses sont des dons de Dieu récitent ces mots (c’est-à-dire « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ») inutilement et insultent Dieu. » Cela peut se produire pour de nombreuses raisons. Par exemple, cela se produit lorsque nous croyons que nous recevons de bonnes choses par hasard ou, plus pernicieusement, que notre joyeuse situation a été « acquise par la seule entreprise humaine ». Attribuer nos bénédictions simplement à nos propres efforts et à notre travail acharné, c’est cesser de vivre par la foi. « Le travail du fermier en lui-même, écrit Mélanchthon, ne produit pas de récoltes, mais elles naissent parce que Dieu rend la terre fertile. » Et c’est cette même foi qui conforte une personne se trouvant au milieu de circonstances difficiles. Car la foi par laquelle le monde nous est reconquis des cendres de la malédiction d’Adam est la foi qui croit que Jésus a vaincu le monde pour notre réconciliation avec Dieu ; et toutes les circonstances, y compris les croix et les épreuves, sont ordonnées en vue de l’objectif ultime de la « révélation des fils de Dieu », comme le dit saint Paul en Romains 8. Mélanchthon poursuit ainsi : « Par conséquent, lorsque l’on parle de la foi, même si les objets extérieurs peuvent varier, toutes ces déclarations incluent également cette foi quant à la réconciliation » par le Christ notre médiateur, objet de « la première et plus digne promesse » de Dieu. Ou, comme Jésus le dit en Matthieu 6:33, « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »

Illustration de couverture : Maerten de Vos (1532-1603), Multiplication miraculeuse des sept pains et des deux poissons, 1598-1618, gravure, 179×220 mm.


  1. Toutes les citations des Écritures sont tirées de la version Segond 1910[]

Nathanaël Fis

Nathanaël est ancien en formation à l'Eglise Bonne Nouvelle à Paris. Il est l'heureux époux de Nadia et père de Louis. Il étudie la théologie à Thirdmill Institute ainsi qu'au Birmingham Theological Seminary.

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