Neuf méditations pour Noël — Matthieu 2 — Jean Daillé
6 janvier 2021

Nous aimons mettre en lumière les trésors de l’histoire de l’Église. Quoi de plus lumineux que la période des fêtes pour vous faire découvrir le Festival des Neuf Leçons et Chants de Noël ? Cette célébration anglicane, conçue et organisée pour la première fois par Edward White Benson en 1880 réunit neuf leçons et chants de Noël qui retracent l’histoire du salut, de la chute de l’homme au mystère de l’Incarnation. Inauguré à la cathédrale de Truro en Angleterre, l’événement est reconduit tous les ans depuis lors.
L’histoire ne s’arrête pourtant pas là. À son retour de la grande guerre, l’aumônier du 
King’s College de Cambridge souhaita réchauffer les cœurs en calquant le culte de Noël traditionnel de l’école sur celui des fameuses leçons et chants de Benson. Dès la première année son succès fut immense, dix ans plus tard, il devenait un événement mondial lorsque la BBC commença à le diffuser sur ses programmes étrangers. Ce sont désormais des millions d’auditeurs qui écoutent ces leçons, composées de neuf lectures de la Bible entrecoupées de chants de Noël.

À travers une collaboration mêlant méditations des contributeurs et illustrations de Pauline Bargy, nous vous proposons de les découvrir, afin de méditer avec plus d’attention encore sur la naissance de notre sauveur, que ce soit pour votre édification personnelle (les raisons et les implications de la naissance du Messie font partie des sujets de méditation les plus glorieux pour le chrétien !), ou pour témoigner autour de vous de ce que nous devrions réellement célébrer à l’occasion de cette fête. Méditez, contemplez et surtout découvrez le vrai sens de Noël! Le texte du jour est accompagné d’une prédication d’Épiphanie de Jean Daillé.

Les mages, Pauline Bargy ; consulter les détails sur l’illustration.

Jésus étant né à Bethléhem en Judée, au temps du roi Hérode, voici des mages d’Orient arrivèrent à Jérusalem, et dirent: Où est le roi des Juifs qui vient de naître? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus pour l’adorer. Le roi Hérode, ayant appris cela, fut troublé, et tout Jérusalem avec lui. Il assembla tous les principaux sacrificateurs et les scribes du peuple, et il s’informa auprès d’eux du lieu où le Christ devait naître. Ils lui dirent: A Bethléhem en Judée; car voici ce qui a été écrit par le prophète: Et toi, Bethléhem, terre de Juda, Tu n’es certes pas la moindre entre les principales villes de Juda, Car de toi sortira un chef Qui paîtra Israël, mon peuple. Alors Hérode fit appeler en secret les mages, et s’enquit soigneusement auprès d’eux depuis combien de temps l’étoile brillait. Puis il les envoya à Bethléhem, en disant: Allez, et prenez des informations exactes sur le petit enfant; quand vous l’aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j’aille aussi moi-même l’adorer. Après avoir entendu le roi, ils partirent. Et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient allait devant eux jusqu’au moment où, arrivée au-dessus du lieu où était le petit enfant, elle s’arrêta. Quand ils aperçurent l’étoile, ils furent saisis d’une très grande joie. Ils entrèrent dans la maison, virent le petit enfant avec Marie, sa mère, se prosternèrent et l’adorèrent; ils ouvrirent ensuite leurs trésors, et lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.

Matthieu 2:1-11

Chers frères, pendant que ceux de la communion de Rome emploient ce jour en des services à leur mode au sujet des Sages qui vinrent d’Orient en Judée adorer le Seigneur à sa naissance, nous avons estimé devoir le sanctifier par la méditation de ce que l’Écriture nous apprend de vrai et de certain touchant cette histoire merveilleuse, pour tirer de l’édification et de la consolation des mêmes choses, dont la superstition abuse selon la coutume pour ses vaines dévotions.

Les autres circonstances du temps présent nous ont aussi convié à faire ce choix. Car ayant ces jours passés célébré la mémoire de la naissance et de la mort de notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir vu les miracles de l’une et de l’autre, que saurions-nous faire maintenant plus à propos, que de venir avec ces Sages l’adorer en humilité, et lui consacrer pour témoignage de notre dévotion les offrandes de tout ce que nous possédons de plus précieux ? Approchez donc, âmes chrétiennes, et considérez attentivement le tableau où l’Évangéliste nous en a représenté l’histoire.

Vous y voyez premièrement ces sages partir d’Orient et venir à Jérusalem pour adorer ce grand roi, dont la naissance leur avait été divinement révélée. Vous y voyez ensuite Jérusalem, et Hérode qui y régnait alors, se troubler à leur arrivée, consulter les ministres de la religion sur cette occasion, et apprendre d’eux que selon les anciens oracles, le Christ devait naître à Bethléem. Vous y voyez enfin les Sages, sous l’escorte de leur étoile, prendre le chemin de Bethléem, où après ce pénible voyage et cette enquête si exacte, ils trouvent le prince du Ciel, et lui rendent l’hommage de l’adoration que lui doivent toutes les créatures de l’univers. Ce sont les trois points que nous traiterons en cette action. Que Dieu nous fasse la grâce, mes frères, de chercher le Sauveur du monde avec un même zèle ; d’être semblablement guidés vers sa Bethléem par la lumière fidèle des étoiles de sa parole ; de l’y trouver et de l’y adorer, et d’y demeurer éternellement avec lui.

I. Les sages en voyage

Identité et origine des mages

Sur le premier de ces trois points nous avons à examiner et la qualité de ces personnages et le sujet de leur voyage à Jérusalem. L’Évangéliste ne nous dit autre chose de leurs personnes, sinon que c’étaient des sages d’Orient ; employant à cet endroit le même mot dont se servent les Grecs et les Latins, et la plupart de nos langues vulgaires, pour signifier un magicien. Car il y a précisément dans l’original de l’apôtre Voici, des mages vinrent d’Orient à Jérusalem. Vous devez donc savoir que ce nom de mage est venu de la langue et de la nation des Perses, qui appelaient mages ceux qui parmi eux faisaient professions de sagesse, menant une vie plus grave et plus retirée que le commun des autres hommes, s’adonnant à l’étude des sciences des choses divines et humaines, et particulièrement à celles de la religion, dont ils avaient la surintendance et l’administration. Ils y mêlèrent aussi la connaissance de l’astrologie judiciaire, qui était en grande réputation parmi ces peuples, Perses, Chaldéens et Babyloniens, et les prédictions et la divination, et autres choses secrètes et curieuses, étant à peu près entre les Perses ce qu’étaient anciennement les Gymnosophistes chez les Éthiopiens, les druides chez les Gaulois, les brahmanes chez les Indiens, où ils sont encore maintenant en crédit […], et ce que sont aujourd’hui les bonzes chez les peuples du Japon. Nous lisons même dans les vieilles histoires de la Perse que les mages, par le crédit que leur acquerrait cette sorte de profession, se sont quelquefois emparés de la royauté.

C’est ce que signifiait proprement le mot de mages. D’où il est arrivé depuis qu’on l’a pris négativement, pour signifier seulement ceux qui font profession des sciences noires, et qui se vantent d’avoir commerce avec les démons, et de savoir et de faire par leur moyen de grandes choses, merveilleuses et au-delà de la portée ordinaire des causes naturelles. Ainsi, par un abus commun dans toutes les langues, le nom de mages a été avili et diffamé, alors que, pris dans son sens premier, il n’avait rien de malhonnête. C’est pourquoi notre bible, pour éviter l’ambiguïté de ce nom, et le laisser dans son sens général, l’a traduit par le mot de sages, qui est d’une signification bien plus étendue, et comprend tous ceux qui s’appliquent à la philosophie, et aux sciences des choses naturelles, morales et sacrées. C’est tout ce que nous savons de la qualité de ces personnages qui vinrent adorer le Seigneur à sa naissance ; à savoir qu’ils étaient de cet ordre de gens que les Perses appelaient mages, vivant dans l’étude des lettres et de la sagesse […].

Ce qu’ajoutent les légendaires de l’Église romaine, que c’étaient trois rois, nous disant même les noms de chacun d’eux, ce sont des fables nées dans la lie des derniers siècles, que la témérité et l’ignorance a peut-être inspirés à quelques moines ; comme il paraît assez par la barbarie de quelques-uns des noms qu’ils leur donnent, inouïs dans l’Orient, et qui n’ont été en usage que parmi les peuples d’Occident, et encore bien tard. Certainement dans la réception que leur fit Hérode nous ne voyons rien moins que les marques de cette royauté prétendue. Ce que l’on dit de plus, qu’ils étaient des Maures, du pays d’Arabie et d’Éthiopie, n’est pas fort certain non plus. Le nom de mages, dont l’Évangéliste les qualifie, semble favoriser l’opinion de ceux qui croient qu’ils étaient Perses ou Chaldéens d’origine, et qu’ils étaient partis de ces pays-là ; encore que, à dire vrai, cette preuve ne soit pas tout à fait convaincante, parce que le mot de mages se trouve souvent donné à d’autres qu’à des Perses, l’usage ayant emporté, comme nous avons dit, que ce soit le nom d’une profession plutôt que d’une nation.

Les prophéties sur les mages

Et bien que ce qui est remarqué dans l’Évangile qu’ils vinrent d’Orient ne s’accorde pas mal avec la situation de la Perse et de la Chaldée, pays qui sont au Levant et au Septentrion de la Judée, néanmoins cela est vrai aussi de l’Arabie, que les anciens écrivains sacrés et profanes mettent entre les bornes orientales du pays de Judée ; il1 ne conclut point qu’ils fussent de Perse plutôt que d’Arabie, où les études de la sagesse ont aussi fleuri anciennement, et d’où quelques-uns des premiers Pères de l’Église chrétienne font venir ces Mages. Je laisse donc là cette question comme douteuse, et qui ne peut se décider avec certitude par la description que l’Évangile nous fait de leurs personnes. Car quant à ce que l’on met en avant pour l’opinion qui les fait venir d’Arabie, que c’est le pays où croissent l’encens et la myrrhe, c’est une raison trop faible pour s’y fonder. Car l’Évangéliste ne dit pas que les présents qu’ils firent au Seigneur étaient des espèces nées dans le pays d’où ils venaient ; et il n’était pas nécessaire de n’offrir rien d’autre que ce qui croissait chez eux. Ils lui donnèrent ce qu’ils avaient de plus précieux, de l’or, de l’encens, de la myrrhe ; choses au reste que l’on pouvait aisément avoir dans les pays de l’Orient, et même en celui de la Perse, le commerce de ces nations étant grand avec l’Arabie, d’où l’encens et la myrrhe se transportaient aisément dans tout l’empire des Perses, ou des Parthes, comme on les appelait alors2, et beaucoup plus loin encore.

Pour ces raisons je ne voudrais pas non plus me fier beaucoup à l’application que quelques-uns font à cette histoire de la prédiction d’Ésaïe, qu’au temps du Messie ceux de Saba viendront et apporteront de l’or et de l’encens, et publieront les louanges du Seigneur (És 60,6) ; selon une autre prophétie toute semblable que nous lisons dans les psaumes (72,10), les rois de Saba apporteront des présents au Messie. Car l’Écriture met Saba au Midi de la Judée ; comme il paraît en ce qu’elle nous raconte du voyage que la reine de ce pays-là fit en Judée pour voir Salomon ; et notre Seigneur, parlant d’elle, l’appelle expressément reine du Midi (Mt 12,42). D’où il paraît que les mages n’étaient pas de Saba. Car s’ils en avaient été, l’Évangéliste les eût indubitablement fait venir du Midi, et non de l’Orient. Ces prophéties signifient en général la conversion des Éthiopiens et des Arabes au service du vrai Dieu sous le règne du Messie, ce qui s’est accompli en son temps, et non de la venue particulière des mages en Judée. Ainsi voyez-vous que ni les docteurs ni les peintres et les sculpteurs latins n’ont pas eu grande raison de noircir ces sages comme ils ont fait, nous les représentant partout comme des Maures3.

Au Moyen Âge, les rois mages sont encore fréquemment représentés sans référence à une origine ethnique particulière (bréviaire parisien daté de 1415 environ, peinture sur parchemin, Cleveland, Museum of Art).
C’est principalement à partir du XVIe siècle que la représentation de Balthazar en Africain de couleur noire tend à se généraliser (bréviaire normand daté de 1510 environ, peinture sur parchemin, Cleveland, Museum of Art).

Mais venons à ce qu’ajoute l’Évangile du sujet de leur voyage, et du motif qui les fit partir de leur pays pour venir en Judée, terre très éloignée de la leur en toutes façons, et pour la distance des lieux, et plus encore pour les mœurs, le langage et la religion. Ils nous répondent eux-mêmes que c’est le désir de voir et d’adorer le roi des Juifs, qui leur avait fait entreprendre ce long et pénible voyage. Où est, disent-ils aux habitants de Jérusalem, le roi des Juifs, qui est né ? Car nous avons vu son étoile en Orient (c’est-à-dire en notre pays, dans la terre d’où nous venons) et sommes venus l’adorer. Leurs paroles nous montrent bien à peu près ce qu’ils savaient du Christ ; mais elles ne nous éclaircissent pas entièrement de quelle manière ils l’avaient appris.

Premièrement, vous voyez qu’ils connaissaient la qualité de ce roi des Juifs, comme ils l’appellent. Car s’ils avaient rien cru d’autre, à part qu’ils s’agissait d’un homme qui devait un jour régner en Judée, de la même manière qu’Hérode y régnait alors, sans avoir rien de plus en son règne que ce que les autres princes temporels ont chacun dans les leurs, ils n’auraient pas quitté leurs maisons, et ne se seraient pas exposés aux peines et aux dangers d’un si long voyage pour saluer un prince en la fortune duquel ils avaient si peu d’intérêt : ils n’auraient pas voulu choquer un roi vivant, établi et régnant absolument, auquel ils ne pouvaient ignorer que ce compliment ne pouvait être agréable, pour gratifier les espérances d’un enfant. Il faut donc croire que ces sages concevaient en la personne du roi des Juifs une monarchie extraordinaire, et qu’ils comprenaient par ce roi des Juifs, dont ils s’enquéraient, le Christ promis à Israël, qui doit sortir de leur nation, mais pour dominer tous les peuples de la terre ; un prince dont toutes les nations de l’univers, l’Orient et l’Occident, le Midi et le Septentrion, le Perse aussi bien que le Juif, l’Éthiopien aussi bien que le Scythe avaient intérêt qu’il régnât ; un prince qui remettrait les hommes et la nature en leur vrai état, qui leur procurerait et leur assurerait une paix et une félicité sans pareilles ; un prince à qui appartient l’assemblée des peuples, comme Jacob l’avait prédit (Gn 49,10) ; dressé pour l’enseigne des nations, donné pour témoin et pour conducteur aux peuples, pour lumière aux gentils et pour salut à tout l’univers jusqu’aux extrémités de la terre, comme Ésaïe l’avait prophétisé (És 11,10 ; 49,6 ; 55,4).

La science des mages

Mais il ne savaient pas simplement et en général que Dieu susciterait un tel prince de la nation des Juifs. Ils savaient encore de plus qu’alors précisément ce prince-là était né et venu au monde. Où est, disent-ils, le roi des Juifs qui est né ? Ayant donc cette connaissance, il ne faut pas s’étonner qu’ils soient venus, de si loin et à travers tant de périls, rendre hommage à ce grand monarque envoyé du ciel sur terre pour y rétablir toutes choses et pour donner à tous les hommes, et à eux particulièrement, un grand salut non encore vu ni connu par aucun homme mortel. Mais la difficulté est de savoir par quel moyen ces sages avaient appris l’une et l’autre de ces deux vérités : l’une qu’un tel prince eût été promis aux Juifs ; l’autre, qu’il fût né précisément en ce temps-là. Car au fond c’étaient des barbares, nés, nourris et éduqués dans une nation idolâtre, où cette sagesse que Dieu avait donnée aux Juifs était ignorée. Il est même fort probable qu’ils n’étaient pas simplement idolâtres, mais que de plus ils étaient les docteurs et les ministres de l’idolâtrie parmi leurs peuples. Comment pouvait être venue dans leur esprit une si claire et si nette connaissance du Messie ? Comment une lumière si éloignée avait-elle pu pénétrer à travers tant d’empêchements pour éclairer des ténèbres naturellement si épaisses ?

Je ne perdrai pas ici le temps, mes frères, de vous rapporter les contes que font quelques anciens, de je ne sais quel livre de Seth conservé en Orient, promettant le règne du Christ, et disant qu’à sa naissance il paraîtrait une certaine étoile nouvelle, et que pour la découvrir il y avait douze hommes parmi les principaux de tous les sages du pays, qui veillaient continuellement tour à tour ; en la voyant paraître, ils auraient reconnu que le Christ était né, et que lorsque que saint Thomas, en voyage dans les Indes, parvint jusqu’à cette province-là, il en baptisa tous les habitants. Il semble y avoir plus de vérité en ce que la majorité des anciens mettent en avant : qu’il pouvait être resté parmi les hommes savant de la nation, d’où étaient les mages, soit perses, soit arabes, quelque mémoire des prophéties de Balaam (Nb 47,17), qui bien qu’infidèle n’en prédit pas moins la venue du Christ, et encore sous le nom d’une étoile, qui devait se lever en Jacob ; et plus encore des prédictions de Daniel, qui promet le Christ fort clairement, et marque le temps de sa naissance, et d’autres écritures du Vieux Testament, communiquées par les Juifs aux plus curieux de ces nations-là ; que les sages dont il est ici question, les ayant reçues de leurs ancêtres, y avaient appris les promesses du Messie, et les espérances d’Israël.

Mais je ne propose cette ouverture que comme possible, et probable seulement. Car il n’est pas nécessaire de savoir précisément le moyen dont le Seigneur s’est servi pour donner la connaissance de son Christ à ces personnages. Il suffit de croire (ce qui est évident par la narration de l’Évangéliste) qu’il leur en avait fait part, soit immédiatement par une impression extraordinaire de son Esprit tout-puissant, qui souffle où il veut ; soit médiatement par l’entremise ou de la lecture de quelques-uns des sains livres parvenus à eux de la façon que nous avons dite, ou par l’ouïe de quelques Juifs, comme cela pouvait être, puisque leur nation était encore alors dispersée en divers pays de l’Orient. Et il ne faut point alléguer contre cela la naissance et la profession de ces sages. Car Dieu sanctifie les plus profanes, quand il veut, et fait conserver les siens dans les abîmes même de la perdition, comme un Loth à Sodome, un Daniel dans la cour d’un roi idolâtre. En effet, si un Corneille centenier, par la hantise des Juifs habitant Césarée, avait appris la connaissance du vrai Dieu et le servait selon sa lumière, bien que d’ailleurs il fût né et nourri entre les païens, pourquoi trouverons-nous plus étrange que ces sages, de quelques pays qu’ils fussent, aient pris par la fréquentation des Juifs qui y demeuraient quelque teinture de leur religion ?

Une connaissance astrologique ?

Cela suffit à mon avis à éclaircir la première partie de la question, d’où et comment ces sages avaient appris la venue et la qualité du Messie, de ce roi des Juifs, dont ils s’informent. Mais ce n’est pas assez pour résoudre la seconde : comment savaient-ils que ce Messie attendu de tous les fidèles était né précisément alors dans le monde ? Car, supposé qu’ils sussent qu’il devait venir un Christ qui serait le sauveur du monde, et la lumière des gentils, toujours est-il difficile de concevoir d’où et comment ils avaient appris que ce Christ était venu en ce temps-là.

Ils témoignent assez eux-mêmes qu’ils l’avaient reconnu par l’apparition d’une étoile, qu’ils avaient vue en Orient : Où est le roi des Juifs qui est né ? Car, disent-ils, nous avons vu son étoile. Mais il n’est pas aisé d’expliquer comment l’apparition de cette étoile leur marqua cet événement ; et j’estime qu’il est difficile de s’en bien démêler autrement qu’en disant ce que la narration de l’Évangéliste et le discours des sages semblent induire nécessairement, à savoir que Dieu leur avait révélé longtemps auparavant que, quand ils verraient paraître une telle étoile, ils devraient tenir pour certain que le Christ qu’ils avaient appris, et dont ils espéraient le salut, était né en Judée. Car à Dieu ne plaise que nous ajoutions foi aux rêveries des astrologues, qui s’imaginent que ces sages en observant l’état du ciel, comme de vrai leur profession était ordinairement fort attachée à cette science, auraient reconnu par les règles de cet art que le Christ était né.

Premièrement, c’est une erreur d’attribuer aux dispositions et influences des étoiles la naissance et les qualités d’aucun homme quel qu’il soit ; mais ce serait une horrible impiété d’y assujettir celles du fils de Dieu, le roi des siècles et le seigneur des astres et des éléments. De plus, toutes les circonstances de ce texte nous montrent assez clairement que cette lumière apparue aux sages n’était pas une étoile, qui fût tout à fait de la nature de celles que nous voyons attachées au firmament ou dans les autres sphères célestes. Car l’Évangéliste nous dit que les sages étant partis de Jérusalem, cette étoile parut derechef, allant devant eux jusqu’à ce qu’elle fût parvenue au lieu où était le Seigneur, où elle s’arrêta : choses qui ne peuvent convenir aux étoiles des cieux. Car comment est-ce qu’une étoile attachée au ciel nous pourrait marquer par son mouvement la route que nous avons à tenir pour aller d’une ville dans une autre voisine ? et comment encore s’arrêterait-elle sur une maison, ou sur quelque petit lieu particulier, pour nous le désigner précisément, vu la grandeur et la hauteur des corps célestes, et l’égale rapidité de leurs mouvements, dont nos sens ne peuvent apercevoir distinctement les plages et les intervalles à cause de leur trop grand éloignement ? Ce sont des choses de tout point inimaginable.

Je reçois donc volontiers l’opinion de ceux qui estiment que cette étoile était de l’ordre de celles que l’on appelle des comètes, qui paraissent et se meuvent dans l’air, et non dans le ciel même ; pourvu que l’on ajoute seulement que son mouvement était gouverné par un Ange, l’un des esprits administrateurs, qui l’élevait, l’abaissait, la tournait et l’arrêtait selon le besoin des sages. Et c’est là que je rapporte l’exposition de quelques-uns des meilleurs et plus savants interprètes grecs, qui tiennent que cette étoile, ainsi nommée par saint Matthieu, était une vertu et puissance invisible et spirituelle, qui s’était revêtue d’un corps lumineux, comme d’une comète, pour se rendre visible à ces admirables voyageurs ; et qu’après leur avoir marqué en Orient par sa première apparition la naissance du Seigneur, leur ayant donné par ce moyen la résolution de venir en Judée pour lui faire hommage, elle disparut jusqu’à ce que s’étant informés à Jérusalem du lieu où devait naître le Christ, elle se montra encore une fois à eux pour les encourager et conduire à achever ce voyage.

La vocation des mages

Cela ainsi présupposé, il n’y a plus de difficulté dans toute cette narration, et il ne reste qu’à y admirer la Providence de Dieu. Car comme il donnait son Christ aux Juifs et aux Gentils, l’envoyant au monde pour le salut de ces deux peuples, aussi a-t-il voulu qu’il fût reçu et salué à son arrivée par des personnes de l’une et de l’autre nation. Les bergers, qui paissaient leurs troupeaux près de Bethléem, vinrent les premiers le saluer de la part des Juifs, et ces sages partis du fond de l’Orient se rendirent au même lieu, comme pour lui faire hommage au nom des gentils. Dans cette pauvre étable de Bethléem, se joignirent ensemble sur la maîtresse pierre angulaire les deux murs de l’Église, le paganisme et le judaïsme, auparavant si éloignés l’un de l’autre. Les bergers furent les prémices des Juifs, et les sages celles des gentils. Et comme ce fut une clarté céleste, qui resplendissant soudainement à l’entour des bergers, les avertit de la naissance du Seigneur, et les adressa à Bethléem, aussi fut-ce une lumière céleste, une étoile, dit l’Évangéliste, qui parut aux sages en Orient, et de là les tira et les conduisit jusqu’au berceau de l’enfant royal.

Mais remarquez aussi, je vous prie, dans le choix des uns et des autres les traces de la sagesse ordinaire de Dieu, dédaignant les grands et appelant les petits. Car comme il ne choisit ni Rome, ni Jérusalem, l’une l’orgueil des gentils, et l’autre la gloire des Juifs, mais la petite ville de Bethléem pour y faire naître son Fils, aussi n’envoya-t-il pas ni les pontifes d’Israël, ni les Orateurs ou les grands et illustres hommes du monde païen pour lui rendre l’hommage de sa réception, et le saluer au nom de tout le genre humain. Il employa à ce glorieux office des bergers, les plus pauvres de tous les ordres d’Israël, et des barbares les moins estimés des gentils, et encore de l’une de toutes les nations la plus perdue d’idolâtrie. C’est un grand mystère, fidèles, qui vous apprend premièrement que ce Seigneur de gloire ne dédaigne personne de quelque naissance ou qualité qu’il puisse être. Que le pauvre berger et l’idolâtre barbare sont bienvenus à ses pieds, quand ils s’y présentent avec respect ; et en second lieu, que le Père éternel révèle aux petits enfants les secrets du Ciel, qu’il cache aux sages et aux entendus. Il envoie les anges à des bergers ; il allume son étoile devant des barbares, pendant que les pontifes d’Israël demeurent à tâtonner dans les ténèbres. Il appelle à soi le mépris et la faiblesse du monde, et foule aux pieds sa gloire et sa force.

Voyez encore dans cet exemple l’admirable échantillon qu’il y donna de sa puissance, ayant su attirer des cœurs si éloignés de son service, et leur apprendre au milieu des idoles ce que les plus grands docteurs d’Israël savaient à peine dans les écoles du ciel ; pour vous montrer de bonne heure, ô Juif, qu’il a et assez de bonté pour vouloir, et assez de force pour accomplir cette grande œuvre de la conversion des gentils, qui vous semble si incroyable. Car la vocation de ces mages est la vraie image de notre conversion, mes frères. Nous étions comme eux, nés et nourris dans un pays fort éloigné d’Israël, étrangers à son alliance, plongés comme eux dans une idolâtrie horrible, sacrificateurs et esclaves des démons, gisant sans espoir et sans apparence de vie dans les ténèbres de l’enfer. L’étoile du roi des Juifs se leva miraculeusement sur nous, l’Évangile de Christ, la vraie étoile céleste. Elle dissipa notre nuit en un moment, elle arrêta nos égarements ; elle nous fit voir que le salut éternel est en Judée ; elle nous donna le courage, la force et l’adresse de nous y acheminer ; et par la grâce du Père de la lumière souveraine, nous l’avons trouvé à Bethléem, et l’y avons adoré, renonçant de bonnes foi à nos premières abominations.

II. Les sages à Jérusalem

Une ville dans le trouble

Mais il est temps de venir aux deux dernières parties de ce tableau, comme nous avons désormais assez parlé de la première. Ces Orientaux étant donc arrivés à Jérusalem, où ils s’adressèrent comme à la ville capitale de toute la Judée, et ayant déclaré le dessein de leur voyage, ils demandent en quel lieu était né le roi des Juifs qu’ils cherchaient ; estimant (comme il faut croire) qu’une chose si illustre, et dont la connaissance était venue jusqu’à eux, dût être commune parmi ce peuple, à qui elle touchait de beaucoup plus près. Mais leurs propos s’étant diffusés dans la ville, Hérode, dit l’Évangéliste, en fut troublé, et toute Jérusalem avec lui. Certes, ni Hérode, ni les autres rois du monde n’avaient aucun juste sujet de craindre la venue de Jésus-Christ. Il donne les couronnes du ciel ; il n’ôte pas celles de la terre. Son sceptre est une puissance sainte et innocente, qui n’offense personne, qui laisse les droits de toutes les sociétés humaines en leur entier, qui les anoblit et les étend, bien loin de les diminuer. Et néanmoins le diable s’est toujours servi de ce faux prétexte pour rendre la majesté du Seigneur Jésus et la doctrine de son Évangile odieuse aux grands du monde. Les hérodes et les césars l’ont redouté dès sa naissance, et partout où il a voulu planter son trône, jamais on n’a manqué dès le premier abord de le quereller là-dessus et de l’accuser d’en vouloir aux puissances supérieures.

Et bien que cette accusation soit très calomnieuse, elle a le plus souvent persuadé les cœurs des grands. Car outre la jalousie qu’ils ont ordinairement pour leur autorité, la pratique d’une infinité de trompeurs, qui se servent du faux masque de la religion pour leurs intérêts particuliers leur rend ce crime plausible. Mais ne craignez point, Hérode. Ce prince est d’une toute autre nature. Si vous le recevez, il établira votre trône au lieu de l’ébranler. Il rendra vos Juifs confiants et fidèles à votre obéissance, arrêtant par sa doctrine leur humeur remuante et volage. Mais au lieu d’assurer son esprit par ces considérations qu’il pouvait apprendre à l’école des Prophètes, il s’amuse aux apparences et en conçoit de vaines appréhensions. Il philosophe sur cette nouvelle étoile, et au lieu d’en conclure que la royauté qu’elle signifiait était céleste, il la prend simplement pour argument d’une grande puissance. Quel est ce nouveau roi, disait-il, qui luit dans les astres avant de paraître sur la terre ? Qui dès sa naissance attire sur soi les yeux de toute la nature ? Comment résisterai-je à sa jeunesse, puisque dès son enfance il gagne les cœurs des hommes les plus éloignés ? Ainsi ce misérable tyran craint déjà ce qu’il ne voit pas encore.

Et quant à lui, ce n’est pas une chose qui doive sembler étrange, qu’il n’aperçoive pas en cette occurrence les marques d’un empire céleste et spirituel qui y reluisent clairement. Ce n’est pas merveille4 qu’une âme méchante, et qui se se sent coupable d’une infinité de crimes énormes, soit saisie de frayeur en entendant dire qu’un grand roi souverain, très juste et très puissant, est à la porte. Mais vous, habitants de Jérusalem, qu’aviez-vous à craindre ? Sa ruine, n’était-ce pas votre liberté, et sa confusion votre joie ? Comment vous troublez-vous à une si bonne nouvelle ? Pourquoi craignez-vous ce que vous deviez souhaiter, le prince de votre salut et de votre paix ?

Chers frères, la ville de Jérusalem était un grand peuple, composé de plusieurs parties bien différentes. Les uns, à savoir les principaux, qui tenaient d’Hérode leurs richesses et leurs dignités, et dont la fortune était attachée à la sienne, avait part en sa crainte comme ils l’auraient eue en son désastre, s’il lui en était arrivé. Les autres, qui détestaient sa cruauté, n’en craignaient pas moins le changement ; de sorte que, voyant bien que le roi qu’on leur annonçait ne pourrait ruiner Hérode sans un grand trouble dans l’État, ils aimaient encore mieux que les choses demeurassent dans l’état où elles étaient, que de courir aucun risque en changeant. Ces deux sortes de gens faisaient la plus grande et la plus considérable partie de Jérusalem, et c’est à leur égard que l’Évangéliste dit qu’elle fut toute troublée, mettant le tout pour la plus grande partie. Mais au reste il ne faut pas douter qu’au milieu de tant de gens ou méchants, ou faibles, il n’y eût quelques vrais fidèles qui, soupirant du fonds de leur cœur après le Christ, se réjouirent bien fort d’ouïr la nouvelle de sa venue ; ainsi en était-il d’un Syméon, d’une Anne, et de quelques autres semés çà et là en petit nombre dans le peuple d’Israël.

Combien est constante la nature de Jésus-Christ ? Si vous y prenez garde de près, il n’a jamais manqué de produire les mêmes effets dans toutes les villes et dans tous les États où il est venu. Il trouble toujours les méchants et les lâches, les uns craignant qu’il ne leur ôte la jouissance de leurs vices, et les autres que leur paix ne coure quelque risque dans le choc et le démêlé de Christ et du vice.

Un peuple dans le déni

Mais voyons la suite de notre histoire. Hérode sur ce trouble assemble les principaux sacrificateurs et scribes publics, c’est-à-dire les premiers et plus célèbres hommes de la Synagogue, et, couvant dès lors le malheureux dessein qu’il avait de mettre à mort ce nouveau roi, il leur demande frauduleusement où le Christ devait naître. Considérez en cet homme, je vous prie, combien est grande la confusion des pensées des méchants. Car si vous croyez, Hérode, que l’Écriture soit une fable, comment vous piquez-vous si fort contre le Christ qu’elle promet ? Pourquoi vous troublez-vous à la nouvelle d’une chose que vous tenez pour un songe et pour une pure imagination ? Mais si vous ajoutez foi aux prédictions de l’Écriture, comme la croyant vraiment divine, quelle est votre fureur de vouloir choquer les oracles et de prétendre (comme vous faites) anéantir par votre prudence ce qu’elle a si clairement et si fermement établi ? Mais c’est l’ordinaire de l’impiété de déchirer ainsi les cœurs des hommes, leur faisant faire des choses incompatibles l’une avec l’autre, comme si en saisissant leur âme, elle y éteignait entièrement toute la lumière de la raison et du discours.

Or les Juifs assemblés par Hérode lui répondirent que le Christ devait naître à Bethléem et le prouvent par le prophète Michée, qui dit dans ses révélations, Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n’es pas la plus petite entre les gouverneurs de Juda. Car de toi sortira le conducteur qui paîtra mon peuple (Mi 5,25). Ces gens, quelques profanes et corrompus qu’ils soient, font la leçon à ceux qui se disant chrétiens, méprisent dans la religion l’autorité des saintes Écritures, y établissant divers articles qu’ils font passer pour principaux, sans les appuyer sur aucun de leurs témoignages. Car au moins ceux-ci allèguent Michée et ne sont point si présomptueux que de vouloir faire passer leur réponse pour valable sans l’avoir fondée sur la parole de Dieu. Il est assez évident par le texte du prophète que c’est du Christ qu’il parle en ce lieu-là, le nommant le conducteur et le pasteur d’Israël, c’est-à-dire le roi de l’Église. Car vous savez que Christ est notre berger et que nous sommes ses brebis, comme il le dit lui-même. Michée prophétise donc ici que ce prince, que Dieu avait promis à son peuple, naîtrait à Bethléem, qui était la cité de David, de l’estoc duquel le Christ devait sortir selon la chair. C’est un signe évident que c’est en vain que les Juifs attendent le Messie, puisque Bethléem, d’où le promettent leurs oracles, n’est plus aujourd’hui en la nature des choses. Pour libérer la foi de leurs Écritures, il faut que le Christ ait été exhibé au monde avant la ruine de Bethléem, comme cela est aussi arrivé en effet, le Seigneur Jésus y étant né selon l’histoire de l’Évangile.

Au reste, je ne m’arrêterai pas ici à comparer les paroles qu’emploie saint Matthieu pour exprimer ce passage avec celles de Michée, me contentant de vous dire, en gros, que l’Évangéliste, selon la façon ordinaire des écrivains du Nouveau Testament, a ici rapporté le sens et non les paroles du prophète qu’il allègue. Ce qu’il dit, que Bethléem n’est pas la plus petite entre les gouverneurs de Juda, est la naïve et véritable exposition du sens du prophète ; et pour la rendre plus élégante, il fait une apparente opposition à ses paroles6. Car Michée disant que, bien que la ville de Bethléem fût des plus petites de Juda, le Christ en sortirait pourtant un jour, signifie simplement par là […] qu’elle était dans les premières eu égard à la gloire qu’elle aurait un jour de donner le Christ de Dieu au monde, bien qu’elle fût dans les dernières quant au nombre des habitants, et quant à la multitude et à la pompe et magnificence des bâtiments. Et c’est là précisément ce que dit l’Évangéliste, qu’elle n’était pas des moindres puisque le Christ y naîtrait.

Hérode ayant eu cette réponse, et pensant désormais être à boût de son pernicieux dessein, conjura les sages en secret de lui donner avis de ce roi nouveau-né, aussitôt qu’ils l’auraient trouvé en Bethléem, feignant malicieusement de le vouloir aussi adorer ; l’ayant découvert sous ce faux prétexte, il pourrait ainsi le faire mourir et se libérer une bonne fois de l’appréhension importune qu’il avait de sa monarchie future. Mais Dieu par sa Providence fit réussir la chose tout autrement : ayant divinement averti les sages par songe, après qu’ils eurent vu et salué le Seigneur Jésus, de s’en retourner par un autre chemin sans faire savoir de leurs nouvelles à ce tyran, nous donnant en cela un argument très évident du soin qu’il a de conserver chèrement les siens, et de détourner tous scandales de leur voie, quand ils marchent dans leur vocation.

La foi des mages

Les sages, donc, dit l’Évangéliste, ayant ouï le roi, s’en allèrent ; et voici, l’étoile qu’ils avaient vue en Orient allait devant eux. Il ne faut pas douter que la foi de ces personnes ne fût tentée, quand ils virent à Jérusalem une disposition si contraire à ce qu’ils s’en étaient promis. Car alors qu’ils pensaient y trouver le roi qu’ils cherchaient, c’est à peine s’ils purent y apprendre quoi que ce soit, la majorité de ce peuple ignorant entièrement ce mystère, et les principaux qui en avaient quelque connaissance n’en témoignant aucun soin, se troublant au lieu de s’en réjouir, demeurant froids dans leurs maisons, au lieu de courir vers le prince de leur salut. Dieu donc, pour affermir ces bienheureux pèlerins contre le choc du scandale, leur montre encore une fois cette lumière fidèle qu’ils avaient déjà vue en Orient ; selon l’ordinaire procédure de sa bonté, qui déploie sa main là où celle des hommes cesse et qui fait agir son ciel pour le bien de ses enfants lorsque la terre leur manque. Ne craignez donc point, fidèles, qui allez vers Jésus. La Providence d’un grand Dieu veille continuellement sur vous en toute la course de ce long voyage. Il créera dans les cieux de nouveaux astres et de nouvelles merveilles, plutôt que de permettre que vous manquiez de la lumière nécessaire à votre conduite.

Les sages, apercevant ce doux et divin guide, le reçurent avec une consolation sans pareille. Sa lumière dissipa en un instant tous les brouillards de ces tristes et fâcheuses pensées que le trouble de Jérusalem avait fait lever dans leurs cœurs, ils se réjouirent d’une fort grande joie, dit l’Évangéliste. En effet, cette vertu céleste ne se contenta pas de se faire voir simplement à eux. Elle prit le devant, et se mouvant doucement en l’air au-dessus d’eux, leur traçait fidèlement leur chemin, jusqu’à ce qu’elle arrivât (dit notre texte) et s’arrêtât au lieu où était le petit enfant, leur montrant comme du doigt la maison où était ce qu’ils cherchaient. Et il semble qu’après leur avoir rendu ce service, elle disparut, se dépouillant de la lumière de l’étoile dont elle s’était vêtue pour la consolation et la conduite des sages. Car comme nous l’avons déjà touché, ce qui en est dit ici nous oblige, ce me semble, à croire que c’était une étoile de la forme et de la nature de celles que les naturalistes appellent des comètes, dont un ange gouvernait la course en l’une des régions de l’air au-dessus des sages.

III. Les sages en adoration

Le culte des mages

Voici donc enfin nos pèlerins arrivés au lieu de leur dévotion, où ils trouvèrent, dit l’Évangéliste, le petit enfant avec Marie sa mère. C’est encore ici une nouvelle matière de scandale. Après avoir passé tant de montagnes et traversé tant de plaines dans l’espérance de voir l’enfance du roi de l’univers, après les visions célestes, les apparitions d’un astre nouveau, choses qui ne promettaient qu’une grande magnificence, après tout cela, ils rencontrent un enfant pendant à la mamelle d’une pauvre fille dans une étable chétive. Combien était contraire à ce qu’ils s’étaient imaginé une si basse et si triste apparence ? Et combien y a-t-il de gens qu’elle aurait rendus confus ? à qui elle aurait fait douter de la foi de Dieu, et prendre son étoile pour une illusion ? qui auraient dit à cette rencontre : « comment celui-ci serait-il gisant dans une crèche, si Dieu l’avait envoyé au monde ? s’il était vraiment destiné à en être le roi souverain ? Comment peut commander au ciel celui qui n’a pas où naître en la terre ? »

Mais ces sages ne dirent ni ne pensèrent rien de semblable. Ils s’affermirent en la foi de la révélation divine, croyant religieusement que les choses du ciel ne doivent pas se mesurer à l’aune de notre raison ; que Dieu prend souvent plaisir à confondre nos pensées, agissant tout au rebours de nos maximes, logeant sa gloire dans l’infirmité, et choisissant pour les exécuteurs de ses plus hauts desseins ceux qui y semblent les moins propres aux yeux de la chair, et faisant quelquefois sourdre les hommes de lieux d’autant plus bas, que plus est haute la gloire où il les veut élever. Dans la conduite du monde même, ne voyons-nous pas tous les jours que les commencements des plus grandes choses sont faibles et méprisables ? que les berceaux des plus superbes États ont été frêles, et les naissances des plus redoutés monarques fort disproportionnées à la hauteur où ils sont enfin montés ? Si ces sages étaient de Perse, ils ne pouvaient ignorer l’aventure de leur Cyrus, parvenu d’une fortune extrêmement basse à l’un des plus glorieux empires qui ait jamais été au monde. Il avait durant son enfance caché le monarque de l’Orient sous l’habit d’un pauvre berger, et dans une condition qui ne répondait en rien à sa future grandeur. Ils ne méconnurent donc point cet enfant divin, dont leur Cyrus, bien que païen de naissance, avait eu l’honneur d’être le portrait et le type. Ils ne dédaignèrent point ni l’étable où il logeait, ni les langes dont il était enveloppé, ni la pauvreté de la mère, qui l’avait mis au monde.

Leur foi perça l’épaisseur de tous ces voiles. Elle vit la majesté et la gloire qui y était cachée ; elle vit le soleil de justice, bien que couvert de ce gros nuage, et le salua comme Seigneur, quoique vêtu en esclave. Car ils adorèrent l’enfant, dit l’Évangéliste, en se jetant à terre ; et après avoir déployé leurs trésors, lui présentèrent des dons, à savoir de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Cet hommage qu’ils lui font a deux parties, qui toutes deux sont des reconnaissances très expresses de sa royauté souveraine. Car premièrement ils se prosternent à terre, ce qui était la façon ordinaire de saluer les Princes en Orient, et l’adorent. Puis, après lui avoir rendu cet honneur, ils ouvrent leurs trésors, et pour sceller leur hommage, lui font un présent d’or, d’encens et de myrrhe. Car c’est une coutume très ancienne, ordinaire en la plus grande part des nations, et particulièrement en Orient, comme vous l’avez pu remarquer par la lecture du Vieux Testament, de ne paraître jamais devant les grands sans présent, en témoignage du respect qu’on leur porte, et de la dévotion et fidélité que l’on a pour leur service.

Les offrandes des mages

C’est donc ainsi qu’il faut prendre ce que firent les sages, pour un aveu de la grandeur du Seigneur Jésus, et une démonstration de leur zèle à la gloire, et de la servitude qu’ils lui vouaient. Ils présentèrent de l’or, de l’encens, et de la myrrhe, parce que ce sont des choses précieuses et fort estimées entre les hommes ; et je ne crois pas qu’ils aient regardé plus avant. Je sais bien les mystères que l’on y a trouvés ; comme par exemple ce que quelques-uns écrivent, que par l’or était signifiée la libéralité et la bienfaisance envers les pauvres, par l’encens la prière odoriférante et agréable à Dieu, et enfin par la myrrhe la pureté et la non-corruption d’une chair chaste et pudique ; et je n’ignore pas encore ce que la plupart des anciens ont remarqué, que ces mages ont voulu reconnaître par l’encens, la divinité de Jésus ; par l’or, la royauté ; par la myrrhe, sa nature humaine et sa mort, parce que l’encens sert à parfumer les temples et les autels de la divinité, l’or à parer et à soutenir les sceptres des rois, et la myrrhe à embaumer les corps des trépassés.

Mais comme j’avoue que ces pensées sont jolies et ingénieuses, aussi crois-je, pour n’en point mentir, qu’elles ne sont pas fort solides, si ce n’est que l’on donne à cette dernière observation des Pères une interprétation favorable, en disant que comme Dieu conduisit tellement le cœur et la main de [Marie-]Madeleine, quand elle répandit une boîte de parfum très précieux sur les pieds du Seigneur, que, bien que son intention fût simplement de signifier par là l’amour et la révérence extrême qu’elle lui portait, néanmoins son action fut comme un présage secret de sa sépulture, selon ce qu’il dit lui-même, qu’elle l’avait fait pour l’appareil de sa sépulture (Mt 26,11). Semblablement aussi, Dieu avait tellement adressé l’esprit des sages en cette offrande qu’ils firent à l’enfant Jésus, que, bien qu’ils n’eussent à l’esprit que de témoigner par ce don de leur zèle et de leur foi en général, néanmoins le choix qu’ils firent d’objets si propres et si convenables était comme une marque mystique de la divinité, de la royauté et de la passion de celui à qui ils les présentèrent.

J’estime qu’on n’aurait pas moins de raison de remarquer ici un trait de la providence divine pour le bien des siens. Car comme Joseph doit bientôt après emmener le Seigneur et la sainte Vierge en Égypte pour l’occasion représentée par l’Évangéliste, Dieu, comme vous voyez, lui donne de l’or par la main de ces sages pour fournir aux frais de son voyage ; ce bon et pitoyable Père pensant jusqu’aux moindres des choses qui importent à ses enfants.

Conclusion

Voilà, fidèles, ce que nous avions à vous dire sur l’histoire merveilleuse de ces sages d’Orient. Imitons leur foi, cette foi si ardente à désirer la vue du Christ, si constante à le chercher, si heureuse à le trouver, si humble et si dévote à l’adorer. Ils quittèrent leur maison et leur pays, et vinrent du bout du monde à travers mille périls pour voir et adorer Jésus-Christ. Nous donc chers frères, que ne devons-nous point faire et que ne devons-nous point souffrir pour jouir de la vue de ce divin roi ? et combien serons-nous inexcusables, si après un tel exemple nous manquons à le chercher ?

Car quant à ces Orientaux, après tout, c’étaient de pauvres barbares, nés et nourris dans l’idolâtrie ; alors que, par la grâce de Dieu, nous sommes chrétiens et fidèles, nés dans la maison du Seigneur, et si j’ose ainsi dire, dans sa pourpre, consacrés dès notre enfance à son service, et marqués de ses livrées7. Et quant à eux, ce ne fut qu’une bien petite clarté qui leur donna ce grand désir. Ils avaient seulement vu briller le Christ dans une étoile, mais nous, nous l’avons vu luire dans un soleil. Car toutes les Écritures nous l’ont montré ; toute la nature, qui s’est convertie à son Évangile, nous l’a recommandé. Le ciel et la terre, les éléments, les anges et les hommes nous ont d’une commune voix annoncé et prêché la gloire. Les mages d’Orient ne le connaissaient qu’en gros et confusément ; car ne croyez pas qu’ils aient su le détail des mystères de l’Évangile : ils savaient seulement que c’était un grand roi, venu pour le salut du monde. Or nous, nous n’ignorons aucune partie de sa gloire. Dieu nous l’a toute révélée : qu’il est son Fils éternel, que pour l’amour de nous il s’est fait homme, et qu’il a voulu naître à Bethléem pour nous faire vivre dans un royaume ; qu’il a souffert la malédiction de la Loi, afin de nous en garantir ; qu’il est ressuscité et monté au ciel, où il règne à jamais, et où il nous élèvera un jour, pour nous y communiquer sa vie et sa gloire éternelles.

Ô Dieu ! quelle devrait être l’ardeur de nos désirs en la recherche d’un si bon et grand Seigneur ! et combien élevée au-dessus de la dévotion de ces sages ! Et néanmoins, combien s’en faut-il qu’elle ne soit seulement égale à la leur ? Ils firent plusieurs grandes journées pour saluer ce roi nouveau-né. Nous qui l’avons ici à nos portes, avons de la peine à faire trois pas pour l’y venir trouver : car considérez comme nous sommes peu en ce lieu. Vraiment, fidèles, ce même Jésus-Christ que les mages vinrent voir de l’un des bouts de la terre est maintenant en ce lieu, et toutes les autres fois que nous y sommes assemblés, car il l’a promis. Et il n’y est pas enveloppé en des langes, mais tout environné et tout rayonnant des grâces de l’Esprit pour les distribuer à ceux qui le viennent saluer. Et il ne faut point alléguer que vous ne l’y voyez pas : car qu’importe cela, puisque vous l’oyez, vous y parlant par la bouche de ses prophètes et de ses apôtres ? Puisque vous l’y sentez en train de vous consoler et de vous sanctifier par l’efficace de son Esprit ?

Exhortation

Accourez donc désormais, mes frères, à la Bethléem de Dieu, à la maison de son pain8 céleste. Que la nonchalance de Jérusalem et de ses pontifes, et le trouble des grands du monde ne refroidisse point votre dévotion. Que la bassesse du lieu où ce prince a daigné se loger, ni la pauvreté de ceux au milieu desquels il se trouve ne vous scandalise point. Méprisez généreusement le luxe et la pompe, et cherchez Jésus-Christ là où il s’aime, dans la simplicité, dans la bassesse et dans l’humilité.

Et si vous êtes déjà parvenus à Bethléem, chers frères, adorez-y profondément et dévotement le Seigneur Jésus, qui s’y manifeste, le servant de toutes vos affections, et lui consacrant vos esprits et vos corps. C’est l’or, l’encens et la myrrhe que ce divin roi vous demande ; la pureté d’un cœur sanctifié, l’honnêteté d’un corps chaste, le parfum d’une prière ardente et constante, avec l’abondance des aumônes. Car c’est lui qui reçoit de vos mains ce que vous distribuez aux pauvres en son nom, et qui au lieu de ce peu d’or corruptible que vous lui donnez ici-bas, vous couronnera un jour de son or d’Ophir là-haut dans les cieux, d’une gloire éternelle avec ses anges et ses saints.

Amen.


  1. Matthieu.[]
  2. Il s’agit en réalité de deux peuples iraniens distincts.[]
  3. Sur ce sujet, voir John Burger, “The Magi’s Balthazar wasn’t always black”, Aleteia, 2019.[]
  4. Sujet d’étonnement.[]
  5. L’édition du sermon fait référence à Michée, mais c’est en réalité Mt 2,6 qui est cité ; cf. le paragraphe suivant.[]
  6. Le texte hébreu de Mi 5,2 ne contient pas la négation.[]
  7. Vêtements.[]
  8. Allusion étymologique (héb. בֵּית לֶחֶם « maison du pain »).[]

Arthur Laisis

Linguiste, professeur de lettres, étudiant en théologie à la faculté Jean Calvin et lecteur dans les Églises réformées évangéliques de Lituanie. Principaux centres d'intérêts : ecclésiologie, christologie, histoire de la Réforme en Europe continentale. Responsable de la relecture des articles du site.

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