Comment on élève les enfants chez mon voisin
23 juin 2023

Belle plume, sagesse toujours d’actualité pour nos foyers, ce bref traité de la Société des traités religieux de Lausanne, paru en 1866, nous invite à considérer 3 principes essentiels dans l’éducation.


Il y a longtemps déjà que mes pensées se portent sur le grave sujet de l’éducation. Mais depuis que Dieu m’a rendu père de deux petits êtres que je chéris, et dont je voudrais, autant qu’il dépend de moi, assurer le bonheur, ce sujet me préoccupe bien plus fortement encore. Je me demande ce que j’ai à faire pour leur donner la meilleure éducation possible. J’aime à consulter les ouvrages qui traitent cette matière ; je cherche surtout à m’entretenir avec les personnes qui me semblent avoir le mieux réussi dans l’éducation de leurs enfants. Tout dernièrement encore j’ai eu un entretien, à ce propos, avec mon voisin, homme de sens et de jugement, qui attache une grande importance à bien élever ses enfants, et dont la petite famille offre le plus joli tableau de vie domestique.

Mon voisin cause volontiers sur les sujets auxquels il a réfléchi ; c’est même chez lui une habitude de classer ses réflexions avec méthode et de les présenter dans un certain ordre. Aussi tenant beaucoup à avoir ses idées et les résultats de son expérience sur le sujet qui me préoccupait, je l’avais abordé par ces mots :

— Il faut que je vous en fasse mon compliment, Georges, vous avez des enfants bien élevés.

— Vous le trouvez, monsieur, me répondit-il ; il est vrai que jusqu’à présent, grâce à Dieu, nos enfants n’ont pas trop mal cheminé.

— Je suis sûr que vous avez commencé de bonne heure à vous occuper de leur éducation.

— Je vous avoue qu’avant même d’avoir des enfants, je m’occupais de la manière dont je les élèverais si jamais j’en avais, et quand il m’arrivait de voir des parents faire fausse route en éducation : Georges, me disais-je, ce n’est pas ainsi que tu t’y prendras. Les occasions ne manquent pas, monsieur, de faire de semblables remarques.

— C’est vrai.

— Eh bien ! vous l’avez sûrement observé, quand on a vu quelques cas de ce genre, on les a tous vus, et l’on reconnaît bientôt que les parents qui donnent à leurs enfants une mauvaise éducation, ne pèchent guère que sur deux ou trois points, très importants, mais toujours les mêmes.

— Peut-être.

— Vous ne le croiriez pas, c’est ainsi que je me suis fait mon système d’éducation. J’ai un peu écouté, un peu vu, un peu réfléchi et j’ai fini par m’arrêter à trois règles que je me suis promis d’appliquer et que je crois bonnes.

— Et quelles sont ces trois règles, je vous prie ?

— La première, monsieur, c’est d’agir toujours d’accord, ma femme et moi, à l’égard de nos enfants. Quand je dis à l’un de mes fils : fais ceci, je n’entends pas que ma femme se mette à la traverse de cet ordre. Et quand Thérèse de son côté réprimande ou punit, je ne manque pas de l’appuyer, je ne la contredis, du moins, jamais.

— En présence des enfants, cela va sans dire, ajouta Thérèse ; car rien ne nous empêche de reparler ensuite de la chose et de la discuter amicalement. Autant que possible nous nous entendons à l’avance sur ce qu’il y a à faire dans tel ou tel cas. Nous n’en agissons qu’avec plus d’assurance et de fermeté. Mais, vous le savez, monsieur, on ne peut tout prévoir : au moment où l’on s’y attend le moins, un enfant tombe en faute ; il faut prendre un parti sur-le-champ, et l’on ne choisit pas toujours le meilleur ; il est aisé de se tromper, et dans ce cas, il est bon d’en être averti. Aussi nous sommes-nous promis de nous communiquer nos observations à l’égard l’un de l’autre. Anciennement, elles étaient assez fréquentes ; maintenant elles sont rares. Je sais en général ce que ferait Georges s’il était à ma place, et je le fais. Notre manière de voir est devenue peu à peu la même, et nous a permis de donner à l’éducation de nos enfants la même direction.

— Ce que je considère comme essentiel, interrompit Georges. Rien de plus nuisible à l’éducation que les débats des parents. Croyez-moi, c’est souvent ce qui rend leurs efforts inutiles. Le père dit une chose à son enfant, la mère lui en dit une autre. Que voulez-vous que fasse l’enfant ? Je me mets en devoir de redresser, en l’attachant, un arbuste qui croît de côté ; après cela vient ma femme qui le détache. Ne voyez-vous pas ce que devient mon arbuste ?

— Sans doute, dis-je à mon tour, il faut qu’une même volonté dirige les efforts des parents. L’opposition de ces efforts en détruirait l’effet.

— D’ailleurs, ajouta Thérèse, on voit bien le danger de ce manque d’accord. Non-seulement, ce que l’un a fait, l’autre le défait, mais on ruine le respect de l’enfant pour ses parents. Que penserait ma fille, ou l’un de mes fils, s’ils m’entendaient contrecarrer la volonté de leur père à leur égard ? À coup sûr, ils prendraient parti pour l’un de nous ; les garçons donneraient raison au père, la fille à la mère. Et voilà notre autorité compromise.

— Je vous crois, repris-je ; les enfants aperçoivent si vite ce qui cloche. Je ne veux pas faire d’eux de petits saints ; je suis même frappé de la précocité avec laquelle le mal se montre chez eux ; mais l’on ne peut refuser à cet âge une perspicacité, une droiture de jugement avec laquelle il serait imprudent de ne pas compter. Leurs parents ont-ils le malheur de se trouver en désaccord sur un point qui les touche en particulier, il en tirent bientôt la conclusion : papa a tort, maman n’a pas raison. Et, à la première occasion, ils se souviendront que papa et maman peuvent se tromper.

— Oui, oui, fit Georges du ton d’un homme qui trouve que la question est vidée, quand le père a dit oui, que la mère dise oui, et quand la mère a dit non, que le père dise non.

— C’est donc votre première règle, et la deuxième ?

— C’est de nous faire obéir, répondirent à la fois les deux époux.

— Je vois avec plaisir qu’en effet vous vous entendez bien, ne pus-je m’empêcher de leur dire en souriant.

— Oh ! reprit Georges, c’est une règle sur la quelle il est impossible de n’être pas d’accord. Obtenir l’obéissance ! c’est à quoi se borne, à mon avis, presque toute l’éducation. Et on le conçoit ! Le tout pour l’homme est d’obéir, j’entends d’obéir à Dieu. Un enfant formé à l’obéissance en perdra malaisément l’habitude. Il grandira dans le respect de l’autorité. Jeune, il aura plié devant la volonté de ses parents, plus grand, il se soumettra aux lois de son pays et avant tout à celles de son père céleste.

— Oh ! dit Thérèse, c’est bien vrai. Et vous ne sauriez croire, monsieur, quelle pitié m’inspirent, toutes les fois que j’en vois, ces enfants indociles, sur lesquels la parole d’un père ou d’une mère n’a plus de pouvoir. Pauvres enfants ! me dis-je, que deviendront-ils, à moins d’un miracle du bon Dieu ? Que feront-ils dans cette vie, où il faut si souvent plier ? Et comment accepteront-ils le joug du Sauveur, eux qui ne connaissent pas même celui de leurs parents ? Malheureux parents ! ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font !

— Il faut que les enfants obéissent, reprit Georges. Vous remarquerez, du reste, que personne ne le conteste. C’est dans l’application de cette règle que tant de parents échouent. On le leur entend même avouer, ils ne parviennent pas à se faire obéir.

— C’est que la chose n’est pas toujours aisée, fis-je.

— Elle l’est plus qu’on ne le pense, continua Georges. Seulement il faut s’y prendre à temps, et se montrer ferme. J’en reviens à mon arbuste. Jeune, il est flexible, et vous lui faites prendre la direction que vous voulez. Plus grand, vous ne le plierez plus. On attend, pour imposer sa volonté à ses enfants qu’ils soient devenus un peu plus raisonnables, comme l’on dit : moi, je dirais intraitables, car alors on n’en est plus maître. Commencez donc quand l’enfant est tout jeune, tandis qu’il est le plus souple et que vous avez sur lui le plus d’autorité. À ce moment où cette autorité est toute-puissante ou peu s’en faut, ayant pour elle l’expérience et la force, il suffit d’en faire usage pour briser la résistance de l’enfant.

— Vous êtes donc pour l’emploi des moyens rigoureux ?

— Je ne veux pas qu’on en abuse ; je les considère même comme une ressource fâcheuse, à laquelle on ne doit recourir que lorsque les autres sont épuisées ; après cela, il faut bien avouer qu’en certains cas, c’est la seule efficace. Il est une maxime que j’aime assez : Obéis de bon cœur, sinon, obéis de force. Quand l’enfant aura obéi quelque fois de force, il finira par obéir volontairement.

— Vous avez raison, je crois, Georges. Il convient de n’employer les moyens extrêmes que pour arriver plus vite à s’en passer.

— De telle sorte, monsieur, que l’obéissance volontaire remplace l’obéissance forcée, la première étant bien préférable à la seconde. Tenez, l’autre jour encore, j’ai eu une occasion excellente de le faire comprendre au plus jeune de mes fils. Ce fut à propos de deux de nos bêtes. Nous avons un cheval blanc que je conduis d’ordinaire. Obligé, ce jour-là, de rester à la maison, je dis à mon garçon de l’atteler au char et de le conduire lui-même. Le cheval attelé, je vois mon fils prendre le plus grand de nos fouets et y mettre une mèche neuve. — Jean, lui dis-je, tu ne frapperas cette bête que si cela est nécessaire. A son retour, il me cria du plus loin qu’il me vit : — Père, je n’ai pas eu besoin du fouet, le cheval obéit à ma voix. — Prends exemple sur lui, mon fils, lui dis-je, et obéis toujours à la seule parole de ton père.

Peu de jours après j’achetai un jeune âne. Mon fils n’en dormait pas de joie, c’était lui qui devait l’aller chercher. — Prends le fouet, lui dis-je, lorsqu’il se mit en route. — Oh ! père, ce n’est pas nécessaire, tu dis toi-même que l’âne est beaucoup plus petit que notre cheval. — C’est égal, prends le fouet, si tu n’en as pas besoin, tant mieux ! Je prévoyais bien ce qui arriverait. — Ah ! me dit-il en revenant, le bras me fait mal, tant l’âne m’a donné de peine. — Tu as donc battu cette pauvre jeune bête ! — Je t’assure, père, je ne l’ai pas fait volontiers ; j’ai commencé par lui parler amicalement ; je lui ai même donné un morceau de mon pain ; mais quand j’ai vu qu’au lieu d’avancer, il s’obstinait à mettre sa tête entre ses jambes et à ruer, j’ai bien été obligé de me servir du fouet. — Comme sont obligés de le faire quelquefois les parents à l’égard de leurs enfants, ajoutai-je en regardant mon garçon. Il parut me comprendre.

— La leçon était très bonne, dis-je, et il serait à souhaiter que beaucoup de parents l’eussent entendue. On voudrait pouvoir leur dire à tous : Pour l’amour de Dieu, pour l’amour de vous et de vos enfants, faites-vous obéir ! Soyez bons, soyez tendres, sans doute, mais soyez fermes, et soyez-le de bonne heure. Ne vous laissez pas mener par ces petites créatures. Soumettez-les vous. Que votre oui soit oui, et votre non, non. Sachez vouloir et ne pas céder. Ne multipliez pas vos ordres outre mesure, mais quand vous en avez donné un, de grâce, exigez qu’il s’exécute, exigez-le si vous ne voulez pas faire le malheur de vos enfants ! Je voudrais que dans chaque maison, sur le mur de la chambre de famille, on lût ces paroles de l’apôtre St. Paul : Enfants, obéissez à vos parents, selon le Seigneur, car cela est juste. (Eph 6, 1.)

— Il n’y aurait plus qu’une chose à désirer, c’est que les parents ajoutassent tout bas : « Et vous parents, obéissez au Seigneur ! » C’est là, monsieur, ma troisième et dernière règle. Au fond, c’est la première en importance. Car si les parents ne sont pas chrétiens, j’entends chrétiens de cœur et d’âme, ils n’auront point cet accord de vues que la piété seule peut donner. Et s’ils ne s’efforcent pas d’obéir à Dieu, ils tiendront moins à ce que leurs enfants leur obéissent. Tout cela se tient. Et puis, voyez-vous, la meilleure des éducations est encore celle de l’exemple. L’exemple a une force de persuasion que les discours n’auront jamais.

— Il faut que ces deux choses marchent ensemble, continua Thérèse. La parole d’un père et d’une mère a bien plus de poids sur le cœur d’un enfant, quand il leur voit observer les premiers la règle qu’ils ont prescrite. Leur conduite est pour lui une leçon continuelle, d’autant plus forte, parfois, qu’elle est indirecte. Vous le disiez tout à l’heure, monsieur, les enfants sont observateurs, ils regardent, ils écoutent et ils tirent de la conduite de leurs parents les conséquences les plus justes.

— Quand on n’y prend pas garde, on est bien imprudent !

— Il faut exercer sur soi-même une stricte surveillance, dit Georges. Si je corrige mon fils pour avoir parlé grossièrement, et qu’un moment après, je laisse échapper une parole malhonnête, ma correction ne servira de rien. C’est comme si ma femme, après avoir fait à notre fille une belle leçon sur le mensonge, s’avisait de lui dire : Quant à ceci ou cela, nous trouverons bien un moyen de le cacher à ton père.

— Il est certain, dis-je, que lorsque la conduite des parents dément leurs préceptes, on ne peut en attendre aucun effet.

— Ah ! ajouta Georges, les occasions de faire le bien devant nos enfants ne manquent pas. Si seulement nous savions toujours les saisir

— Heureux, repris-je, ceux qui s’en font un devoir !

— On ne peut nier l’influence que doit exercer, sur un enfant, l’exemple bon ou mauvais de son père et de sa mère. L’enfant est porté à l’imitation. Il redira ce qui se dit, il refera ce qui se fait autour de lui, surtout ce qui se dit et ce qui se fait de mauvais. On en a chaque jour des preuves. Et combien de parents pourraient se dire : « Ton enfant a tel ou tel défaut, parce que tu lui en as toi-même donné l’exemple. » Ces parents perdent l’âme de leurs enfants en perdant la leur.

— Cette pensée fait frémir, dit Thérèse.

— Autant que la pensée inverse réjouit le cœur, ajouta Georges. Est-il rien de plus doux pour le cœur d’un père et d’une mère, que l’espérance d’inspirer, avec l’aide de Dieu, à leurs enfants l’amour de tout ce qui est bon, en le pratiquant eux-mêmes ? Pour moi, je vous l’avoue, je compte parmi les plus beaux moments de ma vie ceux où j’ai cru remarquer chez l’un de mes enfants, à la suite de ce que je venais de dire ou de faire, une bonne impression, un bon mouvement, une bonne pensée.

— Je n’ai pas de peine à vous croire.

— A côté de cela, il faut bien reconnaître que si Dieu ne bénit les efforts des parents, ces efforts échouent. Aussi devons-nous lui demander sans cesse de nous diriger dans la tâche qu’il nous a confiée et d’être lui-même l’éducateur de nos enfants.

— Oh ! oui, dit Thérèse, Georges a raison, il faut prier, beaucoup prier pour les enfants.

À ce moment arrivèrent essoufflés et tout courants ceux qui, sans s’en douter, faisaient, depuis un moment, le sujet de notre entretien. Ils se jetèrent au cou de leurs parents, et, à voir le bonheur avec lequel ils les retrouvaient, je pus me convaincre, une fois de plus, qu’une éducation ferme n’empêche pas ceux qui la donnent d’être tendrement aimés.

— Allons, leur dis-je, c’est le moment de vous quitter. Adieu, au revoir, Georges et Thérèse ! Adieu, chers enfants, soyez toujours bien sages !

Et, en m’éloignant, je repassai la conversation que nous venions d’avoir. Braves gens, me disais-je, ils ont grand raison : trois choses sont essentielles dans une bonne éducation : l’accord, la fermeté et l’exemple, le tout fécondé par la prière !


Illustration en couverture : Anonyme, Le maître d’école, huile sur toile, vers 1700.

Vanessa Georgel

Épouse et maman, juriste en droit du travail et actuellement mère au foyer, passionnée par Christ, Vanessa s'intéresse à l'art, la littérature et aux découvertes théologiques que lui partage son mari.

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