Une réponse au baptisme 1689 – Joshua Sims
12 avril 2024

Cet article reprend le contenu d’une dissertation rédigée par Joshua Sims dans le cadre de ses études à la faculté Jean Calvin. Pour faire connaissance avec Joshua et son parcous en théologie, vous pouvez visionner son interview ici. À partir de septembre 2024, la FJC entreprend une réforme de son cursus de 1er cycle avec, notamment l’ouverture de trois bachelors pour différents profils : théologie pure avec langues bibliques, bachelor professionnel avec stage sur le terrain, et théologie appliquée pour une formation généraliste. Ces différentes formations commencent toutes avec une première année de discernement de la vocation. Pour plus d’infos sur les formations proposées par la FJC, rendez-vous sur son site internet.

Dans cette dissertation, Joshua Sims examine la position dite « baptiste réformée », en référence à la Confession de foi baptiste de Londres (1689) par une étude du livre Infant Baptism and the Covenant of Grace de Paul K. Jewett. Ce livre, bien que peu connu du public francophone, est considéré par beaucoup comme la meilleure défense du baptisme à partir d’un raisonnement sur les alliances bibliques. Autrement dit, l’auteur se positionne sur le terrain des réformés pour mieux leur répondre. L’examen de l’argumentaire de l’auteur est donc particulièrement à propos pour répondre, en général, aux objections baptistes à la pratique du pédobaptême.


Qui doivent être les sujets du sacrement du baptême ? La question a accompagné la théologie protestante depuis ses débuts et remonte au moins à Tertullien. L’objectif de ce travail est de donner une défense de la pratique pédobaptiste contre les objections les plus courantes puis d’établir positivement les raisons d’une telle pratique. Pour ce faire nous interagirons avec Paul K. Jewett de Fuller Seminary qui a produit, dans son livre Infant Baptism and the Covenant of Grace[1] une excellente défense de la pratique crédobaptiste. L’intérêt de l’interaction avec Jewett est qu’il se montre souvent très proche de la théologie fédérale réformée et qu’il exprime son désaccord avec le pédobaptême dans le même langage qu’emploient les pédobaptistes pour justifier leur pratique, rendant ses arguments très intéressants pour affiner le débat. La thèse centrale de Jewett est que la théologie réformée, si elle veut être cohérente avec sa doctrine de l’alliance, ne devrait pas défendre le fait de baptiser les enfants. L’argument de Jewett contre le pédobaptême est souvent vu comme l’un des plus probants, ce qui est reconnu tant par les partisans du crédobaptême[2] que par les défenseurs du pédobaptême[3]. Nous allons donc nous servir de ses arguments comme représentatifs des meilleurs arguments contre le pédobaptême, avant de passer, dans la partie suivante, à une argumentation positive en faveur de celle-ci. Il ne sera pas question de traiter de l’ensemble des objections soulevés par Jewett[4] mais de répondre au cœur de son argumentaire.

L’argumentation de Jewett

Pour Paul Jewett l’argumentation pédobaptiste réformée, contrairement aux arguments luthériens et anglicans qu’il qualifie de « sacramentels-causaux »,[5] est une argumentation réellement évangélique, qu’il classe comme « noétique-symbolique »[6]. C’est donc au regard du caractère évangélique de l’argumentation réformée que Jewett va chercher à démontrer l’insuffisance de la justification généralement proposée par les pédobaptistes.

Il faut tout de suite nuancer ce qui a été dit plus haut sur la proximité de Jewett avec la théologie alliancielle réformée : Jewett défend en réalité ce qu’il pense que devrait être cette théologie, tout en la critiquant telle qu’elle est généralement exprimée. Il exprime très succinctement sa réserve centrale : 

Le cœur de notre critique de « l’argument de l’alliance » en faveur du baptême des enfants a été qu’elle met en avant l’alliance comme concept unificateur de l’histoire du salut, au point de négliger le mouvement de l’histoire du salut, de l’ère de l’anticipation et de la promesse à l’ère de la réalisation et de l’accomplissement[7] .

Il est important de mesurer l’ampleur de cette critique, Jewett affirme par-là que le pédobaptême est fondamentalement en tension avec une des idées centrales et structurantes de la théologie réformée : l’alliance. La théologie réformée aurait érigé l’alliance comme un rocher immuable qui traverse l’histoire sans changement, sacrifiant ainsi toute possibilité de prise en compte de la richesse de l’histoire du salut. 

Plus précisément, la critique de Jewett porte sur le lien entre les bénédictions matérielles et spirituelles de l’alliance. Pour lui, l’ancienne alliance, dès Abraham, comporte une double visée : 

  • La visée spirituelle-sotériologique qui continue dans la nouvelle alliance en Christ et qui s’adresse aux seuls croyants. L’alliance promet le salut en Jésus-Christ à tous ceux qui croient en lui, que ce soit avant ou après sa venue.
  • La visée matérielle-typologique qui n’a plus lieu d’être après la venue du Christ et qui s’adresse aux Israélites du seul fait de leur descendance[8] . L’ancienne alliance promet de cette manière la terre, une descendance nombreuse[9]etc.

La circoncision est donc le signe, pour tous les descendants d’Abraham, des bénédictions matérielles de l’ancienne alliance, le « signe de la citoyenneté dans la nation d’Israël [10] ». Pour les descendants d’Abraham qui sont également croyants, la circoncision est également le signe des bénédictions spirituelles[11]. La venue du Christ met un terme aux ombres et aux types de l’ancienne alliance et met donc un terme à sa dimension matérielle. En particulier elle met un terme à l’inclusion d’incroyants dans l’alliance[12] et ne permet pas le baptême de jeunes enfants qui ne peuvent plus être considérés comme faisant partie de l’alliance car incapables de croire[13] . 

Jewett critique ensuite l’argumentaire pédobaptiste comme « lisant l’Ancien comme si c’était le nouveau et le Nouveau comme si c’était l’Ancien[14]  ». Les pédobaptistes réformés seraient coupables de penser que la circoncision signifie des bénédictions exclusivement spirituelles (il cite Calvin à cet effet)[15] ou tout du moins les bénédictions matérielles seraient vouées à disparaitre au second plan derrière le spirituel[16]. Inversement, les pédobaptistes seraient coupables de faire du baptême un signe purement externe et visible du fait qu’il est donné peu importe la foi de l’enfant qui la reçoit[17]

Éléments de réponse

Paul Jewett a cherché à montrer que la théologie pédobaptiste lit l’Ancien Testament comme si c’était le Nouveau, et le Nouveau Testament comme si c’était l’Ancien. Nous allons examiner ses arguments et montrer comment il propose une lecture insatisfaisante de l’Ancien Testament et une lecture insatisfaisante du Nouveau Testament[18].

Une lecture appauvrie de l’ancienne alliance

La distinction entre aspects spirituels et matériels de l’ancienne alliance

Jewett défend l’idée que les bénédictions matérielles de l’ancienne alliance sont promises à tous les descendants d’Abraham, du simple fait de leur appartenance au peuple d’Israël. On pourrait difficilement imaginer un argument plus éloigné de la dynamique de l’ancienne alliance ! Les bénédictions matérielles promises à Israël sont conditionnées à la foi et à l’obéissance du peuple (Lv 26,3-14 ; Dt 29,9, 25-28)[19], ce que Jewett semble complètement oublier. Le lecteur a du mal à comprendre comment, dans la compréhension de Jewett, Israël a dû être envoyé en exil, exil qui est du justement au mauvais état spirituel du peuple, en particulier son idolâtrie. Les bénédictions matérielles de l’ancienne alliance ne découlent pas simplement de l’appartenance à la descendance d’Abraham[20].

De plus, la séparation hermétique[21] que Jewett établit entre bénédictions matérielles et spirituelles est difficile à maintenir face aux textes. La circoncision appelle celui qui la reçoit à la foi (Rm 4,11) et à l’obéissance pour qu’il puisse jouir des bénédictions matérielles comme spirituelles (Dt 10,16 ; 30,6 ; Jér 4,4), elle appelle le peuple à se circoncire le cœur, montrant la visée explicitement spirituelle de la circoncision : 

[Dans l’Ancien Testament], la critique prophétique porte contre les prétentions incrédules fondées sur la seule naissance. Elle appelle à la circoncision du cœur. La naissance naturelle n’est jamais séparée de l’appel, de la mise en garde et du réconfort de Dieu. Tout appel à la naissance naturelle ou à la circoncision n’est rien d’autre qu’une grave perversion de l’alliance de Dieu[22].

Jewett semble également sous-entendre que la circoncision est le signe de la possession des bénédictions matérielles de l’alliance. Cette prise de position peut paraître accessoire mais elle est en réalité essentielle dans son argumentaire, un sacrement est toujours le signe de la possession du signifié, et donc le baptême devra être le signe de la possession des bienfaits du Christ au moyen de la foi. Toutefois Jewett ne prend pas en compte le fait que la circoncision ait été instituée à l’époque d’Abraham, des siècles avant que ses descendants n’entrent dans la terre promise (et même avant qu’Isaac, le fils de la promesse, ne soit né). Il en découle que malgré la distinction forte matériel-spirituel qu’il cherche à mettre en place, Jewett n’est pas parvenu à montrer qu’un signe de l’alliance ne peut pas signifier et promettre une chose qui n’est pas encore possédée. Le piège fondamental dans lequel les arguments contre le pédobaptême tendent à tomber est qu’ils deviennent, bien malgré eux, des arguments contre la pédocirconcision[23]. On aurait pu penser qu’en intégrant une forte dose de théologie alliancielle Jewett parviendrait à éviter ce piège mais il semble que son argumentation aboutisse à l’impossibilité de circoncire les enfants avant l’entrée dans la terre promise. Il n’est pas possible d’expliquer le fait que la circoncision ait été ouverte aux enfants par le simple fait qu’elle était distincte de la foi. Elle était, surtout avant la conquête de Canaan (mais aussi pendant l’exil), intimement liée à la foi dans la promesse de l’alliance.

Typologie faible et typologie forte : le principe d’intrusion

La conception de l’ancienne alliance que défend Paul Jewett (avec deux aspects, matériel et spirituel, hermétiquement séparés) implique une vision affaiblie de la typologie sous l’ancienne alliance, celle-ci se réduisant à des simples analogies entre bénédictions matérielles et spirituelles dont l’accès se fait au moyen de principes radicalement distincts (l’appartenance ethnique en ce qui concerne les bénédictions matérielles, la foi en ce qui concerne les bénédictions spirituelles).

La théologie réformée a su développer le principe de l’intrusion, que Meredith Kline, à partir des idées de Geerhardus Vos, définit comme « une projection de la réalité céleste […] dans des formes terrestres qui à la fois révèlent et voilent la gloire ultime encore à venir[24]  ». En particulier les types de l’administration mosaïque ne sont pas simplement analogues à leurs antitypes néotestamentaires, elles en partagent le même contenu essentiel, à savoir les réalités célestes promises au travers du Messie et dans le cadre de l’alliance. Ceci est vrai par exemple de la terre promise, qu’Abraham voyait comme la projection terrestre de la cité céleste que Dieu est en train d’ériger (Hé 11,10, 16 ; comp. Gn 15,8). La même chose peut être dite du tabernacle, lieu clé de l’administration mosaïque, et du temple à sa suite. Le tabernacle est conçu sur le modèle du temple céleste, sans être identique à celui-ci, il le révèle (Hé 8,5 ; 9,23-24). La gloire de Dieu associée à l’administration mosaïque, que Jewett veut restreindre au plan purement matériel, était certes provisoire et vouée à être remplacée par la gloire permanente de la nouvelle alliance, mais c’est la même gloire de Dieu qui y était révélée et qui a été révélée en Christ (2 Co 3,7-11). 

Comme les types vétérotestamentaires sont des intrusions, des projections des réalités célestes qui sont donnés aux croyants en Christ, il n’est pas possible de séparer, comme cherche à la faire Jewett, la jouissance de bénédictions matérielles et spirituelles, cette distinction n’ayant plus lieu d’être. Il est intéressant de se demander comment Jewett envisage la possibilité pour des personnes vivant sous l’ancienne alliance de venir à la foi. Où trouvent-elles l’Évangile ? Comment sont-elles sensées partir d’institutions purement matérielles, dépourvus de contenu spirituel, accessibles en vertu de l’appartenance ethnique sans égard pour la foi, et arriver à la conclusion qu’ils doivent croire en la promesse de la grâce pour avoir accès aux bénédictions spirituelles du royaume de Dieu ? Le principe de l’intrusion fournit une explication au passage du type à l’antitype, l’antitype étant le contenu essentiel révélé par le type[25] , ce vers quoi le type dirigeait la foi des Israélites. Le principe d’intrusion est un élément fondamental et essentiel de l’herméneutique alliancielle réformée que Jewett semble ignorer dans sa reconstruction d’une théologie alliancielle. 

Circoncision et sanctions duales

Paul Jewett semble voir la circoncision comme un signe purement positif, ce qui est en accord avec son idée qu’elle signifie la possession des biens en vertu de la seule appartenance à la descendance d’Abraham, qu’elle signifie une bénédiction dont le sujet de la circoncision ne peut pas déchoir. En réalité la nature même de la circoncision est de montrer à celui qui la reçoit les sanctions duales de l’alliance, la bénédiction et la malédiction, conditionnées à la foi et l’obéissance du sujet de la circoncision. La circoncision n’est pas un signe conçu pour un peuple qui bénéficie, quoi qu’il arrive des bénédictions matérielles de l’alliance, c’est un signe conçu pour appeler à la foi dans les promesses de l’Alliance tous ceux qui le reçoivent et pour leur rappeler les conséquences de l’incrédulité. De plus, la portée symbolique de la circoncision n’est pas la possession de la terre promise mais la crucifixion du Christ qui subit la malédiction de l’Alliance. 

Colossiens 2,11-12 parle en effet de la « circoncision du Christ » (τῇ περιτομῇ τοῦ Χριστοῦ), ce qui peut signifier subjectivement « la circoncision opérée par le Christ », c’est à dire la purification intérieure du pécheur, ou bien objectivement « la circoncision opérée sur le Christ », c’est-à-dire le retranchement du Christ qui subit la malédiction de l’alliance. C’est le sens objectif qui doit être retenu, notamment car il rend bien compte de la structure du passage. C’est la participation du croyant à la mort-circoncision du Christ qui lui confère la circoncision du cœur et le dépouillement du corps de la chair, tout comme c’est la résurrection du Christ qui confère la vie nouvelle au croyant[26]. De plus, le parallèle entre Colossiens 2,11-12 et Romains 6,3-4 confirme cette lecture, le premier met en lumière une séquence circoncision-ensevelissement-résurrection, le deuxième une séquence mort-ensevelissement-résurrection[27], corroborant fortement le sens objectif, que la mort du Christ est sa circoncision. Cette interprétation replace donc la mort du Christ dans la continuité du sens donné à la circoncision dans l’Ancien Testament[28], comme signifiant la possibilité d’être retranché du peuple de Dieu. 

Cette remarque entraine deux choses. Premièrement cela implique que la circoncision ne peut pas être le signe de bénédictions généalogiques, acquises par simple appartenance à la famille d’Abraham comme le pense Jewett. Au contraire, la conditionnalité des bénédictions est inscrite dans l’acte même de la circoncision, elle doit donc être comprise comme un acte ne signifiant pas unilatéralement la bénédiction acquise mais plutôt comme un acte appelant à la foi en la promesse de Dieu, adaptée aux enfants comme aux adultes. De plus, Colossiens 2,11-12 montre que la portée ultime de la circoncision est la mort du Christ à la Croix, si elle signifie bien la participation aux bénédictions matérielles de l’ancienne alliance, elle signifie donc surtout la participation aux bénédictions éternelles de l’alliance de grâce[29].

La circoncision met ainsi en lumière les sanctions duales de l’alliance, la bénédiction pour ceux qui ont la foi dans le Messie à venir, qui sera « retranché [circoncis] de la terre des vivants » (Es 53,8) ou la malédiction pour ceux qui grandissent au sein de l’alliance, portent le signe de l’alliance, mais demeurent incrédules. La circoncision, et plus largement l’ancienne alliance, appelle et exige la foi en Christ tout comme la nouvelle alliance. 

La dimension eschatologique de la nouvelle alliance

L’eschatologie future sous-estimée

L’eschatologie est remarquablement absente du traitement de Paul Jewett. Il affirme que les bénédictions de la nouvelle alliance sont de nature purement spirituelle, ce qui démontrerait la discontinuité avec les bénédictions matérielles de l’ancienne alliance et donc avec l’inclusion des enfants. Bien sûr la dimension eschatologique future de la nouvelle alliance ne concerne que les croyants, mais sa matérialité démontre que Jewett a tort de situer la discontinuité des alliances sur ce plan.

La nouvelle alliance promet la résurrection corporelle (1 Co 15) et la nouvelle création (2 P 3,4-13), des bénédictions essentielles et très matérielles. La réduction à des bienfaits purement spirituels que propose Jewett est en contradiction fondamentale avec la nature de la nouvelle alliance, dont l’accomplissement eschatologique s’étend à l’univers entier. La « spiritualité » de la nouvelle alliance telle que la présente Jewett revient en réalité à négliger la nature profonde de la nouvelle alliance, ce qui implique que sa manière de situer la discontinuité entre ancienne et nouvelle alliance sur le plan de la disparation des bénédictions matérielles est fausse.

L’eschatologie présente surestimée

À l’inverse de l’eschatologie future que Jewett sous-estime, il commet une erreur plus sérieuse encore en surestimant le degré d’accomplissement de l’eschatologie présente. Cette surestimation passe par l’idée que la participation à la nouvelle alliance serait exclusivement spirituelle, c’est-à-dire que ne peuvent être considérés comme membres de l’alliance aujourd’hui, seuls ceux qui seront trouvés en Christ au dernier jour. 

Cette notion passe souvent par l’idée que la prophétie de Jérémie 31,34 (sous la nouvelle alliance tous connaîtront l’Éternel) a été pleinement accomplie au travers de l’œuvre du Christ[30]. Toutefois, une lecture attentive de l’oracle de la nouvelle alliance suggère que l’horizon immédiat envisagé par Jérémie est le retour d’exil. Jérémie est capable de parler dans un langage très fort des bénédictions de l’alliance qui seront retrouvés par le peuple lors du retour d’exil[31], ce qui suggère que ces prophéties envisagent une période d’accomplissement partiel semi-eschatologique (inauguration), comme l’enseigne l’épitre aux Hébreux (8,1–10,18)[32]. Il est donc préférable de voir la nouvelle alliance comme marquée par une purification d’Israël dont la majorité refuse le Christ (purification qui est accompagnée de l’élargissement aux non-juifs) et par l’effusion de l’Esprit qui apporte le salut eschatologique (dont les croyants de l’ancienne alliance bénéficiaient de manière proleptique) mais qui demeure marquée par la mixité tout comme l’ancienne alliance. Ce constat est fait par Jésus en Jean 15,1-8 ou il envisage un groupe de personnes qui sont dans le peuple de l’alliance (la vigne est une image vétérotestamentaire récurrente du peuple de l’alliance) mais qui n’ont pas part à la vie du Christ et seront retranchés de l’alliance lors du jugement eschatologique[33]. L’Église demeurera donc mixte jusqu’au retour du Christ. 

Affirmer que dès aujourd’hui tous les membres de la Nouvelle Alliance sont authentiquement croyants pose un dilemme : il est nécessaire soit d’affirmer avec Kingdon que l’Église visible est le peuple de l’alliance et que l’Église visible n’est composée que de croyants[34] ou alors d’affirmer avec Henri Blocher que la distinction visible-invisible demeure nécessaire[35] tout en déconnectant l’Église visible de l’Alliance. L’erreur de l’option suivie par Kingdon est manifeste : elle confond foi et profession de foi, de sorte qu’à un instant donné il n’est pas possible d’affirmer que l’Église telle qu’on la voit n’est composée que de croyants authentiques, il est nécessaire de se fier à leur profession de foi qui peut se révéler hypocrite. De l’autre côté, l’option suivie par Henri Blocher n’entraine pas d’erreurs aussi grossières mais elle tend à rendre abstraite et inutile la notion d’Alliance. Alors qu’il cherche à donner la première place à la nouvelle alliance en Christ[36], le professeur  Blocher tend en réalité à rendre invisible la nouvelle alliance (celle-ci n’étant composée que de croyants, elle est donc à rattacher à l’Église invisible et non l’Église visible). 

Les conséquences d’une telle affirmation sont nombreuses, par exemple les avertissements aux incroyants dans l’Église visible doivent être arrachés à leur arrière-plan vétérotestamentaire (ils sont pourtant à mettre en parallèle avec les avertissements de l’alliance dans le Lévitique, le Deutéronome et chez les prophètes) et à envisager comme des avertissements « non-allianciels »[37]. L’Église visible devient essentiellement un « accident de parcours », sans statut autre que son existence accidentelle. Que penser des sacrements, signes de l’alliance, visibles par excellence ? Deviendraient-ils sacrements dans une transformation existentielle au contact de la foi de celui qui les reçoit ? Retirer de l’Église visible son caractère allianciel ne revient pas à modifier l’ecclésiologie réformée pour construire une ecclésiologie professante, c’est retirer de l’ecclésiologie réformée son cœur, la notion centrale qui en fait toute la force. 

Au contraire, la théologie réformée, en maintenant en équilibre les deux aspects de l’alliance (l’alliance comme institution légale et comme communion vitale) peut envisager l’Église visible et l’Église invisible sous le prisme de l’alliance. L’Église visible n’est autre que la manifestation concrète de l’Église invisible dans le temps présent et l’Église invisible est la finalité eschatologique de l’Église visible. Penser que ce parachèvement eschatologique a lieu dès aujourd’hui c’est oublier que l’Église doit être, dans le temps de la patience de Dieu, le lieu de la propagation de l’Évangile, le lieu où la promesse de l’alliance qui est « pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin » s’accomplit progressivement en attendant le retour du Christ qui seul est habilité à séparer définitivement le bon grain de l’ivraie.

Conclusion

Paul Jewett a suggéré que l’ancienne alliance porte une double facette, matérielle et spirituelle, et que la nouvelle alliance est marquée par la disparition de la facette matérielle, donnant place à une alliance purement spirituelle composée des seuls croyants. Nous avons vu que cette distinction sous l’ancienne alliance n’a pas lieu d’être, il n’est pas possible de séparer bénédictions spirituelles et matérielles car les bénédictions matérielles de l’ancienne alliance sont fondamentalement spirituelles et, inversement, les bénédictions spirituelles de la nouvelle alliance seront complétées par des bénédictions matérielles eschatologiques. De plus, les Israélites ne bénéficient pas des bénédictions matérielles par simple appartenance ethnique mais sont appelés à la foi et à l’obéissance, chose qui n’est pas en tension avec le fait de donner le signe de l’alliance aux enfants, le signe rappelant justement les bénédictions en cas d’obéissance et les malédictions en cas de désobéissance. Enfin nous avons vu comment l’ecclésiologie baptiste est en tension avec une théologie alliancielle, rendant essentiellement caduque la notion d’alliance après la venue du Christ. 

Esquisse d’un argument en faveur du baptême des enfants

Nous avons montré plus haut pourquoi il n’est pas possible d’envisager la nouveauté de la nouvelle alliance comme la réduction de ses membres aux seuls croyants, ce qui suggère que le baptême, signe de l’alliance, doit être administré aux croyants ainsi qu’à leurs enfants. Dans cette partie nous nous attarderons sur quelques éléments néotestamentaires qui renforcent la thèse pédobaptiste.   

Baptême et circoncision

L’étude de Colossiens 2,11-12 met en lumière le fait que la circoncision du Christ désigne sa mort (Col 2,11) et le baptême chrétien l’union au Christ enseveli (Col 2,12). Sans dire que circoncision et baptême sont identiques, Paul met en lumière le fait que les deux rites ont le même contenu essentiel : les deux renvoient à la mort du Christ, établissant ainsi une équivalence formelle entre les deux rites[38]. Si la circoncision, le signe de l’alliance et de l’union au Christ était donné aux enfants dans l’ancienne alliance, il est normal de s’attendre à ce que cette pratique continue dans la nouvelle alliance au travers du baptême.

Que le baptême prolonge la circoncision ne suffit toutefois pas à établir la pratique du baptême des enfants, il faut associer à cela le fait que les enfants sont encore membres de la nouvelle alliance. Un premier élément de réponse allant dans ce sens a été donné plus haut en proposant des arguments contre la proposition de Jewett qui suggère que le point de discontinuité entre les alliances est justement l’exclusion des enfants, un autre élément de réponse se trouve dans la nature exacte du baptême. 

Notons à ce stade qu’il faut exclure une la possibilité de maintenir l’appartenance des enfants à l’alliance tout en leur refusant le baptême. Pour ce faire il serait nécessaire d’opérer une modification radicale et sans fondement scripturaire du sens du baptême et de maintenir qu’il n’est pas le signe de l’appartenance à la nouvelle alliance (alors que nous venons de montrer qu’il se place dans la continuité de la circoncision, signe d’appartenance à l’ancienne alliance) mais un signe qui est pour ceux qui sont membres du club exclusif des adultes de l’alliance qui professent la foi. Si les enfants sont membres de l’alliance, le pédobaptême s’en suit nécessairement.

Baptême et sanctions duales

Tout comme la circoncision, le baptême signifie les sanctions duales de l’alliance. Plusieurs considérations nous amènent à cette affirmation.

Le baptême de Jean

Jean-Baptiste prend la suite des prophètes vétérotestamentaires qui annoncent le procès d’alliance de YHWH, procès qui va bientôt atteindre son point culminant en la personne du Christ :

Quand un vassal échoue à accomplir les obligations du traité, le suzerain met en place un procès d’alliance contre lui. Le procédé légal était accompli par des messagers. Lors de la première des deux phases, des messagers apportaient un ou plusieurs avertissements. […] On rappelait au vassal ce qu’il devait au suzerain et les conditions du traité, et on l’appelait à changer de voie. Il était mis de nouveau face aux malédictions de l’alliance, sous la forme d’un ultimatum […]. Si le messager du grand roi était rejeté, emprisonné ou pire encore tué, le procédé légal entrait dans sa phase suivante[39].

Jean-Baptiste était celui qui a apporté cet ultimatum, avant la venue du grand roi lui-même, en la personne du Christ (voir la parabole des vignerons, Mt 21,33-46), accomplissant ainsi Malachie 3,1 (comp. Mt 11,14 ; 17,12-13 ; Mc 9,12-13 ; Lc 1,17). Le message de Jean-Baptiste est celui du jugement imminent, le baptême dans le feu (Lc 3,16 ; comp. Mal 3,2), son baptême doit donc être compris à la lumière de ce jugement. Le baptême de Jean n’est pas identique au baptême chrétien, il correspond à une phase spécifique de l’histoire de l’alliance, mais il est important de noter qu’il forme l’arrière-plan du baptême chrétien et il serait surprenant de voir des différences trop fortes entre les deux.

Peut-être plus important que la simple analogie entre le baptême de Jean-Baptiste et le baptême chrétien est le fait que c’est le baptême de Jean-Baptiste qui fournit la toile de fond du baptême du Christ lui-même. Le baptême de Jésus est une ordalie, anticipant sa mort-baptême à la croix (Lc 12,50) et se concluant par l’appréciation du Père : « Tu es mon Fils bien-aimé, objet de mon affection » (Lc 3,22), qui vient anticiper la résurrection-adoption du Christ (voir Ac 13,33). Le baptême du Christ, qui conduira ensuite au baptême chrétien, possède également le double aspect, positif et négatif, du baptême de Jean[40].

La Pentecôte

Faisant écho à la venue de l’Esprit sur le Christ au moment de son baptême, l’effusion de l’Esprit sur l’Église au moment de la Pentecôte est de toute évidence une grande bénédiction, mais il est important de saisir que ce n’est pas une réalité unilatéralement positive. Dans l’Ancien Testament, la venue de l’Esprit est associée au jugement (Gn 3,8 ; Es 4,4-5 ; Jl 3). Face à l’Esprit de sainteté, les œuvres des hommes sont mis à nu. En particulier, lors de la Pentecôte, le parler en langues est à la fois une bénédiction et une malédiction. C’est une bénédiction en ce qu’il renverse la malédiction de Babel (Gn 11,6-9) et montre la réunification du peuple de Dieu dispersé dans le monde qui se trouve alors à Jérusalem et dont mêmes les différentes langues ne font pas obstacle à la proclamation de l’Évangile, mais ces langues rappellent également la malédiction de l’alliance, elles sont signe du jugement de Dieu sur son peuple infidèle (Dt 28,49 ; Jl 3,4-5 ; Es 28,11-13 ; 1 Cor 14,21). 

Du fait que la Pentecôte est explicitement envisagée comme le baptême d’Esprit-Saint (Ac 1,5), l’eau du baptême signifie le Saint-Esprit qui est déversé sur les croyants et qui les unit au Christ, mais il signifie également la venue de l’Esprit en jugement sur ceux qui ne sont pas en Christ. 

1 Pierre 3.20-22

La dualité symbolique du baptême (bénédiction/malédiction) est également bien mise en avant en 1 Pierre 3,18-22, un passage central pour l’argumentation de l’épitre. Le message central de Pierre aux Églises d’Asie Mineure est qu’ils vont participer aux souffrances du Christ mais, par leur union à lui, ils traverseront ces souffrances pour participer à la gloire du Christ. Les souffrances de l’Église dans le monde sont vues comme une ordalie, comme le jugement de Dieu (1 P 4,17), et le cœur du réconfort que Pierre veut apporter à ses lecteurs est que le Christ a traversé avant eux et pour eux le jugement de Dieu et donc qu’en lui ils n’ont rien à craindre. 

1 Pierre 3,20-21 intervient donc pour parler de l’ordalie-jugement à laquelle se soumet le Christ : Pierre fait justement intervenir le langage du baptême pour décrire sa mort. Pour ce faire Pierre établit un parallèle entre le déluge et le baptême. Ce qui est particulier c’est que le déluge manifeste avant tout le jugement de Dieu sur le monde. Toutefois, pour Noé et sa famille, le déluge devient l’occasion de leur salut, il révèle ce salut et justifie Noé aux yeux du monde.

L’encadrement de la mention du déluge-baptême (1 P 3,20-21) par une mention de la mort du Christ (1 P 3,18) et de sa résurrection-ascension (1 P 3,21-22) donne une double portée aux v. 20-21. Ils portent à la fois sur le baptême chrétien (le « baptême qui vous sauve, à présent, et par lequel on ne se débarrasse pas des souillures de la chair », 1 P 3,21) et sur la mort et la résurrection du Christ, l’ordalie traversée par le Fils de Dieu vers lequel le baptême chrétien renvoie. 

Le baptême chrétien présente donc les sanctions duales de l’alliance : elle signifie la malédiction-jugement pour ceux qui ne sont pas en Christ comme pour ceux qui n’étaient pas dans l’arche et elle signifie la bénédiction-justification pour ceux qui sont en Christ (qui a déjà subi la malédiction signifiée à la croix) comme avait été le cas pour Noé et sa famille.

Le terme ἐπερώτημα (1 P 3,21) n’apparait qu’une seule fois dans le Nouveau Testament et présente une difficulté de traduction. Dans la littérature chrétienne plus tardive elle prend le sens de « question »[41]. Le terme provient du verbe ἐπερωτάω qui prend le sens de questionner ou adresser une requête. Dans des papyrus plus tardifs ἐπερώτημα et ἐπερωτάω prennent le sens d’un engagement mais il est difficile de savoir si ce sens existait au premier siècle. À cette difficulté il faut ajouter le génitif εἰς θεόν qui peut être compris objectivement ou subjectivement. Il faut sans doute mettre de côté les options qui proposent un génitif subjectif, il est difficile de donner un sens à l’idée d’une action provenant d’une bonne conscience[42]. Il faut donc comprendre l’expression comme une question-interrogation concernant la disposition de la conscience envers Dieu ou un engagement devant Dieu concernant une bonne conscience. Sans chercher lequel de ces sens préférer, notons que les deux viennent appuyer l’idée que le baptême présente les sanctions duales de l’alliance : soit le baptême est un examen de la conscience révélant comment elle se positionne vis-à-vis de Dieu, soit c’est un acte qui engage le baptisé à faire preuve de bonne conscience devant Dieu au vu des sanctions duales de l’alliance.

Ces considérations sur 1 Pierre 3,18-22 nous font aboutir à la conclusion proposée par Kline :

Ainsi, tout le contexte de la pensée de Pierre concernant le baptême appuie la conclusion que nous avons tiré de sa comparaison entre le baptême et le déluge, c’est-à-dire qu’il voyait ce sacrement comment signe d’une ordalie judiciaire[43].

1 Corinthiens 10.1-2

Pierre n’est pas le seul auteur néotestamentaire à envisager le baptême comme ordalie, c’est également le cas de Paul. On a déjà vu plus haut le parallèle que Paul établit entre baptême et circoncision, circoncision qu’il envisage sous l’angle des sanctions duales (la mort du Christ est sa circoncision en Colossiens 2,11-12). Dans un autre passage (1 Co 10,1-2) Paul envisage directement le baptême sous le double aspect des bénédictions et malédictions : la traversée de la Mer Rouge est mis en parallèle direct avec le baptême chrétien. Le baptême est « dans la mer » (1 Co 10,2), mer qui fait la séparation entre ceux qui sont sauvés (Israël) et ceux qui sont condamnés (l’Égypte). Ce baptême est également « dans la nuée » (1 Co 10,2), évoquant la théophanie de l’Esprit qui guide Israël et la protège des Égyptiens, et la connexion baptême d’eau-baptême d’Esprit (Ez 36,26-27 ; Jn 3,6 ; Ac 1,5) mais aussi et surtout la dimension de jugement eschatologique qui est associée à la venue théophanique de l’Esprit (voir plus haut), qui viendra dans le monde séparer ceux qui sont en Christ et ceux qui ne le sont pas (Gn 3,8 ; Es 4,4-5 ; Jl 3 ; 2 P 3,7). L’apôtre Paul, tout comme Pierre, conçoit le baptême comme un rite de séparation entre croyants et non-croyants, un rite de jugement qui justifie les uns et condamne les autres.

Conclusion

Le baptême est ce qui sépare les croyants des non-croyants non pas parce que seuls des croyants ont reçu le baptême mais parce le jugement d’alliance que le baptême signifie va les séparer. Le baptême, tout comme la circoncision, n’est pas le signe inconditionnel des bénédictions de l’alliance mais présente au baptisé les bénédictions et les malédictions. Le baptême dit au baptisé « J’en prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : j’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance, pour aimer l’Éternel, ton Dieu, pour obéir à sa voix et pour t’attacher à lui : c’est lui qui est ta vie et qui prolongera tes jours » (Dt 30,19-20) Le baptême, tout comme la circoncision, est un signe destiné à un peuple mixte, composé de croyants et de non-croyants et les appelant à la foi en Christ. Cela milite contre la possibilité évoquée par Jewett et d’autres que le point de discontinuité entre ancienne et nouvelle alliance soit que la nouvelle alliance soit composée des seuls croyants.

Baptême et maisonnée

Il est bien connu que le livre des Actes contient quatre instances de baptêmes de « maisonnées » (Ac 10,2-47 ; 16,14-15, 31-34 ; 18,8, auxquels on peut rajouter 1 Co 1,16). Rien n’indique explicitement la présence d’enfants dans ces maisonnées et plusieurs de ces passages suggèrent que tous ceux qui était présents ont cru. L’argument pédobaptiste ne doit donc pas se focaliser sur ces baptêmes comme présentant peut-être des exemples de baptêmes de jeunes enfants dans le Nouveau Testament mais plutôt comme des exemples qui montrent que sous la nouvelle alliance Dieu continue de se servir de la famille comme unité de base de l’alliance. 

Pour illustrer ce principe il est utile de voir qu’il traverse toute l’histoire de la rédemption. Noé et sa « famille » (LXX οἶκός, Gn 7,1) sont sauvés du déluge dans l’arche, inversement, Pharaon et sa « maison » sont frappées de plaies par l’Éternel en raison du péché du Pharaon (LXX οἶκον, Gn 12,17). Dieu a élu Abraham et sa « famille » (LXX οἴκῳ, Gn 19,19) et c’est la « famille » de chaque Israélite qui est impliqué dans le culte à YHWH (LXX οἶκός, Dt 14,26) et Josué s’engage à servir YHWH lui et sa « maison » (LXX οἰκία, Js 24,15). L’inclusion des enfants avec leurs parents est tellement évidente que leur absence doit être explicitement signalée (Gn 50,7-8 ; 1 S 1,21-22). Ce motif se poursuit dans le Nouveau Testament, quand les douze sont envoyés dans tout Israël ils doivent prêcher le Royaume dans chaque « maison » (οἰκίαν, οἰκία, οἰκίας, Mt 10,12-14), le salut vient dans la « maison » de Zachée car il (Zachée en particulier) est un fils d’Abraham (οἴκῳ, Lc 19,9), Corneille est sauvé avec toute sa « maison » (οἶκός, Ac 11,14), Lydie est baptisée avec sa « famille » (οἶκόν, Ac 16,15), de même que la famille du geôlier de Philippes (οἶκός, οἰκίᾳ, οἶκον, Ac 16,31, 32, 34) et Crispus et toute sa « famille » crurent (οἴκῳ, Ac 18,8).

Le fait que le Nouveau Testament poursuive la pratique et le langage de l’Ancien en mettant en avant le fait que les relations alliancielles de Dieu se font à l’échelle de la maisonnée milite très fortement contre l’idée de considérer que les enfants d’une maisonnée seraient désormais exclus de l’alliance. Les enfants sont dans l’alliance et ont droit au baptême car ils sont sous l’autorité d’un parent croyant et donc membre de l’alliance, tout comme cela était le cas pour la circoncision en Israël[44].

Conclusion

Après avoir répondu plus haut à la construction alliancielle de Paul Jewett en montrant que la Nouvelle Alliance inclut, tout comme l’ancienne alliance, les enfants des croyants, à qui la promesse de l’alliance, à savoir le salut en Christ pour quiconque croit, est étendue, nous avons montré que le baptême est, tout comme la circoncision, un rite qui présente des sanctions duales, mettant celui qui la reçoit fasse aux bénédictions et aux malédictions de l’alliance et l’appelant à la vie. En plus du fait que le baptême soit un sacrement conçu « sur-mesure » pour une Église visible mixte à la manière d’Israël nous avons également vu que la pratique d’interagir non pas avec des individus mais avec des maisons au travers des parents, employant ainsi la structure de capitation[45] de la communauté humaine, ce qui justifie le baptême des enfants de parents croyants qui sont encore sous leur autorité. 

Ces éléments montrent que la théologie réformée reste cohérente à elle-même quand elle appelle à baptiser les enfants de maisonnées croyantes dans le cadre de sa théologie alliancielle. Le fondement de la pratique pédobaptiste dans un élément aussi central et solide de la théologie réformée et biblique devrait permettre aux parents et aux Églises d’être confiants qu’ils obéissent à Dieu et se conforment à son alliance lorsqu’ils baptisent les enfants de l’alliance, les mettant ainsi face au choix de tous les enfants de l’alliance de tous les temps : choisir la vie en Christ ou la mort en dehors de lui, subir le jugement signifié par leur baptême ou être sauvés en Christ qui a traversé à la croix le baptême de la colère de Dieu à leur place.


Illustration en couverture : Le baptême de l’éthiopien, Aelbert Cuyp, 1642.

[1] P.K. Jewett, Infant Baptism and the Covenant of Grâce, Grand Rapids : Wm. B. Eerdmans Publishing Co., 1978.

[2] Par exemple D. Kingdon, Children of Abraham: A Reformed Baptist View of the Covenants, Londres : Grace Publications, 2021 ou encore H. Blocher, La doctrine de l’Église et des sacrements, tome 1, Charols : Édifac, 2022. Ces exemples montrent que les meilleurs critiques du pédobaptisme par des auteurs sympathisants de la théologie fédéralesont fondamentalement tributaires de Jewett. 

[3] Par exemple G. Strawbridge, « The Polemics of Anabaptism from the Reformation onwards » dans G. Strawbridge (sous dir.), The Case for Covenant Infant Baptism, Phillipsburg : P & R Publishing, 2003, p. 263-285.

[4] En particulier sur l’objection de Jewett comme quoi la pratique du pédobaptême devrait logiquement entrainer celle de la pédocommunion nous renvoyons le lecteur vers J. V. Fesko, Word, Water, and Spirit : A Reformed Perspective on Baptism, Grand Rapids : Reformation Heritage Books, 2010, p. 261-265.

[5] Ibid., p. 4 : « causative-sacramental ».

[6] Ibid. :  « cognitive-symbolic », En réalité la vision réformée du sacrement comme signe et sceau dépasse la seule dimension psychologique que Jewett veut bien lui attribuer mais cette question n’est pas importante pour le problème qui est devant nous.

[7] Ibid., p. 235-236 : « The nub of our criticism of ‘the argument from the covenant’ for infant baptism has been that it stresses the covenant idea as the unifying concept of redemptive history to the point of suppressing the movement of redemptive history, a movement from the age of anticipation and promise to the age of realization and fulfillment », 

[8] Ibid., p. 236.

[9] Ibid., p. 90.

[10] Ibid., p. 238 : « sign of citizenship in the nation of Israel »,.

[11] Ibid., p. 102.

[12] Ibid., p. 91.

[13] Ibid., p. 111.

[14] Ibid., p. 92 : « reading the Old as if it were the New and the New as if it were the old ».

[15] Ibid., p. 94.

[16] Ibid., p. 95.

[17] Ibid., p. 105.

[18] Certains axes de réponse aux arguments propose par Jewett proviennent de notes d’un cours donné Lane Tipton au Westminster Theological Seminary et fournis par Gethin Jones.

[19] Nous n’aborderons pas ici la nature précise de cette conditionnalité, en particulier de la nature de l’alliance mosaïque comme une alliance de grâce ou une alliance des œuvres, il suffira de dire que quelque soit l’option choisie ce n’est pas une alliance de la génétique ! Ici nous partirons du principe que l’alliance mosaïque est une administration de l’alliance de grâce, conditionnée à la foi du peuple et à l’obéissance qui doit découler de cette foi. Le lecteur prenant la position inverse est invité à transposer les arguments, ce qui ne devrait rien changer au fondement de la réponse à Jewett.

[20] Notons que la critique que Jésus adresse aux Pharisiens n’est pas « vous aviez essentiellement raison jusqu’à maintenant de penser que Dieu allait vous bénir simplement à cause de votre ascendance mais maintenant ça va changer » mais plutôt « vous avez tort de penser que votre ascendance vaut quelque chose devant Dieu ». Notons également la remarque de David Kingdon, qui suit en règle générale le raisonnement de Jewett dans sa critique du pédobaptême mais qui perçoit ici les limites de ce que propose Jewett : « even in the Old Testament itself there is a challenging of the assumption that merely natural descent from Abraham is sufficient to become a member of the true Israel of God » (D. Kingdon, op. cit., p. 131).

[21] Dans la proposition de Jewett cette séparation ne peut être autre qu’hermétique étant donné que les conditions d’accès aux bénédictions matérielles sont tout autres que les conditions d’accès aux bénédictions spirituelles.

[22] G. C. Berkouwer, Studies in Dogmatics: The Sacraments, trad Hugo Bekker, Grand Rapids : Wm B. Eerdmans Publishing Co., 1969, p. 167 : « [In the Old Testament] prophetic criticism inveighs against unbelieving pretense on the basis of natural birth. It calls for circumcision of the heart. Natural birth is never detached from the calling, the admonition, and the comforting of God. Every appeal to this natural birth or to circumcision is nothing but a serious perversion of the covenant of God ».

[23] Calvin fait cette remarque dans L’institution de la religion chrétienne, IV.16.

[24] M. G. Kline, The Structure of Biblical Authority, 2e édition, Eugene : Wipf and Stock, 1997, p.156 : « an actual projection of the heavenly reality . . . in earthly forms which both reveal yet veil the ultimate glory to come ».

[25] Cela est vrai bien évidemment seulement des types que l’on pourrait appeler « positifs », il ne faut pas appliquer cela, par exemple, à Adam et au Christ. Le Christ n’est pas le contenu essential d’Adam, l’affirmer reviendrait à commettre l’erreur « ultrasupralaspsaire » de Barth en inversant création et rédemption.

[26]  Ainsi J. D. G. Dunn, The Epistles to the Colossians and to Philemon: A Commentary on the Greek Text, New International Greek Testament Commentary, Grand Rapids/Carlisle : Wm B. Eerdmans Publishing/Paternoster Press, 1996, p. 158 ; P. T. O’Brien, Colossians, Philemon, Word Biblical Commentary, vol. 44, Dallas : Word, 1982, p. 117.

[27] Ainsi D. J. Moo, The Letter to the Romans, éd. N. B. Stonehouse et al., 2e édition, The New International Commentary on the New Testament, Grand Rapids : Wm B. Eerdmans Publishing Company, 2018, p. 389–390 ; C. E. B. Cranfield, A Critical and Exegetical Commentary on the Epistle to the Romans, International Critical Commentary, Londres/New York : T&T Clark International, 2004, p. 304.

[28] D. Schrock, « The Cross in Colossians: Cosmic Reconciliation through Penal Substitution and Christus Victor », The Southern Baptist Journal of Theology, 17/3, 2013, p. 41–42.

[29] Notons que cette superposition des bénédictions temporelles et éternelles n’est pas une dualité de bénédictions sans rapport mais entre dans le cadre du principe de l’intrusion décrit plus haut.

[30] C’est notamment la position de Kingdon et du professeur Blocher (D. Kingdon, op. cit., p. 44 ; H. Blocher, op. cit., p. 218).

[31] P.-S. Chauny, « La nouveauté de la nouvelle alliance », mémoire de master, Vaux-sur-Seine, 2013, p. 35.

[32] Ibid., p. 79-94.

[33] Si l’on suit l’opinion majoritaire que l’Évangile selon Jean est écrit après les évènements de 70 alors cet enseignement de Jésus ne peut être compris que comme un avertissement que Jean destine à l’Église en vue du jugement de la fin des temps. Si en revanche Jean a écrit avant 70 il serait possible d’imaginer que la mixité aille jusqu’en 70 mais s’arrête là. Toutefois le contexte immédiat du passage, faisant allusion à la trahison de Judas, indique que la mixité n’est pas simplement au sein d’Israël mais elle se trouve même au sein de l’Église naissante formée des douze, et donc appelée à perdurer au-delà des évènements de 70.

[34] D. Kingdon, op. cit., p. 44.

[35] H. Blocher, op. cit., p. 211.

[36] H. Blocher, « Old Covenant, New Covenant » dans A. T. B. McGowan, Always Reforming: Explorations in Systematic Theology, Leicester : Apollos, 2006, p. 262.

[37] Les avertissements dans l’épitre aux Hébreux sont, comme l’épitre dans son ensemble, profondément alliancielles. C’est dans le cadre de tels avertissements que l’auteur évoque l’oracle de la nouvelle alliance en Jérémie 31, rendant ainsi impossible de penser que cette prophétie implique la non-mixité présente de l’Église.

[38] D. Cobb, « ‘En Christ vous avez été circoncis…’ baptême et circoncision en Colossiens 2 », La Revue Réformée, 277, 2016, p. 31-47.

[39] M. G. Kline, By Oath Consigned: A Reinterpretation of the Covenant Signs of Circumcision and Baptism, Grand Rapids : Wm B. Eerdmans Publishing Co., 1975, p. 51 : « When a vassal failed to satisfy the obligations of the sworn treaty, the suzerain, instituted a covenant lawsuit against him. The legal process was conducted by messengers. In the first of its two distinct phases messengers delivered one or more warnings. […] The vassal was reminded of the suzerain’s benefits and of the treaty stipulations, explanation of his offenses was demanded, and he was admonished to mend his ways. He was also confronted anew with the curses of the covenant, now in the form of an ultimatum […]. If the messenger of the great king was rejected, imprisoned, and especially if he was killed, the legal process moved into its next phase. » .

[40] Notons sur un autre plan que ce que nous savons du baptême de Jean pousse fortement à penser qu’il baptisait les enfants. Il est probable qu’au moins une partie de l’arrière-plan du baptême de Jean était la pratique du baptême prosélyte, (J. Leipoldt, Die urchristliche Taufe im Lichte des Religionsgeschichte, Leipzig : Dörffling & Francke, 1928, p. 25-28 ; H. H. Rowley, « Jewish Proselyte Baptism and the Baptism of John », Hebrew Union College Annual, 15, 1940, p. 313-343 ; C. H. Kraeling, John the Baptist, New-York : Charles Scribner’s Sons, 1951, p. 99-100) un rite d’immersion pratiqué par les prosélytes leur rappelant les sanctions duales de l’alliance (E. Ferguson, Baptism in the Early Church: History, Theology and Liturgy in the First Five Centuries, Grand Rapids : Wm B. Eerdmans Publishing Co., 2009, p. 87). Le baptême prosélyte était le baptême des parents convertis et de leurs enfants (Ibid., p. 81). Si donc Jean baptisait les enfants nous avons toutes les raisons de croire que le baptême chrétien en faisait de même, les premiers lecteurs des évangiles connaissant la pratique de l’Église primitive en ce domaine auraient supposé que Jean avait la même pratique du simple fait que son baptême était désigné par le même mot dans les Évangiles. 

[41] W. Arndt et al.A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, Chicago : University of Chicago Press, 2000, p. 362.

[42] P. J. Achtemeier, 1 Peter: A Commentary on First Peter, éd. E. J. Epp, Hermeneia—a Critical and Historical Commentary on the Bible, Minneapolis : Fortress Press, 1996, p. 272.

[43] M.G. Kline, By Oath Consigned, p. 67.« Thus the total context of Peter’s thought concerning baptism supports the conclusion we have drawn from his comparison of baptism to the deluge, namely, that he conceived of this sacrament as a sign of judicial ordeal. » 

[44] Notons que la nature théocratique d’Israël impliquait que toute la nation devait être circoncise, principe qui n’a pas lieu d’être reproduite de manière constantinienne dans des états modernes, aujourd’hui c’est l’Église qui est la maisonnée de Dieu. L’objection de Garrett qui semble penser que la thèse de Kline devrait entrainer un fonctionnement constantinien vient d’une équivalence trop simpliste entre les états modernes et la nation d’Israël (D. A. Garrett, « Meredith Kline on Suzerainty, Circumcision, and Baptism » dans éd. T. R. Schreiner & S. D. Wright, Believers Baptism: Sign of the New Covenant in Christ, éd. E. R. Clendenen NAC Studies in Bible & Theology B&H Publishing Group, 2006, p. 283).

[45] H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption, Vaux-sur-Seine : Édifac, 2000, p. 160.

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