L’avortement après la naissance et l’infanticide — Christopher Kaczor (recension)
16 avril 2024

Dans l’urgence de la situation actuelle, alors que l’avortement (qui n’est rien de moins que le fait de tuer intentionnellement un fœtus, en gros un bébé) vient d’être inscrit dans la Constitution et qu’il y a un vide intersidéral chez les chrétiens sur le sujet, je vous propose régulièrement un résumé d’un chapitre du meilleur livre avec des arguments philosophiques contre l’avortement : The Ethics of Abortion: Women’s Rights, Human Life, and the Question of Justice de Christopher Kaczor. Voici le résumé du chapitre 1 : Est-ce que l’avortement après la naissance devrait être autorisé ?


Dans ce premier chapitre, Kaczor répond à ceux qui défendent à la fois l’avortement et l’infanticide post-natal (après la naissance), c’est-à-dire les pro-choix les plus cohérents avec leur position pro-avortement. Ils assument l’idée que l’infanticide post-natal est une implication logique de l’avortement. Kaczor répond notamment à Michael Tooley (son article « Abortion and Infanticide »), Peter Singer, David Boonin, Alberto Giubilini, Minverva, Jeff McMahan.

L’enjeu crucial du débat : la définition du mot personne

Il clarifie immédiatement le débat : ce qui fait polémique, ce n’est pas de savoir si le fœtus est un être vivant, et en particulier un être humain. Tout le monde, les pro-choix autant que les pro-vie (au moins au niveau universitaire) reconnaît que le fœtus est humain dans un sens biologique de membre de l’espèce Homo sapiens. Par contre, pour les pro-choix, être humain ne suffit pas pour avoir le droit de vivre (ou, dit négativement, le droit de ne pas être tué). Ils introduisent donc la notion de personne qui leur permet de distinguer entre les êtres humains qui sont des personnes (les enfants à partir d’un certain âge et les adultes) de ceux qui n’en sont pas (les fœtus jusqu’aux enfants d’un certain âge). Seules les personnes ont le droit de vivre.

Critique de la définition de personne des pro-choix pro infanticides

Selon les pro-choix pro-infanticide, la définition formelle de la personne varie, mais peut être à peu près résumée comme suit : une personne est un être conscient de son existence et qui veut exister, avoir des désirs. Cette définition ressemble à celle de John Locke et on la retrouve sous différentes formes chez Michael Boonin et Peter Singer. En se basant sur les données scientifiques, ces pro-choix autorisent alors l’infanticide jusqu’à un âge « seuil » entre quelques semaines et deux ans. Comme les pro-choix pro-infanticide sont très cohérents, quelqu’un qui refuse le statut de personne au fœtus le refusera également au bébé qui vient de naître et qui se trouve en-dessous de l’âge seuil.

On peut synthétiser les réponses de Kaczor en une seule : le problème de ce critère basé sur la conscience de soi qui permet de justifier moralement l’avortement, c’est qu’en plus de justifier par conséquent l’infanticide post-natal (que déjà très peu de gens seraient prêts à accepter et à pratiquer), il autoriserait à tuer des adultes bien au-dessus de l’âge seuil mentionné avant, comme les adultes évanouis ou dans le coma, les adultes avec des problèmes psychiatriques, les adultes qui sont des handicapés mentaux, etc. En effet, tous les adultes de cette catégorie ne sont désormais, pas plus que le fœtus, conscients d’eux-mêmes, donc ils ne sont pas non plus des personnes et on peut donc les tuer. C’est bien sûr quelque chose que personne ne défend et une conséquence absurde. Donc par un raisonnement par l’absurde, les arguments des pro-choix pro-infanticide sont de mauvais arguments.

L’argument de la symétrie de Michael Tooley

Kaczor répond aussi à l’argument symétrique de Michael Tooley dans son article « Abortion and Infanticide ». Tooley part du principe suivant : s’il est permis de ne pas initier un processus qui cause un effet, il est également permis d’interrompre ce processus. En effet, des cas nous montrent qu’il est valable : il est tout aussi mauvais de noyer quelqu’un que de ne pas le sauver si on en est capable, ce qui montre qu’il n’y a pas de différence morale entre commettre un acte et omettre un acte.

Pour l’appliquer au cas précis du fœtus, il propose l’expérience de pensée suivante : si on avait un « sérum d’intelligence » capable de rendre les chats aussi intelligents que nous, nous n’aurions aucune obligation de le leur administrer pour les rendre intelligents. Ici, on initierait le processus « rendre le chat intelligent » avec l’action administrer aux chats le sérum d’intelligence (et plus généralement de transformer des animaux rationnels potentiels en animaux rationnels actuels). En vertu du principe de symétrie, on n’a pas plus d’obligation de ne pas stopper le processus qui rend le fœtus rationnel (la grossesse, la croissance des premières années) qu’on en a une de rendre un animal non rationnel comme le chat rationnel.

En réponse, on notera premièrement que le type de potentialité en lien avec le fœtus (il peut devenir intelligent) et celui du chat (il peut devenir intelligent) sont très différents, ce qui casse la symétrie. En effet, dans le cas du chat, on a une potentialité (ou une puissance) passive, qui n’est en quelque sorte pas inscrite dans le chat en lui-même : s’il n’y avait pas d’intervention extérieure de la part des hommes, il n’y aurait jamais eu personne pour lui injecter le sérum et donc pour le rendre intelligent. Alors qu’au contraire, dans le cas du fœtus, on est en présence d’une potentialité (ou une puissance) active, c’est-à-dire que l’évolution en animal rationnel ou intelligent se fait tout naturellement : la possibilité de devenir un animal rationnel est inscrite dans le fœtus lui-même. Comme on n’a pas le même type de possibilité dans le cas du chat et dans celui du fœtus, l’argument s’écroule.

Deuxièmement, bien qu’il y ait effectivement des cas où l’action et l’omission aient la même valeur morale, le principe de symétrie se heurte à de nombreux contre-exemples. Par exemple, si on considère un mendiant dans la pauvreté, l’action de lui voler 5 € est pire que ne pas lui donner 5 €. Il est pire de trahir une promesse (interrompre un processus) que de ne pas initialement en faire une (ne pas initier ce processus).

Enfin et troisièmement, même si le principe de symétrie était vrai, il ne s’appliquerait pas comme l’applique Tooley au cas du chat et du fœtus. En effet, il n’y a pas de symétrie entre l’action et son omission : d’un côté, l’omission (ne pas administrer le sérum au chat) ne fait rien de mal au chat (il reste normal comme il est) tandis que l’action (tuer le foetus) lui en fait en le privant de son avenir.

Comme dans les faits, très peu de gens qui défendent l’avortement défendent en même temps l’infanticide, Kaczor va répondre au chapitre suivant aux pro-choix qui rejettent l’infanticide. Pour cela, il va les réfuter à la fois sur la base des arguments des pro-choix pro infanticide qui pointent eux-mêmes les incohérences profondes de leurs collègues, et des arguments des pro-vie.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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