« Il se portait dans ses mains » – Augustin pour la transsubstantiation ?
27 janvier 2025

Un ami catholique romain m’a fait parvenir une citation de saint Augustin, tirée de ses Discours sur les Psaumes, qu’il considère être favorable à la transsubstantiation :

Le Christ porta son propre corps dans ses mains lorsqu’il dit : ceci est mon corps1.

Une expression non probante

Premièrement, il convient de rappeler que parler du « propre corps » du Christ à propos de la Cène ne suffit pas pour présumer qu’un auteur adhère à la transsusbtantiation. Ainsi, par exemple, le Réformateur Jean Calvin dit-il :

Ainsi le pain est le corps de Christ, puisqu’il nous assure avec certitude l’exhibition de ce qu’il représente, ou plutôt parce le Seigneur, en nous donnant ce symbole visible, nous donne aussi avec lui son propre corps ; car Christ n’est pas un jongleur se moquant de nous avec des apparences vides. Ainsi, il est hors de tout doute que la réalité est jointe au signe, ou en d’autres mots, en ce qui concerne l’efficacité spirituelle, nous participons véritablement au corps de Christ quand nous mangeons le pain2.

Un langage figuratif

Mais, outre le fait que ce langage ne soit pas décisif, y a-t-il des éléments qui invitent à conclure que saint Augustin usait ici d’un langage analogique ? Oui, premièrement parce que dans le discours qui suit, sur le même Psaume, Augustin précise son langage en ce sens :

« Il se portait sur ses mains». Comment se portait-il sur ses mains ? Quand il nous donnait son corps même et son sang, il tenait en ses mains ce que savent les fidèles; il se portait lui-même en quelque sorte, quand il disait: « Ceci est mon corps3. »

L’ajout de « en quelque sorte » (quodam modo) invite à la prudence avant de conclure que saint Augustin n’usait pas ici d’un langage analogique, fondé sur la ressemblance entre le corps et le sacrement. Le reste des écrits d’Augustin nous permet de conclure de manière plus affirmative que le langage est bien analogique :

Si les sacrements ne ressemblaient pas d’une certaine manière aux choses dont ils sont les signes, ils ne seraient pas des sacrements. C’est par cette ressemblance qu’ils reçoivent souvent les noms des choses mêmes. De même donc que le sacrement du corps du Christ est le corps du Christ, d’une certaine façon, et le sacrement du sang du Christ le sang du Christ, de même le sacrement de la foi est la foi4.

Fait intéressant, dans cette dernière citation, les mots latins traduits par « d’une certaine façon » (quemdam modum) sont les mêmes que ceux traduits dans la citation précédente par « en quelque sorte » (quodam modo), ils sont simplement déclinés.

D’autres citations permettent d’établir que saint Augustin avait en vue un sens figuré, considérez par exemple ce qu’il dit à propos de Jean chapitre 6 :

Une expression n’est pas figurée, quand elle renferme un précepte qui défend l’intempérance ou l’injustice, qui commande l’utilité ou la bienfaisance. Elle l’est, au contraire, dans le cas où elle semble commander le mal et défendre le bien. « Si vous ne mangez, » dit le Sauveur, « la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous. » N’est-ce pas là, en apparence, commander un crime ? C’est donc ici une figure par laquelle nous est imposé le devoir de participer à la passion du Sauveur, et de conserver le doux et salutaire souvenir de sa chair couverte de plaies ; et attachée pour nous à la croix5.

Les impies ne mangent pas le corps du Christ

Par ailleurs, comme je le rappelais récemment, une conséquence de la transsubstantiation, c’est que manger le pain et boire le vin consacrés, même si l’on n’a pas la foi, c’est manger le corps et boire le sang du Christ. Imaginons que quelqu’un entre dans une église, voie une hostie consacrée et décide de la manger alors qu’il n’est absolument pas croyant. Un catholique romain doit croire que cette personne mange le corps et le sang du Christ. Eh bien, justement, Augustin ne croyait pas cela.

Par là même, et sans aucun doute, quand on ne demeure pas dans le Christ, et qu’on ne lui sert point d’habitation, on ne mange point sa chair, et on ne boit pas non plus son sang, quoiqu’on tienne d’une manière matérielle et visible sous sa dent le sacrement du corps et du sang du Sauveur; bien plus, en recevant le signe sensible d’une si précieuse chose, il le mange et boit pour sa condamnation, parce qu’il n’a pas craint de s’approcher des sacrements du Christ avec une âme souillée6.

Ainsi, on pourrait très simplement dire que :

  1. Croire à la transsubstantiation implique de croire que les impies reçoivent le Christ en mangeant le pain ;
  2. Augustin croyait que si l’on ne demeure pas dans le Christ, on ne mange point sa chair, on ne boit pas son sang ;
  3. Donc Augustin ne croyait pas à la transsubstantiation (par 1 et 2).

Christ n’est présent localement qu’en un seul lieu

Augustin croyait encore que le Christ est corporellement présent en un seul endroit : dans les cieux.

Le Sauveur est au ciel, mais, par la vérité, il habite toujours parmi nous. Le corps ressuscité du Sauveur se trouve nécessairement en un seul endroit ; mais sa vérité est répandue en tous lieux7.

Ce n’est point selon cette forme corporelle que le Christ est présent partout; il ne faut pas établir sa divinité aux dépens de la vérité même de son corps. […] Car en Jésus-Christ, Dieu et l’homme ne font qu’une seule personne et un seul Jésus-Christ : en tant que Dieu, il est partout; en tant qu’homme, il est au ciel. Mais pour notre Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, égal à son Père, et en même temps fils de l’homme, ce qui rend son Père plus grand que lui, croyez qu’en tant que Dieu, il est tout entier présent partout, qu’il habite dans ceux en qui Dieu habite comme dans son temple ; croyez aussi que son corps, un corps véritable est dans quelque endroit du ciel8.

Par son corps, l’homme se trouve en un endroit, et il en sort; et quand il a pénétré dans un autre, il n’est plus dans celui où il se trouvait auparavant. Pour Dieu, il remplit tous les lieux; il est tout entier partout; il n’est renfermé nulle part, dans un espace quelconque. En tant qu’homme, notre Seigneur Jésus-Christ se trouvait sur la terre; mais par son infinie et invisible majesté, il était sur la terre et dans le ciel9.

Par ailleurs, Augustin croyait aussi que la localité était une qualité de la substance des corps, il ne pouvait donc pas imaginer une présence substantielle non locale :

Otez aux corps l’espace, ils ne seront nulle part, et parce qu’ils ne seront nulle part, ils n’existeront plus. Otez aux qualités des corps ces corps mêmes, il n’y aura plus de place pour elles, et dès lors nécessairement elles ne sont plus8.

Augustin pensait que Dieu ne trompait pas nos sens par ses miracles

Pour Augustin, dire que l’on verrait une apparence de pain sans que du pain soit présent reviendrait à faire de Dieu un menteur. Considérez ce que dit Augustin à propos de la colombe qui est apparue au baptême du Christ :

« Aussi ne disons-nous pas que Jésus-Christ seul s’est revêtu réellement d’un corps, tandis que le Saint-Esprit se serait montré aux yeux des hommes, sous de fausses apparences ; nous affirmons que nous croyons à ces deux corps, que ces deux corps sont vrais. Si le Fils de Dieu ne devait pas tromper les hommes, le Saint-Esprit non plus ne pouvait les abuser. Mais à Dieu, qui a tiré du néant toute créature, il n’était pas plus difficile de former en dehors des lois de la nature un vrai corps de colombe, que de créer un corps dans le sein de Marie, sans le concours de l’homme. Dans le sein de la femme pour former l’homme, comme dans le ciel même pour créer une colombe, la nature n’obéissait-elle pas à la volonté souveraine du Seigneur10?

Augustin croyait que la Cène était de nature comparable aux précédents de l’Ancien Testament

Enfin, Augustin pensait que nous sommes nourris du Christ dans la Cène comme l’étaient les Juifs dans les types vétérotestamentaires :

L’Apôtre ajoute: « Et qu’ils ont bu le même breuvage spirituel ». A eux, un breuvage ; à nous, un autre: breuvages d’apparences diverses, mais représentant la même chose par leur vertu mystérieuse. Mais comment était-ce « le même breuvage ? Parce qu’ils buvaient de l’eau de la pierre mystérieuse, eau qui les suivait: et cette pierre « était Jésus-Christ »11.

La mer Rouge est l’emblème du baptême : Moïse, qui a conduit les Israélites à travers la mer Rouge, représente le Christ ; le peuple qui la franchit, ce sont les fidèles ; la mort des Egyptiens signifie la rémission des péchés. Les signes sont différents, la foi est la même. Il en est de la diversité des signes comme de la diversité des paroles ; les paroles se prononcent différemment selon qu’elles représentent un temps ou un autre, et véritablement elles ne sont rien autre chose que des signes. Elles ne sont des paroles qu’autant qu’elles ont un sens ; ôte à une parole sa signification, il ne reste plus qu’un vain bruit. Toutes choses ont donc été représentées par un signe. Ceux qui nous transmettaient ces signes, et nous annonçaient d’avance par des prophéties ce que nous croyons aujourd’hui, ceux-là n’avaient-ils pas la même foi que nous ? Certes, ils croyaient comme nous, avec cette seule différence que l’avenir était l’objet de leur foi, et que le passé est l’objet de la nôtre. Voilà pourquoi l’Apôtre a dit: «Ils ont bu le même breuvage spirituel» ; le même breuvage spirituel; car, celui dont ils rafraîchissaient leurs corps était différent. Que buvaient-ils spirituellement ? « Ils buvaient de l’eau de la pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre était Jésus-Christ ». Remarquez-le donc : quoique la foi fût toujours la même, les signes ont varié. Pour nos pères, le Christ était la pierre ; pour nous, le Christ est placé sur l’autel. Par une grande et mystérieuse allusion au même Christ, ils buvaient de l’eau qui sortait de la pierre ; ce que nous buvons nous-mêmes, les fidèles le savent. Si tu t’arrêtes aux apparences, tu verras une différence réelle; mais si tu pénètres le sens caché, tu te convaincras qu’ils ont bu le même breuvage spirituel12.

Conclusion

En bref, ce texte est loin d’établir que saint Augustin croyait à la transsusbtantiation, quand on le considère dans le contexte de ses œuvres. Si vous voulez étudier plus sérieusement la question, voici notre dossier sur les Pères et l’Eucharistie :

  1. Augustin, Discours sur les Psaumes, XXXIII, I, 10.[]
  2. Jean Calvin, Petit Traité sur la Cène.[]
  3. Le latin porte : Et ferebatur in manibus suis: quomodo ferebatur in manibus suis? Quia cum commendaret ipsum corpus suum et sanguinem suum, accepit in manus suas quod norunt fideles; et ipse se portabat quodam modo, cum diceret: Hoc est corpus meum ; Augustin, Discours sur les Psaumes, XXXIII, II, 2.[]
  4. Augustin, Lettre XCVIII, 9.[]
  5. Augustin, De la Doctrine Chrétienne, III, XVI.[]
  6. Augustin, Traités sur Jean, XXVI, 18.[]
  7. Augustin, Traités sur Jean, XXX.[]
  8. Augustin, Épître 187 à Dardanus[][]
  9. Augustin, Traités sur Jean, XXXI, 9.[]
  10. Augustin, De Agone Christiano, XXII, 24.[]
  11. Augustin, Traités sur Jean, XXVI, 12.[]
  12. Augustin, Traités sur Jean, XLV, 9.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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