« J’ai prié pour que ta foi ne défaille pas » selon les Pères
12 mars 2025

Le verset de Luc 22,32, dans lequel le Christ, dans le contexte de la Passion et de l’épreuve que les disciples vont subir, est étonnement invoqué par les catholiques romains pour soutenir l’infaillibilité pontificale. Les protestants comprennent habituellement ce verset comme signifiant que Jésus a prié pour que la foi de Pierre ne soit pas anéantie. Les catholiques en font une promesse adressée à l’évêque de Rome concernant son infaillibilité doctrinale. Cette improbable exégèse est d’apparition tardive et, pour le documenter, cet article se contente de reproduire une dizaine de commentaires patristiques sur ce verset. Aucun Père n’a interprété ce texte dans le sens couramment invoqué par les catholiques romains.

Les pères qui affirment que l’objet de la prière est la préservation dans l’épreuve

Tertullien

De même il sollicita la permission de tenter les Apôtres ; car de lui-même il ne l’avait pas. Témoin la parole que le Seigneur adresse à Pierre dans l’Evangile: « Voilà que Satan a désiré te passer au crible, comme le froment. Et moi, j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaillît pas ; » c’est-à-dire, qu’il ne fût pas donné au démon de pousser l’épreuve jusqu’à mettre ta foi en péril. Il suit de là que l’attaque et la protection de la foi sont l’une et l’autre dans les mains de Dieu, puisque Satan lui demande la première et le Fils de Dieu la seconde1.

Augustin

Aussi dit-il à Pierre, quand approchait l’heure de sa mort; « Satan a demandé à vous secouer comme la froment; mais moi, j’ai prié pour toi, Pierre, afin que ta foi ne défaille point; va et affermis tes frères ». Ne nous a-t-il pas affermis par son apostolat, par son martyre, par ses épîtres ? On voit même qu’il nous parle, dans ces dernières, de la nuit redoutable dont il est ici question, et qu’il nous invite à veiller, à être sur nos gardes, à nous ranimer par le souvenir des prophéties qu’il compare à un flambeau nocturne2.

Basile de Césarée

Le jugement est conforme à la grâce, et le juge vous jugera comme vous avez usé de ce qui vous a été donné. Si vous ne comprenez pas que la grâce vous a été donnée, ou si vous croyez par pure stupidité que la grâce est votre propre vertu, vous ne ferez pas mieux que le bienheureux apôtre Pierre. Car vous ne pouvez aimer le Seigneur plus que celui qui a voulu mourir pour lui. Mais comme il a parlé avec une grande vanité lorsqu’il a dit : « Si tous sont scandalisés en toi, moi je ne serai jamais scandalisé » (Matthieu 26, 33), il s’est livré à la lâcheté humaine et s’est abaissé jusqu’à le renier, afin que de sa propre chute il apprenne à être compatissant envers les faibles, qu’il acquière de la sagesse et qu’il voie clairement que, de même qu’il avait été relevé par la main du Christ alors qu’il sombrait dans la mer, de même lorsqu’il était en danger de périr dans la tempête du scandale à cause de sa propre infidélité, il était protégé par la puissance du Christ, Et celui-ci lui avait prédit ce qui devait arriver, en ces termes : Simon, Simon, voici que Satan a désiré vous avoir pour vous cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas ; et toi, une fois converti, affermis tes frères (Luc 22.31, 32). Et Pierre, après avoir été corrigé de cette manière, fut grandement aidé, et il apprit à renoncer à sa vantardise antérieure ; et ainsi apprit à avoir de la considération pour les faibles3.

Hilaire de Poitiers

C’est pourquoi, en tant qu’homme, il prie pour les hommes afin que la coupe puisse passer, mais en tant que Dieu issu de Dieu, sa volonté est à l’unisson de la volonté effective du Père. Il enseigne ce qu’il entend par « Si c’est possible », dans ses paroles à Pierre : « Voici, Satan t’a cherché pour te cribler comme le froment ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point ». Luc 22:31-32 La coupe de la Passion du Seigneur devait être une épreuve pour eux tous, et il prie le Père pour Pierre afin que sa foi ne défaille pas : c’est-à-dire pour que lorsqu’il reniera par faiblesse, il ne défaille au moins pas de chagrin pénitentiel, car ainsi la repentance signifiera que la foi a survécu4.

Jean Chrysostome

Et pour montrer que ce n’était que pour ce sujet, et pour abattre son orgueil, qu’il permit ce renoncement, voyez ce qu’il lui dit : « J’ai prié pour vous, afin que vous ne perdiez pas la foi » : ce qu’il lui dit pour le toucher davantage, en lui faisant voir que sa faute serait plus grande que celle de tous les autres disciples, et qu’il avait besoin d’un plus grand secours, et d’une prière toute particulière pour en obtenir le pardon. Car il avait commis un double crime dans ces paroles si hardies; le premier de résister à la parole expresse de son maître; et le second de se préférer aux autres disciples : et j’en ajouterais même un troisième, par lequel il s’attribuait tout comme venant de lui-même et de ses seules forces. Jésus-Christ voulant donc remédier à tant de plaies le laissa tomber, et c’est pour ce sujet que, sans parler aux autres, il s’adresse à lui en disant : « Simon, Simon, Satan vous a demandé afin de vous cribler comme on crible le blé », c’est-à-dire, « afin de vous tenter, de vous troubler, de vous effrayer; mais moi j’ai prié pour toi, afin que tu ne perdes point la foi ».5.

Ne savez-vous pas ce que Jésus dit à Pierre: « Simon, Simon, combien de fois Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, et moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point? » Dieu donc, lorsqu’il voit que le fardeau est au-dessus de nos forces , nous tend la main et allège la tentation6.

Comme donc il était visible que Pierre tombait dans l’arrogance et ne cherchait qu’à contester, son Maître l’avertit enfin de ne plus disputer ni s’opposer à ce qu’il veut. Saint Luc nous insinue ces choses, en rapportant que Jésus-Christ dit : « J’ai prié pour vous, afin que votre foi ne vienne point à manquer » (Luc, XXII, 32) ; c’est-à-dire, afin que vous ne périssiez pas entièrement et jusqu’à la fin7.

Les pères qui appliquent cette prière à l’ensemble des apôtres

Ignace d’Antioche

De qui nous délivrera le Seigneur Jésus-Christ, qui a prié pour que la foi des apôtres ne défaille pas, non qu’il ne puisse la conserver par lui-même, mais parce qu’il se réjouissait de la prééminence du Père8.

Les constitutions apostoliques

En effet, [Satan] s’est opposé à ce grand souverain sacrificateur Josué, fils de Jotsadak, et il a souvent cherché à nous cribler, afin que notre foi défaille. Mais notre Seigneur et Maître, l’ayant traduit en jugement, lui a dit : « Que le Seigneur te réprime, ô diable ; et que le Seigneur, qui a choisi Jérusalem, te réprime. N’est-ce pas là un tison arraché du feu ? » Et celui qui a alors dit à ceux qui se tenaient près du souverain sacrificateur : « Ôtez-lui ses vêtements souillés », et a ajouté : « Voici, j’ai ôté tes iniquités », dira maintenant, comme il l’a dit autrefois à notre sujet lorsque nous étions assemblés : « J’ai prié pour que votre foi ne défaille point9. »

Ambrosiaster

Mais à Pierre il dit : « Voici que Satan a voulu vous cribler comme le froment, et j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, et que toi, converti, tu affermisses tes frères. » (Luc 22, 31) Quel doute peut-il subsister ? Il a prié pour Pierre et n’aurait pas prié pour Jacques et Jean, sans parler des autres ? Il est évident qu’ils étaient tous compris avec Pierre ; car lorsqu’il prie pour Pierre, il faut reconnaître qu’il prie pour tous les autres disciples10.


Illustration en couverture : Les disciples Pierre et Jean le matin de la résurrection, Eugène Burnand.

  1. Tertullien, De la fuite pendant la persécution, II.[]
  2. Augustin, Sermon CCX, 6.[]
  3. Basile de Césarée, Homélie sur l’humilité, IV.[]
  4. Hilaire de Poitiers, De la Trinité X, 38.[]
  5. Jean Chrysostome, Homélie 82 sur Matthieu.[]
  6. Jean Chrysostome, Homélie sur ce texte de Jérémie : la voie de l’homme n’est point en lui, 4.[]
  7. Jean Chrysostome, Homélie 73 sur Jean.[]
  8. Ignace d’Antioche, Épître aux Smyrniotes (recension longue), VII.[]
  9. Constitutions apostoliques, VI, II.[]
  10. Ambrosiaster, Questions et réponses sur l’Ancien et le Nouveau Testaments, 75.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *