Augustin sur le danger des statues
21 mars 2025

Face à la critique chrétienne du paganisme, et notamment de son usage des statues pour représenter la divinité, les païens rétorquaient qu’ils n’adoraient pas la statue en tant que telle, mais ce qu’elle représentait. Alors que saint Augustin commente le Psaume 115, dont le propos est essentiellement dirigé contre l’idolâtrie, il fait au passage ces remarques à propos de la nature corporelle de l’homme et du danger à ce qu’une statue soit présentée à ses sens comme objet de dévotion. Ces remarques sont particulièrement pertinentes à notre époque qui s’éprend du visuel, inondés que nous sommes d’écrans.

D’autres croient avoir un culte plus pur, parce qu’ils disent : « Ce n’est ni la statue ni le démon que j’adore, mais je vois dans cette forme corporelle le signe de l’objet que je dois adorer. » Ils assignent donc une signification à chacune de leurs statues, en sorte que l’une est le symbole de la terre—d’où le nom de temple de la terre, templum telluris—, l’autre de la mer, comme la statue de Neptune ; celle-ci de l’air, comme celle de Junon ; celle-là du feu, comme celle de Vulcain ; une autre de Lucifer, comme celle de Vénus ; une autre du soleil, une autre de la lune, dont les statues portent les mêmes noms ; une autre encore de tel ou tel astre, de telle ou telle créature—car nous ne pouvons tout énumérer.

Mais pressez-les de nouveau et reprochez-leur d’adorer des corps, et principalement la terre, la mer, l’air, le feu, dont l’usage nous est ordinaire (car en ce qui regarde les corps célestes, comme ils sont hors de notre portée et que nous ne pouvons les atteindre que par le rayon visuel, ils n’en rougissent pas tant), ils oseront bien vous répondre qu’ils n’adorent point des corps, mais bien les divinités qui y président.

Un seul arrêt de l’Apôtre nous montre quelle sera la peine et la condamnation de tous ces hommes : « Ils ont changé », dit-il, « la vérité de Dieu en mensonge, ils ont honoré et servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles »1. Dans la première partie de cet arrêt, en effet, l’Apôtre condamne les idoles, et dans la seconde, le sens qu’on leur attribue. Donner à des ouvrages qu’a travaillés l’ouvrier les noms des choses que Dieu a faites, c’est changer en mensonge la vérité de Dieu ; mais regarder ces choses comme divines et les adorer, c’est servir la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans les siècles.

Mais où est l’homme qui adore ou qui invoque une idole, et qui ne soit pas disposé à croire qu’il en est écouté, à espérer que cette idole lui accordera ce qu’il désire ? Des hommes donc, engagés dans ces sortes de superstitions, tournent souvent le dos au soleil pour prier devant une statue qu’ils appellent soleil ; et quand ils entendent derrière eux le mugissement de la mer, ils s’imaginent que la statue de Neptune, qu’ils prennent pour la mer, entend leurs sanglots. Tel est l’effet produit, ou plutôt extorqué en quelque sorte par cette conformation des membres.

L’esprit qui vit dans les sens du corps est plus porté à croire qu’il y a du sentiment dans un corps semblable au corps qu’il habite, que dans le soleil dont la forme est ronde, ou dans l’étendue des eaux, ou encore dans ce qui n’est pas circonscrit dans ces lignes qu’il a coutume de voir chez les êtres vivants. C’est pour détruire ce penchant, auquel tout homme charnel se laisse prendre si facilement, que la sainte Écriture nous dit dans ses cantiques des choses très connues, afin de nous les rappeler et de stimuler nos esprits qui s’endorment si facilement dans la routine des corps visibles : « Les idoles des nations », dit-elle, « sont de l’argent et de l’or »2. Mais c’est Dieu qui a créé l’argent et l’or. « Ce sont là des œuvres faites de mains d’hommes. » Car ils adorent ce qu’ils ont fait eux-mêmes avec de l’or et de l’argent3.


Illustration en couverture : Jéroboam offrant un sacrifice aux idoles, Jean-Honoré Fragonard

  1. Rom. 1,25.[]
  2. Ps. 115,4, 135,15.[]
  3. Augustin, Discours sur les Psaumes, CXVb.[]

Maxime Georgel

Maxime est interne en médecine générale à Lille. Fondateur du site Parlafoi.fr, il se passionne pour la théologie systématique, l'histoire du dogme et la philosophie réaliste. Il affirme être marié à la meilleure épouse du monde. Ils vivent ensemble sur Lille avec leurs quatre enfants, sont membres de l'Église de la Trinité (trinitelille.fr) et sont moniteurs de la méthode Billings.

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