L’avortement dans la Bible (2/5) : les textes prophétiques et poétiques de l’Ancien Testament
9 mai 2025

Cet article est le second d’une série consacrée à l’avortement dans la Bible. Le premier examinait les données du Pentateuque sur l’avortement. Dans cet article, je présenterai ce que dit la Bible sur l’avortement dans les livres prophétiques (d’Osée à Malachie) et les livres poétiques de l’Ancien Testament (Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Job et Cantique des Cantiques). Comme d’habitude, je reprendrai étroitement le contenu du livre Avortement. Enjeux théologiques et éthiques (un résumé ici d’Alain Kitt) écrit sous la direction de James Hoffmeier, chapitre 3 (L’avortement dans textes prophétiques et poétiques de l’Ancien Testament, C. Hassell Bullock), pp. 47-54. Pour plus de détails, je vous invite bien sûr à consulter le livre.


Au début, l’auteur fait la distinction entre textes prescriptifs qui énoncent des règles à respecter et textes descriptifs qui se contentent de décrire des faits.

Si l’on cherche un texte prescriptif qui interdit explicitement l’avortement tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est-à-dire tuer un foetus intentionnellement, il est sûr qu’on n’en trouvera pas dans la Bible, ni en particulier dans les deux corpus qu’on examine aujourd’hui. Mais il est quand même possible de trouver et de défendre une position “pro-vie” à partir de textes descriptifs. En effet, on trouve plusieurs textes qui mettent l’accent sur l’importance de la vie humaine, et ce depuis le ventre maternel. Nous présenterons d’abord ces textes-là.

On trouve aussi par contre d’autres textes plus négatifs où certains personnages bibliques parlent de la vanité de la vie ou pour lesquels la mort devient préférable à la vie. Certains, d’après l’auteur, se basent sur ces textes pour dire que la Bible défend l’avortement. Il n’en est rien comme nous le verrons dans une seconde partie du présent article.

I. L’aspect positif de la vie

On trouve tout d’abord le fameux passage très explicite de Psaumes 139 :

C’est toi qui as formé mes reins, Qui m’as tissé dans le sein de ma mère. Je te loue de ce que je suis une créature si merveilleuse. Tes œuvres sont admirables, Et mon âme le reconnaît bien. Mon corps n’était point caché devant toi, Lorsque j’ai été fait dans un lieu secret, Tissé dans les profondeurs de la terre. Quand je n’étais qu’une masse informe, tes yeux me voyaient; Et sur ton livre étaient tous inscrits Les jours qui m’étaient destinés, Avant qu’aucun d’eux existât. Que tes pensées, ô Dieu, me semblent impénétrables! Que le nombre en est grand! Si je les compte, elles sont plus nombreuses que les grains de sable. Je m’éveille, et je suis encore avec toi.

Psaumes 139,13-18

Comme le dit Bullock :

Le passage qui décrit l’attention que Dieu porte au développement prénatal du psalmiste n’interdit pas de manière normative l’avortement. Cependant, le profond respect de la vie au stade prénatal montre de manière descriptive que le poète prend parti pour la vie et sa préservation. Bien que l’aspect normatif soit absent du psaume, sa nature descriptive plaide tellement en faveur du respect de la vie qu’il serait bien difficile d’y voir rien de moins dans la théologie du psalmiste.

On pourrait objecter, cependant, que le psalmiste lui-même, dans le dernier paragraphe, exprime son mépris de la vie en avouant sa haine contre ceux qui détestent Dieu (v. 21). On doit toutefois observer que le contexte est celui de la guerre. Ce qui est en question ici — est-il ou non permis de tuer ? — est d’un tout autre ordre. Les Ecritures font une distinction claire entre le meurtre et la tuerie à la guerre (voir 1 R 2.5). L’enfant qui n’est pas encore né n’a porté atteinte à personne par sa propre volonté et ne mérite en aucune manière la haine de quiconque. S’il fait l’objet d’une quelconque hostilité, il en est entièrement innocent.

Bien que le psaume n’offre aucune parole normative sur l’avortement, il présente certains éléments descriptifs à partir desquels on peut prendre des décisions en faveur de la vie. Un respect de la vie qui se fonde sur le rôle créationnel de Dieu et sur sa participation providentielle devrait influencer nos décisions en faveur de la vie.

L’avortement. Enjeux théologiques et éthiques (Ecrits recueillis et édités par James K. Hoffmeier), pp. 50-51.

On peut également lire dans Jérémie où Dieu dit qu’il a formé Jérémie dans le ventre de sa mère et qu’il le connaissait déjà :

Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète des nations.

Jérémie 1,5

On trouve aussi un passage moins connu dans Amos où Dieu reproche à aux Ammonites, d’avoir éventré des femmes enceintes lors de batailles. Le fait que des peuples païens soient ici en cause est important. Comme ces derniers ne connaissaient pas la loi de Moïse, cela montre que Dieu suppose qu’ils étaient au courant de certaines interdictions morales qu’on peut connaître même si l’on n’a pas accès à sa révélation orale ou écrite (ici à des parties de l’Ancien Testament comme le Pentateuque). Autrement, ces accusations n’auraient aucun sens. Ainsi, ces interdits et cette emphase sur la vie restent toujours valables aujourd’hui pour tous les hommes.

Ainsi parle l’Éternel: A cause de trois crimes des enfants d’Ammon, Même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt, Parce qu’ils ont fendu le ventre des femmes enceintes de Galaad, Afin d’agrandir leur territoire. J’allumerai le feu dans les murs de Rabba, Et il en dévorera les palais, Au milieu des cris de guerre au jour du combat, Au milieu de l’ouragan au jour de la tempête; Et leur roi s’en ira en captivité, Lui, et ses chefs avec lui, dit l’Éternel.

Amos 1,13-15

Comme le dit à nouveau l’auteur de ce chapitre :

On ne peut pas supposer que les Ammonites avaient le même code légal qu’Israël, donc exiger les mêmes modèles de conduite et d’attitudes envers la vie humaine, y compris celle de ceux qui ne sont pas encore nés. Cependant, l’accusation du Seigneur contre les Ammonites laisse supposer que leur désir avide d’étendre leur territoire ne pouvait pas prendre le pas sur le bien-être des femmes enceintes et de leurs futurs bébés. Cette accusation ne peut être justifiée que dans la mesure où elle se fonde sur une sorte de code éthique que les Ammonites comprenaient et acceptaient. Les condamner pour une atrocité permise par leur propre code éthique n’aurait aucun sens. On peut donc conclure qu’Amos s’est fondé sur un code éthique qui réclamait le respect des femmes enceintes et de leur future progéniture, même en période de guerre.

Nous rencontrons une fois encore une déclaration d’ordre descriptif dans cet oracle d’Amos, mais nous y découvrons en filigrane un code qui réglait la vie, y compris celle des bébés toujours dans le ventre de leur mère.

L’avortement. Enjeux théologiques et éthiques (Ecrits recueillis et édités par James K. Hoffmeier), pp. 51-52.

Bullock donne d’autres passages qui défendent l’importance de la vie de tout être humain, même des plus fragiles, démunis et maltraités : Esaïe 10,1-2 ; Amos 2,6-7 et 4,1 ; Proverbes 22,22-23 et 23,10. On peut les appliquer indirectement aux foetus.

II. L’aspect négatif de la vie

Parmi ces textes donnant une vision plus pessimiste de la vie, on en a de nombreux où des prophètes rapporte leur état d’âme alors qu’ils sont découragés. Par exemple celui de Jérémie :

Maudit sois le jour où je suis né! Que le jour où ma mère m’a enfanté Ne soit pas béni! Maudit soit l’homme qui porta cette nouvelle à mon père: Il t’est né un enfant mâle, Et qui le combla de joie! Que cet homme soit comme les villes Que l’Éternel a détruites sans miséricorde! Qu’il entende des gémissements le matin, Et des cris de guerre à midi! Que ne m’a-t-on fait mourir dans le sein de ma mère! Que ne m’a-t-elle servi de tombeau! Que n’est-elle restée éternellement enceinte! Pourquoi suis-je sorti du sein maternel Pour voir la souffrance et la douleur, Et pour consumer mes jours dans la honte?

Jérémie 20,14-18

Les paroles de Jérémie ne sont pas normatives mais plutôt descriptives. Il ne dit pas que la mort est une bonne chose, il décrit simplement sa détresse. Comme l’auteur l’explique, il est inapproprié de penser que Jérémie défend ici indirectement l’avortement ou même des fausses couches :

Il serait tout à fait erroné de voir ici une inclination quelconque en faveur de l’avortement. Ce texte est descriptif au sens le plus strict du terme. Il n’a pas pour objet de prescrire une vision de la vie qui autoriserait l’avortement ou même les fausses couches provoquées. Certains commentateurs doutent que Jérémie ait pensé à l’avortement dans ce passage, car il n’existe pas d’élément prouvant que l’avortement ait été pratiqué à aucun moment de l’histoire d’Israël.

L’avortement. Enjeux théologiques et éthiques (Ecrits recueillis et édités par James K. Hoffmeier), p. 53.

On a bien sûr la lamentation de Job après avoir quasiment tout perdu :

Après cela, Job ouvrit la bouche et maudit le jour de sa naissance. Il prit la parole et dit: Périsse le jour où je suis né, Et la nuit qui dit: Un enfant mâle est conçu! Ce jour! qu’il se change en ténèbres, Que Dieu n’en ait point souci dans le ciel, Et que la lumière ne rayonne plus sur lui! Que l’obscurité et l’ombre de la mort s’en emparent, Que des nuées établissent leur demeure au-dessus de lui, Et que de noirs phénomènes l’épouvantent! Cette nuit! que les ténèbres en fassent leur proie, Qu’elle disparaisse de l’année, Qu’elle ne soit plus comptée parmi les mois! Que cette nuit devienne stérile, Que l’allégresse en soit bannie! Qu’elle soit maudite par ceux qui maudissent les jours, Par ceux qui savent exciter le léviathan! Que les étoiles de son crépuscule s’obscurcissent, Qu’elle attende en vain la lumière, Et qu’elle ne voie point les paupières de l’aurore! Car elle n’a pas fermé le sein qui me conçut, Ni dérobé la souffrance à mes regards. Pourquoi ne suis-je pas mort dans le ventre de ma mère? Pourquoi n’ai-je pas expiré au sortir de ses entrailles?

Job 3,1-11

A noter qu’il maudit seulement le jour de sa naissance sans se suicider comme lui conseille sa femme en maudissant Dieu. De plus, la suite et la fin de l’histoire donne raison à Job de ne pas s’être ôté la vie. En effet, Dieu lui a donné raison et l’épreuve intense a été pour lui une occasion unique de se rapprocher de Dieu et de mieux le connaître comme jamais.

Enfin on a aussi le début du livre de l’Ecclésiaste que l’auteur, étrangement, ne mentionne pas :

Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil?

Ecclésiaste 1,2-3

Mais l’Ecclésiaste nous donne lui-même la clé de lecture correcte de la vie : loin de prôner un nihilisme total, il montre qu’elle peut garder son lot de bons moments, et surtout qu’en Dieu elle peut retrouver un sens profond :

Écoutons la fin du discours: Crains Dieu et observe ses commandements. C’est là ce que doit faire tout homme. Car Dieu amènera toute oeuvre en jugement, au sujet de tout ce qui est caché, soit bien, soit mal.

Ecclésiaste 12,13-14

Pour conclure sur ces textes négatifs, il faut retenir qu’ils ne défendent en aucun cas le suicide et l’avortement. En réalité, ils ne font que rapporter les états d’âme de personnes légitimement en proie à un désespoir absolu.

Les déclarations de désespoir que nous avons examinées offrent donc, à la lumière de ce principe herméneutique, un contraste frappant. Mais elles ne font que décrire le profond découragement dans lequel leurs auteurs se trouvent. Ceux-ci ne recommandent à personne cet état d’esprit comme une disposition psychologique normative et n’accordent aucune place au fléau de l’avortement.

L’avortement. Enjeux théologiques et éthiques (Ecrits recueillis et édités par James K. Hoffmeier), p. 54.


Illustration en couverture : Représentation d’un sacrifice d’enfants à Moloch par un artiste dans le livre Bible Pictures with brief descriptions de Charles Foster, 1897.

Laurent Dv

Informaticien, époux et passionné par la théologie biblique (pour la beauté de l'histoire de la Bible), la philosophie analytique (pour son style rigoureux) et la philosophie thomiste (ou classique, plus généralement) pour ses riches apports en apologétique (théisme, Trinité, Incarnation...) et pour la vie de tous les jours (famille, travail, sexualité, politique...).

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