Dans l’urgence de la situation actuelle, alors que l’euthanasie (qui n’est rien de moins que le fait de tuer intentionnellement un être humain) s’apprête à être votée par l’Assemblée nationale et que peu de ressources sur le sujet sont disponibles en français pour les chrétiens protestants et évangéliques, je vous propose un extrait du très bon de livre de bioéthique Manières de penser. Arguments et tromperies en bioéthique (le chapitre II Où l’on comprend mieux comment les mots qui sont nos œuvres peuvent nous trahir – Le cas de l’euthanasie) de Bruno Couillaud, un philosophe catholique thomiste qui a aussi écrit une introduction assez récente très complète à la logique classique ou aristotélicienne. Dans cet extrait, Couillaud montre pourquoi l’expression « droit de mourir dans la dignité » repose sur un sophisme.

Nous pouvons maintenant regarder non plus seulement les manières frauduleuses de désigner l’euthanasie, mais quelques-uns des arguments invoqués pour en défendre la légitimité.
Le « droit de mourir dans la dignité »
C’est le plus courant : le 24 mars 2012 s’est tenu à paris un meeting en faveur de l’euthanasie, organisé par l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Bertrand delanoë, soutien de longue date à cette cause, a déclaré à la tribune du Cirque d’hiver à laquelle tous les candidats à la présidentielle avaient été conviés :
Je milite pour qu’on puisse exercer son droit à mourir dignement. C’est un des droits fondamentaux.
Il y a là un sophisme sur « dignité » qui ne devrait plus abuser personne? En effet, la dignité de la personne humaine est un principe intangible qui s’attache à la nature profonde de tout homme, à la nature humaine, créature raisonnable, personne et non chose : on pourrait l’appeler dignité ontologique1 puisqu’elle découle de l’être.
C’est autre chose que la dignité entendue comme fierté, amour-propre, au sens où l’on peut « manquer de dignité », éventuellement même par laisser-aller ou vulgarité : il s’agit alors d’une dignité morale ou psychologique, voire purement physique comme dans le cas du monsieur très « digne » qui glisse sur un trottoir et perd toute dignité.
On pourrait enfin parler, en un troisième sens, d’une dignité juridique, celle qui est attachée à une charge ou à un état et que peut perdre, par exemple, le citoyen qui est frappé d’indignité.
Le sophisme de l’équivocité* fonctionne ici de la manière suivante : on prend prétexte de certaines situations de grande déchéance physique et même morale : souffrance extrême, états d’inconscience ou de perte d’autonomie, etc., certes humiliantes, douloureuses et insupportables même, légitimement ressenties comme indignes de l’homme. Mais on suggère alors qu’elles détruisent en lui son humanité et sa dignité, l’expression courante étant de l’affubler du terme de légume, insinuant par là qu’il régresserait au stade d’un végétal. La conclusion s’en suivrait alors : plutôt que d’attendre cet état d’indignité, anticipons la mort en la provoquant pour mourir comme un homme, dignement ! Citons encore ici les propos du professeur Barnard :
D’une manière générale, les valeurs suprêmes de notre héritage religieux résident dans la personne humaine avec sa totalité, sa liberté, son intégrité et sa dignité. Quand la maladie réduit la personne humaine à un état dans lequel elle a perdu cette liberté, cette intégrité et cette dignité, alors le plus précieux est perdu.
Christiaan BARNARD, Choisir sa vie, choisir sa mort, Belfond, 1981, dont des « bonnes feuilles » ont été données dans un Document Paris Match de la même année..
Mais au sein de ces états, souvent dramatiquement subis, où la dignité physique ou morale d’un malade est très altérée, personne ne pense sérieusement que celui qui les endure perd sa dignité ontologique, certes voilée derrière des apparences parfois intolérables. À moins de ne faire de cette dignité qu’une possession précaire, relative au regard subjectif que moi-même ou les autres portent sur moi… mais alors ce ne serait plus ma dignité ontologique ! Non, c’est justement le contraire, l’urgence ressentie de la compassion, des soins et de l’accompagnement sont bien la preuve que tout doit être mis en œuvre pour qu’un malade ne meure pas comme une bête, mais conformément à sa dignité d’homme. Celui qui meurt dans cet état, n’a donc pas pour autant perdu sa dignité. L’argument de la dignité n’est donc pas un argument pour supprimer les souffrants.
La Mère Teresa de Calcutta, parmi d’autres, nous a montré le contraire en accompagnant nombre de mourants, ayant même ouvert son mouroir2 et réservé ses soins à ceux qui ne pouvaient plus supporter de traitements médicaux, afin de leur procurer une mort conforme à la dignité d’un homme :
Ceux qui meurent avec nous meurent en paix, disait-elle. C’est pour moi le plus grand accomplissement de la vie humaine : mourir en paix et dans la dignité, car c’est pour l’éternité.
Mère Teresa – Foi et compassion – La vie et l’œuvre de Mère Teresa, Navin Chawla & Raghu Rai, Dangles, 1997, p. 63.
Illustration de couverture : Ilya Efimovich Repin, Job et ses amis, huile sur toile, 1869.
0 commentaires