Dans l’urgence de la situation actuelle, alors que l’euthanasie (qui n’est rien de moins que le fait de tuer intentionnellement un être humain) s’apprête à être votée par l’Assemblée nationale et que peu de ressources sur le sujet sont disponibles en français pour les chrétiens protestants et évangéliques, je vous propose un extrait du très bon de livre de bioéthique Manières de penser. Arguments et tromperies en bioéthique (le chapitre II Où l’on comprend mieux comment les mots qui sont nos œuvres peuvent nous trahir – Le cas de l’euthanasie) de Bruno Couillaud, un philosophe catholique thomiste qui a aussi écrit une introduction assez récente très complète à la logique classique ou aristotélicienne. Dans cet extrait, Couillaud montre pourquoi de nombreuses expressions au sujet de l’euthanasie sont trompeuses : « aide active à mourir », « assistance médicalisée pour mourir », « aider à partir dignement », « aide à mourir de compassion », « aide à mourir aux mourants », « facilitateurs de la mort ».

Les choses, les idées et les mots
La raison particulière de chaque homme égaré par ses passions n’est souvent qu’un sophiste qui plaide leur cause 1. Les choses, les idées et les mots. Nous allons parler dans ce chapitre de certaines façons sophistiques d’aborder les questions de fin de vie et d’euthanasie mais auparavant, il n’est pas inutile de se pencher un peu sur la nature des mots dans leur relation aux idées que nous formons dans notre esprit face aux choses que nous connaissons.
Conformément à notre expérience commune, les choses sont présentes dans la réalité et sont les mêmes pour tous, raison pour laquelle nous pouvons dire que nous parlons ou ne parlons pas des mêmes choses. Pour nous comprendre nous mettons en œuvre notre aptitude naturelle au langage pour forger les mots. Éléments de la langue, ils sont le fruit d’une création humaine – l’homme est cet « artisan de nom » dont parle Platon1 – et diffèrent selon les cultures. Mais une culture particulière n’est jamais à ce point originale qu’elle soit affranchie de son enracinement dans la nature humaine universelle qui la fonde. Un mot est ainsi une œuvre humaine destinée à signifier les choses. Le fait-il directement ? Non pas mais par l’intermédiaire de ce que notre intelligence en saisit. Le mot signifie ainsi le concept ou la notion que nous avons d’une chose. Face à un cheval, par exemple, je puis dire en pointant le doigt: animal, cheval, quadrupède, coursier, alezan, etc., selon que j’exprime telle ou telle connaissance que j’en ai. Nous nommons donc les choses comme nous les connaissons et comme le dit Aristote : « Les mots sont les signes des états de l’âme (ou concepts) et ces derniers sont les similitudes des choses2 ». Les mots ne renvoient donc pas aux choses d’une manière directe mais à la pensée qu’on en a. Le mot signe de la chose… non, mais du concept que mon intelligence en forme. C’est ce triangle mot-idée-chose qui opère lorsque nous conduisons notre pensée des choses par l’intermédiaire des mots.
De plus il ne faut pas confondre une définition nominale 4 (ou « définition de mot ») d’une définition réelle (ou « définition de chose »). La première est liée à l’usage d’un mot dans une langue et renvoie à la convention linguistique, la seconde tâche d’être essentielle et est relative à la chose même, à son être réel tel que mon intelligence le conçoit. Par exemple, je puis admettre de désigner par le mot justice : la qualité de celui qui est droit ou juste. Définition nominale suffisante pour ne pas me tromper dans l’usage du mot, car il est convenu que, dans notre langue, ce mot sert également à désigner l’institution sociale chargée de faire régner la loi. Maintenant, en précisant progressivement le concept de justice au sens retenu de qualité de celui qui est droit ou juste, je pourrais la définir, par un raisonnement de type philosophique, comme la disposition permanente de la volonté à rendre à chacun ce qui lui est dû. Par cet énoncé je veux cette fois atteindre la nature ou l’essence de la justice comme espèce de qualité humaine ou sorte de vertu morale, c’est-à-dire sa définition réelle. Un dictionnaire a pour tâche principale d’enregistrer les significations conventionnelles d’un mot dans une langue. Le travail de la pensée, guidé par l’art logique, vise à former les définitions réelles, c’est-à-dire à connaître les choses et pas seulement la signification des mots.
Cela dit, l’homme est économe en matière de création de mot, comme il l’est dans toutes ses activités. En raison d’abord de la nature de son intelligence qui rejoint les choses dans ce qu’elles ont en commun d’essentiel et qui conçoit cet essentiel de façon universelle : par un seul mot, cheval, je dis ce que mon intelligence conçoit d’essentiel à tous les chevaux. Mais cette économie en matière de mot vient aussi sans doute d’une certaine paresse, car chacun sait qu’un homme est paresseux en proportion de son intelligence : ainsi un français est-il assez intelligent pour ne pas confondre les significations de homme au sens de humain et homme au sens de masculin. Si le mot est extérieurement le même, la notion désignée par le mot est différente. Les féministes francophones ne s’insurgent-elles pas à juste titre contre les mâles qui se seraient accaparés le nom de l’espèce, quand plus de la moitié des hommes sont des femmes ? En Latin, un allemand, évitent cette équivocité* en inventant deux mots: homo ou vir, Mensch ou Mann. Bien sûr cette paresse est plutôt un signe de la grande finesse de l’intelligence humaine, apte à l’analogie* ou encore à la métaphore* et à toutes les nuances terminologiques, quand la machine informatique avec ses logiciels de traduction n’y accède que très imparfaitement et presque comme par hasard. Il n’y a pas si longtemps un ordinateur avait traduit la phrase : « L’esprit est prompt mais la chair est faible » du français à l’italien puis, tour à tour, en divers idiomes européens pour revenir finalement au français avec cette bonne nouvelle : « Le fantôme court vite mais la viande est avariée » !
La plupart du temps, le seul contexte de l’emploi d’un mot sert à identifier sa signification. Mais lorsqu’il y a doute on peut frôler les précipices comme dans ce trait du polémiste Henri Rochefort :
La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement ?
La Lanterne, n° 1, 30 mai 1868.
Mais il s’agit alors de faire une plaisanterie, un bon mot justement, et personne n’est dupe ici de l’équivocité du mot « sujet ». En revanche les choses se gâtent avec une phrase du genre :
Nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir avec décence 6 ?
Cf. Le texte de l’appel signé par 2 000 soignants en faveur de l’euthanasie, nouvelobs.com, 8 mars 2007.
« Aider à mourir », cette expression ne nous agace-t-elle pas immédiatement ? Difficile à décrire, cet agacement ! Pourtant il est comme un signal, une réaction de l’intelligence qui sent le piège, car pour reprendre ce que disait André Frossard à propos de l’euthanasie:
N’existe-t-il pas une « différence fondamentale », de toute évidence, entre les deux procédures – expédier un malade et le laisser partir ?
« La mort douce », Le Figaro, 19 juillet 1990.
Dépasser ces agacements par une analyse réfléchie est justement le propre de ce qu’Aristote appelle la « solution des sophismes* ». Pour cela, il faut d’abord identifier l’expression litigieuse puis montrer comment, sous une apparente unité matérielle, elle cache une dualité de signification donc une source d’erreur. C’est le symbole de l’antique serpent trompeur, qui n’est pas seulement cet animal rampant et sournois qu’on ne voit pas venir, mais surtout cette langue bifide, image du double langage !
Nous allons voir dans ce chapitre que l’usage des mots et des expressions ambigus ou biaisés est un moyen de tromper la vigilance morale (éthique) des lecteurs ou des débatteurs.
COMMENT DÉSIGNER L’EUTHANASIE POUR LA FAIRE ACCEPTER
Un manifeste ambigu : qu’est-ce que aider à mourir ?
Donnons-en le texte complet :
(1)3 Parce que, de façon certaine, la maladie l’emportait sur nos thérapeutiques, parce que, malgré des traitements adaptés, les souffrances physiques et psychologiques rendaient la vie du patient intolérable, parce que le malade souhaitait en finir, nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir avec décence.
(2) Tous les soignants ne sont pas confrontés à ce drame, mais la majorité de ceux qui assistent régulièrement leurs patients jusqu’à la mort, utilisent, dans les circonstances décrites, des substances chimiques qui précipitent une fin devenue trop cruelle, tout en sachant que cette attitude est en désaccord avec la loi actuelle.
(3) Des améliorations ont été apportées par les textes législatifs d’avril 2005 (loi Leonetti) mais elles sont insuffisantes. Les récentes mises en examen de médecins et d’infirmières ayant aidé leurs patients à mourir prouvent que la loi est toujours aussi répressive et injuste car en décalage avec la réalité médicale.
(4) Aussi nous demandons : l’arrêt immédiat des poursuites judiciaires à l’encontre des soignants mis en accusation; une révision de la loi dans les plus brefs délais, dépénalisant sous conditions les pratiques d’euthanasie, en s’inspirant des réformes déjà réalisées en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas; des moyens adaptés permettant d’accompagner les patients en fin de vie, quels que soient les lieux (domicile, hôpital, maisons de retraite) et les conditions de vie.
(5) Il s’agit là, d’accorder à chaque personne, une singularité, une valeur absolue, qui se nomme, selon le préambule et l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : la dignité.
Analysons cette expression du § (1) : « nous, soignants, avons, en conscience, aidé médicalement des patients à mourir avec décence », reprise plus bas § (3) : « médecins et infirmières ayant aidé leurs patients à mourir ».
Aider peut en effet signifier assister, soulager, soutenir, accompagner de sa présence et c’est d’ailleurs cela qu’il signifie en premier. Aider quelqu’un ne voulant jamais dire d’ailleurs faire à sa place. Certains dictionnaire signale pour le mot assister que l’expression était usitée « en parlant d’un prêtre, pour assister un malade, un condamné à mort, l’aider à mourir4 ». Le philosophe Paul Ricœur dit même : « L’agonie n’est pas la fin, mais la lutte pour la fin, vers la fin. À cette lutte nous participons, aidant le moribond à lutter (comme dit Heidegger, nous n’assistons pas à la mort, nous assistons le mort)5 ».
Mais aider peut aussi être employé dans un sens large et impropre. Par exemple, un parachutiste débutant peut être aidé à passer la porte de l’avion, alors qu’il défaille et hésite : le largueur l’aide à sauter mais c’est en le poussant alors violemment dans les airs et, en fait, il le force à sauter. Il en sera d’ailleurs remercié par ce dernier ! En ce second sens, aider à mourir veut dire forcer à mourir, pousser dans la mort, provoquer la mort, au sens où un vétérinaire aide à mourir un cheval blessé qu’on ne pourra soigner : il l’achève. On achève bien les chevaux, achève-t-on les hommes, là est la question !
Certains se la posent effectivement :
Je me suis toujours demandé ce qui pourrait bien pousser une âme compatissante à mettre fin aux souffrances d’un animal condamné mais à refuser de rendre le même service à l’un de ses semblables ?
Christiaan BARNARD, Choisir sa vie, choisir sa mort, Belfond 1981, dont des « bonnes feuilles » ont été données dans un Document Paris Match de la même année.
L’expression aider à mourir est donc double, et son usage glissant: on peut être d’accord pour assister un malade au seuil de la mort sans être d’accord, en conscience précisément, pour provoquer celle-ci. Un tel manifeste est donc en partie sophistique : que est-ce que je m’autorise comme pratique en acceptant en conscience d’aider médicalement des patients à mourir avec décence ? Au seul regard de la logique, je ne puis signer un tel manifeste.
On peut noter d’ailleurs que l’ambiguïté se prolonge au § (4) où l’on demande « des moyens adaptés permettant d’accompagner les patients en fin de vie ». À nouveau, que entend-on par « accompagner » : l’euthanasie ou les soins palliatifs ?
Le sophisme consiste donc à utiliser cette expression double pour faire passer, sous le couvert de la première signification et au nom de la générosité qu’elle connote – aider –, un acte homicide visé comme tel par la deuxième signification.
Mais soyez honnête, nous dira-t-on ! Dans le texte invoqué, l’ambiguïté n’est-elle pas levée au § (2) lorsqu’on parle d’utiliser, « dans les circonstances décrites, des substances chimiques qui précipitent une fin devenue trop cruelle » ? Là encore, il faut dire non, car le doute subsiste à nouveau. Chacun sait en effet que certains analgésiques puissants (« substances chimiques »), la morphine, par exemple, peuvent hâter (premier sens de « précipiter », sens temporel) la mort et leur usage pourrait alors en un sens « précipiter une fin devenue trop cruelle ». Mais sans qu’à aucun moment on ait eu l’intention de provoquer directement (deuxième sens de « précipiter », sens d’un acte forcé) la mort comme cela peut se faire par injection mortelle, par exemple, de chlorure de potassium (« substances chimiques » également).
Certes, personne n’est vraiment dupe puisque l’on parle au § (4) de dépénaliser « sous conditions les pratiques d’euthanasie, en s’inspirant des réformes déjà réalisées en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas » et l’on connaît la teneur des lois dans ces pays. Elles dépénalisent l’euthanasie pratiquée dans certaines conditions par des médecins. Cela dit, ces pays ne se voilent pas la face et l’on n’y parle pas comme ici d’« aider à mourir », car les mots y sont clairs et sans ambiguïté : « interruption de la vie », ou « acte pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne, à la demande de celle-ci6 ». On sait alors précisément avec quoi on est d’accord ou non.
Bien sûr, nous ne disons pas que ces situations de fin de vie sont faciles à gérer médicalement. C’est précisément la raison pour laquelle l’unité de sens des mots doit être la première exigence à respecter pour qui veut aborder ces questions avec quelque chance d’y voir clair.
En résumé, l’expression « aider à mourir » est double : assister ou forcer, c’est un sophisme de l’homonymie* (ou de l’équivocité*). Elle cache l’action de donner la mort sous le couvert d’une assistance au mourant. Les partisans déclarés de l’euthanasie les plus sincères se trompent donc eux-mêmes en déclarant qu’ils ne veulent pas « donner la mort » mais « aider à mourir7 »!
La fortune de cette expression
Elle possède les qualités de l’euphémisme et c’est sans doute la première raison pour laquelle on la préfère à celle d’euthanasie, comme l’avoue le docteur Schwarzenberg lors de son Heure de vérité, du 5 septembre 1988 :
– Avez-vous, vous-même, euthanasié beaucoup de vos malades ?
– Premièrement, je n’aime pas beaucoup le mot « euthanasié »…
– Les avez-vous aidés à mourir ?
– Oui. Beaucoup, non. Quelques-uns. Ceux qui le demandaient.
Le Comité consultatif national d’Éthique (CCNE) dans son avis du 27 janvier 2000 employait la même ambiguïté :
Pourtant, l’euthanasie active resterait une infraction. Mais dans certaines circonstances, il serait admis des dérogations et des exonérations quant à la culpabilité de celui qui aide à mourir.
Un peu plus loin cependant, on lit que les circonstances indiquées, pour tel ou tel type de malade, feraient que « le geste d’interruption de sa vie par un tiers ne devrait pas être incriminable ». L’expression est alors claire et si celui qui « aide à mourir » pose un « geste d’interruption de la vie », il s’agit bien de donner la mort et non simplement d’aider le mourant. Pourtant, plus loin encore, en parlant de « demande d’assistance à une mort consentie », on retombe dans la même ambiguïté, à la fois sur « consentie » et sur « assistance ».
Un sondage IFOP de 2002 révélait à son tour que :
La dépénalisation de l’aide apportée à mourir, sur la demande expresse de la personne concernée,
Est souhaitée par 88% des sondés ! Probable que dans ce pourcentage figure un certain nombre de sondés abusés par l’expression.
« Je l’ai aidé à mourir8 », disait également Christine Malèvre, une infirmière condamnée pour avoir mis fin à la vie d’un certain nombre de patients. N’a-t-elle pas elle-même été victime de cette tromperie ?
Il semble donc que les acrobaties de langage ne réussissent pas à faire exister un tertium quid, un acte intermédiaire entre : être présent auprès de celui qui meurt en l’aidant de mille façons (soins palliatifs, anti douleurs, etc.) ou attenter directement à sa vie en la supprimant (euthanasie).
Quelques variantes et expressions voisines
Lundi 4 juin, entre les deux tours de la présidentielle, le futur premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a rappelé que François Hollande « n’a jamais employé le mot euthanasie9 ». Cependant, Jean-Luc Romero, président de l’association pour le droit de mourir dans la dignité et conseiller régional PS, précise que « l’assistance médicalisée » évoquée par le président de la république signifie « pouvoir bénéficier d’un produit létal qui va permettre de partir dignement ». Il relève ainsi « l’hypocrisie » et « la trouille des politiques à utiliser le mot euthanasie »10. Dans la bataille politique, les uns continuent à se camoufler, les autres sortent du bois ! Mais la requête d’honnêteté affichée ici par Jean-Luc Romero ne peut faire oublier la richesse d’inventions sémantiques frauduleuses visant à cacher la réalité de ce qui est promu.
– « Aider à partir11 », « partir dignement12 »
On ajoute ici un euphémisme* sur partir. L’euphémisme est une figure de rhétorique mais il peut être un sophisme à part entière quand il altère la signification du mot qu’il remplace : pousser par la porte n’est pas la même chose que laisser partir ! Ici, partir est retenu dans la langue pour signifier familièrement la mort (partir c’est mourir un peu !) en atténuant sa gravité. Dignement ? On en parlera plus loin en étudiant le fameux droit de mourir dans la dignité.
– « Aide à mourir de compassion »
Quelle est votre position sur l’euthanasie ?
Le mot euthanasie dérange énormément. J’évite de l’employer car il y a un amalgame dans notre société. On mélange l’aide à mourir au mourant, le suicide assisté aux bien-portants et l’euthanasie des pitbulls qui sont dangereux. Cette méconnaissance générale terrifie tout le monde et efface le rôle humain de l’infirmière. À l’hôpital, les infirmières aident à vivre en soignant mais elles aident aussi à mourir.
Selon vous, faut-il légaliser l’euthanasie ? Je souhaiterais qu’il y ait un encadrement législatif. Il me semble qu’il faudrait dépénaliser les aides à mourir de compassion mais condamner les suicides assistés, qui constituent une victoire de la solitude et un échec de l’accompagnement.
Béatrice PICCINI, auteur de Euthanasie, l’hôpital en question, Michalon, interrogée dans Métro, 28 janvier 2003.
Ce texte montre d’abord un cas de fausse division* et un sophisme de l’accident*.
L’auteur a une bonne réaction en signalant une possible confusion sous le même terme « euthanasie » de choses différentes. L’amalgame* est en effet un mot moderne pour désigner plusieurs types de sophismes et revient à mettre ensemble (amalgamer) pour les identifier des choses différentes. Elle relève donc qu’il pourrait y avoir avantage à profiter du mot « euthanasie » pour tromper, soit. Cette distinction de trois sens est-elle pour autant la bonne ? En effet, l’auteur se rend-elle compte que sa division est extrinsèque et accidentelle*, c’est-à-dire qu’elle repose sur des éléments particuliers, accessoires à l’euthanasie et qui n’en changent pas la nature ?
- « Aide à mourir aux mourants », on l’a vu, n’est pas une expression simple mais équivoque* et il faudrait à nouveau préciser. Premier sens: aider la mort (homicide) ou second sens: aider le mourant (soin)?
- « Suicide assisté aux bien-portants » : peut malheureusement recouvrir à nouveau et en partie l’« aide à mourir… » au premier sens. De plus, l’usage ne retient pas le terme d’euthanasie pour des bien-portants !
- « Euthanasie des pitbulls » enfin consiste à donner la mort et c’est encore l’un des sens possibles (le premier) de « aide à mourir », même s’il s’agit d’animaux !
En fait, le désir de clarté pousse à distinguer, mais si la division est mal faite, elle devient créatrice de confusion, profitable à l’euthanasie au sens de « action de donner la mort », puisqu’il peut s’agir de ce même sens dans les trois cas.
Il faudrait mieux dire que « euthanasie » peut désigner deux choses très différentes :
- Soit « donner la mort par pitié, compassion, etc. », quelles qu’en soient les motivations ou les patients : mourants, déprimés qui réclament d’en finir, animaux souffrants ou dangereux… on y retrouve alors les trois sens donnés par Mme Piccini.
- Soit « accompagnement (soins palliatifs), refus d’obstination déraisonnable, soulagement de la douleur au risque d’entraîner la mort » : certains voudraient y voir une forme atténuée d’euthanasie (passive) mais cet usage tend légitimement à disparaître car il ne s’agit pas d’euthanasie.
Notons ensuite l’ajout de la « compassion ». C’est une mobilisation de l’affect dans le cas où l’« aide » désigne, sans le dire, une forme d’homicide. La compassion peut excuser l’acte mais elle n’en change pas la nature. Mais la compassion peut s’associer à d’autres actes comme les soins d’accompagnement qui atténuent la douleur, etc. S’appuyer sur la compassion pour changer la nature de l’acte est encore un sophisme de l’accident*.
Relevons enfin un aveu de taille, probablement involontaire : les infirmières « aident à vivre en soignant mais elles aident aussi à mourir »… en quoi faisant ? Ça n’est pas dit, que est-ce que cela cache ? Ce que l’on ne peut nommer : en tuant !
– « Assistance médicalisée pour mourir »
Le 24 mars 2012, au meeting en faveur de l’euthanasie, organisé par l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) au Cirque d’hiver à Paris, le candidat socialiste François Hollande s’est déclaré partisan d’une évolution, pour instaurer dans « des conditions précises et strictes » une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Cette expression, alternative à celle d’aide à mourir de compassion, a la même valeur sophistique. En aucun cas une « assistance médicalisée » n’implique l’idée d’une euthanasie au sens de « action de donner la mort » ! De plus, une assistance médicale ou médicalisée désigne habituellement et d’abord une action de soin, de traitement, de prise en charge médicale, fut-ce comme ici au seuil de la mort et non cette « injection avec intentionnalité de décès », expression limpide quoique un peu affectée, employée par A. Comte-Sponville, lequel par ailleurs compte parmi les défenseurs d’une telle pratique13.
C’est un sophisme car l’emploi de « médicalisé » indique un acte fait par un médecin, une infirmière, etc., ou par des moyens médicaux, ou dans un lieu médical, autant de circonstances considérées comme positives et rassurantes en même temps que légitimes : la médecine s’occupe de moi ! Mais ces circonstances ne disent en rien l’acte désigné ici : donner la mort et « assistance médicalisée » n’en dit pas la nature essentielle. C’est à nouveau, donc, un sophisme de l’accident* : ce n’est pas parce qu’un médecin pose ce geste de donner la mort que cela devient de la médecine, ni parce qu’on y emploie des substances employées également en médecine, ni parce que cela se fait à l’hôpital. Le code de déontologie, dans son article 38, stipule que le médecin « n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort » de son malade. C’est pourtant la requête des partisans de l’euthanasie, elle conduirait immanquablement à changer le code de déontologie !
Cette expression est employée alternativement avec celle de « aide active à mourir » que nous étudions plus loin.
Elle est aussi reprise dans le sondage réalisé par la SOFRES à la demande de l’association pour le droit de mourir dans la dignité, les 21 et 22 février 2007, sondage ambigu et sophistique: on peut vouloir répondre oui quand on est favorable aux soins palliatifs et on accepte alors sans le savoir l’euthanasie, camouflée sous une expression cheval de Troie ! Voici les questions posées :
- Le fait qu’un candidat à l’élection présidentielle prenne position en faveur de l’assistance médicalisée pour mourir vous inciterait-elle plutôt à voter pour lui, ou plutôt à ne pas voter pour lui ?
- Selon vous, une modification de la loi qui permettrait aux malades d’obtenir à leur demande une assistance médicalisée pour mourir est-il un sujet de débat pour la campagne présidentielle ?
Le CCNE, à son tour, disait dans l’avis cité plus haut : « En termes juridiques, une dépénalisation de l’assistance à mourir devrait protéger suffisamment la liberté de chacun et éviter l’actuelle clandestinité et son cortège de déviances ». Mais en quoi une telle assistance serait-elle pénalisante ? C’est bien qu’elle désigne tout autre chose que ce que l’on entend couramment par une assistance médicale.
Cette expression a une certaine fortune dans l’histoire des expressions trompeuses jusqu’au dernier acte d’un certain feuilleton législatif, quand le sénat français débattait en janvier 2011 de deux nouvelles propositions de lois. L’une émanant du sénateur UMP Alain Fouché, prévoit :
que toute personne capable, en phase avancée ou terminale d’une affection reconnue grave et incurable ou placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier (…) d’une assistance médicalisée pour mourir.
(On verra plus bas ce que l’on peut penser de cette invocation de la dignité.)
Une autre à l’initiative du sénateur PS Jean-Pierre Godefroy, propose :
que toute personne majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée et qu’elle juge insupportable, peut demander à bénéficier (…) d’une assistance médicalisée pour mourir.
Proposition reprise dans le programme socialiste à la présidentielle de 2012, Le changement c’est maintenant – Mes 60 engagements pour la France, F. Hollande, proposition 21 (cf. www.parti- socialiste.fr): « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »
(On examinera plus bas également la question de savoir si l’euthanasie apaise les souffrances.)
D’aucun parmi les parlementaires espère toutefois que la centriste Muguette Dini, qui fait parti du comité de parrainage de l’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) « en fera une seule et même proposition, ce qui donnerait plus de force à leur démarche14 ». On peut légitimement se demander en quoi l’addition de trois tromperies – assistance médicalisée pour mourir + dignité + apaisement de la souffrance – donnerait plus de force à une proposition de loi !
– « Aide active à mourir »
Cette formule ne date pas d’hier. On la trouve déjà sous la plume du célèbre professeur Barnard, il y a trente ans :
Depuis des siècles la société fait confiance à la profession médicale quand il s’agit d’aider activement le malade à guérir. Permettre au médecin d’aider activement le patient à mourir n’est qu’une extension de cette confiance.
Mais plus loin, le texte n’offre plus aucune ambiguïté, lorsque le professeur évoque son frère Marius et lui-même, impuissants devant les souffrances d’un malade :
Il n’était plus en mesure de parler mais, dans ses yeux caverneux, on lisait un appel à l’aide. Il n’existait qu’une forme d’aide efficace… et cette forme était interdite par la loi. Quand nous nous éloignâmes, Marius et moi, horrifiés par notre impuissance, nous échangeâmes un serment : celui de nous deux qui se retrouverait dans une telle condition pourrait compter sur l’aide de l’autre pour l’en tirer. Nous nous mîmes d’accord sur une double procédure : si le malade était devenu incapable de mouvement, il faudrait lui administrer la dose fatale, si au contraire il restait capable de bouger, il suffirait d’abandonner à son chevet suffisamment de comprimés pour qu’il puisse se suicider.
Christiaan Barnard, op. Cit.
L’auteur est assez clair ici pour dire de quelle aide il s’agit ! Il s’agit bien du sophisme d’équivocité décrit plus haut et qui revient en force aujourd’hui.
Cette expression apparaît effectivement dans quatre propositions de loi de ces dernières années dont l’historique est significatif.
- Dans la proposition du 4 mars 2009 (Yves Cochet et alii), l’expression « aide active à mourir » apparaît dans la plupart des articles. Le malade dans certaines circonstances peut en avoir le « bénéfice », exprimer sa « volonté d’être aidé à mourir », le médecin « y apporter son concours ». Il existera une « Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir », il sera tenu un « registre national » (art. 4). Cette « aide » équivaudra à une « mort naturelle » (art. 11), ne sera « pas considérée comme un meurtre » (art. 12) ni « un empoisonnement » (art. 13).
Sous ce vocable ambigu d’« aide active à mourir », il s’agit bien pourtant de ce que l’on appelait parfois euthanasie active (encore l’« action ») et le doute n’est plus possible sur la nature de « l’acte » lorsque la loi emploie cette formule sans ambiguïté : « une personne peut demander qu’il soit mis fin à sa vie par un moyen indolore » (art. 1, art. 6). Nous ne sommes pas trompés, dira-t-on ! Il n’y aurait donc pas ambiguïté ni sophisme ! Pourtant, la grande fréquence d’emploi de l’expression rassurante « aide active… » semble montrer au contraire qu’elle est préférée à toute autre expression et en passe de supplanter celle, plus radicale, d’euthanasie.
Il s’agit bien ici d’un sophisme. En effet une aide est une sorte d’action. Alors pourquoi parler, de manière redondante, d’une « aide active » ? Cela engendre une triple redondance que n’évite pas le rédacteur : « l’acte d’aide active à mourir » (art. 3, art. 7) redondance qui fait souffrir la langue autant que la pensée. On ne veut pas parler clairement de la nature spécifique* de cette action de donner la mort, alors on la camoufle en conservant son nom générique : actif. Mais des soins d’accompagnement qui ne donnent pas la mort sont également une sorte d’action visant à aider le mourant, une « aide active à mourir ». Prendre le genre pour l’espèce est un sophisme du conséquent* : si toute euthanasie est une action d’aide, toute action d’aide ou « aide active » n’est pas une euthanasie ! On peut vouloir aider activement un mourant sans le faire mourir.
- La substitution forcée de cette expression à celle d’euthanasie est confirmée par la proposition du 8 juillet 2009 (G. Peiro), quasiment la même que la précédente hormis son titre : « reconnaissance de l’exception d’euthanasie et de l’aide active à mourir ». Si l’exposé des motifs parle d’une « aide active à la mort pour abréger les souffrances », l’art. 1 est moins précis, compte tenu de tout ce que nous venons de dire, le voici au complet : « La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d’une aide active à mourir ».
- Celle du 7 octobre 2009 (J.-M. Ayrault et alii) parle, dans l’exposé des motifs, d’« une aide active pour mettre fin à leur vie », n’est-ce pas clair, nous dira-t-on ? Mais la loi elle-même ne parle jamais que « d’aide active à mourir », un seul article stipule que « les médecins établissent, dans un délai de huit jours au plus, un rapport déterminant si l’état de la personne concernée justifie qu’il soit mis fin à ses jours » (art. 4), expression non ambiguë il est vrai.
- Des sénateurs socialistes enfin, conduits par Jean-Pierre Godefroy, ont déposé une proposition de loi sur « l’aide active à mourir » en juillet 2010. Des propositions seront encore discutées régulièrement, car l’homme de lobby sait que la falaise résiste mais finit par s’effondrer quand le ressac à sa base se fait régulier et incessant.
Que conclure ici ? Curieusement, chacune de ces propositions de loi contient au moins une fois et comme une butte témoin, une expression claire sur la nature de l’acte qui serait autorisé, comme par exemple l’expression : mettre fin à la vie. Mais la désignation autorisée et qui est inlassablement répétée dans ces textes, parce qu’elle est celle qui doit devenir courante, est celle-ci : aide active à mourir ! Car maquillée sous cette ambiguïté, une loi a plus de chance d’être acceptée dans l’opinion.
Cette expression est d’autant plus prisée qu’elle augmente les pourcentages recueillis dans l’opinion au cours d’enquêtes. Le dernier appel aux candidats à l’élection présidentielle, émanant de l’ADMD (mars 2012) Appel pour la légalisation du droit de mourir dans la dignité, propose à la signature cette assertion :
C’est pourquoi je vous demande, avec les 94 % de Français qui approuvent le recours volontaire à une assistance active à mourir, de prendre l’engagement solennel si vous êtes élu(e) à la présidence de la République au printemps 2012, de déposer très rapidement un texte de légalisation devant le Parlement, afin que la France rejoigne les pays de liberté qui ont déjà légiféré.
Mais parmi ces 94 %, combien ont été abusés par le sophisme : « assistance active à mourir » ? Mme Joly, parmi d’autres candidats, a indiqué vouloir « aller au-delà de la loi Leonetti » qui encadre la fin de vie, pour instaurer « une aide active à mourir » strictement encadrée… encadrée ou non, strictement ou non, cette aide ne change pourtant pas de nature.
– Le temps est venu des « facilitateurs de la mort… »
Au Québec, après deux ans de réflexion, les députés de la commission Mourir dans la dignité ont émis 24 recommandations visant à autoriser « l’aide médicale à mourir ». Maryse Gaudreault, présidente de cette Commission, pense que l’utilisation de l’« aide médicale à mourir » permet d’insister « sur la notion d’encadrement médical ». C’est bien l’aveu du sophisme que nous avons relevé plus haut : utiliser le mot médical pour accréditer l’idée d’un acte médical qui ne l’est, ni dans l’intention, ni dans les procédés employés mais simplement accidentellement, en raison du lieu où il est effectué ou de l’agent qui l’exécute.
Les Québécois vont être amenés à prendre position sur les 12 dernières de ces 24 recommandations, parmi lesquelles il est entre autre précisé que « l’euthanasie n’est plus l’acte de “tuer” mais un “acte médical” ». Par conséquent, les « médecins et infirmières, qui étaient autrefois des guérisseurs et des soignants au service du maintien de la vie, serviront désormais comme facilitateurs de la mort. […] ils seront donc obligés de modifier leur code de déontologie médicale15 ». On connaît le terme comme le métier de « facilitateur de vie », aussi bien dans les services à la personne que dans les aides aux entreprises comme les conciergeries de luxe, assistants personnels, grooms, hommes à tout faire… Verra-t-on bientôt la profession de facilitateurs de la mort ?
Illustration de couverture : Ilya Répine, Job et ses amis, huile sur toile, 1869.
- Cf. Son dialogue Cratyle.[↩]
- De l’interprétation, c. 1.[↩]
- Par commodité, nous introduisons des numéros.[↩]
- Le Trésor de la langue française, http://atilf.atilf.fr.[↩]
- Paul RICŒUR, Philosophie de la volonté, points, 2009, p. 574, cité par le précédent.[↩]
- Cf. La loi du 12 avril 2001 aux pays-Bas et celle en vigueur depuis le 20 septembre 2002 en Belgique.[↩]
- Pierre-Yves LE PRIOL, dans *La Croix* du 29 septembre 2004, à propos de l’émission de Thierry ardisson, Opinion publique, France 2, du 27 septembre 2004.[↩]
- La Marche du Siècle, émission du 23 septembre 1998 sur l’euthanasie.[↩]
- Gènéthique, 5 juin 2012.[↩]
- lejdd.fr, 05 juin 2012.[↩]
- Cf. L’émission susnommée.[↩]
- Cf. Paragraphe précédent.[↩]
- « six raisons de légiférer », sur le site de l’ADMD.[↩]
- Selon Marine LAMOUREUX, La Croix, le 10 janvier 2011.[↩]
- Selon la journaliste Monique david, dans Le Soleil de Montréal du 17 avril 2012. Elle ajoute d’ailleurs que : « si le gouvernement accepte les 12 dernières recommandations proposées par le rapport, nous nous dirigerons vers une pente à sens unique qui ne permet pas de retour en arrière. Est- ce vraiment ce que les Québécois veulent pour eux-mêmes et pour les générations futures ? ».[↩]
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