Quand j’ai commencé à approfondir ma vie chrétienne, et en particulier sa composante intellectuelle, il ne s’est pas passé longtemps avant que je tombe sur un terme très parlant : le concept de vision du monde. La vision du monde, c’est ce que nous croyons, l’ensemble de nos présupposés et de nos valeurs à propos de Dieu, du monde, de notre identité et de notre place dans ce monde.

Le terme avait été inventé par les néo-calvinistes au début du XX^e siècle, et popularisé au niveau pastoral et académique évangélique sous Franck Schaeffer dans les années 1970. Mais la littérature qui existait à mon époque était d’un niveau assez élevé, clairement destinée à des cadres chrétiens, ou bien à des chrétiens déjà mûrs, et l’intérêt pour eux était plus limité. Les livres exposant la vision chrétienne du monde nécessitaient un niveau de lecture plutôt élevé, de l’aisance avec l’abstraction et un penchant doctrinal clair. Je n’imaginais pas recommander une de ces livres à des frères et soeurs ordinaires, pieux mais peu disposés ou préparés à l’académisme de ces livres de « vision du monde chrétienne ».

Or ils en avaient besoin autant que moi. Faute d’avoir une vision chrétienne intégrée, ils séparaient leur vie entre « vie religieuse » où l’on obéit à Dieu et « vie non religieuse » non soumise à Dieu. Ou bien, étant conscient que cette séparation était fausse, ils luttaient avec le désir de vivre pleinement comme Dieu le voulait parce qu’ils n’avaient pas idée de comment Dieu voyait la vie en général.

Il en allait de même pour des nouveaux convertis : eux qui sont encore en peine à lire la Bible, qui ne connaissent pas encore tout le catéchisme de notre foi, faut-il vraiment les charger avec les doctrines avancées, et les techniques d’argumentation bibliques subtiles des livres sur la vision du monde ? Ils en avaient besoin plus que tout le monde, mais ces livres leur étaient moins accessibles encore qu’à tous.

C’est ici qu’intervient le livre de Matthieu Giral, récemment publié chez BLF éditions : Voir comme Dieu voit : Comprendre le monde pour y trouver notre place.

Ce livre est une introduction de niveau débutant et à but d’exhortation, à la vision chrétienne du monde, une approche holistique et intégrative de la foi chrétienne. En termes moins jargonnants : Matthieu Giralt va vous expliquer comment glorifier Dieu non seulement dans la partie « spi » de votre vie, mais aussi dans les petits détails banaux, et apprendre à voir l’amour de Dieu dans tous les domaines de notre vie, depuis les plus spirituels jusqu’aux plus profanes.

C’est un champ de ministère particulier que Matthieu Giralt pratique avec soin depuis la fondation de Tout pour sa gloire. Petite anecdote : je l’ai rencontré en 2017, lorsque Tout pour sa gloire cherchaient un éditeur pour leur site. J’ai appris les ficelles du blogging avec eux, ce qui m’a mené à Phileosophia, précurseur de mon engagement sur Par la foi. Je connaissais donc déjà ses capacités et son efficacité dans ce ministère. Et elles sont amplement confirmées dans ce livre.

Contenu

En seulement cent cinquante pages, Matthieu Giralt présente tout ce qu’un nouveau converti peut avoir besoin de savoir au début de sa vie chrétienne, en deux parties :

1. Comprendre le monde : il y explique les catégories fondamentales de la création : pourquoi Dieu a crée, pourquoi a-t-il créé les hommes ? Le monde est-il bon ou mauvais ? Puisqu’il est bon, d’où vient le mal ? Il n’y répond pas de manière technique ou académique, mais dans un style narratif et léger très accessible.
2. Trouver ma place : Ayant appris à voir comme Dieu voit, Giralt nous dit comment vivre comme Dieu veut. On y apprend à avoir une vision intégrée de notre vie chrétienne, en tenant compte de l’espérance chrétienne de la nouvelle création à venir, et enfin, une vision chrétienne du travail.

Chaque chapitre fait dix pages environ, et chaque chapitre est à la fois logiquement arrangé, mais suffisamment indépendant des autres pour permettre une lecture par étapes, adaptées à des groupes de discussion, ou des lecteurs de bas niveau.

Enfin, en conclusion, j’ai particulièrement apprécié le retour vers la sagesse. Dans notre traduction de Bradford Littlejohn (« Quel est le problème avec la vision du monde ? »), nous avions mis le doigt sur un vrai risque avec le concept de vision du monde : réduire notre vision du monde à un empilement de doctrines bien agencées, alors que la Bible met l’accent sur la sagesse. Là où le présupositionalisme du XX^e siècle (qui a propagé le concept de vision du monde) mettait l’accent sur la carte, la Bible parle plutôt de la boussole. C’est remarquable que Matthieu Giralt ait ramené l’équilibre biblique sans que cela dégénère en jargon trop technique.

En annexe, Giralt propose 25 thèses, comme autant de points de méditations qui résument notre vision du monde évangélique (avant toute confession particulière).

Appréciation

Ce livre est écrit pour des nouveaux chrétiens, ou des lecteurs de faible niveau : je ne le dis pas comme un défaut, mais je reconnais seulement que Matthieu Giralt a très bien écrit pour le créneau qu’il visait. Sa vulgarisation est très équilibrée : il n’évite pas les nuances et les objections à répondre, mais il réussit à y répondre en quelques lignes sans noyer le lecteur, laissant les explications complémentaires à plus tard.

Cependant, pour un chrétien avec vingt ans de vie chrétienne, pour peu qu’il ait été enseigné régulièrement, il y aura peu d’éléments nouveaux, sauf en cas d’enseignements très déséquilibrés (ce qui peut exister dans certaines communautés charismatiques). J’ai lu un chapitre entier à quelqu’un de mon entourage qui n’est pas théologien, il me disait « Et alors ? Je le sais déjà ». Si vous êtes du genre à avoir lu Être parents de Paul David Tripp, vous aurez déjà assez d’expérience de « vision chrétienne du monde » pour ne pas forcément apprendre beaucoup.

Mais même en disant cela, je ne peux que vous recommander le chapitre sur le travail (le dernier) qui comble un manque très courant dans le monde évangélique français.

Je recommande donc ce livre pour :

• des nouveaux convertis ;
• des chrétiens ayant besoin de fondements faciles à lire ;
• des groupes de discussion : la nature aisée de la lecture, et l’amplitude de ce qui reste à discuter promet de belles discussions sur la base de ce qu’écrit Giralt.

Ce livre mérite des achats groupés pour les formations catéchétiques, où ils seront déterminants pour poser une fondation saine et intégrée de la vie chrétienne, en complément de votre apport plus purement doctrinal.

Une fois sa cible bien identifiée, que reste-t-il sinon à le recommander ? Que Dieu bénisse Matthieu, et vous bénisse futurs lecteurs.