Voici un extrait de l’ouvrage The Catholic Faith, de John Harvey Treat, publié au XIXe siècle en réponse au catholicisme romain.
Nous devons ici observer la distinction que l’Église de Rome établit entre le culte qui doit être rendu à Dieu seul, et celui qui doit être rendu aux saints et aux anges. Le culte appelé Latria (grec λατρεία) est rendu à Dieu seul ; celui appelé Dulia (δουλεία) est rendu aux saints et aux anges ; tandis que celui qu’on nomme Hyperdulia (ὑπερδουλεία), une forme élevée de culte, supérieure à la Dulia mais inférieure à la Latria, est rendu à la Vierge bénie. Cette distinction, sur laquelle insistent fortement les catholiques romains, ne repose sur aucun fondement sinon la volonté ou l’imagination de ceux qui l’ont inventée. Le mot Hyperdulia est une invention tardive : il n’apparaît ni dans les Écritures, ni chez aucun auteur ancien, classique ou ecclésiastique.
Quant aux deux mots Latria et Dulia, ils sont employés indifféremment, sans distinction de ce genre, dans la Septante (traduction grecque de l’Ancien Testament) comme dans le texte grec du Nouveau Testament, comme le montrent clairement les quelques exemples cités ci-dessous :
- Deutéronome 28.36, 47-48 : « L’Éternel t’amènera… vers une nation que tu n’as point connue, ni toi ni tes pères ; et là tu serviras (λατρεύσεις ; servies, Vulg.) d’autres dieux, du bois et de la pierre. »
« Parce que tu n’as point servi (ἐλάτρευσας ; servieris, Vulg.) l’Éternel ton Dieu avec joie… »
« C’est pourquoi tu serviras (λατρεύσεις ; servies, Vulg.) tes ennemis que l’Éternel enverra contre toi. »- Josué 24.15 : « Choisissez aujourd’hui qui vous voulez servir (λατρεύσητε ; servire, Vulg.) : les dieux que vos pères ont servis au-delà du fleuve, etc. Mais moi et ma maison, nous servirons (λατρεύσομεν ; serviemus, Vulg.) l’Éternel. »
- Josué 24.20 : « Si vous abandonnez l’Éternel et servez (λατρεύσητε ; servieritis, Vulg.) des dieux étrangers… »
- 1 Samuel 7.3 : « Préparez vos cœurs pour l’Éternel, et servez-le (δουλεύσατε ; servite, Vulg.) lui seul. »
- 1 Samuel 12.24 : « Craignez seulement l’Éternel, et servez-le (δουλεύσατε ; servite, Vulg.) en vérité de tout votre cœur. »
- 1 Samuel 17.9 : « Alors vous serez nos esclaves, et vous nous servirez (δουλεύσετε ; servietis, Vulg.). »
- 1 Samuel 26.19 : « Ils m’ont chassé aujourd’hui… en disant : Va, sers (δούλευε ; servi, Vulg.) d’autres dieux. »
- Ézéchiel 20.40 : « Car sur ma montagne sainte, sur la haute montagne d’Israël, dit le Seigneur Dieu, toute la maison d’Israël, tous ceux du pays, me serviront (δουλεύσουσι ; serviet, Vulg.). »
- Matthieu 6.24 : « Vous ne pouvez servir (δουλεύειν ; servire, Vulg.) Dieu et Mammon. »
- 1 Thessaloniciens 1.9 : « Comment vous vous êtes tournés vers Dieu, en abandonnant les idoles, pour servir (δουλεύειν ; servire, Vulg.) le Dieu vivant et vrai. »
- Hébreux 9.14 : « Combien plus le sang du Christ… purifiera-t-il votre conscience des œuvres mortes, pour servir (λατρεύειν ; ad serviendum, Vulg.) le Dieu vivant ? »
L’auteur poursuit en montrant que cette distinction était inexistante dans les premiers siècles. Il cite notamment Théodoret de Cyr qui use indistinctement de ces termes :
Et lui (Josué) les exhorte à se séparer du service (dulia) des dieux étrangers et à servir (dulia) Dieu seul qui les a créés et sauvés. De plus, il leur donna le choix : « Choisissez aujourd’hui, dit-il, qui vous voulez servir (latria) : les dieux de vos pères au-delà du fleuve, ou les dieux des Amoréens, dans le pays desquels vous habitez. » — Car il dit : « Mais moi et ma maison, nous servirons (latria) le Seigneur Dieu, car il est saint. » Alors, lorsque le peuple eut renoncé au culte (latria) des faux dieux et promit de servir (dulia) Dieu seul qui les avait sauvés, le très pieux Josué reprenant la parole leur dit : « Vous ne pouvez servir (latria) le Seigneur, car Dieu est saint ; et étant jaloux à votre égard, il ne supportera pas vos iniquités et vos péchés quand vous abandonnerez le Seigneur pour servir (latria) d’autres dieux. » — Et lorsqu’ils acceptèrent encore cette proposition et promirent de servir (dulia) le Seigneur, il les presse en disant : « Vous êtes témoins contre vous-mêmes que vous avez choisi le Seigneur pour le servir (latria)1. »
Illustration en couverture : Jean-Honoré Fragonard, Jéroboam offrant un sacrifice à l’idole.
- Théodoret de Cyr, Quaestiones in Jesum Nave 24, Interrogatio 19, PG 80, col. 529.[↩]





Bonjour Maxime Georgel,
Je me permets d’apporter une réponse à la citation que vous partagez pour illustrer la thèse que vous défendez je cite : » Cette distinction (dulie/lâtrie), sur laquelle insistent fortement les catholiques romains, ne repose sur aucun fondement sinon la volonté ou l’imagination de ceux qui l’ont inventée. »
La citation que vous exhibez est-elle censée révéler que les catholiques romains (et l’ensemble des théologiens catholiques donc) ne connaissaient ni le latin ni le grec et ignoraient le double usage biblique ? Ce serait réellement révolutionnaire ! Il est vrai que dans la Septante et le Nouveau Testament, les racines latreuo (λατρεύω) et douleuo (δουλεύω) peuvent se chevaucher, toutes deux signifiant “servir”. MAIS prétendre que la distinction est une invention PARCE que non biblique ça ne tient pas sinon on pourrait en dire autant de la Trinité. Le mot n’est pas Biblique mais elle est pourtant bien réelle.
Premièrement la vénération et le respect dû au corps des martyrs existent réellement, on en a trace au IIè siècle :
« Nous avons recueilli ses os, plus précieux que les pierres de prix, et plus estimés que l’or, et nous les avons déposés en un lieu convenable. Là, le Seigneur nous permettra de nous rassembler, dans la joie et l’allégresse, pour célébrer l’anniversaire de son martyre. »
(Martyr de Polycarpe, 18)
On vénère bien ici les restes du saint (« plus précieux que les pierres de prix etc »), mais on n’adore pas Polycarpe. C’est un acte de mémoire et de communion dans le Christ.
C’est bien la dulie en acte, sans le mot et sans latrie.
Saint Augustin nous rappelle cette tradition qui distingue bien la vénération de l’adoration lorsqu’il dit :
« Nous érigeons des autels à la mémoire des martyrs, non pour leur rendre le culte dû à la divinité, mais au seul vrai Dieu, dont ils sont les témoins. »
La Cité de Dieu, VIII, 27
Ou encore Jérôme (qui je le rappelle a traduit la Bible) :
« Nous n’adorons pas, nous ne rendons pas un culte aux reliques des martyrs, mais nous honorons leurs reliques pour mieux adorer Celui dont ils sont les martyrs. »
Contre Vigilance, 8.
Le vocabulaire ne sort donc pas de nulle part ni de l’imagination. La distinction entre latrie et dulie n’est pas un artifice tardif, mais l’expression théologique d’une pratique continue depuis les origines, depuis Polycarpe au moins.
Enfin, si la distinction n’est pas explicite dans les exemples énoncés, cela ne signifie pas pour autant qu’elle n’aurait pas le sens unique de dulie (excluant la lâtrie) dans toute la Bible. Par exemple en Rom 6,16-17, le termes « douloi » est utilisé pour signifier esclave du péché excluant l’idée même « d’adoration du péché ». Ce n’est pas utilisé si « indistinctement » que vous nous le faîtes croire. Ici, le verbe employé est δουλεύειν (douleuein), et non λατρεύειν (latreuein). C’est donc bien une relation de servitude morale ou volontaire, sans aucune connotation cultuelle.
A contrario, en Hébreux 9,1-6, où latreia désigne le culte du Temple, les “offices liturgiques” (latreiai). Là, on a clairement la notion de service sacré, réservé à Dieu. Le terme δουλεύειν (douleuein) n’aurait aucun sens.
Paul lui-même distingue donc le service moral (douleia) du service cultuel (latreia). Mais les deux peuvent très bien s’opérer envers Dieu en fait.
Donc bon. Bof bof votre citation.
Merci de m’avoir lu
Bien cordialement,
Jean Charles
Merci